"Celui qui ne sait pas d'où il vient ne peut savoir où il va, car il ne sait pas où il est.

En ce sens, le passé est la rampe de lancement vers l'avenir"

(L'archiduc Otto de Lorraine-Habsbourg à Nancy)

Histoire de Thaon

Les notes ci-dessous sont tirées des recherches de l'Abbé C. Olivier, Histoire de Thaon-les-Vosges, publié en 1904 en deux volumes (Sections 1-4). Afin de restituer au mieux le contenu de ses recherches et d'éviter une éventuelle altération, le plan initial et les textes ont été recopiés textuellement. (La dédicace, l'avant propos et les pièces justificatives des jugements en vieux français du Chapitre 2.2.9. - Livre 2, Partie 2, pp. 239-311 - seront peut-être mises en ligne à l'avenir)

1. Les Origines

1.1. Etude Etymologique
1.2. Le territoire de Thaon
1.3. Etude Géologique
1.4. Période Gallo-Romaine

2. Avant 1789

2.1. Histoire politique et militaire

2.1.1. Origine et constitution du chapitre de St-Gœry
2.1.2. Les Abbesses : Seigneurs fonciers de Thaon
2.1.3. Les Doyennes
2.1.4. Temporel des Evêques de Metz
2.1.5. Mainbournie de l'Empereur St-Henri sur Thaon (Henri II)
2.1.6. Terres seigneuriales
2.1.7. Les Evêques de Metz
2.1.8. Les Seigneurs de Beaufremont
2.1.9. Evénements militaires au 15e Siècle
2.1.10 Occupation des Troupes Protestantes
2.1.11 Guerre de Trente-Ans
2.1.12 La peste au 16e, au 17e et au 18e siècle

2.2. Administration seigneuriale et communale

2.2.1. Droits de l'abbesse à Thaon
2.2.2. Mairies de Thaon - Impôts
2.2.3. Les plaids annaux
2.2.4. Corvées et charrues
2.2.5. Vaine pâture
2.2.6. La Moselle à Thaon
2.2.7. Les Forêts
2.2.8. La Justice
2.2.9. Sorcellerie à Thaon

2.3. Administration paroissiale

2.3.1. Cure de Thaon
2.3.2. La dîme
2.3.3.Temporel de la Cure
2.3.4. Eglises
2.3.5. Chapelles
2.3.6. Titulaires de la Cure
2.3.7. Confréries et congrégations
2.3.8. Episodes miraculeux

3. La Révolution

3.1. Nouvelle organisation civile
3.2. Difficultés administratives avec le Chapitre
3.3. Vente de biens nationaux
3.4. Dénonciations calomnieuses contre le maire
3.5. Difficultés administratives
3.6. L'instruction
3.7. Charges militaires
3.8. Organisation du culte constitutionnel
3.9. Poursuites judiciaires contre MM. Anthoine et Saint-Mihiel
3.10. Sous la terreur
3.11. Un martyr
3.12. Réorganisation du culte
3.13. Thaon sous le premier empire
3.14. Les Alliés à Thaon

4. Période contemporaine

4.1. Développement industriel et communal

4.1.1. L'agriculture
4.1.2. Blanchisserie et Teinturie de Thaon
4.1.3. Oeuvres sociales d'utilité économique
4.1.4. Oeuvres sociales d'utilité matérielle
4.1.5. Oeuvres sociales d'utilité morale
4.1.6. Industries diverses
4.1.7. Instruction publique
4.1.8. Administration communale

4.2. Développement paroissial

4.2.1. Eglise et clergé paroissial
4.2.2. Abbé Victor Durain
4.2.3. Confréries
4.2.4. Oeuvres de piété
4.2.5. Oeuvres de charité
4.2.6. Oeuvres d'éducation populaire
4.2.7. Oeuvres d'instruction primaire libre
4.2.8. Oeuvre de préservation et de zèle
4.2.9. Oeuvre de mutualité
4.2.10. Une fête paroissiale à Thaon
4.2.11. La religion réformée

1. Les Origines

1.1. Etude Etymologique

Toponymie

Jusqu'alors la science de la toponymie historique avait été bien négligée.  Après quelques tentatives plus laborieuses que fructueuses de certains érudits qui s'y étaient égarés faute de méthode, MM.  Aug.  Longnon et d'Arbois de Jubainville, complétant les remarquables travaux de M. Jules Quicherat en constituèrent enfin la doctrine dans leur enseignement du Collège de France et en montrèrent l’étonnante fécondité.

L'étude de la signification et des transformations des noms de lieu, autrement dit la Toponomastique, s'imposait aux investigations des savants, prenait sa place dans la linguistique générale et en devenait une branche importante.

C'est assez dire qu'une monographie, fit-elle la monographie du moindre de nos villages, doit lui réserver ses premières pages et lui donner toute l’amplitude dont elle est susceptible. La raison en est que la nomenclature géographique ayant souvent survécu aux révolutions qui ont détruit les races, leurs langues et leurs monuments, elle offre au chercheur une véritable mine inexplorée des événements préhistoriques de chaque localité.

Les Thaons - Deux localités seulement portent en France le nom de THAON: Thaon (Calvados) et Thaon (Vosges).

La première, une commune de six à sept cents habitants, située au nord-ouest et dans l’arrondissement de Caen, canton de Creully, se trouve sur la rive gauche de la Mue, affluent de droite de la Seulles.

La similitude absolue des noms de ces deux localités provoquant parfois une fausse direction dans le service des dépêches, le maire, A. Lederlin, obtint pour sa commune la désignation plus précise de Thaon-les-Vosges.

Deux autres petits villages de notre département portent aussi un nom qui, pour n’être pas absolument identique, semble bien avoir la même étymologie.  Nous avons nommé le Grand et le Petit Thon dont la réunion forme la commune appelée Les Thons. Cette localité dont la population est de quatre cents habitants est arrosée par la Saône et fait partie du canton de Lamarche, arrondissement de Neufchâteau.

Variantes orthographiques. - Les noms de lieu ayant naturellement subi les mêmes influences que les autres mots de la langue et passé par des transformations analogues, il est nécessaire de donner les variantes du mot Thaon et d'exposer les formes qu’il affecte à travers les âges.  En voici une énumération suffisamment complète.

 

Années Variantes
Orthographiques
Sources
1003 Ad Tadonem Manuscrit de la Bibliothèque d'Epinal
1003  De Tadone ibid.
 1216  De Tadone  Cartulaire du Chapitre d'Epinal, fol. 33.
(Archives des Vosges).
 1297 Thaon Cartulaire de Chaumousey V. (Ibid.). 
 13e Siècle Thaon Pièce non datée des Archives des Vosges : G. 191 
 1405 Thaon Bibliothèque nationale.
Pièce citée dans Chapelier, Beaufremont, fol. 74 
 1424 Tawon Archives de Meurthe & Moselle : B. 10.815. 
 1440 Tawon Ibidem : C. 348. 
 1444 Thaon Document sur l'Histoire des Vosges, Tome III, fol 171
 1456 Thaon Archives communales : DD. I. 
 1476 Tawon Documents sur l'Histoire de Thaon, Tome IX, fol 94
15e Siècle  Thaon Pièce non daté des Archives des Vosges : G. 205 
 1509 Thaon Archives de Meurthe & Moselle : B. X5195 
 1509 Thaon  Document sur l'Histoire des Vosges, Tome III fol 202
 1522 Thaon Cartulaire du Chapitre d'Epinal : fol. 601
 1522 Thaon Archives communales : DD. I. 
 1574 Thaon Archives des Vosges : G. 191.5. 
 1612  Thaon Ibidem. 
 1645  Thaon Archives des Vosges G. 144.19. 
 1691 Thaon Ibidem : G. 140.18.
 1699 Thaon  Archives communales : FF. 2.
 1701 Thaon Archives des Vosges : G. 140.52.
 1707 Thaon-Thavon  Archives de Meurthe & Moselle : B. 294. 
 1711 Tavonum  Pouillé de Toul 
 1725 Thaon  Archives communales : DD. 2. 
 1738 Thaon  Déclarations des communautés.
Archives de Meurthe & Moselle : D. 11738
 1742 Thaon  Archives communales : DD. 1. 
 1761 Thaon  Archives communales : FF. 1.
 1790 Thaon  Ibidem : FF.11. 
 An II Thaon  Délibération du Directoire du District d'Epinal.
Archives des Vosges : L. 5.
 1800 Thaon  Registres de l'Etat Civil. 
 1850 Thaon  Ibidem
 1900 Thaon   Ibidem
 Patois actuel
(1904)
Thowon
ou Thovon 
 
 

Le suffixe dans Thaon. - Afin d'approfondir la question, il n'est pas inutile, croyons-nous, de mettre sous les yeux du lecteur l'étymologie de plusieurs villes ou localités dont le suffixe, c'est à dire la terminaison, est identique à celle de Thaon ou comporte la même origine.

 
Thaon Thado. - Manuscrit de la Bibliothèque de la ville d'Epinal.
Craon Cradonium ou Cradonensis vicus - Dictionnaire de Bouillet.
Noyon Noviodunum. - Giry. - Manuel de Diplomatique.
Laon Lugdunum. - Ibidem. - Au moyen âge on trouve Laudunum.
Lyon Lugdunum. - Pline. Tacite. - Lugdunum a aussi donné Leyde, Loudun et Lauzun.
Nyon Noiodunum (Suisse).
Caen Cadomus. Giry. - Manuel de Diplomatique.
Rouen Rodomus et Rotomus, forme existant déjà sous les Mérovingiens. - Ibidem.
Autun Augustodunum. - Ibidem.
Verdun Virdunum. - Ibidem.
 
Les anciens suffixes de ces différentes localités dont le nom se termine par les syllabes on, en,  un commencent tous par d qui devient ici très caractéristique et nous empêche de nous arrêter sur un seul instant à l'orthographe de Thawon. C'est donc bien sur Thado qu'il faut concentrer notre attention.

Opinion de Dom Calmet sur le suffixe. - Les tenants du suffixe won dans Thawon pourront nous apporter le témoignage de Dom Calmet au sujet de l'étymologie de Raon-l'étape et Raon-sur-Plaine.  Notre savant bénédictin s'en tient, en effet, dans son interprétation au langage populaire Ravon en usage pour ces deux localités et donne l’explication suivante :

"Dans ce pays de montagnes on appelle Rava ou Rowa, Ravon ou Raon ou Ravine, un confluent de deux ruisseaux ou d'un ruisseau et d'une rivière : c'est ainsi que l’on appelle Ravon-sur-Plaine le village où le ruisseau du Donon se jette dans la petite rivière de Plaine ; la Petite-Ravon où le ruisseau de Moussey se jette dans le Rabodo ; Ravon-l’Etape, le confluent de la petite rivière de Plaine et de la Meurthe..."

Nous ferons remarquer que l’interprétation précédente parait au moins hasardée si on la rapproche de celle qui est donnée à Raon-aux-Bois et dont il s'est bien gardé de parler.  Son silence s'explique par l’impossibilité de donner à ce village la même origine étymologique, car, si je ne me trompe, il n'y a pas grand confluent de ruisseaux dans cette localité.  D'autre part le Pouillé de Toul lui donne pour racine Rapo, datif de Rapum qui signifie à la Rave et qui explique naturellement le v de 13e

Si rapum a pu donner 13e dans le langage usuel, par le changement du p en v, rien d'étonnant alors que le d de Thado ait subi la même altération, surtout dans le patois.

Formation des noms de lieu gallo-romains. - Le suffixe do nous amène à considérer Thaon comme dérivé d'un nom gallo-romain. Or ces sortes de noms se formèrent, d’après M. Giry, de plusieurs manières. Les uns ne sont autres que des mots de la langue commune devenus noms de lieu, comme Confluentes, Conflans; Mansiones, Maisons ; Vicus, Vic, etc...

D'autres sont composés d'un radical latin ou celtique (nom commun ou nom de personne) et d'une terminaison qui est un mot de la langue gauloise.  Les principales de ces terminaisons sont : dunum, durum ou dorum, magus, briga.

D'autres noms enfin sont dérivés d'un radical latin auquel s'est ajouté un suffixe qui peut être lui-même d'origine latine ou celtique.

Dans quelle catégorie devrions nous placer Thaon? L'étude du préfixe nous fera choisir de préférence la seconde. Thaon étant formé du radical Tha et de la désinence do, syllabes plus ou moins altérés ou déformés, il s’agit de déterminer la signification probable de chacun des deux constitutifs.

Signification du préfixe. - Avant de nous prononcer sur la signification du radical, rappelons-nous la situation géographique des localités qui portent un nom identique ou similaire : Thaon (Calvados) et Les Thons (Vosges).

Celle-ci, avons-nous dit, est baignée par la Saône, affluent du Rhône ; celle-là, par la Mue. affluent de la Seulles.  Or Thaon-les-Vosges comme ses deux homonymes est aussi arrosé par une rivière, la Moselle affluent du Rhin.

Ces trois localités étant situées chacune dans une vallée et offrant une similitude absolue dans leur situation topographique, y aurait-il présomption d'attribuer au radical Tha une origine celtique qui plus tard aurait produit le Thal (vallée) des Germains ?

L'histoire ne nous apprend-elle pas en effet que les tribus voisines des Vosges, Mediomatrici (Metz) et Rauraci (Alsace) étaient des Germains qui vinrent se superposer et fusionner avec les Celtes occupant la région et envahirent tout particulièrement les pays riches, comme la vallée de la Moselle. La langue teutonne s'infiltra donc dans le langage celtique parlé par nos ancêtres les Leuci et y laissa des traces profondes qui subsistèrent pour beaucoup lors de la conquête romaine et formèrent la racine d'un certain nombre de mots.

Ce qui semblerait plus difficile à expliquer, ce serait d'attribuer la même origine étymologique au Thaon du Calvados. Or il Suffit de rappeler les nombreuses invasions des Normands au 9e siècle et la conquête qu'ils firent du duché qui prit leur nom, pour trouver dans ce souvenir l'explication la plus rationnelle.

Interprétation du suffixe. - Ces préliminaires posés, la question touche à sa fin. Voici des vallées qui se présentent à nous comme des génitifs attributifs destinés à préciser, à fixer l'emplacement de certains lieux assez communs de la région indiqués par le suffixe do. Quelle est donc l'origine de ce suffixe et quelle interprétation lui donner ?

D'après ce qui précède, il ne saurait provenir que de dunum, ou de domus, car, dit M. Giry, dans les noms composés celtiques ou gallo-romains terminés par le mot dunum, la désinence um est naturellement tombée et la voyelle accentuée u s'est conservée et tantôt est devenue, suivant les lieux a, i et o. Or dunum, par altération do, signifie en langue gauloise forteresse.

Il est plus rationnel, croyons-nous, de s'en tenir à cette interprétation et de ne pas attribuer au suffixe de Thaon la même origine que celle de Caen, Cadomus et Rouen Rodonus que M. Giry fait dériver de Magus, par altération omaus, omus mot gaulois qui signifie champ.

Si l'on préférait choisir pour Thaon le troisième mode de formation des noms gallo-romains, qui leur attribue un radical et un suffixe latins, il faudrait voir dans la désinence do, Soit l'altération de domus, maison, soit celle de dominus, seigneur, maître. Mais alors quel mot latin aurait pu fournir le radical Tha ? C'est ce qu'il serait assez difficile de préciser, car dans ce cas il faudrait y voir vraisemblablement 1'altération d'un nom de personne, c'est-à-dire d'un gentilice ou d'un cognomen romain.

Conclusion. - N'ayant pu nous arrêter, dans cette étude étymologique de Thaon, au premier mode de formation des noms de lieu gallo-romains, et d'autre part le troisième mode nous mettant dans l'impossibilité de trouver un gentilice capable de fournir le radical Tha, nous en concluons d'après ce qui a été dit que la traduction littérale du mot serait :

Thal (s)-dunum. - La forteresse de la vallée.

A première vue il y aurait de quoi provoquer la dénégation de quiconque connaît tant soit peu le territoire de Thaon, l'absence de tout vestige, de toute trace de constructions antiques, rendant l'existence de l'ancienne forteresse bien hypothétique et semblant devoir infirmer les conclusions de la toponymie. Mais l'étude de la période gallo-romaine nous donnera bientôt l'occasion de parler de certaines découvertes faites sur les bords de la Moselle, découvertes aussi fortuites qu'intéressantes qui viendront corroborer la vraisemblance de notre interprétation.

Armoiries de Thaon. - Dans le langage usuel un tavon, ou dans le patois vosgien un towon est une sorte de grosse mouche à aiguillon connue en français sous le nom de Thaon. La consonnance identique de ces mots avec les noms patois ou français de Thaon devait nécessairement laisser une trace quelconque dans son blason et en faire ce qu'on appelle des armes parlantes.
 

C'est en effet ce qui a lieu ainsi que l'on peut en juger : 
Porte : D'azur, au tawon d'or, ailé d'argent.
Armoiries de Thaon

1.2. Le territoire de Thaon

Aspect général du canton. - Le canton de châtel occupe la partie Nord-Ouest de l'arrondissement d'Epinal et comprend vingt-trois communes parmi lesquelles celle de Thaon. Il mesure 23 kilom. de longueur et 18 dans sa plus grande largeur, formant un sorte de trapèze dont la grande base est occupée par les communes de Gigney, Mazelay, Thaon, Chavelot, Girmont, Bayecourt, Villoncourt et Sercoeur.

La Moselle qui le traverse sur un parcours de 14 kilom. arrose Chavelot, Thaon, Girmont, Igney, Vaxoncourt, Châtel et Nomexy. Elle reçoit sur sa droite : 1. le Durbion qui prend sa source au-delà de Sercoeur et tombe à Châtel après un parcours de 14 kilom. - 2. L'Euron qui sort du territoire de Rehaincourt, passe à Damas-aux-Bois et entre dans le département de Meurthe & Moselle pour se jeter dans la Moselle au Nord de Bayon.

L'Avière est le seul affluent de gauche qui arrose le canton de Châtel. Cette rivière sort de l'étang de Bouzey, tristement célèbre par la catastrophe de 1895, entre sur le territoire de Mazelay et de là parcourt 9 kilom. pour arriver à Nomexy, lieu de son confluent.

La superficie générale du canton est de 24.696 Ha.

Aspect du territoire communal. - Thaon est situé à distance presque égale de ses chefs-lieux de canton et d'arrondissement (8 kilom. de Châtel et 9 kilom. d'Epinal), sur la rive gauche de la Moselle au pied d'une falaise d'une dizaine de mètres d'élévation et à une altitude de 304m50.

Son territoire est borné au Nord par Igney et Vaxoncourt, à l'Est par Girmont, au Sud par Chavelot et Domèvre-sur-Avière (Canton d'Epinal), et à l'Ouest par Oncourt. La Moselle le côtoye à droite du Sud au Nord, le séparant de Girmont et de Vaxoncourt ; de plus il est arrosé par le ruisseau de l'Etang et le minuscule ruisselet des Cuivières qui, l'un et l'autre, y prennent leur source et vont se déverser dans la rivière à quelques centaines de mètres plus loin sur le territoire 15e

La route nationale (No. 57) de Metz à Besançon traverse la localité dans toute sa longueur ; elle est rejointe au centre même de la ville par le chemin d'intérêt communal (no.70) de Thaon à 13e enfin, le territoire qui est sillonné 5417 mètres de chemins vicinaux ordinaires et par 19.809 mètres de chemins ruraux reconnus, a toute sa partie Ouest et Sud-Ouest recouverte de forêts domaniales et communales.

Parallèlement à la Moselle et sur la rive gauche ont été tracées les deux grandes voies de transport : Le canal de l'Est et le Chemin de fer de Nancy à Epinal.

Superficie comparée. - La superficie du territoire de Thaon est relativement fort restreinte si on la compare au chiffre de la population actuelle. cet état de choses est d'autant plus frappant si l'on jette un coup d'œil sur certaines localités du canton :

 

Communes Population Superficie No. d'hectares par habitant
Badménil 240 920 Ha 3.83
Damas-aux-Bois 603 2947 4.88
Domèvre-sur-Durbion 417 1252 3.05
Hadigny 471 1367 2.9
Mazelay 405 1040 2.56
Moriville 764 2502 3.27
Châtel-sur-Moselle 1394 1167 0.83
Thaon-les-Vosges 5143 1137 0.22

Il ne faut pas oublier que l'accroissement de la population  est tout-à-fait accidentel et que, pour l'ancien village d'une population maximum de 450 âmes, on obtient alors une moyenne assez raisonnable, soit 2 Ha 50 par habitant.

Sections cadastrales. - La Moselle sert aujourd'hui de ligne de démarcation entre le territoire de Thaon et ceux de Vaxoncourt et de Girmont. Il n'en était pas de même avant la construction des immenses bâtiments de teinturerie et de blanchisserie que l'on voit se dresser dans la partie Sud comprise entre le canal de l'Est et la rivière. La superficie n'était alors que de 1.104 Ha, ce qui constitue une augmentation de 33 Ha. cédés à Thaon par la commune de Chavelot. L'ancienne ligne de démarcation est indiquée sur le plan général que nous donnons ici, et c'est assez dire que la portion annexée ne figure pas sur le cadastre.

La loi du 15 Septembre 1807 avait prescrit la confection du cadastre parcellaire. Or ce travail, qui dura pour la France continentale jusqu'en 1850, fut exécuté à Thaon dès l'année 1815. Il comprend les cinq sections suivantes :

Section A, dite "La voie d'Oncourt", (Nord-Ouest), comprise entre le chemin d'Oncourt, la route nationale et les territoires d'Igney et Oncourt.

Section B, composée de deux subdivisions, la première (Nord-Est) située entre la route nationale, les territoires d'Igney et de Vaxoncourt, la Moselle et une ligne fictive tirée de l'embranchement du chemin d'Oncourt à la rivière. La seconde, dite La Prairie (Sud-Est), comprenant le reste du territoire, enclavée entre la route nationale et la Moselle.

Section C, dite La Voie d'Ilet, occupant toute la parte centrale et enserrée entre les chemins d'Oncourt et de Perrey.

Section D, dite La Marseille (Sud-Est), comprise entre la Section D, la route nationale et les territoires de Chavelot et de Domèvre-sur-Avière.

Lieux-dits cadastraux. - Il y a une quarantaine d'années, le Ministère de l'Instruction Publique commença à faire exécuter pour chaque département, sous la direction du Comité des travaux historiques, un vaste Dictionnaire topographique de la France, comprenant les noms de lieu anciens et modernes. poursuivie d'abord avec zèle dans certains départements, l'entreprise semble aujourd'hui abandonnée et laissée à l'initiative individuelle ou à celle des sociétés savantes de chaque région.

Cette tâche nous incombait naturellement ; mais, nous devons l'avouer, ce n'est pas sans hésitation que nous nous sommes mis à l'œuvre et que nous avons entrepris ce travail hérissé de difficultés. Les noms des lieux-dits relevés sur le cadastre de Thaon sont quelques fois des plus bizarres par suite des transformations phonétiques qui échappent trop souvent à l'investigateur, et il ne faut pas oublier qu'en raison de la graphique flottante et contradictoire des textes du moyen-âge et des singularités de l'orthographe ainsi que des prétentions étymologiques, chaque nom subi une déformation parfois radicale. L'altération est souvent si complète qu'elle ne se prête à aucune interprétation et résiste à tous les efforts de l'analyse.

Prétendre donner l'explication certaine de tous les noms de lieu du territoire de Thaon serait donc chose insensé ; voilà pourquoi nous nous en tiendrons à celle dont l'origine est pour le moins probable, ne donnant des autres qu'une simple énumération.

Interprétation des noms cadastraux.

Section A, dite la Voie d'Oncourt.

Champs Lanfraumont. - On trouve le même lieu-dit sur le territoire d'Epinal.  A Thaon, on ne peut attribuer à ce mot le suffixe latin Mons, montagne, coteau puisque les champs Lanfraumont sont absolument en plaine.

Champs Mourrate. - Mouratte est sans doute le nom d'un ancien ou d'une ancienne propriétaire.

Les Cuvières. - Il est possible que ce nom désigne l'emplacement d'un cimetière gallo-romain d'où l'on aurait extrait jadis nombre de sarcophages de pierre appelés tantôt petites cuves, cuvières, tantôt auges, d'où les noms de Sous les Auges, En bas des auges (cadastre de Nomexy).

Pré du Haton ou Hatou. - L'endroit où l'on battait le chanvre pour en recueillir le grain portait le nom de Hartour d'où Hatou, Hatard, Hata, Haton par suite d'une fausse lecture de Hatou.

Les Brulletés. - Ce nom peut venir de Bruscia, broussailles, ou indiquer seulement un ancien bois brûlé.

La Magney. - Même sens que Le Ménil, Le Magny qui dérivent de Mansio, Mansionile, d'où Mansinile, Masinile, Masgnellun, Magney et qui indiquent un petit domaine avec habitation.

La Voivre. - Dérivé de Vepria qui indique un lieu humide et couvert de broussailles.
 

Section A

 

Gœry. - Nom rappelant sans doute le souvenir de Saint-Gœry et par suite une terre appartenant au Chapitre d'Epinal.

Bois de l'Atre. - Ancien bois défriché. Atre désigne un terrain privé d'eau et exposé au soleil, en sorte que pendant les sécheresses il est brûlé.

Blanc Caillou.

Aux chaines le Loup. - On le trouve aussi orthographié Au chêne le loup : allusion à quelque exploit malfaisant de cet animal.

Champs Lancette. - Ainsi appelés peut-être à cause de leur forme ou d'une lance ou lancette y découverte.

Le Roulé. - Ce mot vient de roué, robbé, diminutif de rupt, ruisseau.

Le Sauté. - racine : Saltellus, petit bois, diminutif de Saltus, forêt.

Les Aulnes l'Arché ou les Aulnes Larché. - Lieu planté d'Aunes et ayant appartenu à un certain Larché.

Au Tront Oiseau.

La Croix Jean d'Arches. - En souvenir de la croix érigée en ce lieu au 16e siècle par un habitant de Thaon nommé Jean d'Arches (maire?)

Champs Pitance. - Nom d'un ancien propriétaire.

La Simon.

Le Noyeux, ou Moyeux.

Sur le Bied Colinmoyeux. - Bied ainsi orthographié désigne un ruisselet ; prononcé Biè signifie un champ de blé ou simplement du blé. Colin est le nom du propriétaire ; il n'en est plus ainsi de Vallatte dans le Noyeux Vallatte ; ce mot vient de Vallatum, petit enclos palissadé.

La Plaine.

Pont de Bouxières ou Boussières. - Pont est ici une anomalie, puisque à cet endroit il n'y a pas de trace de ruisseau ; il provient d'un mot complètement déformé. - Un lieu couvert de buissons s'appelait Buxariæ, d'où Bouxières et Boussières.

Ezy. - Ce mot vient de Es Hières, par abréviation, Es Hi, qui indique des sillons longs et étroits.

Pré de Hafosse. - corruption de Pré à la fosse, c'est-à-dire un ravin court, étroit et encaissée, en nature de pré.

Champ le Saint.

Hérita.

Fontaine la Chatte. - Chatte vient de Xatte qui dérive lui-même de Xart, Essart. La fontaine en question se trouve donc sur l'emplacement d'un ancien bois défriché.

Le Raöté. - Du mot rouohhé qui a donné Rouaux et indique un terrain à pente forte, raviné et accidenté.

Cabiné.

Entre les deux chemins.

Sur et sous la Voie Thaon-les-Vosges

Pré Jean Gromant. - C'est le nom d'un ancien maire de Thaon qui fut une des victimes de l'empoisonneur Mozel dont nous parlerons plus loin.

Section B. - 1ère subdivision.

Les Saussies. - Lieu planté de petites sauces ou saules.

les Sausses Vaney. - Vaney est le nom du propriétaire.

Le Brasseu ou Bresseu. - De Bruscia, lieu rempli de broussailles.

Ez deux de Renard. - En patois deux ou deu signifie tanière, ce qui donne A la tanière de Renard.

La gayère ou gagière. - La gagière était anciennement un terrain donné en gage et à réachat comme caution d'un emprunt ou d'un contrat quelconque.

Landrexard. - Vient de l'ancien mot landre, clôture et xard, essartement, d'où lieu essarté et entouré de landres.

Pré Franças. - Franças est peut-être un nom de propriétaire ou le patois de Français.

La basse claude Thaon-les-Vosges - La basse St. Jean. - La basse le valez. - La basse des laisse.
- La basse Georgette. - La basse. - Basse vient de Bessa ou baissa et désigne un lieu bas et marécageux. Et c'est bien le cas ici, puisque tous ces lieux-dits sont le long du ruisseau de l'Etang.
 

Section B1

La Corée. - vient de Corylus, coudrier, en patois, corre, d'où Corée, lieu planté de coudriers.

La Ronce.

La borde d'Igney. - On désignait ainsi l'emplacement d'une ancienne ladrerie ou simplement la hutte d'un lépreux. Quelquefois aussi on appelait borde une maisonnette de pâtre, de bûcheron, aujourd'hui vulgairement dénommé Bacchu.

La Hallebarde. - Corruption de A la Borde, d'où A la barde, A l'harde, Albarde, Halbarde.

Le Haut des Cartés. - En supprimant la syncope qui s'est introduite dans ce nom de lieu, on a le Haut des écartés, c'est-à-dire le territoire qui surmontait les huttes des lépreux ou des écartés du reste de la société.

Champs de l'Aulée. - Champs de l'allée ou petit chemin qui conduisait qui conduisait à la léproserie.

Le Saint Suaire. - Altération de Sansure qui, pris pour un mot patois fut traduit en français par Saint Suaire ; or sansure vient de saulsure qui a lui-même pour racine salicetum lieu planté de saules.

Les Saules de la Prairie.

Les Paquis. - Le Grand Paquis. - Le Rond Paquis. - Les Paquis ou Patis sont habituellement des terrains communaux destinés au pâturage.

La Turquie. - Ce nom proviendrait peut-être d'un lieu planté de blé de Turquie, c'est-à-dire de maïs.

Les Elieux.

Le grand Pied du bas de Mougel. - Mis pour le Grand Bied du bas de Mougel, autrement dit le grand ruisseau d'un terrain encaissé et appartenant au nommé Mougel.

Au bas de Mougel.

Sous le bas de la Raye.

La grande et la petite Ponta. - Lecture défectueuse de Pauta, Pota, qui désigne un trou ou un étranglement de terrain comme dans les noms Frapota, Fraisperthuis, Maupota, Monpautet.

Les Falaères. - Les Falaères, falères, falières désignent des lieux remplis de fougères.

Le grand Vendredi.

La Croisette. - Emplacement d'une petite croix.

Le Void de la Rose. - Vadum, void, indique un gué sur le ruisseau de l'étang.

Au Fond. - Le Sureau. - La Grande Chénevière.

La Tannerie. - Emplacement d'une ancienne tannerie.

Le Poirier Claude Michel. - Le Poirier Brice.

La Croix Clilippe. - On trouve aussi la Croix Philippe.

Section 2 - 2ème subdivision. - La Prairie

Le Jay.

Le Village.

Le Petit Sancy. - Pour le Petit Saucy, lieu couvert de Saules ou Sauces.

Les Grands Jardins.

Pré Coignot. - Le Coignot. - Le petit coin.

Pré Thouvenot. - Nom d'un ancien propriétaire.

Sous Paillé. - Paillé vient de palus, terrain marécageux.
 

Section B2

Section C. - La Marseille
 

Section C

La Marseille. - Dérivé de Marceriole, vieilles masures.

La Folie. - On appelait Folie une maison de campagne encadrée de verdure, ou simplement un petit bosquet. Racine : Folium, feuille, folie, feuillée.

L'Etang. - Sur l'Etang. - Paquis de l'Etang.

Le bas des Voyes. - Le bas des chemins.

Le rupt de cluie. - Le ruisseau de Cluie.

Derrière la ville. - Ville vient de Villa, domaine rural plus ou moins vaste comprenant un groupe de population agricole qui devient l'origine du village.

Village. - Emplacement de l'ancienne Villa.

La Charade. - Sue la Charade.

Golsypré.

Grohaumont.

La Chaire le Loup.

Ezirmontant. - Altération de Ez Hières montant, d'où Ez hir montant, autrement dit au montant des longs et étroits sillons.

Sur Seinecieux. - Ce mot vient de Sensieux, Censieux, Cens, revenu seigneurial annuel ou tribut produit par un héritage mouvant d'une seigneurie directe. Au XIIe siècle, les cens se payent en argent, en grains et en vins. Le cens était alors le signe seigneurial dont on frappait la terre : il était peu élevé, mais c'était l'attache qui constatait l'origine du domaine et sa dépendance du seigneur auquel il était payé. Les nobles qui possèdent beaucoup des terres censables, les donnent aux monastères, les ascensent moyennant six deniers l'arpent, rendent et échangent les cens et les donnent même en fief.

La côte. - Sous la côte.

Champ Girardin.

Garoy.

Le Capitaine Lambert. - Ce nom rappelle sans doute le souvenir d'un camp posé à cet endroit par un certain Capitaine Lambert, ou la mort y trouvée par celui-ci dans un combat.

Girmoule. Sur Girmoule. - Vient de Gœrici Moles, Roche de Saint-Gœry, comme Girmont vient de Gœrici Mons, coteau de Saint-Gœry.

Joli Bois.

Les Rouaux. - Sous les Rouaux. - Les Rouaux sont des terrains à forte pente, ravinés et accidentés.

Section D - La Voie d'Ilet.

Sur et sous la Voie Thaon-les-Vosges

Sous la Voie d'Ilet. - Nous parlerons plus loin de cette voie.

La Corvée. - Le mot indique suffisamment le sens de ce lieu-dit : c'est là que les habitants de Thaon faisaient les travaux en nature dus aux seigneurs.

Les Grands Champs de la Chenau. - La Petite Chenau. - Sous et sur la Chenau. - Au travers la Roye la Chenau. - Chenal ou Chenau désignait jadis une petite avenue conduisant à une voie plus importante ou à un carrefour. C'est dans ces parages d'ailleurs que se trouvait la concentration de deux voies romaines.

La Chènezière. - Mot provenant de Chêne ez hières, c'est-à-dire chêne près des hières, chêne près des longs sillons.

Sur le petit devoir.
 

Section D

Pré vaxadette.

Les Froids Champs.

Le et sous le Poirier Grandemange.

La Maix Gigney. - Pré devant les Maix. - Devant les Maix. - Un Maix ou Meix, en patois moué, moé, mé, est un petit domaine, un champ, un jardin. Maix vient du celtique Maes, Champ, qui a donné son nom à Manse.

Les et sur les Etalons. - Ce mot rappelle un chemin antique et vient de Estai, du latin Strata, qui donne Es trata, Estra, Esta, Eta, Etalon est un diminutif. D'ailleurs le petit col qui sépare les ballons d'Alsace et de Servanee et par lequel passe le chemin de Saint-Maurice à Placher-les-Mines s'appelle Estalon, Stalon.

Taillefosse. - Mis pour Taye-fosse ou fosse du vieux chemin.

Champs la Jotte.

Nez-Labarde. - Vient de New-la borde, c'est-à-dire la neuve borde ou ladrerie.

Sous lochepomme. - Mis pour Loge Pomme, la Loge au pommier, ce nom désignerait la borde précédente.

Le Rouge Poirier.

Bois de la Seinecieux. - Trout de la Seinecieux. - Sur et Sous la Seinecieux. Nous avons expliqué ce nom parmi ceux de la Section C.

Pré Balard.

Les Blanches Terres.

Les Trois Fourchettes.

Champs Chandatte.

La Samson. Altération de Samsau, Censau, Petite Cense.

Nauromont. - Doit dériver de Naurmont, Noirmont.

Pré et sur les Prés Marguiton. - Marguitte ou Marguiton vient de Margueritte.

La Tranchée Thaon-les-Vosges

Les Neufs Champs. - Champs nouvellement défrichés.

La Grande Coubrique.

Gohey.

Champs Benay.

La Fouillie. - Pré et champ de la Fouillie. - La Fouillie est une portion de bois abbatue à blanc étoc et qu'on laisse repousser. La racine de ce mot vient comme celle de Feys de Fagus, faiacus, hêtre, bois feuillu.

Les Thuillons. - Champ rempli de Tuiles.

Anciens lieux-dits.

 Nous complétons ce chapitre par l'énumération de quelques autres lieux-dits relevés ici et là dans les différentes pièces des archives et dont les noms ont été oubliés de la population au moment de l'établissement du cadastre. Nous les disposerons par ordre de date.

13e Siècle. - Saint Martin Fontenne. - 1725. - Martin Fontaine. - On peut être surpris de voir ici le nom de Saint-Martin, attribué à une fontaine. Cependant si l'on jette un coup d'œil sur la région, on constate qu'elle a conservé de nombreux souvenirs. Les Dommatrin abondent, nombre de lieux-dits sont appelés Saint-Martin et attestent sinon un séjour prolongé du saint dans la région, du moins son passage bienfaisant signalé par une multitude de miracles.

Ce qui est plus intéressant pour le pays qui nous occupe, c'est que le nom de l'apôtre des Gaules attribué à l'une des sources du territoire désignait aussi un village voisin aujourd'hui, complètement disparu. Cet ancien village, Dommartin (Dominus Martinus), situé sur la rive droite de la Moselle, en face de Thaon et non loin de Girmont, avait son église et une chapelle dédiées au grand thaumaturge.

A quelle époque disparut-il ? C'est ce que l'histoire ne peut guère préciser. Il est néanmoins certain que la destruction fut postérieure à l'an 1003, puisque à cette date l'empereur Saint-Henri gratifie le chapitre d'Epinal des revenus de l'église et de la chapelle de Dommartin.

Après la catastrophe qui l'emporta, le village ne se releva pas de ses ruines ; cependant les chanoinesses n'abandonnèrent pas leurs pauvres sujets, elles leur vinrent en aide et leur offrirent de quoi reconstruire leurs maisons et leur église. Mais le nouveau village ne s'éleva pas sur les ruines de l'ancien, il se rapprocha de la Moselle et couronna la falaise qui domine cette rivière en face de Thaon. On lui donna le nom de Gœrici Mons, plus tard Girmont, en souvenir du patron de ses fondatrices. Quant à l'emplacement de l'ancien village, il est encore aujourd'hui connu sous le nom de Dommartin. Nous aurons d'ailleurs l'occasion d'en reparler plus loin.

Poixaul de Wiherey. - De même que Par ici se traduit en patois par Poi xy, Poi chi l'x se prononçant comme ch, de même aussi il faut voir dans Poixaul la signification de Par le hault, ce qui donnerait Par le haut de Wiherey. Si l'on donne à Wiherey la même étymologie que Wicherey qui vient, ou bien de vicus, village, suivi du suffixe celtique acus ey, ou encore de vicus regius, on arrive à traduire Poxaul de Wiherey Par le haut du village.

Chavireus Weil. - Chavireus vient de Chevieule, Hhevieule, terrain à pente rapide et raviné par les eaux. Si Weil n'est pas un nom de propriétaire, il aurait pour origine le mot patois Veil, vieux, d'où la signification vieux ravin.

Chaussée de Pontoy. - cette chaussée parait être une vieille route romaine.

Vaichin. - Ce mot vient probablement de Veï, veil, vieux et chin, chien, d'où Vieux Chien.

1522. - Rapaille d'Aulcourt. - Le mot Rapailles désigne des bois et des terrains broussailleux. D'autre part Aulcourt est formée de Hault et de Curtis, curtille, canton de terre.

1574. - Buisson St-Gris. - On le trouve encore en 1613. Or St-Gris est l'altération de Thaon-les-Vosges qui paraît en 1595 et en 1729 sous la dénomination de Buisson Thaon-les-Vosges

1595. - La Haute Forêt.

1596. - Bois le Duc Alias St-Pierre. - Bois le duc, autrement dit Bois St-Pierre.

1607. - Ermitage de St-Antoine de Paillé. - En 1729 on trouve Chapelle dit Paillé ; dit est une altération de du ou de, d'où Chapelle du Paillé, Chapelle du Marais.

Bois des communailles. - Bois où la commune avait le droit d'affouage.

1613. - La Noue. - Ce nom désigne une prairie humide. On rencontre encore en 1729 le Canton de la Noue.

Blanche-Eau.

1630. - Buisson Beaulchêne. - Buisson ou Bois (car buisson a encore ce dernier sens) du beau chêne.

1681. - Le Jeune Bois.

La Coste.

La Goutte Meslé. - Une Goutte, de Gotta, ruisseau, torrent, est un ruisselet très souvent desséché en été.

1700. - Rupx de Corbez. - Rocher des Corbeaux, rupx venant du latin rupes et Corbez étant le Patois de corbeau

Les Penses dit devant Baudémont. - Dit est mis pour di ou mieux du : Les penses du devant Baudémont. On trouve un Baudimont sur le territoire de Saulxures-sur-Moselotte. la forme Beau, bel, bé, est employée, ou bien dans le sens de grand, étendu, ou dans celui de beau, joli. Plusieurs lieux-dits qui dérivent de cette racine doivent aussi leur nom à l'ancien culte de Belen, le dieu soleil gaulois adoré sur les sommets. Les Penses de Pansus, étendu, déployé, indique une plaine assez vaste située au pied Du devant du Bel du Mont. - En 1738, on trouve La Panse.

La Haie des Chenets. - Haie est surtout synonyme de bois et signifierait ici Le Bois aux Petits Chênes.

La Rapaille Lassanceau. - Lassanceau a donné La Samson sur le cadastre.

Le Soché. - Le ruisseau de l'étang y prend sa source. Racine : Saxosus, terrain rocailleux, Saxum, rocher.

1708. - Veleveux taquel. Mis sans doute pour Vers le vieux Tacquel.

Moyaux.

Douaire du Noyeux.

Ez Queniers.

On vau de Mougel. - on est souvent employé dans le Patois pour au. Vau indique une petite vallée ou un éboulement de terre, un ravinage provoqué par des pluies.

La chèvre le loup. - Allusion probable à quelque exploit de ce malfaisant animal.

Poirier fourchu.

Grand chemin.

1710. - Le Paquis du Clocher. - Sous le Clocher. - Territoire situé entre l'emplacement de l'ancienne église et la Moselle.

1721. - Morte de la Valhine. - Une morte est petite pièce d'eau sans écoulement formée par l'ancien lit d'une rivière.

1729. - Champ Baudrel.

Bois bannit. - Bois mis en ban, en réserve.

Chorbois. - Mis pour Xorbois, Xarbois, Bois essarté.

Chemin des Pavés. - Ancienne route romaine.

1739. - les Maisons Brûlées. - Une partie du village était devenue la proie des flammes quelques années auparavant.

A la Rue. - Lieu-dit situé dans le village.

Pré le taureau.- Pré affecté à la nourriture du taureau communal.

Le rang paillé. - Un Rang ou Reng désigne un coteau à pente rapide et correspondant au Patois Ren ou Roné.

1.3. Etude Géologique

Brochure géologico-agronomique - Ce chapitre n'est que le complément naturel du précédent.

Après avoir joui avec le lecteur d'une promenade agrémentée de souvenirs archéologiques et essayé de faire revivre pour tous les bons Thaonnais le passé le plus mystérieux de leur histoire par l'évocation d'un grand nombre des lieux-dits de leur commune, il ne sera pas sans intérêt de leur faire connaître en quelques mots la composition géologique du sol qui les vus naître ou leur offre une généreuse hospitalité.

Notre tâche est d'autant plus facile qu'il nous suffit de recueillir les fruits d'un travail sérieux renfermés dans une brochure in -16 de 90 pages intitulée : Notions Générales d'Agriculture pour servir à l'étude de la carte Agronomique du Canton de Châtel-sur-Moselle, publiées en collaboration par A. Lederlin, Maire de Thaon-les-Vosges, Vice-Président de la Société de Girecourt, et R. Jaugeon, Professeur à l'Ecole Supérieure de Thaon. - Rambervillers 1899.

Les deux cartes que nous donnons sont le complément aussi agréable que nécessaire de la brochure susdite et sont l'œuvre des mêmes auteurs.

Aspect géologique du canton. - La couche géologique fondamentale du canton de Châtel-sur-Moselle est le Muschelkalk, émergeant sur une étendue que l'on peut évaluer aux 14/20 de la superficie totale et laissant percer quelques traces de Muschelkalk inférieur.

Les marnes irrisées surmontent en quelques  rares endroits le terrain précédent (1/20 environ) ; enfin le limon de plateaux occupe une plus grande superficie et couvre un certain nombre de sommets (3/20 environ de la superficie totale.)

Quant aux alluvions anciennes ou modernes, on les trouve naturellement dans toute l'étendue de la vallée de la Moselle, et sur une partie de l'Avière (2/20 environ).

Le limon de plateaux se fait surtout remarquer au-dessus des coteaux boisés ou récemment défrichés qui brodent la Moselle sur ses deux rives. Lorsqu'il apparaît ailleurs, c'est toujours aussi au sein des forêts, v. g. le bois St-Pierre (Domèvre-sur-Durbion et Bayecourt), les Grands Bois (Badménil), le Bois des Fiefs (Zincourt), le Bois des Vreux (Hadigny), le Bois le Renard (Moriville), le Saint des Bois (Frizon), le Bois du Grand Feys (Mazeley).

Les alluvions anciennes forment une languette plus ou moins étroite partant de la Marseille (Thaon) et suivant la rive gauche de la Moselle pour aboutir au confluent de l'Avière. Une masse plus compacte de ce terrain occupe le Nord du canton et comprend les vastes forêts qui s'étendent au-dessus des communes de Moriville et de Portieux.

Résultat d'analyses faites au laboratoire agricole départemental à Epinal sur les terres du canton de Châtel.
 

Couches 
géologiques
Communes Lieux-dits Cailloux gros sable Terre fine Azote Acide 
Phosphorique
Potasse Chaux Magnésie Acide sulfurique Alumine oxyde de fer
 Limon des plateaux Domèvre
-sur-
Durbion 
Launoy 128  872  1.58 4.75 3.09 59.35 0.75  Traces 68.19 
Muschelkalk
Supérieur
Moriville  Chaque-
ruche 
 31 969  1.99  0.92  4.90 21.62  2.31  Traces  316.90 
~ Badménil  Ban 
St-Pierre 
48 952 1.33  0.50  3.82 20.52  2.20  0.10  188.64 
~ Pallegney  Devant les Fiefs   11 989  0.50 1.55 5.94 12.64 2.04 0.18   183.84
~ Oncourt  Champs Montants  442  958 1.24  1.15  3.30  15.44  2.10  0.11  191.36 
~ Rehaincourt A la Proye  33  967  3.86  2.12  5.51  47.36  0.58  0.09  193.74 
Muschelkalk
Inférieur
Nomexy   Au Haut 100 900  0.48  1.23  3.27  63.97  0.77  Traces  170.99 
~ Chavelot  Gueme
-laine 
92  908  1.99  0.85  3.13  4.80  0.63  0.79  208.00 
~ Villoncourt  Pré
Labelle 
60 940 1.59 0.10  5.11 16.05 0.41  0.57 332.35 
Marnes Irisées Mazeley  Onzey  7 99.3  1.19  0.41  5.30  7.81  0.63  Traces  576.50 
~ Haillainville  Rehen-
venove 
 20  980  1.73  0.42  5.23  48.40 2.12  0.45  501.72 
Alluvions Modernes Girmont La Vihine 71 929 2.15 1.54 2.34 6.82 0.78 0.02 894.38

Géologie du territoire communal. - Alors que le territoire des autres communes du canton ne comprend guère que trois, deux, ou même une seule formation géologique bien distincte, celui de Thon (Thaon) réunit les cinq couches dont il a été question.

  • Le limon des plateaux s'étend sur toute la forêt.
  • Le muschelkalk inférieur apparaît dans le canton de La Marseille.
  • Le Thaon-les-Vosges supérieur occupe Les Hauts, c'est-à-dire le dessus de la falaise qui suit la rive gauche de la Moselle, cantons de Ezir Montant, Blanches Terres, Noraumont, La Magney.
  • Les alluvions anciennes et les modernes occupent toute la vallée de la Moselle, ces dernières dans la partie la plus rapprochée de la rivière : La Prairie, Les Saussies, La Gagère.

  • A l'exception de la teinturerie et de ses dépendances, Thaon dans toute sa longueur est bâti sur les alluvions anciennes qui, de même que les modernes, ont été formées par les détritus de roches granitiques amenées par les eaux.

    Résultat d'analyses faîtes à la station agronomique de l'Est à Nancy sur les terres de la commune de Thaon.
     

    Couches 
    géologiques
    Lieux-dits Cailloux gros sable Terre fine Azote Acide  Phosphorique Potasse Chaux Magnésie Acide sulfurique Alumine oxyde de fer
    Limon des Plateaux La Côte 191 809 0.88 0.63 0.92 0.90 0.25 0.05 36.00
    muschelkalk Supérieur Ezir Montant 46 954 0.91 0.82 0.73 0.60 0.25 0.09 37.50
    ~ Fontaine La Chatte 115 885 1.19 1.57 1.70 1.10 0.40 0.05 64.00
    muschelkalk Inférieur Champ Gérard 94 906 1.49 0.85 2.63 5.90 0.63 0.79 207.92
    Alluvions Anciennes Haie des Laisses 99 901 1.67 1.70 0.98 0.60 0.25 0.44 44.00
    ~ Champ Pitance 195 805 1.65 1.65 0.93 1.50 0.20 0.44 40.50
    ~ Noyeux Vallatte 340 660 1.86 1.94 0.81 0.60 0.20 0.36 44.50
    ~ Les Noyeux 3 997 11.56 0.88 1.07 1.20 0.30 1.75 14
    Alluvions Modernes Motte de terre 44 956 1.44 1.03 0.97 1.10 0.40 0.43 33.50

    1.4. Période Gallo-Romaine

    Les Leuques - l'histoire a conservé quelque souvenir des différentes peuplades établies en Gaule bien avant l'arrivée des Romains. De ces tribus nomades, celle qui s'arrêta sur les cours supérieurs de la Meurthe. de la Moselle et de la Meuse était connue sous le nom de Leuques. Le territoire où elle s'établit était borné au Nord, par les Médiomatrices ; A l'Est, par les Triboques et Rauraques ; au Sud, par les Séquanais et les Lingons ; à l'Ouest, par les Tricasses.

    Celui de Thaon en faisait donc partie, mais nous devons ajouter qu'on ne peut y relever aucune trace de son passage. Il n'en est pas de même des territoires environnants ou ces traces se retrouvent en grande quantité sous la forme d'excavations semées çà et là dans les forêts de Badménil, Hadigny, Châtel, Nomexy, Igney, ect... et qui sont connues sous les noms de Mares, Mardelles, Mares des Payens.

    Occupation pacifique des Romains. - La nécessité pour certaines tribus gauloises de se créer des protecteurs face aux invasions menaçantes allait attirer l'intervention des Romains.

    L'an 58 avant l'ère chrétienne, une horde Germanique commandée par Arioviste est sur le point de franchir le Rhin et de se jeter sur le pays. La résistance est impossible, et dans cette extrémité on s'empresse de demander le secours de César. "Les Leuques, dit celui-ci dans sa Guerre des Gaules, s'étaient engagés à fournir des vivres à l'armée protectrice".

    Après la défaite des Germains, César conservera le pays qu'il avait protégé et y installa ses légions. De leur côté, les Leuques reconnaissant du service qui leur avait été rendu, demeurèrent les fidèles alliés des Romains et refusèrent de prendre part aux entreprises diverses tentées par les chefs gaulois pour reconquérir l'indépendance de la Gaule.

    Dans ces conditions, une efflorescence de civilisation ne pouvait que se produire et se développer sous la protection bienveillante des nouveaux maîtres, et c'est alors que surgir comme par enchantement des cités illustres comme Toul, Naix, Soulosse, Grand et Scarponne ; c'est alors aussi que la vieille citadelle leuquoise de la vallée servit à abriter une garnison romaine dont les vétérans formèrent peu à peu le premier noyau de la population Thaonnaise.
     

    Voies Romaines
     

    Les deux grandes voies romaines de la région. - Aussitôt la soumission des Leuques, les Romains s'empressèrent d'ouvrir sur le territoire occupé des voies stratégiques et commerciales qui donnaient un accès facile sur la Belgique et sur le Rhin et permettaient aux légions de se porter rapidement sur les points menacés.

    La première de Bâle à Scarponne, partait d'Augusta Rauracorum (Augst près Bâle) et gagnant Remiremont, Epinal, Thaon, Nomexy, aboutissait à Scarponne, près de Toul. La seconde, de Langres à Strasbourg, était non moins importante et traversait la Moselle au Nord de Nomexy.

    Celle de Bâle à Scarponne coupait le territoire de Thaon sur la rive gauche de la Moselle et parallèlement à cette rivière, suivant  non pas les sinuosités de la Vallée, mais gagnant en droite ligne par les Hauts les collines qui dominent Igney et se prolongent sur la Héronnière.

    En 1729, elle est encore désignée sur une pièce manuscrite sous le nom de chemin des pavés : c'est qu'en effet la plupart des voies romaines qui sillonnent la région sont formées de deux lits de pierres, les unes à plat surmontées d'autres très serrées et juxtaposées de champ.

    La Voie d'Ilet. - A Thaon la voie de Bâle à Scarponne était traversée perpendiculairement par une autre voie romaine allant de l'Ouest à l'Est et dont le souvenir, sinon la trace, s'est conservé jusqu'à nous sous le nom de Voie d'Illet.

    En examinant attentivement la Section D du Cadastre où elle est signalée, on la voie déboucher de la forêt entre les chemins de Perrey et d'Oncourt, se diriger en ligne droite sur la Moselle et y aboutir en face de Girmont.

    A l'endroit où cette voie est le mieux accentuée et affecte une plus grande largeur, on se trouve vraisemblablement sur le lieu de sa bifurcation avec celle de Bâle à Scarponne. Cette hypothèse est confirmée par la proximité des lieux-dits : Sur le chemin de la Voie d'Illet, Sur la Chenau, Au travers de la Roye de la Chenau, Les Grands Champs de la Chenau, qui sont autant d'expressions désignant, comme nous l'avons vu, un ou plusieurs chemins conduisant à un carrefour.

    La difficulté de labourer ces divers cantons fut signalée à M. l'Abbé Fiel qui, à la suite de quelques fouilles mit à découvert un tronçon de cette voie. "Les Pierres qui sont mit à sa surface, dit-il, sont tellement liées ensemble, que le laboureur arrivé à elles, est obligé de soulever sa charrue s'il ne veut pas la voir se briser".

    Une chose qui vient confirmer l'hypothèse de la bifurcation des deux voies au lieu indiqué c'est que, ajoute M. Fiel, "on trouve encore dans les champs voisins des fragments de tuiles plates." Ce sont là, en effet, des indices certains de l'existence d'une de ces stations romaines souvent bâties à la jonction de plusieurs routes.

    Direction de la Voie d'Ilet. - Revenons maintenant à la Voie d'Illet et demandons-nous quelle en est l'origine étymologique. La réponse se fera d'elle-même lorsque nous en aurons établi la direction occidentale relevée sur une étude des voies romaines dans les Vosges, étude encore manuscrite due à la plume érudite de notre collègue, M. l'Abbé C. Idoux.

    D'après ses patientes recherches, nous aurions, dans nos précédentes monographies, commis une flagrante erreur à la suite de Monsieur Maud'heux en faisant venir de Vaudémont par Jorxey la voie qui nous occupe. Nous le reconnaissons d'autant plus volontiers que nous ignorions son existence sur le cadastre de Thaon et que son nom quelque peu, mais logiquement altéré amène tout naturellement à voir dans la Voie d'Illet la Voie d'Esley. Esley est aujourd'hui une commune de 350 habitants, située à l'extrême Nord du canton de Darney ; or à 500 mètres au Sud de ce village se trouvait une concentration de voies romaines qui naturellement lui donnait du relief et lui attribuait sur la carte routière de l'époque une réelle importance : Nous voulons parler de la concentration des voies de Grand à Escles et de Corre à Charmes.

    Cette dernière, après avoir quitté Esley pour se diriger sur l'Est, passe le Madon en amont de Pont-les-Fonfays et gagne Pierfitte et Dommartin-les-Ville.

    Là, elle bifurque : la branche gauche partant sur Charmes par Lamerey, le Haut Fays (d'où un rameau se détache sur Châtel à l'endroit nommé Voie de Châtel), le Haut de Foug de Bouzemont, les champs de Derbamont, de Jorxey où elle suit durant un kilom. la Voie de Langres à Strasbourg, le territoire supérieur de Gugney-aux-Aulx, les crêtes entre Rapey, Bouxurulles, Ubexy, Brantigny, et descendant sur Rugney après avoir coupé la vieille route de Charmes à Mirecourt, pour déboucher enfin au Sud-Ouest de Florémont et aboutir, par la vieille route, en aval de Charmes, sur la Voie de Bâle à Scarponne.

    La branche droite, qui sort de Dommartin-les-Ville, se dirige sur Thaon par Damas-devant-Dompaire, Bocquegney, Fomerey et Perrey. D'après M. Maud'heux, cette voie passant par Girmont gagnerait Sercoeur, Dompierre, les territoires de Destord et de Nonzeville d'où elle bifurquait, d'un côté sur le Camp de Mortagne pour gagner la Voie du Bonhomme par le Camp des Jumaux, de l'autre sur Rambervillers et Baccarat.

    Monument Romain. -
     

    Bronze

    Durant les sécheresses de l'année 1835, les eaux de la Moselle ayant baissé considérablement, on vit apparaître au milieu de son lit, émergeant du sable, une sorte de vieux bronze tout couvert de patine. La curiosité aidant, on se mit en devoir de l'extraire, et quelle ne fut pas la surprise générale lorsque l'on constata que l'objet en question dénotait une certaine valeur archéologique.
    L'événement fit du bruit et le conservateur du musée d'Epinal vint l'examiner à Thaon et le jugea aussitôt digne d'occuper une place d'honneur dans une galerie de son musée. Voici d'ailleurs le rapport qu'il en dressa quelques années après et dont il donna lecture à une séance de la Société d'Emulation des Vosges :

    "On a trouvé en 1835, dans le lit de la Moselle, entre Thaon et Girmont, un panneau de porte en bronze du poids de 73 kil., d'une seule pièce. La confection de ses ornements et la Grandeur de ses dimensions font présumer qu'il devait appartenir à un édifice de haute importance situé à une distance du lieu où ce fragment a été découvert, car ses arêtes ne sont point usées par le frottement comme elles devraient l'être s'il venait de loin. Mais on ne peut préciser à quel genre de monument il appartenait.

    Cependant les tuiles plates à rebords, les briques immenses dont on rencontre les débris près du lieu de la découverte, une voie évidemment romaine qui traverse les environs, les pilots d'un ancien pont dont quelques-uns apparaissent encore pendant les sécheresses de l'été permettent de conjecturer que l'édifice auquel appartenait cette porte était aussi romain, Ce panneau est déposé au musée d'Epinal."

    -Tel est, ajoute M. l'Abbé Fiel, le rapport de M. Laurent lequel est corroboré par la découverte faite, il y a quelques années, aux mêmes lieux et dans le canal de décharge sur la rive gauche de la Moselle, de beaucoup de pierres de taille bien travaillées dont une avec corniche et l'autre avec moulure. Mais ces pierres ont disparu sous le sable et la greve amenés par les eaux du canal d'irrigation. Une a été tirée de là par un habitant de Girmont qui en a fait une pierre d'eau sur laquelle on voit des caractères qu'on n'a encore point lus jusqu'aujourd'hui.

    Que penser de ce monument ? - Après la transcription du rapport de M. Laurent et de cette dernière note si intéressante de M. Fiel, nous avouons rester quelque peu rêveur ou plutôt nous complaire dans le pressentiment d'avoir sérieusement évoqué dans notre interprétation éthologique, la véritable origine de Thaon.

    En face de ces objets si curieux, derniers restes d'une civilisation à jamais disparue, en face du lourd fragment de cette porte de bronze remarquable par la perfection de ses ornements et la grandeur de ses dimensions, devant ces nombreuses tuiles à rebord et ces briques immenses dont les romains avaient seuls le monopole, il nous semble voir tous ces vestiges, insoupçonnés il y a un siècle, surgir soudain comme des morts de leurs tombeaux pour nous révéler les secrets d'un passé jusqu'alors inconnu et se poser comme les témoins irréfutables et les garants indestructibles d'une toponymie qui semble parfois bien audacieuse.

    N'est pas là, en effet, l'emplacement de cette fameuse Citadelle de la Vallée que nous osions à peine soupçonner dans notre étude préliminaire ; ces briques immenses ensevelies dans les sables et sous les galets d'une rivière capricieuse ne sont-elles pas les derniers débris de ses remparts démantelés ; et ce panneau d'une seule pièce, fragment d'une énorme porte en bronze n'en constituait-il pas la suprême défense ; n'avons nous pas, dis-je, devant les yeux les dernières traces de cette vieille forteresse reconstituée, agrandie et même ornementée durant l'occupation romaine, cette antique citadelle leuquoise enfin dont on retrouve encore certains soubassements chargés de caractères hiéroglyphiques qui défient toute lecture et dont l'existence avait été presque devinée par l'onomatologie? Certes il faut avouer que bien des hypothèses sont admises avec moins de preuves à l'appui.

    Stations romaines. - Nous avons vu précédemment que des traces de la station romaine. La Chenau se trouvaient à la bifurcation de la Voie d'Illet et de la Voie de Bâle à Scarponne ; nous ne pouvons rien dire de son importance tant la charrue et le temps ont nivelé le sol et fait disparaître jusqu'aux moindres matériaux de construction.

    Il en est de même d'une autre station dont cependant on retrouve encore quelques débris. La Voie d'Illet y aboutit à son entrée dans la forêt : c'est un petit coteau désigné dans le cadastre sous le nom de Les Thuillons. "Ce lieu-dit est ainsi nommé, dit M. Fiel, à cause de la grande quantité de tuiles que la charrue y a déterrées et dont tous les débris plats permettent de les prendre pour des tuiles romaines."

    Quoique n'étant plus situé sur le territoire de Thaon, il faut indiquer une autre station dont on aperçoit encore quelques vestiges à Perrey et d'où l'on a déjà extrait maints et maints matériaux mélangés de tuiles à rebord. Partant de la station des Thuillons, la Voie d'Illet y conduit naturellement après avoir traversé la forêt de Thaon.

    Enfin, le village disparu de Dommartin dont nous avons déjà signalé l'existence sur le territoire de Girmont nous apparaît comme une station des plus importantes que l'archéologie aurait pu exploiter avec grand profit. il en restait encore, il y a vingt ans à peine, des amoncellements de matériaux considérables qu'on a cessé d'utiliser pour l'empierrement des chemins vicinaux. Un renseignement curieux que nous tenons de la bouche même de l'ancien maire de Girmont, feu M. Thiriot, c'est que, lors des premiers déblaiements opérés dans ce but, on mit à découvert maintes et maintes baignoires en pierre de grès qui furent réduites en morceaux et conduites sur les chemins.

    Si l'on jette un coup d'œil sur la carte des Voies et Stations romaines que nous avons rapidement dressée, on n'est pas peu surpris de constater combien la région de Châtel recèle de traces de cette antique civilisation venue de l'Italie à la suite des légions, civilisation étonnante dont la Gaule s'accommoda si vite et qui excite encore notre admiration lorsque le temps et les invasions n'en ont pas renversé ou détruit les monuments. Sans compter les deux citadelles de Châtel (Castellum) et de Thaon destinées à protéger les abords de la Moselle, nous relevons les onze stations suivantes dans un rayon de 10 kilomètres seulement autour de notre chef-lieu de canton :

    La Chenau. - Territoire de Thaon.
    Les Thuillons. - id.
    Perrey. - Territoire de Domèvre-sur-Avière
    Dommartin. - Territoire de Girmont.
    Les Templins. - Territoire de Zincourt.
    Mézières. - Territoire de Rehaincourt.
    Fremiot.- A droite de la route de La Verrerie à Moriville.
    Mézières. - A 1500 mètres dans les bois au Nord de la Verrerie.
    Les Châtelets. - dans le bois de Châtel, entre cette ville et Portieux.
    La Templerie. - dans les Bois de Nomexy, à gauche de la route nationale.
    Les Fouillies. - Entre Frizon et Nomexy, sur la rive droite de l'Avière.

    Et nous ne citons ici que les plus certaines, négligeant de mentionner faute de preuves suffisantes, une foule de Maceriae, Mézières que l'on rencontre à chaque pas soit le long du vieux chemin de Châtel à Vaxoncourt, soit surtout sur les territoires de Zincourt et Hadigny.
     

    Cadastre en 1904

    2. Avant 1789

    2.1. Histoire politique et militaire

    2.1.1. Origine et constitution du Chapitre de St-Gœry

    Fondation d'Epinal. - L'histoire de Thaon étant intimement liée à celle d'Epinal et surtout à celle du Chapitre de St-Gœry établi dans ses murs, nous devons pour l'intelligence de cette monographie, exposer rapidement les origines de cette ville, la constitution de son Chapitre noble, ainsi que son organisation régulière et féodale.

    Comme antiquité, Epinal est loin de rivaliser avec Thaon, car d'après Dom Calmet, le chef-lieu actuel du département des Vosges, ne remonterait pas au-delà du 10e siècle ; cependant, si l'on en croit les mémoires publiés sur la Lorraine et cités par Chanzy, la ville aurait déjà existé au 4e siècle sous le nom de Chaumont. Ruinée une première fois par les Vandales, vers 406, et une seconde fois, en 636, par une autre invasion de Barbares, elle aurait été complètement abandonnée au point de ne plus y trouver, au bout de quelques temps,  que ronces et épines, d'où la désignation de ce lieu désert : Spina, Spinal, Es Spinal, Epinal.

    De son côté, Charton, dans la Revue des Vosges (1838), prétend en fixer la fondation au VIe siècle et l'attribuer à des pêcheurs descendus de Dogneville, qui aurait dressé quelques huttes à cet endroit sur les bords de la Moselle. Enfin, la Chronique de St-Symphorien de Metz, atteste qu'au 10e siècle il n'existait encore que cinq manses ou habitations sur l'emplacement de la ville actuelle, à savoir : Spinal, Ruauménil, Avrinsart, Grennevaut et Villers.

    Nous n'avons pas à mettre d'accord ces différents auteurs : qu'il nous suffise de savoir que Epinal existait certainement au 10e siècle et que, chose non moins certaine, la ville et la région environnante dépendaient pour le spirituel de l'évêché de Toul et pour le temporel de celui de Metz.

    Origine du Monastère et de l'Hôpital St-Goëry. - Ce fut Thierry de Hamelant, évêque de Metz, qui, vers 980, construisit au centre de la nouvelle bourgade, un monastère de vierges auxquelles il imposa la règle de St-Benoît. Il le dédia à St-Goëry et y adjoignit une église où il transporta les reliques du saint à l'exception du chef qui fut conservé jusqu'à la Révolution à l'abbaye de St-Symphorien.

    "En ce temps-là (1089), il y eut dans la Lorraine occidentale une grande contagion ; les hommes que cette maladie, appelée feu sacré, dévorait de l'intérieur, tombaient en corruption. Ils mouraient les membres rongés et noircis comme des charbons ; ou bien, les pieds et les mains putréfiés, les nerfs contractés, hideux et difformes ils traînaient une vie misérable dans les luttes d'une longue agonie". (Chronique d'Hirsauge, reproduite par M. l'Abbé Ch. Chapelier : Les Origines d'Epinal.)

    Cette maladie épouvantable était connue sous le nom de Mal des ardents. Or, à peine les reliques de St-Goëry furent-elles offertes à la vénération du peuple dans la nouvelle église d'Epinal, que des miracles sans nombre éclatèrent en faveur des pauvres pestiférés et rendirent son culte populaire en Lorraine, Bourgogne et dans toute l'Austrasie.

    La nécessité de subvenir à l'hospitalité et au soulagement des pèlerins malheureux, provoqua la fondation de l'hôpital St-Goëry qui construit à côté du monastère et desservi par les religieuses.

    Saint-Goëry. - Issu d'une illustre famille d'Aquitaine dans les dernières années du 6e siècle, Abbo, connu aussi sous le nom de Goëry, suivit d'abord la carrière des armes, vécut plusieurs années dans les liens du mariage et perdit subitement la vue. il vint alors à Metz implorer St-Etienne. Bientôt, guéri de sa cécité par l'attouchement d'un caillou teint du sang précieux du premier martyr, il fut élevé au sacerdoce et ensuite à l'épiscopat par St-Arnould qui se chargea sur lui de ce fardeau pour se retirer dans un désert des Vosges.

    Dès lors, le nouvel évêque donna l'exemple de toutes les vertus ; à sa mort, son corps fut inhumé hors de Metz dans l'abbaye de St-Symphorien et y resta jusqu'à sa translation dans l'église d'Epinal.

    Transformation du Monastère en Chapitre. - Afin de donner au monastère 4e toutes les chances de prospérité et de longue vie, Thiéry d'Hamelant le mit sous la protection des papes, des empereurs, des ducs et des puissants seigneurs lorrains. sous de si hauts patronages, le monastère devint bientôt l'un des plus florissants de la région ; malheureusement, à mesure que croissaient les richesses, la règle monastique perdait de sa rigueur.

    Peu à peu l'esprit du monde s'introduisit, on oublia les traditions et les pratiques de ferveur des premiers jours, en sorte que, dès la fin du 12e siècle, une administration plus séculière que régulière s'était implantée et que le monastère de Thiéry d'Hamelant avait vu l'organisation féodale se substituer à l'antique règle de St-Benoît et constituer un Chapitre noble avec des règlements spéciaux qui en faisaient une sorte de confrérie laïque.

    Les Chanoinesses. - devenue chanoinesse, la religieuse n'était plus astreinte à aucun vœu : avec l'autorisation de l'abbesse, autorisation qui ne pouvait être refusée, elle était libre de quitter le Chapitre, de vaquer à ses propres affaires, de se marier, de disposer de ses biens et de tester.

    "Le règlement spécial du Chapitre, dit l'auteur des Chapitres nobles de Lorraine, est une sorte d'intermédiaire entre l'austère règle religieuse dont il conservera certaines parties et la société féodale à laquelle il empruntera ses principaux articles. Mais, en revanche, pour entrer dans le chapitre, il faudra faire ses preuves de noblesse, établir sa généalogie sur des titres certains, incontestables.

    Dès que, pour ce qui concerne spécialement le Chapitre d'Epinal, une dame pouvait faire preuve de huit degrés de noblesse, quatre du côté paternel et quatre du côté maternel, tous de gentilshommes dont la noblesse n'eût point pour origine une personne de robe, elle pouvait être apprébendée.

    Alors avait lieu la cérémonie de l'apprébendement avec tout le luxe et toute la pompe toute la pompe possibles. L'abbesse, en manteau d'église, à la place qui lui était réservée au chœur attendait solennellement la récipiendaire et après diverses cérémonies la revêtait du manteau de chœur en présence de toutes les dames et de l'assistance entière. La nouvelle élue était dès lors chanoinesse et jouissait de tous les droits, prérogatives et revenus attachés à sa prébende. Elle assistait alors aux réunions capitulaires, avait son rang marqué à tous les exercices et pouvait aspirer à toutes les dignités."

    Les principales dignitaires du Chapitre. - A la tête du Chapitre se trouvait donc une Abbesse et au-dessous d'elle un certain nombre de dignitaires, dont il serait hors de propos d'énumérer les multiples attributions ; nous nous en tiendrons à celles des trois principales, l'Abbesse, la Doyenne et la Secrète.

    Le serment requis de la dame Abbesse à son entrée en charge nous donnera une idée de ses pouvoirs.

    "Je N* esleue abbesse de l'église collégiale Saint-Goëry d'Espinal, promect et jure que je garderay, entretiendray et observeray, feray entretenir et observer à mon loyal pouvoir, le cours de mon abbatissat, les ordonnances, franchises, libertez, usages et privilèges anciens de notre église, sans aller ou faire aller au contraire en manière que ce soit.

    Que tantost après que je seray nommée et requise et que le temps sera convenable, je renouvelleray la séparation des biens et fruictz dépendants d'icelle ;

    Que je feray l'ordonnance des prébendes selon l'usage ancien et accompliray les articles proposez en la forme et manière qu'ils m'ont esté déclairez sans difficulté ou contradictions quelconques."

    L'élection était faite par toutes les dames assemblées et devait recevoir confirmation par des bulles pontificales. Les dames abbesse d'Epinal ayant été de tout temps seigneurs fonciers pour la plus grande partie du territoire de Thaon, c'est un devoir pour nous de leur consacrer à chacune d'elles un petit souvenir.

    La dignité de Doyenne était aussi élective et conférée par les dames capitulantes. On se servait comme pour l'abbesse de la voie du scrutin, mais celle-ci ne pouvait assister à l'élection.

    La Doyenne prenait place au chœur à côté de l'abbesse, devenait chef du Chapitre pour la manse canoniale, et à l'égard du spirituel, présidait en l'absence de celle-ci. Elle jouissait en outre d'un droit plus considérable désigné dans les comptes du prévôt ; dépositaire des clés de l'archive particulière de la manse capitulaire, elle avait aussi une clé du trésor commun et gardait les clés de la Chambre du Chapitre.

    Comme nous le verrons elle possédait encore certains droits mentionnés dans les comptes, tels que les revenus de la Mairie de Thaon, une partie de ceux de Domèvre-sur-Avière, etc.

    Les Doyennes aussi bien que les Abbesses intéressent donc au premier chef notre histoire : nouvelle obligation pour nous de réserver à chacune d'elles une courte mention.

    La Secrète avait le soin des ornements et des vases sacrés : c'était la sacristine (sacrista) de l'église dont elle gardait d'ailleurs les clés. Elle était nommée par l'abbesse de deux fois l'une et la seconde fois par l'abbesse et le chapitre.

    La fin de ce chapitre 2.1.1. et les chapitres suivants 2.1.2. & 2.1.3. sont tirés souvent textuellement des Chapitres nobles de Lorraines, fol. 21-31.

    2.1.2. Les Abbesses - Seigneurs fonciers de Thaon

    Diceburhis, Dietburch (970-10...) - D'après les Chroniques de Saint-Symphorien et de Saint-Vincent de Metz, le monastère d'Epinal, ayant été fondé vers 970, il y eut nécessairement une abbesse à cette époque. Rien n'indique son nom, mais il est possible que celle qui paraît dans un diplôme donnée en 1003 par Henri-le-Saint et qui est désignée sous le nom de Dietburch a été la première. Elle paraît avoir appartenu à une famille jouant un certain rôle dans les conseils de l'Empereur.

    Adeleide (10..). - Le seul titre qui prouve l'existence de cette abbesse est une charte de Pibon, évêque de Toul, en faveur du monastère dans laquelle on lit : Domina abbatissa Spinalensis nomine Adheledis. (10 Octobre 1090). Comme on le voit par les dates, il y a des lacunes entre les deux premières.

    Haceca (1128). - Il en est de même pour Haceca qui paraît seulement sur un titre de 1128 cité par Dom Calmet et qui est cependant classée la troisième.

    Berthe (1140). - Elle obtint, en 1140, d'Etienne, évêque de Metz, une charte qui réglait un différend entre elle et l'archidiacre Gauthier. On prétend, à tord ou à raison, qu'elle appartenait à la famille des Comtes de Salm.

    Hozca-Acique (1173 et 1180). - Dom Calmet avait tout d'abord pensé que ces deux noms désignaient deux abbesses différentes, mais la Gallia christiana prétend qu'elle paraît sous ses deux noms dans deux noms dans deux privilèges accordés par Pierre de Brixey, évêque de Toul.

    Sibille (1184 et 1198). - En 1185 elle obtint du Pape Luce III une bulle lui permettant d'établir quatre chanoines dans le monastère, pour célébrer les offices. de 1198 à 1235 on ne rencontre que le nom d'une seule abbesse.

    Hadley (1235). - Elle est citée dan un document signé de Séhère II, abbé de Chaumousey. On la trouve d'autre part comme étant la soeur de Frédéric III de Romont (il s'agit de la branche Brixey-Romont. - cf. Gallia Chritiana vol. XIII fol. 1062.), doyen de Toul, sous le nom de Adeline, abbesse d'Epinal (1234).

    Clémence d'Autrey (1274).

    Agnès (1280-1294).

    Jeanne de Balleroy (1303 et 1316).

    Clémence d'Autrey (1340-1357). - C'était la seconde de la même famille et du nom de Clémence qui tenait le siège abbatial.

    Guillemette de Ville (1357-1393). - Elle appartient à la famille des De Ville dont plusieurs membres occupèrent de hautes fonctions à la Cour de Lorraine.

    Jeanne d'Ogéviller (.... †1393). -

    Catherine de Blamont (1393-1403). - Elle était de la famille des sires de Blamont qui fondèrent au 14e siècle l'église collégiale de ce nom ; elle devint abbesse de Remiremont en 1403.

    Marguerite de Contreglise (1404-1423). - Il y eut quelques difficultés pour l'acceptation de son élection par l'évêque de Toul. Le chapitre fut obligé d'adresser directement une supplique au pape pour en obtenir la confirmation.

    Walburge de Blamont (1423-1439). -

    Alix d'Amoncourt (1439-1460). -

    Adeline de Menoux. (1460-1491). -

    Nicole de Dommartin (1491-1528). - Elle avait été apprébendée au Chapitre d'assez bonne heure et devint, en 1528, abbesse de Remiremont.

    Alix de Dommartin (1528-1558). - Choisie comme coadjutrice par la précédente, elle lui succéda.

    Iolande de Bassompierre (1558-1621). - Elle fonda le couvent des Minimes d'Epinal et mourut en 1621, après avoir choisi (1586) comme coadjutrice Claude de Cussigny, sa nièce, qui lui succéda.

    Claude de Cussigny (1621-1635). - Apprébendée dès l'âge de deux ans, elle mourut de la peste à l'âge de soixante-six ans le Ier novembre 1635.

    Anne-Marguerite de Bassompierre (1635-1639). - Elle avait été dès 1628 la coadjutrice de Claude de Cussigny qui, morte le Ier Novembre 1635, ne fut inhumée que le 9 Décembre, tant la peur de l'effroyable épidémie qui sévissait avait hâté la fuite des dames du Chapitre. Le lendemain de la cérémonie funèbre, Anne-Marguerite de Bassompierre fut élue par les dames présentes. Dès lors son élection fut contestée, le Chapitre n'étant pas réuni au complet, et ce fut seulement le 28 Novembre 1638 qu'un arrêt du parlement de Metz lui permit de prendre définitivement possession. Elle ne devait point, du reste, profiter longtemps de cet honneur, puisqu'elle donna sa démission le 4 Décembre 1639, pour contracter mariage.

    Catherine de Livron (1639-1645). - Fille de Messire Charles de Livron, marquis de Bourbonne, et Anne de Savigny, dite d'Anglure, elle tint le siège de l'abbatial d'Epinal jusqu'à sa mort.

    Charlotte Marguerite de Lenoncourt (1645-1698). - Entrée au Chapitre le 31 Octobre 1645, elle en était déjà élue abbesse le 16 Novembre suivant. Elle introduisit dans le chapitre les insignes que les dames chanoinesses portèrent après elle, composés d'un ruban en sautoir avec la croix portant l'image de St-Goëry.

    Félicité d'Hunolstein (1699-1719). - Elle fut élue le 7 Février, malgré la pression faite par le duc de Lorraine en faveur de Madame d'Anglure, fille d'honneur de Madame.

    Anne-Elisabeth de Ludres (1719-1728).

    Louise-Eugénie de Beauveau (1728-1734). - Le duc Léopold, qui était déjà intervenu dans élection de Félicité d'Hunolstein, intervint encore dans celle-ci. Il était question de nommer Madame Louise-Eugénie de Beauveau, fille de noble homme Marc de Beauveau, prince de Craon et du St-Empire, grand d'espagne de la première classe marquis de Haroué, baron d'Ormes, etc..., et Anne Marguerite, comtesse de Lignéville. Elle n'était point du Chapitre et n'avait encore que treize ans.

    Le cas grave était grave et ne s'était peut-être jamais présenté. Il ne fallait rien moins qu'une bulle du pape pour permettre de violer ainsi tous les règlements. On l'obtint, et le 2 Août, le duc Léopold déléguait Messire Jean-François de Tervenu, maître des requêtes ordinaires de son hôtel et Charles de Houvières, Comte de Viermes, Bailli d'Epinal, pour assister à élection qui devait avoir lieu le 7.

    L'abbatial de Louise de Beauveau ne fut point de longue durée. Elle Mourut le 27 Décembre 1734 aux orphelines de Nancy et fut inhumée dans le sanctuaire de cette église.

    Gabrielle de Spada (1735-1784). - Née le 20 Décembre 1713 à Luneville, elle avait été nommée au Chapitre le 17 Mars 1730 par Madame d'Argenteuil, doyenne, au nom de Son Altesse Royale et par droit de joyeux avènement. Un bref du pape Clément XII (24 Mars 1734) portait que, malgré son âge, elle pouvait être admise à l'abbatiat et autres dignités du Chapitre. Elle fut élue à la mort de Madame de Beauveau.

    Marie-Louise-Victoire le Bacle, comtesse d'Argenteuil (1784-1785). - Comme on le voit son abbatiat ne fut pas de longue durée.

    Elisabeth-Charlotte de Gourcy. - La dernière du Chapitre fut Madame Elisabeth-Charlotte de Gourcy, qui était à la tête de cette maison lors de la révolution et résista courageusement, avec ses compagnes, aux vexations révolutionnaires, jusqu'à ce que le Chapitre d'Epinal fut supprimé et ses membres dispersés.

    2.1.3. Les Doyennes

    Jehenne ou Jeanne (1303-1332). - Le décanat existait, sans aucun doute avant cette époque, mais les titulaires n'ont laissé aucune trace connue.

    Marguerite de Cintrey (1332). - Après avoir été Secrète, elle fut élevée à la dignité de Doyenne.

    Isabelle de Deneuvre (1342). - Le 16 Juillet 1342, elle figure comme Doyenne. L'intervalle de dix ans qui sépare ce décanat de celui de Marguerite de Cintrey  n'est pas assez considérable pour qu'on ne puisse point supposer qu'elle ne lui succéda pas comme Doyenne.

    Guye ou Guyette (1357). - Le 25 Juin 1357, Guye ou Guyette est Doyenne du Chapitre. Son nom de famille n'est point indiqué. Tout donne lieu de supposer qu'elle succéda à Isabelle de Deneuvre.

    Marguerite de Contreglise (1393 et 1428). - Elle parait dans de nombreux actes avec le titre de Doyenne ; elle est encore en charge le 28 Juillet 1428.

    Alix de Bussignécourt (1439). - Elle figure comme Doyenne à élection d'Alix d'Amoncourt, abbesse.

    Catherine de Charmes (1457 et 1499) - De nombreux actes permettent de suivre ses traces ; elle préside aux élections des abbesses Adeline de Menoux et Nicole de Dommartin et son testament est de l'an 1497.

    Simone de Coblans (1499 et 1519). - Son testament est du 15 Décembre 1519.

    Léonarde de Lambrey (1520 et 1527). Elle résigne sa charge en faveur de sa sœur.

    Marguerite de Lambrey (1528-1534). - On la trouve présidant à élection abbatiale de Mme Alix de Dommartin. Sa mort arrive le 21 Décembre 1534.

    Léonarde de Lambrey (1534-1537). - Léonarde de Lambrey était cousine des précédentes. Elue à l'âge de soixante-dix ans, elle ne tint le décanat que fort peu d'années.

    Anne de Ludre (1537-1539). - Nommée le 3 Février 1511 à la prébende vacante par la démission de Mme de Blandin, on la trouve doyenne le 10 Décembre 1537. A sa mort, 29 Février 1539, elle est encore investie de cette dignité.

    Simone de Lys (1539-1562). -

    Claude de Neufchâtel (1562-1570). -

    Barbe-le-Boeuf (1570-1573). - Dès l'année 1570, Barbe-le-Boeuf est Doyenne : elle remplit ses fonctions jusqu'en 1573. Son testament dans lequel elle fait plusieurs donations à Claude de Grammont qui devait lui succéder est du 18 Février 1573.

    Claude de Grammont (1573-1579). -

    Edmonde d'Amoncourt (1579-1585). - Elue le 12 Mars 1579, elle paraît encore en 1585 comme Doyenne, mais, à partir de cette époque, aucun acte ne permet d'indiquer si elle est toujours en charge.

    Phillippe de Thuillières (1591 et 1606). -

    Catherine-Diane de Gournay (1607-1653). Elle est signalée comme Doyenne dans plusieurs documents ; elle meurt le 27 Juillet 1653.

    Chrétienne de Florainville (1653-1674). - Elue Doyenne le 16 Août 1653, elle démissionne le 26 Août 1674.

    Béatrix de Précipiane dite de-Soye (1674-1675). -

    Charlotte du Chatelet (1675-1693). Au décès de Béatrix de Précipane, Charlotte du Châtelet est élue Doyenne (18 Juillet 1675) ; elle était alors Secrète. Sa mort arrive en 1693.

    Anne-Félicité d'Hunolstein d'Aremberg (1693-1699). - Promue Doyenne le 24 Octobre 1693, elle quitte cette dignité pour devenir Abbesse en 1699.

    Marie-Thérèse de Bouille (1699-1708). - Elle exerce les fonctions de Doyenne jusqu'à sa mort, 10 Août 1708.

    Catherine-Eléonore le Bacle d'Argenteuil (1708-1732). - Elue le 24 Septembre 1708, elle conserve sa charge jusqu'à sa mort arrivée au mois de Mai 1776. -

    Marie-Françoise d'Eltz (1732-1776). -

    Elisabeth-Luce le Bacle (1776-1777). -

    Elisabeth-(Luce) de Boecklin (1789-1791). - C'était Madame de Boecklin qui était revêtue de la dignité de Doyenne lors de la suppression du Chapitre à la Révolution

    2.1.4. Temporel des Evêques de Metz

    Origine du Temporel. - Tout ce qui est rapporté par les vieilles chroniques tend à établir que les évêques de Metz sont redevables aux deux premiers Othon, empereurs d'Allemagne, de l'autorité absolue qu'ils eurent dans cette ville. Leur souveraineté sur les terres qui composent primitivement leur temporel daterait donc, à les croire, de la fin du 10e siècle.

    Au milieu des troubles provoqués par la guerre acharnée engagée par Lothaire, roi de France, contre Othon II, pour la revendication de la Lorraine (977), les évêques de Köln, de Trier, de Metz et autres, d'après Digot, ne se seraient pas oubliés et en auraient profité pour s'emparer de quantités de terres dépendantes de ce duché. Et l'historien de notre province ajoute que cette usurpation aurait été confirmée par l'Empereur d'Allemagne lui-même qui, pour contrebalancer la puissance de nos ducs aurait accordé aux évêques de la région et particulièrement à celui de Metz une sorte d'indépendance qui ne les faisait relever que de lui.

    L'auteur de cette assertion semble méconnaître certains documents dont nous parlerons plus loin et qui font remonter à une époque bien antérieure la possession de ce temporel surtout pour la région éloignée de Thaon, Epinal et des environs.

    Etendue du Temporel. - Si l'on compare la superficie des territoires possédés en toute souveraineté par les évêques de Metz au 12e siècle à celle des évêchés de Toul et de Verdun, on verra qu'à elle seule elle les dépasse en étendue. le temporel de l'archevêque de Trèves est même loin d'atteindre celui de Metz qui est son suffragant.

    Celui-ci, en effet, absorbe une grande partie de l'ancien département de la Moselle et, après une légère interruption, s'étend sur la partie est du département de la Meurthe pour s'insinuer ensuite sur celui des Vosges par une longue bande qui va de Raon l'Etape à Epinal. Comme cette dernière ville, Thaon en forme l'extrême limite.

    Telles sont les deux enclaves que les auteurs attribuent généralement au temporel de l'évêque de Metz : Cependant, si l'on en juge d'après le diplôme de l'empereur St-Henri dont nous parlerons bientôt, une troisième enclave moins importante que les précédentes en aurait encore fait partie au 11e siècle et aurait compris, en totalité ou seulement en partie les territoires de Vincey, Avillers, Avarinville et d'autres villages disparus de cette même région. Vincey appartenait, vers 708, au comte Vulfoade qui l'échangea avec l'évêque de Metz, Sigisbalde, contre le village de Marsoupe qu'il venait de fonder.

    "Dedit Volfaudus Sigisbaudo episcpo ad partem sancti Stephani locellum muncupatum Vinciaco, in fine Ausiniaca villa (Essegney), in pago Sugetensi (Saintois) super fluvium Mosellae." C'est déjà la preuve indiscutable de l'antiquité du temporel de Metz dans notre région vosgienne.

    Le temporel de l'Evêché à Thaon. - Le monastère de St-Gœry fondé, il fallait naturellement en assurer l'existence et le doter convenablement. Thierry de Hamelant y avait déjà pourvu, mais son successeur, le bienheureux Adalbéron, eut à cœur de l'enrichir et d'augmenter ses revenus en lui concédant plusieurs autres terres. C'est ainsi que Thaon fut une grande partie attribué en toute propriété au nouveau monastère.

    Quelle était alors l'importance de notre village, c'est ce qu'il n'est pas possible de déterminer ? Tout ce que l'on sait, c'est que dix manses affectés au monastère constituaient la plus forte partie de son territoire. Or, le manse n'était pas une simple habitation de roturier, mais bien un ensemble de constructions auxquelles se rattachait une certaine étendue de terres exploitées le plus souvent par des concessionnaires qui avaient sous leurs ordres toute une tribu de vilains et de manants.

    Le village de Thaon pouvait donc comprendre vraisemblablement un minimum de 200 à 250 habitants ; d'ailleurs il possédait déjà à cette époque une église dont les revenus grossissent encore la caisse de la pitancerie du monastère de St-Gœry : or, une église dénote toujours une certaine densité dans la population.

    2.1.5. Mainbournie de l'Empereur St-Henri sur Thaon (Henri II)

    Mainbournie sur le monastère St-Goëry. - Après avoir richement doté le monastère d'Epinal, l'évêque Adalbéron jugea prudent d'en mettre la souveraineté sous la protection du plus puissant des princes chrétiens, l'empereur d'Allemagne, Henri II, canonisé plus tard par l'Eglise. La chose fut d'autant plus facile que l'impératrice Cunégonde était d'une piété extraordinaire et cette vertueuse reine, à l'instar de son puissant mari, mettait tous ses soins à faire bénéficier les églises et les monastères de nombreuses dotations.

    Ce fut, en effet, avec le plus grand empressement que St-Henri ratifia les libéralités de l'évêque de Metz et qu'il prit sous sa haute protection, en les recevant sous sa maimbournie, les différentes terres affectées, comme celles de Thaon, à l'entretien du monastère d'Epinal.

    Cet acte de généreuse bienveillance de l'empereur est consigné sur une charte datée du 11e jour des calendes de Novembre, 1003. La pièce, écrite en langue latine, est conservée sous une des vitrines de la Bibliothèque d'Epinal et nous n'en connaissons pas de plus ancienne qui fasse mention de Thaon.

    Pour ce motif, nous devons lui faire les honneurs d'une photogravure, aussi bien que de sa transcription en lettres vulgaires et sa traduction française. Il nous a semblé enfin bien naturel de la faire suivre d'une rapide notice biographique sur les deux premiers bienfaiteurs connus de notre région : le Bienheureux Adalbéron et St-Henri. Ajoutons cependant que l'authenticité du diplôme de St-Henri paraît discutable à plusieurs point de vue : le style, certaines expressions, l'écriture même porte à en fixer l'origine à une date postérieure à l'an 1003. Est-ce une simple copie ou une reproduction intégrale du titre primitif, ou bien cette pièce peut-elle être classée au nombre de ces nombreux diplômes confectionnés pour les besoins de leur cause par des abbayes ou des monastères intéressés à donner à leurs droits multiples cachet d'authenticité ? c'est possible. Quoiqu'il en soit, la pièce qui nous occupe n'en représente pas moins sinon l'expression à peu près exacte d'une vraie charte disparue, au moins celle d'une tradition constante qui attribuait au Chapitre d'Epinal les nombreux domaines qu'il revendique.


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    Charte de Saint-Henri, Empereur d'Allemagne, 1003

    In nomine Sanctæ et Indiduae Trinitatis, Heinricus, divina favente clementia, rex.

    Au nom de la Sainte et Indivisible Trinité, Henri, par la grâce de Dieu roi.

    Si ea quae sanctis ac venerabilibus locis a fidelibus collata, nostra regali auctoritate firmamus, hoc regni nostri stabilitati et tam animae quam corporis nostri saluti profuturum esse minime ambigimus. 

    Si nous confirmons de notre autorité royale, les donations faites par les fidèles aux lieux saints, nous ne doutons point que cela ne serve à l'affermissement de notre règne ainsi qu'au salut de notre âme et de notre corps.

    Proinde notum sit omnibus sanctæ Dei ecclesiae nostrisque fidelibus presentibus scilicet et futuris, qualiter venerandus Sanctæ Metensis ecclesiæ presul et sanctæ religionis amator, nomine, Adelbero, nostram per interventum dilectæ contectalis nostræ et regnorum consortis Cunigundæ, adiit celsitudinem, suppliciter rogitans ut locum quemdam, nomine Spinal, in nostrum mundiburdium reciperemus cum monasterio quod divæ memoriae, suus antecessor Theodericus, videlicet episcopus, in honorem sanctissimi Martyris Mauricii santique Goerici confessorisa fundamentis ibidem erexit pariter et consecravit, quodque, eo mortuo, ipse, operosis prediis et muneribus, ditavit et auxit, institutis ibi sacris virginibus sub norma sancti Patris Benedicti, Deo militantibus viriliter et humiliter servientibus.

    Aussi, soit chose connue à tous les fidèles de 1'église de Dieu et autres présents et à venir, que vénérable et sainte personne Adalbéron, vénérable évêque de Metz s'est adressé à notre grandeur par l'intermédiaire de notre chère épouse la reine Cunégonde, nous suppliant de recevoir sous notre maimbournie (1) un lieu appelé Spinal, avec le monastère que son prédécesseur, 1'évêque Thierry, d'heureuse mémoire, a bâti, et consacré en l'honneur des saints Maurice, martyr, et Goëry, confesseur, et qu'après lui, le susdit Adalbéron a augmenté et enrichi de dons et de présents, après y avoir installé des saintes vierges, servant humblement et dévotement Dieu sous la règle de Saint-Benoît.

    Quibus estiam ut studiosis et sine querela divinum implere valeant ministerium, de locis episcopii antea sibi famulantibus, hæc loca tradidit et in provendam, æterno jure, concessit.

    Afin qu'elles puissent vaquer avec plus de soin et de tranquillité à l'office de leur saint ministère, le susdit évêque leur donna et leur concéda, à perpétuité les biens qui suivent et qui auparavant dépendaient de son évêché :

    Hoc est : mercatum in ipsa villa et piscationem; ad Arentela, octo mansos cum ecclesia et capella sibi subjecta; ad Volmaricurt, ecclesiam unam; ad Longo-Campo, octo mansos cum ecclesia et capella una subjecta; ad Domnum Martinum, ecclesiam unam cum capella sibi subjecta; ad tadonem; mansos decem cum ecclesia; ad Vinciaco, mansos vigniti cum ecclesia omnibusque ad eam pertinentibus; ad Barnei, ecclesiam unam; in Aventiovillare, mansos sex cum capella; ad Maleisevilla, mansos sex cum ecclesia; ad Sarcoaco, ecclesiam unam cum capella una; ad Clusentana, mansos tres; in Villa Aciao, ecclesia una; ad Falts, mansum unum; ad Millerei, unum; ad Moncels, unum; ad Belzoncort, unum; ad Sponis mansos sex; ad Evorini-villa, masum unum; cum ecclesiis, mancipiisquoque utriusque sexus et omnibus eorumdem locorum sive mansorum, legalibus pertinentiis, reditibus et utensilibus, adjectis, etiam his ecclesiis cum dotalibus mansis et servitio suo ac sensu merito inde redeunte.

    Le marché et la pêche dans ladite ville; huit manses (2), une église et une chapelle en dépendant à Arentèle (3); une église à Vomécourt; huit manses, une église et la chapelle en dépendant à Longchamps; une église et la chapelle en dépendant à Dommartin; dix manses et l'église à Thaon; vingt manses et 1'église avec leurs dépendances à Vincey; une église à Beney; à Aviller (?) six manses et une chapelle; à Malzéville, six manses et l'église; à Sercoeur, une église et une chapelle; à C1ézentaine, trois manses; à Essey, une église; à Faltz (?), un manse; à Millery, un manse; à Moncel un manse; à Belzoncourt un manse; à Spons (4) six manses; à Avrainville, un manse; avec les églises, les serfs des deux sexes, tous les revenues, outils et appartenances et aussi les manses dotaux, les redevances et les cens (5) auxquels ils ont droit.

    Cujus quidem prefati presulis Adlberonis dignæ annuentes peticioni et prescriptum locum Spinal, cum monasterio et sanctis monasticæ regulæ virginibus quibus moderno tempore, venerabilis abbatissa Dietburch presidere videtur, in nostrum recipimus mundiburdium et regalium ex antiquis cœnobiorum nostri regni eis liberate concessa, regio verbo precipimus, quatinus nulla regni nostri, magna vel parva persona, prefati monasterii loca, ad causas audiendas, vel paratas faciendas, vel mansiones parandas, aut freda exigenda, aut homines ejusdem loci distribuendos, aut illicitas occasiones requirendas, ullo modo ingredi audeat, aut aliquid quæ adpublicum pertinent inde exacticare presumat, excepto advocato, quem ejusdem monasterii abbatissa, qualiscumque tunc fuerit, cum sororibus suis elegerit, suis usibus aptum et votis earum bene optemperantem. Habeant etiam protestatem, per decessiones, eligendi inter se abbatissam secundum suam et Metensis Tullensisque episcoporum definitionem, quatinus eas meluis delectet pro nostra salute Deum exorare.

    Ecoutant favorablement la supplique du susdit Adalbéron nous avons reçu et pris sous notre maimbournie et protection le susdit lieu de Spinal avec le monastère et les filles y vivant sous la règle monastique et qui ont en ce moment pour abbesse, Diethburch; nous lui confirmons également, de notre autorité royale, les libertés dont jouissent les monastères placés sous la protection souveraine, afin que nulle personne, grande ou petite, n'ose violer ses possessions soit pour l'exercice de la justice soit pour les droits de past, de gite et d'amende, soit pour y saisir les serfs pour quelque querelle ou prétendu droit. Il y aura cependant exception pour le voué quel qu'il soit, qui aura été choisi par l'abbesse et ses soeurs et qui exercera ses droits en obtempérant aux ordres du monastère. Elles auront aussi le pouvoir, au décès de l'abbesse, d'en élire une autre à leur choix et à celui des évêques de Metz et de Toul; et ainsi elles prieront plus volontiers Dieu pour le salut de notre âme.

    Et ut hæc nostræ immunitatis auctoritas stabilis et inconvulsa permaneat, hanc nostri precepti paginam inde conscriptam, manu propria roborantes, sigilli nostri impressione insigniri jussimus.

    Et afin que cette concession de notre puissance soit ferme et stable à toujours, nous avons confié, de notre main, cette présente donation et y avons fait apposer notre sceau.

    Signum Domni Heinrici, Regis invinctissimi.

    Sceau du très invincible Roi Henri.

    Egilbertus cancellarius, vice Vuilligisi archicapellani recognovit.

    Vu par Egilbert, chancelier, de l'autorité de Vuillegise, archichapelain.

    Data XI Kalendarum Novembris, anno Dominicæ incarnationis millesimo tertio, indictione prima, anno vero Domini Heinrici regis secundo, ipso imperante, Cunigundæque reginæ.

    Donné le XI des calendes de Novembre, l'an de l'Incarnation de Notre Seigneur mil trois, indiction première la seconde année du règne du roi Henri, lui régnant et Cunégonde étant reine.

    Aucta est : ad Dodiniacamvillam ecclesia una cum capellis subjectis, in villa Conflentis, ecclesia una, ad sanctam Rodeuvaram cum dotalibus mansis et servitio Markevillæ.

    A ces donations sont ajoutées : une église avec les chapelles qui en dépendent à Dogneville, une église à Conflans, à Sainte Rovelane (Clevaut), une église et ses manses dotaux et le cens de Mahéville.

    Actum in Sancto Ypolito.

    Fait à Saint-Hippolyte. (6)

    (1) Mainbournie : n.f. (de mainbour, mainbourg, Hochdeutsch muntboro). A l'époque franque, droit de tutelle qu'exerçait le père sur l'enfant, le mari sur la femme, et en général, tout droit exercé par une église, par un "puissant" sur un particulier qui se plaçait spontanément sous leur garde, par extension protection. (Encyclopédie Quillet, p. 4001)
    (2) Manse : n.f ou m. (1732, mans, 12e; Lat. médiévale, masus, de manere "demeurer"). Hist. Petit domaine féodal constituant une unité d'exploitation agricole. (Petit Robert)
    (3) Aujourd'hui Sainte-Hélène.
    (4) Il s'agit probablement de Bettoncourt et de Pont-sur-Madon, villages voisins d'Avrinville.
    (5) Cens : Féod. Redevance en argent payée annuellement au Seigneur. A Rome, le cens était établi tous les cinq ans par les censeurs. Il avait un triple but: Etablissement de l'impôt, recrutement militaire et organisation politique de l'Etat. Au moyen âge, le cens était la redevance payée au Seigneur soit à titre personnel (e.g., le census capitis du serf.), soit à titre réel pour une terre roturière. (Encyclopédie Quillet, p.1012)
    (6) Bibliothèque d'Epinal; parchemin bien conservé, sceau plaqué enlevé et dont il ne reste plus que des fragments.

    Saint-Henri. - Source: Abbé Chapia, Le saint de chaque jour.

    Henri, fils du duc de Bavière, naquit vers l'an 972 et fut baptisé par l'évêque de Ratisbonne, St-Woltang, qui se chargea de son éducation et qui l'éleva dans les sentiments les plus purs de la piété chrétienne ; il lui inspira une si grande horreur du vice, que jamais on ne vit des mœurs plus innocentes.

    La mort de l'évêque de Ratisbonne ne changea rien à la conduite de Henri ; sa piété augmentait de jour en jour et il devint par ses belles qualités de l'âme et du corps, l'admiration de toutes les cours d'Allemagne. Un jour, il songea être au tombeau de son saint précepteur et il lui sembla le voir l'invitant à regarder une inscription écrite sur la muraille ; mais il ne put en lire que ces mots : Après six. Etant éveillé, il s'imagina qu'il n'avait plus que six jours à vivre et il se prépara à bien mourir. Les six jours passés, il s'imagina six mois et ensuite six années qu'il employa à faire des progrès dans la vertu. Au bout de six ans, ce ne fut pas la mort qui vint, mais l'empire : Henri s'était admirablement préparé à en porter la couronne.

    Il avait épousé Cunégonde, fille du comte de Luxembourg. La conformité de mœurs et de vertus avait uni ces deux cœurs par des liens aussi purs que les deux âmes étaient chastes : Ils avaient fait le vœu de vivre ensemble dans une continence parfaite et ils vécurent ainsi jusqu'à la mort.

    Henri ne changea rien à sa vie exemplaire: devenu le père d'un grand peuple, il sacrifia son repos à la félicité de ses sujets : leurs intérêts furent les siens. Il s'appliqua à réprimer les désordres et à faire fleurir la justice. Son zèle irrita plusieurs seigneurs allemands qui se révoltèrent contre lui ; il étouffa, par sa sagesse, la rébellion dans sa naissance.

    Les Esclavons barbares envahirent le Nord de l'Empire, il marcha contre eux et les défit. Les Lombards se soulevèrent, il parut en Italie et les mit à la raison.

    Voyant la paix régner dans ses états, il s'occupa d'y faire fleurir la religion, la plus solide garantie du bonheur des peuples. Il indiqua une assemblée des évêques à Frankfurt pour régler la discipline de l'Eglise d'Allemagne ; il fonda des monastères ; il érigea des évêchés ; il éteignit à Rome le schisme de l'antipape Grégoire qui disputait le Saint-Siège à Benoît VIII.

    Les Lombards ayant remué de nouveau, les Grecs et les Normands ayant essayé de troubler l'Eglise et de désoler l'Italie, l'Empereur se remit en campagne, rangea au devoir les Lombards, refoula les Grecs, dissipa les forces des Normands et rendit à l'Eglise ce qui lui avait été enlevé.

    Non content d'affirmer la paix dans l'Empire, le pieux Henri voulut étendre les conquêtes de la foi ; il donna sa sœur Gisèle en mariage au roi d'Hongrie, dans le dessein de l'aider à convertir son peuple ; ce qui arriva heureusement : Etienne devint l'apôtre de toute sa nation.

    Le terme d'une vie si glorieuse et si utile au monde approchait : Henri tomba malade au château de Grün et il se prépara à la mort avec un redoublement de ferveur. Plein d'une tendre confiance en Dieu, Jésus et Marie, il expira paisiblement dans la nuit du 14 Juillet 1024, à l'âge de cinquante-deux ans.

    Le Bienheureux Adalbéron, - En grande partie d'après Les petits Bollandistes, Tome XIV, f. 309.

    Adalbéron était fils de Frédéric, du duc de Basse-Lorraine, et de Béatrix, sœur de Hugues-Capet. Elevé dans l'abbaye de Gorze (Moselle) où il fit de très grands progrès dans les sciences et dans la piété, il se destina à l'état ecclésiastique. La duchesse Béatrix, sa mère, et l'impératrice Sainte Adélaïde, son aïeule, veuve d'Othon le Grand, secondées par le choix du clergé et le peuple le firent nommer à l'évêché de Metz en 984.

    L'auteur de sa vie, Constantin, abbé de Saint-Symphorien, le représente comme un évêque digne des plus beaux siècles de l'Eglise. un des premiers soins du prélat fut de restaurer l'abbaye des Saints-Innocents, connue depuis sous le nom de Saint-Symphorien, qui avait beaucoup souffert des dernières guerres.

    Adalbéron rebâtit dans le même temps l'abbaye de St-Pierre, fonda non loin de là une autre abbaye de religieuses et plaça sous la Mainbournie de l'Empereur St-Henri plusieures riches dotations faites à celle d'Epinal, en particulier la mairie de Thaon.

    Sa résidence de prédilection était le château de cette première ville : c'est là que, non content de procurer aux malheureux accourus au tombeau de St-Goëry pour obtenir la guérison du Feu Sacré ou Mal des Ardents, qui les dévorait, il leur procurait les choses nécessaires à la vie, les consolait par ses discours, pensait lui-même leurs ulcères, rendant cet humble service à quatre-vingts ou cent personnes dans un jour et s'estimant heureux de voir ainsi sa maison changée en hôpital.

    C'est que cette terrible maladie du Mal des Ardents s'était répandue comme une véritable peste sur la Bourgogne et sur la Lorraine méridionale, décimant les villes et villages et jetant partout la terreur et la consternation. Il n'est donc pas téméraire d'affirmer que maints et maints Thaonnais durent le salut de leur corps et la sanctification de leur âme soit aux miracles de St-Goëry, soit aux prières et aux exhortations de son digne successeur.

    Voici en quels termes les auteurs de l'époque racontent les cruels effets du Mal des Ardents :

    "En ce temps-là, il y eut dans la Lorraine une grande contagion. Les hommes que cette maladie, appelée Feu Sacré, dévorait à l'intérieur, tombaient en corruption. Ils mouraient les membres rongés et noircis comme des charbons ; ou bien les pieds et les mains putréfiés, les nerfs contractés, hideux et difformes ; ils traînaient une vie misérable dans les luttes d'une longue agonie".

    "Il fut une grande famine par tout le pays de Lorraine. Puis survint un air corrompu partout ledit pays qui engendra une maladie nommée le Feu Sacré. Par lequel les bras, jambes et autres membres des personnes estoient enflammez, de sorte qu'ils se corrompoient et deseichoient comme noirs charbons. Brief, ce mal tourmentoit tellement ceulx qui en estoient entachez que les uns mouroient misérablement, les autres se faisoient par contrainte couper les membres asseichez par ce mal et les autres estoient contre-faict par retraicte et contraction des nerfs, vivants en tourmens et langueurs le surplus de leur vie misérable..."

    "Pendant que l'on versait de l'eau sur leurs blessures, sans doute par l'effet de l'ardeur qui dévorait leurs chairs, il s'élevait une vapeur semble à un épais nuage qui remplissait la maison et obscurcissait la vue. En même temps, une puanteur intolérable dont l'odeur du soufre et de ce qu'il y a de plus infect ne donne qu'une imparfaite idée, se répandait partout." Abbé Ch. Chapelier, Les Origines d'Epinal, f. 5 et 7.

    Quoique le saint prélat fût naturellement porté à la douceur, il savait, quand les circonstances l'exigeaient, user de sévérité. On le vit faire la guerre aux seigneurs qui vexaient son peuple, ruiner leurs châteaux et leurs forteresses. Il n'en venait à ces extrémités qu'après avoir employé les voies de la douceur. Quant aux biens dont il s'était rendu maître, il ne se les appropriait jamais, mais il les distribuait aux pauvres ou les employait à la réparation des églises.

    En l'an 1005, le saint-évêque fut attaqué de paralysie. Lorsqu'il vit que sa fin approchait, il distribua tout son bien aux pauvres et aux églises, envoya des présents jusqu'à St-Martin de Tours, St-Denis, St-Remy de Reims, etc., et mourut le 15 Décembre extrêment regretté de tout son peuple, des juifs même qui versèrent des larmes sur son tombeau.

    2.1.6. Terres seigneuriales à Thaon

    Confirmation ecclésiastique du diplôme impérial. - Nous venons de voir que par un diplôme de l'an 1003, l'Empereur St-Henri avait pris sous sa Maimbournie la donation faite au monastère d'Epinal des revenus de l'église de Thaon et de dix manses du village.

    Une charte de Thiéry, archevêque de Trier confirme, nous ne savons à quel propos, les différentes parties du temporel de ce monastère, au nombre desquelles nous trouvons : Ecclesiam de Tadone, cum capella et decem masos et bannum in eadem villa ; l'église de Thaon avec sa chapelle et dix manses et aussi le ban dans ce même village (Archives des Vosges, cartulaire du Chapitre d'Epinal, f. 2., 1216).

    Si l'on conforte ce texte avec celui de la Charte de St-Henri, il semble qu'on y trouve une sensible différence. L'Empereur ne fait allusion qu'aux revenus de dix manses et de l'église tandis que l'archevêque de Trier y ajoute ceux de "la chapelle", c'est-à-dire de l'annexe et ceux du "ban" autrement dit de la justice foncière.

    Peut-on y voir dans cette première allusion l'origine de la chapelle de secours construite à Chavelot ? Nous ne le pensons pas, car la donation faite par les évêques Thierry et Adalbéron de l'église de Thaon impliquait naturellement celle de son annexe ; de même que l'aliénation de dix manses entrainaît celle de leur justice foncière, puisque, de ce fait, les abbesses d'Epinal étaient constituées seigneurs fonciers de la plus grande partie du territoire de Thaon.

    Etendue de la seigneurie abbatiale. - Les Archives de Vosges, Cartulaire du Chapitre d'Epinal, G. 191 renferment un rouleau en parchemin non daté mais que l'écriture et la rédaction permettent de faire sûrement remonter au treizième siècle. Il énumère longuement les droits que l'abbesse possède à Thaon et les fait précéder d'une description assez détaillée des confins de la seigneurie qui lui donne ces droits.

    Malheureusement les noms des lieux-dits qu'on y rencontre comme en constituant les limites ont disparu non seulement des pièces modernes, mais de la tradition, d'où l'impossibilité absolue de dresser le moindre plan. Peut-être un lecteur mieux avisé et renseigné ou encore plus connaisseur de la topographie locale arrivera-t-il à fixer quelques points de repère et à planter quelques jalons grâce à ces anciens-lieux dits ; voilà pourquoi nous croyons devoir donner le texte qui en fait la mention.

    Madame tient l'éritage ci après nomei et les autres droitures aussi en fié et en homaige de main et de boiche (bouche) de monsignor de Més (Metz). Et tient ma dame dès lou leu (dès le lieu) qu'on dict Saincte Mertin Fontenne en jusques au Poixaul de Wyherey, et revient par dessus jusques a Chavireus et par la chauce (chaussée) de Pontax, et se retourne jusques vaichin qu'est entre lou finage de Thaon et d'Ygney, et se renait ma dame par davant la porte de Mesnil, si se retorne par devers lou bois juriei d'Ygney et de Chalmoisey (Chaumousey), et de lai (là), se renait sus par lou molz et lou dur (une partie des bois de Thaon se trouve sur un terrain pierreux et l'autre sur un sol marécageux : de là cette expression lou molz et lou dur, du mou et du dur), li molz est de Thaon et  li dur est de Chalmoisey, jusques a la pynouze charreire. Item se renait Madame par lou leu qu'on dict Les Fournes de Hemont, de là meult si en renait jusques a la fontenne qu'on dit En Liecorrin, et de là renaît par dessus, droit à la fontenne de Wallehey, de là meult, si se retorne par la marcelle Maglaine, et de la marcelle Maglaine, revient par lou chaisne devant la mason Mariaite de Dommevre et monte sus par la ruelle, si en revient par la mare qu'on dit Au Poiseul, de là meult ma dame, si en vient par lou chaisne qu'est entre Baldemont et lou bois de Thaon, li chaisnes est porris et li trous est plains de wacons (essaims d'abeilles) ; d'ou chaisne meult ma dame si on vient jus droit au jardenei(l) et par lou moyen des trois reneteilz, et revient ma dame jus par la Mauresey et repaire tout droit par Sainct Martin Fontenne, par la chavée de Hembermolin et revient par Martin Fontenne.
    _
    Petite seigneurie. - La seigneurie abbatiale empiète d'après ce qui précède sur le territoire de Domèvre-sur-Avière, et ne comprend pas, ainsi que nous l'avons déjà vu toute la superficie de celui de Thaon. Elle n'en absorbe que les trois quarts d'après l'estimation indiquée à la suite de la pièce précédente : "Dedens lou ban et leiz confins dessus dis, ait de trois paires de signoraiges sur le ban et les confins précédemments délimitez, Madame a les trois parts (quarts) de la seigneurie.

    Les évêques de Metz s'étaient donc réservé à Thaon une partie du territoire affecté à certains manses et constituant ce que nous appellerons la Petite Seigneurie par opposition à la Seigneurie abbatiale ou Grande Seigneurie.

    Le canton relevant de la Petite Seigneurie semble avoir été compris entre les villages de Thaon, Girmont, Vaxoncourt et la route d'Igney. C'est là d'ailleurs que nous trouvons un lieu appelé Gayère ou Gagère qui ferait allusion à une aliénation faite en 1379 par Thiéry, évêque de Metz. Celui-ci ayant emprunté "300 francs de bon or" à Arnoud voué d'Epinal, lui avait donné en gage ce qu'il possédait à Thaon, La Baffe et la Magny:

    Le Page : Dictionnaire, article Thaon. - En 1510, l'étang de Thaon, aujourd'hui disparu, était une dépendance de la petite seigneurie alors propriété du duc de Lorraine, car nous voyons, sur les comptes des receveurs d'Epinal, un nommé Arnoul, maire de Thaon, payer 30 gros "chacun au terme Saint Martin d'hiver pour lassencement de lestang de Thaon". Archives de Meurthe & Moselle : B. 5915.

    Citons seulement pour mémoire et sans y attacher la moindre valeur historique une note de M. Fiel qu'il dit copier dans Lepage et d'après laquelle Raoul de Coucy, évêque de Metz, aurait reçu en 1414 "foi et hommage de la moitié de la ville et du finage de Thaon de la part de Thirion de Ménonville". D'abord le nom des Ménonville ne s'est jamais rencontré dans le cours de nos recherches ; de plus nous ne trouvons dans Lepage aucune indication de ce genre ; enfin, ce renseignement irait à l'encontre de tous nos autres documents et créerait une anomalie inexplicable.

    Cens appartenant au monastère de Saint-Arnould. - Saint Arnould, évêque de Metz, s'était retiré avec son ami Romaric sur la montagne sauvage du Saint-Mont près de Remiremont, afin d'y vivre dans la solitude. C'est là que son corps reçut tout d'abord la sépulture ; mais un an ne s'était pas écoulé que Saint-Goëry, son successeur, accompagné des évêques de Toul et de Verdun, le transfera solennellement à Metz et l'inhuma dans l'église St-Jean l'Evangéliste ou des Apôtres qui faisait partie d'une abbaye construite hors des murs de la ville (642). Les nombreux miracles opérés au tombeau du saint firent bientôt donner son nom à la basilique et à l'abbaye qui possédait ses reliques.

    Or, dès cette époque reculée, l'église et le monastère avaient été dotés, peut-être par St-Arnould lui-même, des revenus de certains domaines sis à Thaon. Ce saint, dit dom Calmet (Notice de la Lorraine, Tome II, f. 76), qui est considéré à juste titre comme la tige des rois de France de la seconde race, fut cause qu'on fit de grands biens à cette église.

    Il paraîtrait alors vraisemblable que l'évêque Thierry d'Hameland, lors de la fondation de l'abbaye d'Epinal et par la suite de la proximité de notre localité avec cette ville, enleva à l'abbaye de St-Arnould la plus grande partie de ses domaines de Thaon pour les rattacher au nouveau monastère vosgien, sauf compensation offerte aux bénédictins de Metz.

    Si l'on en juge d'après la déclaration des droits de l'abbesse (13e siècle), les quelques terres que ceux-ci conservèrent à Thaon étaient enclavées dans celles du Chapitre de St-Goëry ; elles furent dans la suite affectées, ou plutôt amodiées, nous ignorons pour quel motif et dans quelles conditions, au monastère de Moyenmoutiers. C'est du moins ce qui ressort d'une Charte de l'évêque de Metz, Conrad Bayer de Boppart, par laquelle le prélat déclare restituer à ce monastère les cens qu'il détient dans "les villages de Deyvillers, Tawon, Padoux, Igney, Girmont," (Archives de Meurthe & Moselle ; B. 10815, 1424).

    Quelques années plus tard (1440), Moyenmoutiers ayant refusé de contracter un nouveau bail, les revenus des terres en question retournent aux bénédictins de Saint-Arnould. Mais ceux-ci, par suite de leur éloignement éprouvent bien des difficultés pour les faire sérieusement fructifier ; de son côté, Conrad Bayer de Boppart qui a déjà détenu et administré ces terres et qui peut facilement en tirer parti grâce à ses officiers d'Epinal, accepterait volontiers de les amodier à son profit : un bail de neuf ans est alors rédigé ; il y est stipulé que l'évêque de Metz tirera pendant ce temps :

    Tous les fruits, profits, rentes, revenus, cens, et émoluments que lesdits prieur et couvent de Saint Arnould, à cause de l'office de pitancerie du monastère, ont et avoir peuvent et doivent  en pays des Vosges, c'est assavoir ez villes de Deyviller, Padou, Tawon, Girmont, Igney et Bayecourt, les bans finages et appartenances dicelles villes ainsi comme elles se continuèrent en quelque manière que ce soit en haulteur, en seigneurie, en justice haulte moyenne et basse, en vouerie, en mairie, en forfaicts, en amendes, en tailles, en prinses et assises, en cens, rentes et droictures, en fours, en moulins, en preys, champs, bois, rivières, terres, maisons, granges, meix, jardins, etc., à eux et audit offices de pénitancerie appartenant, moyennant vingt livres par an.
    Mais l'évêque de Metz ne paraît pas avoir gagné à cette transaction, aussi le voyons-nous s'empresser de résilier son contrat au bout des neuf ans (Archives de Meurthe & Moselle ; B. 10815).

    Enfin, la dernière fois qu'il est question des cens prélevés à Thaon par les bénédictins de Metz c'est dans la Déclaration de la Communauté du 22 Septembre 1700 : Les habitants y reconnaissent que "les religieux de St-Arnoux tirent tous les ans à la Saint-Martin 6 resaux de seigle et ce pour des cens perpétuels" (Archives de Meurthe & Moselle ; B. 11719).

    Manse du monastère de Chaumousey. - Vers le milieu du 13e siècle, une dame Counisse d'Epinal, fille de seigneur Baudoin Le Drapier, possède, sur le territoire de Thaon, nombre de prés et de champs qui représentent la cinquième partie de l'héritage dudit Baudoin et sont grevés d'un cens de 18 toullois, payables le jour de St-Etienne aux religieux de Chaumousey.

    Sur son lit de mort, dame Counisse, qui a été, durant sa vie, "l'aprovendie" du Monastère, lui lègue une partie de ses biens, parmi lesquels son gagnage de Thaon, Guillaume, abbé de Chaumousey, l'ascence à titre perpétuel à "Colinet de Lexeu (Luxeuil) et à Jehan son genre, fils (de) Waltrin dit Fauquenat". (Archives de Vosges - Cartulaire de Chaumousey, publié dans les Documents de l'Histoire des Vosges, tome V, 1297)

    C'est la seule mention que nous trouvions de ce manse et il est probable qu'il passa en d'autres mains et fut acheté par le Chapitre d'Epinal.

    Cens dû à la commanderie de Robécourt. - Il n'y a pas jusqu'à la Commanderie de Robécourt (Ordre de Malte) qui ne prétende à certains revenus sur le territoire de Thaon.

    Cette commanderie ayant fait dresser le relevé des cens auxquels elle avait droit dans les villages avoisinant Epinal, son fondé de pouvoir, un sieur Morel, arrive à Thaon le 12 Juin 1743, assemble les habitants et leur donne lecture des reconnaissances faites par les Chevaliers de malte en 1649, 1675 et 1711. On y constate qu'il leur était dû un cens de 12 deniers par la veuve Jean Gromand, sur un jardin sis au-devant de sa maison, et d'après le manuel de 1609, ce sens se trouve avoir été racheté par Didier Adam et Nicolas Didier, de Thaon, le 7 Février 1609.

    Les habitants déclarent n'en avoir jamais eu connaissance non plus que ses détenteurs ; mais ils reconnaissent volontiers les sieurs Fleurent et Nicolas de Blaye, d'Epinal, doivent et payent annuellement à la Commanderie un cens de 12 deniers et 2 chapons affectés sur des terres situées à la Croisette, territoire de Thaon (Archives communales ; FF. 5).

    2.1.7. Les Evêques de Metz

    Seigneurs de la petite seigneurie. - On a vu comment le temporel de l'évêché de Metz s'était formé et avait dû être constitué en grande partie des territoires de franc-alleux que possédait St-Arnoud. Selon toute vraisemblance, celui de Thaon était du nombre ; or la plus grande partie ayant été attribuée au monastère de St-Goëry par Thiéry de Hamelant, ce qui resta continua d'appartenir en toute souveraineté aux évêques de Metz et forma, comme on l'a vu, la Petite Seigneurie. Cette souveraineté n'empêchait pas d'ailleurs que les revenus n'en fussent affectés, la plupart du temps, à l'abbaye de St-Arnoud.

    Comme seigneurs d'une partie de Thaon, comme ayant présidé durant plusieurs siècles aux destinées de nombre de ses habitants, les évêques de Metz ont droit au souvenir, sinon à la reconnaissance des descendants de leurs anciens sujets.

    Nous leur consacrerons donc une rapide énumération, commençant naturellement à l'épiscopat de St-Arnoud, pour nous arrêter à celui de Raoul de Coucy, époque de la translation de la petite seigneurie aux seigneurs de Beaufremont.

    Enumération chronologique des Evêques de Metz. (Dom Calmet : Histoire de Lorraine, T. I, fol. 511). -
     

    St-Arnould

    Nommé en 614, il abdiqua vers l'an 629 et mourut en 640. 

    St-Goëry

    Autrement nommé Abbo (629-647)

    Godon

    647-658

    St-Clodulphe ou Clou

    658-15 Avril XXX

    Aptar et Félix

     

    Sigibalde

    707-742

    Chrodegand

    742~744-766~767

     

    Vacance de deux ans et demi.

    Angelram

    Elu en 768, assista au concile de Frankfurt en 769, mort le 26 Octobre 791. Il porta le titre d'archevêque.

     

    Interrègne de vingt-sept ans et quatre mois.

    Gondulphe

    812-822

    Drogon

    Archevêque 822~825-855

    Adventius

    855~858-873~874

     

    Interrègne de deux ans

    Walo ou Wala

    876~878-882

     

    Vacances de quelques années

    Robert ou Ruppert

    889-916

    Wigéric ou Widric

    XXX-927

     

    Première irruption des Hongrois en Lorraine (917)

     

    Seconde irruption des Hongrois (926)

    Bennon ou Benoit

    Obligé de se retirer en 927

    Adalbéron I

    927-964

     

    Troisième irruption des Hongrois en Lorraine (937)

     

    Quatrième irruption des Hongrois ; ils sont vaincus par Othon (955)

    Thierry I de Hamelant

    964-984

    Adalbéron II

    (le bienheureux) 984-1005

    Thierry II

    1005-1047

    Adalbéron III

    1047-1072

    Herman ou Hériman

    1073-1090 - Peut-être le même que Nicodème, évêque de Metz, nommé dans la fondation de Bouzonville.

    Burchard

    1090-XXXX

    Poppon

    1093-1103

    Adalbéron IV

    1104-1114

    Theogerus

    Abdiqua vers l'an 1118 ou 1120.

    Etienne de Bar

    1120-1163

    Thierry III de Bar

    1164-1171

    Frédéric de Pluvoie

    1172-1180

    Gérard

    1201

    Bertrand

    1187-1210~1211

    Conrad de Scharfenech

    1211-1218

    Jean I d'Apremont

    1218-1238

    Jacques de Lorraine

    Mort en 1260.

    Philippe de Florenges

    1260-1264

    Guillaume de Trainel

    1264-1269

    Laurent

    1269-1279

    Jean II

    1279-1284. - Il fut transféré à l'évêché de Liège.

    Burchard d'Avesne

    1284-1296

    Gérard de Relanges

    Mort en 1301.

    Renaut de Bar

    1301-1316

    Henry Dauphin

    1316-1324

    Louis de Poitiers

    Transféré de Langres à Metz, mort en 1327.

    Ademar de Monteil

    1327-1361

    Jean III de Vienne

    Transféré de l'archevêché de Besançon à l'archevêché de Metz, mort en 1382.

    Tilleman Louis Foisz de Bottenbourg

    Elu à Metz en 1380, prenait encore la qualité d'évêque de Metz en 1403.

    Thierry Bayer de Boppart

    Transféré de Vorms à Metz, mort en 1383, le 16 Janvier, ou 1384 selon notre manière de compter.

    Pierre de Luxembourg

    (Le bienheureux), Cardinal 1334-1387

    Raoul de Coucy

    Transféré de Metz à Noyon en 1415.

    Conrad Bayer de Boppart

    Mort en 1459.

    Il est évident que nous ne pouvons, à la suite de cette liste, consacrer la moindre notice biographique à chacun de ces nombreux évêques et cela malgré leur titre de seigneurs de Thaon ; qu'il nous suffise de signaler au lecteur les événements qui concernent plus spécialement notre histoire et furent provoqués par leur politique belliqueuse. Nous voulons parler de deux combats dont Thaon ressentit le fâcheux contre-coup par suite des déprédations exercées sur son territoire par les troupes victorieuses et des nombreux pillages qu'il eut à subir durant les longues guerres des évêques contre les ducs de Lorraine et de Bar.

    Combat de Vaxoncourt. - L'évêque de Metz Jacques de Lorraine, étant mort en 1260, le duc Ferry de Lorraine, son neveu, engagea les chanoines à choisir pour évêque son parent Philippe de Florenges, trésorier de la Cathédrale de Metz et prévôt du Chapitre de Saint-Dié. A la nouvelle de sa promotion au siège épiscopal, plusieurs seigneurs, parmi lesquels Henri IV comte de Salm, le seigneur de Lichtemberg et surtout le comte de Vaudémont Henri I, se soulevèrent et s'efforcèrent  par les armes d'obtenir sa destitution.

    Les troupes de l'évêque, renforcées  de celles du comte de Bar et du duc de Lorraine tinrent en même temps campagne aux environs de Condé et d'Epinal. Pendant que les premières détruisaient le château de Lutzelbourg, les autres tenaient tête aux forces du comte de Vaudémont qui, retranchées dans la forteresse de Châtel-sur-Moselle, se permettaient de nombreuses incursions sur Thaon et sur les terres voisines dépendantes du temporel de l'évêché de Metz.

    Un jour, Henri I aperçoit, du haut des tours de Châtel, les troupes de l'évêque disséminées sur le plateau de Vaxoncourt à une lieue des remparts de sa forteresse. Confiants dans leur nombre elles se livrent au repos et aux divertissements. L'occasion est des plus favorables pour les tailler en pièces. Se mettant aussitôt à la tête de ses hommes il s'avance à travers bois et, fondant tout-à-coup sur elles, jette le désordre dans leur camp, tue un certain nombre de soldats et met les autres en déroute.

    Serrés de près, beaucoup s'empressent de se rendre, quant à ceux qui essayent de s'évader et de passer la Moselle, ils périssent presque tous submergés. Le lendemain, en effet, on retirait de la rivière centre quatre-vingts cadavres.

    A la nouvelle de ce désastre, les baillis du duc de Lorraine et de l'évêché de Metz veulent prendre leur revanche : ils lèvent à la hâte quelques milices du pays et se jettent sur les terres du comte de Vaudémont qu'ils commencent à ravager. or pendant que ces troupes pillent les terres du Comté, Henri I, qui, par sa victoire, s'est ouvert la route d'Epinal, s'avance sur Thaon qu'il dévaste et pousse ses incursions jusque sous les murs de Bruyères.

    Guerre de Guillaume de Trainel. - L'élection de Phillipe de Florenges ayant été annulée par la décision de la Cour pontificale, son successeur Guillaume de Trainel ne tarda pas à se brouiller avec les ducs de Bar et de Lorraine, Thiébaut et Ferry. Ceux-ci arrêtent, le 21 Juillet 1267, les termes d'une convention belliqueuse et bientôt leurs troupes envahirent les terres du temporel de Metz.

    Mais le nouvel évêque, ayant fait appel à ses collègues de Cologne et de Liège, ceux-ci lui envoyèrent de solides renforts qu'il adjoignit à ses troupes plus particulièrement levées parmi ses vassaux d'Alsace et de la vallée de la Sarre.

    Une première rencontre eut lieu à Domèvre et fut à l'avantage des Messins ; une autre se produisit quelques jours après dans les environs d'Epinal et la victoire de déclara encore en faveur des troupes de l'évêque. Or, malgré les succès de ses troupes, et pendant que celles-ci se jetaient sur les terres lorraines et barrisiennes, les soldats de Thiébaut et de Ferry se dédommageaient de leurs défaites en ravageant les terres du temporel et en y semant le pillage et l'incendie, de telle sorte que Thaon eut encore vraisemblablement à supporter leurs exactions. (d'après Digot, Histoire de Lorraine ; II, 95).

    Combat de Hadigny. - Les rivaux firent enfin la paix et mirent bas les armes. Mais ce ne fut pas pour longtemps. A la mort de Guillaume de Trainel, le Chapitre de Metz choisit pour évêque un ecclésiastique romain, Laurent, protonotaire apostolique, que le pape avait envoyé à Trèves dans le but d'administrer le diocèse et de le pacifier.

    Or, aussitôt après son élévation sur le siège de Metz, les ducs de Bar et de Lorraine lui réclamèrent le payement des dettes contractées près d'eux par ses prédécesseurs. L'évêque, ne se trouvant pas en état de faire face à leurs exigences, refusa. Les deux princes le menacèrent alors de confisquer son temporel et ne réussirent qu'à s'attirer les foudres de l'excommunication.

    Sans se laisser intimider, ils entrent aussitôt en campagne, se dirigent sur Thaon qu'ils traversent avec leurs troupes et vont assiéger Epinal, une des meilleures places fortes de l'évêché. Les deux alliés avaient compté sans la résistance des Spinaliens qui tinrent bon et firent traîner le siège en longueur.

    Informé de ces opérations militaires, l'évêque Laurent lève aussi des troupes, appelle à son aide celles de Conrad de Lichtemberg, évêque de Strasbourg, et vole au secours des assiégés. mais Epinal a succombé sur ces entrefaites : Ferry et Thiébaut, qui apprennent son apparition dans le voisinage, se portent à sa rencontre et trouvent son armée campée à Hadigny, à deux lieues de Thaon.

    La bataille s'engage : l'évêque est lui-même à la tête de ses soldats et les excite au combat. Néanmoins ses troupes commencent bientôt à plier, l'avantage reste à ses deux agresseurs et lui-même est fait prisonnier (1272 - d'après Digot, Histoire de Lorraine ; II, 98)

    Fiers d'une telle victoire, les vainqueurs se mettent à ravager les terres de l'Evêché, Thaon subit de nouveau les vexations d'une soldatesque ennivrée de succès, et ce n'est qu'après dix-huit mois d'une rude captivité et grâce à l'intervention du pape Grégoire X que le malheureux évêque recouvre sa liberté et sa ville d'Epinal.

    Guerres du XIVe siècle. - La Lorraine et le pays de Metz souffrent, durant toute la fin du XIIIe siècle, des luttes incessantes entre le duc et l'évêque ; mais le théâtre de la guerre semble se concentrer sur le Nord de notre province, voilà pourquoi nous n'avons pas à nous en nous occuper.

    La première partie du XIVe est plus calme ; par contre, si l'on en juge d'après le récit des historiens, la seconde moitié est très agitée et les suites de la guerre se font sentir plus particulièrement dans les villages des environs d'Epinal et de Châtel.

    Ce sont toujours les revendications réciproques des évêques de Metz et des ducs de Lorraine qui maintiennent ces deux adversaires sur pied de guerre. Des troupes nombreuses sillonnent le pays et tous les hobereaux de la contrée sont aux prises, les uns pour défendre le temporel, les autres pour le ravager ; de là l'origine de la rivalité séculaire d'Epinal et de Châtel. Thaon, qui sert de tampon entre les deux villes, n'est pas ménagé, car tantôt il lui faut entretenir les troupes épiscopales de passage, tantôt subir les sorties de la garnison de Châtel.

    Plusieurs traités de paix nous font pressentir l'agitation perpétuelle dans laquelle se débat alors le pays. En 1353, ce sont les quatre gouverneurs d'Epinal et Magrat de Châtel qui s'entendent au sujet de leurs ravages réciproques dans le voisinage. (Documents sur l'Histoire des Vosges ; III, 150). Dix-huit ans plus tard voici encore l'évêque de Metz et les bourgeois d'Epinal qui traitent avec Ancel de Darneuilles et Gérard de Maxeroy, "en suite des guerres, arrêts, injures et vilenies faits et dits entre eux". (Archives de Meurthe-et-Moselle ; B. 351)

    Enfin, un troisième accord (1395) nous laisse entrevoir que certains villages des environs de Thaon furent loin d'être épargné, Richard de Châtel réclame en particulier le remboursement de "plusours damaiges que luy on esté faits en la ville d'Igney, tant en plusours masons arsées en quelle (il) avait sa partie, comme en plusours aultres damaiges, biens mobles et bestes.... et de certains damaiges fais en la ville de Fonthenois-devant-Deneuvre par les gens de Monseignour de Metz" (Châtel avant la Révolution, fol. 37)

    2.1.8. Les Seigneurs de Beaufremont

    Vente de la Petite Seigneurie. - La Petite Seigneurie de Thaon qu'il ne faut pas confondre avec le Cens affecté aux monastères de St-Arnould ou de Moyenmoutiers, avait été engagée pour "300 francs de bon or" à Arnould, voué d'Epinal, par Thiéry Bayer de Boppart (1379). L'évêque de Metz, toujours en guerre, avait alors un besoin pressant d'argent ; cependant, quelques années plus tard, il parvint à s'acquitter de sa dette et rentra en possession de son domaine.

    Mais bientôt la bourse du prélat fut épuisée plus que jamais et pour se créer des ressources pécuniaires immédiates, il ne craignit pas de vendre à Philibert de Beaufremont ce qu'il avait engagé seulement à Arnould d'Epinal, et dès lors il ne posséda plus sur la Petite Seigneurie que des droits de suzerain.

    On ne connaît pas la date précise de cette vente, mais il est probable que le dénombrement manuscrit conservé à la bibliothèque d'Epinal est le premier rédigé par l'acquéreur. En voici la teneur.

    Dénombrement de Philibert de Beaufremont. -

    "Adveu et dénombrement de Phelibert de Befroymont sieur de Ricey, de quinze vieux florins à luy appartenans sur les salines de Marsal, dix muids de sel sur les salines de Moyenvic, le quart ez villes de Thaon et La Baffe, touchant les battants d'Espinal, toutes lesquelles choses il recognoist tenir à foi et hommage de Raoul de Coucy, évesque de Metz, l'an 1405.

    sachent tuit que je Phelibert de Beffroymont, seigneur de Ricey, escuyer, confesse et avoue tenir en fiez liges de Révérend père en Dieu mon très cher signor Monsieur Raoul de Coucy, Evesque de Metz, à cause de son Eveschié de Metz les choses qui s'ensuivent.

    Premier, quinze viez florins que je doie panre tous les ans de annuelle rente sur les salines de Marsaulx au jour et feste Sainct Remy chief d'Octobre, lesquels sont à raichest de cent et cinquante viez florins.

    Item, le quart en la ville de Thaon et le quart en la ville de La Beffe.

    Item, dix mens de sal que se doient payer tous les ans sur les salines de Moyenvic.

    Item, je avoue encore tenir de mondit signor dessus dict, tous ceu que les battants d'Espinal puellent et doient avoir on ban d'Espinal pour cause de gaigière, de mondict signor dessus dict et toutes les choses dessus dictes, je ly promets à desservir si comme le fiez le désire.

    En tesmoignage de ceu, j'ay mis mon propre scel pendant en ce présent dénombrement qui fut faict le 23e jour de Juin 1495, scellées d'ung  petit sceau de cire rouge pendant sur double queues en parchemin."

    Hostilités des Beaufremont contre les Evêques de Metz. - Les seigneurs de Beaufremont n'étaient pas des inconnus pour nos évêques de Metz contre lesquels ils n'avaient cessé de guerroyer de concert avec les ducs de Lorraine. Liébaut de Beaufremont prend part, selon toute vraisemblance à la bataille de Hadigny, car c'est à lui qu'est confiée la garde des prisonniers au nombre desquels se trouve l'évêque de Metz, Laurent.

    Quelques temps après (1280), Liébaut tombe lui-même entre les mains de son ancien prisonnier et subit une captivité d'un an.

    Durant les guerres presque continuelles des évêques de Metz avec le duc de Lorraine dans le cours du XIVe siècle, Humbert de Beaufremont tombe mortellement frappé dans une embuscade près de Ligny ; tandis que Vautrin de Beaufremont, fait prisonnier, est conduit dans les prisons de l'évêché d'où il parvient à s'échapper. D'un autre côté, les deux autres Beaufremont, Huart et Philibert, se portent cautions d'une somme de 60.000 Florins que le duc de Bar, fait captif dans la même embuscade, s'engage à payer pour sa rançon.

    Philibert de Beaufremont. - Fils de Liébaut IV et de Béatrix de Vauvry, Philibert, baron de Beaufremont, Jonvelle et Saxefontaine, était en même temps seigneur de Charnay, Vauvry, Villers-les-Pots, Margilli, Lavigni, etc... Il épouse, vers 1375, Agnès de Jonvelle, veuve de Guillaume de Vergy et achète, le 11 Août 1388, tout ce qui appartient à Gérard de Darney-aux-Chênes, écuyer, dans les bans et finages de Darney, Longchamp, Ollainville et Sandaucourt.

    En 1405, c'est le quart de Thaon, c'est-à-dire la petite seigneurie, qu'il acquiert des évêques de Metz et cinq ans plus tard il devient encore possesseur de la vouerie de Neufchâteau.

    Comme on le voit, Philibert de Beaufremont eut surtout à cœur d'arrondir le patrimoine de sa famille, sans néanmoins négliger aucun de ses devoirs à l'égard de son pays. Charles VI, roi de France, le nomme (1407) tuteur de Robert, petit-fils du duc de Bar ; puis (1411) gouverneur général des duchés de Bar au nom du jeune duc et lorsque le roi d'Angleterre, profitant des troubles qui agitaient la France, descend en Picardie à la tête d'une armée, il n'hésite pas à envoyer son fils unique se ranger sous les drapeaux de Charles VI. Hélas ! plus de huit mille chevaliers français tombent sur-le-champ de bataille d'Azincourt et Jean de Beaufremont est malheureusement de ce nombre.

    A sa mort (1416) Philibert de Beaufremont laissait deux filles ; son fils Jean avait été marié à Marguerite de Charny, mais n'avait laissé aucune postérité et c'est alors que la seigneurie de Beaufremont échue, on ne sait trop comment, à la branche cadette, au détriment de la branche aînée qui avait encore des représentants.

    Pierre de Beaufremont. - Pierre de Beaufremont, petit cousin et héritier de Philibert qui l'avait sans doute adopté, fut marié d'abord à Béatrix, fille de Renaud du Châtelet dont il n'eut qu'une fille, nommé Agnès et épousa en secondes noces Catherine de Saint-Loup qui mourut sans enfants.

    D'après le testament du duc de Lorraine Charles II, Isabelle sa fille et René d'Anjou son gendre furent déclarés héritiers de ses Etats (25 Janvier 1431). L'acte qui reconnaît cette transmission porte la signature de Pierre de Beaufremont : C'est dire assez qu'il soutint les intérêts de René contre les prétentions de Antoine de Vaudémont, chef de la branche masculine de la maison de Lorraine, qui ne craignit pas de les revendiquer par les armes et d'appeler à son secours Philippe, duc de Bourgogne.

    Les armées des deux adversaires se rencontrèrent dans les plaines de Bulgnéville ; la victoire se déclara pour le comte de Beaufremont et René tomba au pouvoir de son adversaire. On n'a aucune preuve que Pierre de Vaudémont se soit trouvé à cette bataille : sa fidélité au duc de Lorraine, son suzerain, l'eût d'ailleurs obligé à combattre contre ses deux frères attachés alors au service du duc de Bourgogne.

    Mais s'il ne semble pas avoir été un grand guerrier, il n'en rendit pas moins de signalés services à son pays et à ses plus humbles sujets dont il ne négligeait aucun des intérêts. Passons sous silence son empressement à tirer d'embarras la duchesse Isabelle durant la captivité de René et signalons seulement son dévouement à l'égard de ses plus petits vasseaux, particulièrement à l'égard de ceux de sa petite seigneurie de Thaon.

    Actes de protection de Pierre de Beaufremont sur deux hommes de Thaon. - Parmi ses sujets de Thaon se trouve un certain commerçant nommé Colin Biétrix, connu aussi sous les noms de Colin de la Cheminée et de Colin de sur le Rupt (Biétrix est le nom de sa femme. Comme sa maison était bâtie sur le bord d'un ruisseau de Thaon et que plusieurs Colin habitaient le village, on le désignait aussi sous le nom de Colin de sur le Rupt.). A plusieurs reprises les Spinaliens ont voulu frapper lui et ceux de la petite seigneurie de certains impôts, mais chaque fois il s'est refusé à les payer, et en punition de son entêtement ils lui ont interdit l'accès de leurs marchés.

    Informé de cet ostracisme et de ces prétentions abusives, Pierre de Beaufremont les invite à cesser leurs tracasseries à l'égard de ses gens et leur adresse la lettre suivante :

    "Chiers et grans amis, je me recommande à vous.

    Colin Bietrix, mon homme de la ville de Thaon est présentement venuz devers moi complaingnant disant que lui voulez faire payer de gestz, tailles et impost que vous faictes en vostre ville d'Espinal dont je suis merveilleur, car il ne fut oncques veu ne trouver que gens qui ne sont mourans et résidans en de vostre ville  paessent aucune chose de quelzconques débits qui fussent, impostz, etc. Et de fait, comme je l'entend, lui avez dit que en cas qu'il sera de ce refusant, lui desfendez l'entrée de vostre dicte ville, qui me semble chose plus de volenté que de raison et que le voulez surquérir ; veu ce que dit est et que me surquérés, car ce n'est pas le premier desplaisir que avez fait à mes hommes.

    Et pour ce escript je devers vous, priant et requérant que de ce vous veuillez déporter et de faire aucune chose paier mon dict homme pour ceste cause afin que n'aye d'y remédier de remède convenable, etc. Et quand à lui refuser l'entrée de vostre ville, se tant est que lui refusiens de ne mener quelzconques danrées ne autres biens, et faites desfense à tous mes hommes. Si veuilliez sur ce tellement faire que savez que raison appartient, et s'aucune chose voulez ou prétendé demander au dict mon homme, je l'ara ? à jour et à droit par devant moy pour luy faire à faire tout ce que raison devra. Nostre Seigneur soit garde de vous.

    Escript à Besfraimons, le darenier jour de Janvier 1441."

    La lettre reste sans réponse et Colin Biétrix, pas plus qu'auparavant ne peut franchir les portes d'Epinal. Comme son commerce est en soufrance, il dénonce de nouveau à son seigneur les agissements des Spinaliens et provoque une nouvelle et plus sévère réprimande. Pierre de Beaufremont ne leur reconnaît aucunement le droit de fermer à ses gens les portes de leur ville et s'ils ont quelque chose à reprocher au plaignant, ils n'ont qu'à porter l'affaire devant son tribunal ou devant celui de la duchesse de Lorraine.

    Et puisqu'ils se montrent si durs et si difficiles pour ses sujets, à son tour il réclamera des indemnités pour des logements fournis à Thaon à une partie de la garnison d'Epinal, car, dit-il, il n'est pas tenu de supporter leurs logis. En outre il a appris que durant la disette qui a sévi, ils ont rançonné indument ses hommes du ban d'Epinal. En conséquence, il les invite à lui rembourser pour tous ces dommages la somme de 500 vieux florins. Voici d'ailleurs la teneur de ses réclamations:

    "Chiers, je me recommande à vous.

    Par autrefois, vous ay escript pour le fait de Colin de la Cheminée de Thaon, mon homme que de vostre volonté, tenez en hayne et le privez de vostre ville sans le vouloir ouir à nulle excusation et en est grossement dommaigié. Sur quoy ne m'avez fait aucune response dont suis bien merveilleur entendu les offres et présentations qu'il vous faicte. pourquoy vous prie de rechief que ledit Colin, mon homme, veuilliez souffrir entrer en vostre ville et illec desduire sa marchandise paisiblement comme il voulait et que font autres marchans.

    Et se vous ou autres le tenez en riens suspec ou lui voulez aucune chose demander, il est content et vous promet d'en estre par devant moy, et se vous estes refusant, je vous offre icelui Colin faire venir devant ma très redoubtée dame la Royne de Jhérusalem et de Secile etc., pour par devant elle faire toute raison tellement que n'aurez cause de le tenir en indignation.

    Au surplus est venu à ma congnoissance que plusieurs de vostre ville ont esté darrenièrement loigiers en ma ville de Thaon, fait en icelle plusieurs dommaiges montant à cinq cent viez florins me veuilliez rendre et restituer, car je ne suis pas tenuz supporter vos loigis.

    En outre suis bien informés que par le temps du chier temps, avez ranconnez mes hommes du ban d'Espinal à certainnes grosses sommes de graines et que ne povez ne devez faire qui n'est pas chose à souffrir. Si vous requiert comme dessus que par icelle rançon montant à environ cinq cent viez florins me veuilliez rendre et restituer la dicte somme, et tellement faire comme savez qu'il appartient à raison affin que je n'aye cause de moy douloir de vous. Votre response. Dieu soit garde de vous.

    Escript  le 6e jour de Mars 1444."

                                                                                                                       Le seigneur de Befframont et de Ruppes.

    Translation de la Petite Seigneurie. - Ici encore s'ouvre à notre récit une période assez obscure dépourvue de documents historiques. Les lettres de protection que nous venons de citer sont les dernières pièces attestatives de la vassalité du Quart de Thaon à l'égard des seigneurs de Beaufremont, et d'autre part nous voyons d'après les comptes des receveurs d'Epinal (1509) que la Petite seigneurie ayant été rattachée à la vouerie de cette ville devient la propriété des ducs de Lorraine (Archives de Meurthe-&-Moselle : B. 5915).

    Dans quelles conditions et à quelle date eut lieu la translation, c'est ce que nous ne pouvons dire d'une façon certaine? Nous savons cependant que dès l'année 1444, Pierre de Beaufremont, pour avoir frappé monnaie, fut dépouillé par le duc de Lorraine d'une partie de ses biens et qu'à sa mort (1469), son héritier Guillaume d'Oiselet vendit le reste au même duc : il est donc probable que la Petite seigneurie fut comprise dans l'une ou l'autre mutation, mais non sans avoir encore subi un certain morcellement.

    Les seigneurs de Beaudricourt prélèvent en effet,  en 1509-1510, le sixième sur les tailles de Pâques et de Saint-Remy, soit 32 gros 1/2, tandis que le reste appartient au duc de Lorraine (Archives de Meurthe-&-Moselle : B. 5915).

    Chose non moins étonnante : les évêques de Metz, qui n'ont rien conservé à Thaon de leur temporel, ni même gardé les revenus de la pêche de la Moselle continuent à maintenir cette rivière dans ses limites naturelles par des subventions importantes octroyées "pour les convertir et les employer à la fortification et deffense des vannes et escluses de ladite ripvière audit Thaon, comme appert par les décrets et ordonnances des dites Excellences" (Ibidem : B. 5933). Les receveurs d'Epinal portent, en effet, en compte de l'année 1545-1546, la somme de 300 francs qu'ils ont touchée sur la caisse des évêques de Metz et ont ensuite versée aux deux maires de Thaon pour l'endiguement des eaux.

    Enfin, en 1539, la Petite seigneurie devient définitivement et dans toute son intégrité la possession des ducs de Lorraine, mais ce n'est pas encore sans que la part des sires de Beaudricourt ne passe aux mains de la famille Bassompierre. C'est ce qui ressort du texte suivant relevé dans les comptes de 1607 (Ibidem : B. 5989) : "Audit Thaon le sieur de Bassompierre à cause du sieur de Baudremont (sic) avait le sixième des tailles et basses amendes ; mais en l'année 1539, il a eschangé ce qu'il avait avec Son Altesse, comme de ce le receveur Gérard Caytel a été mis en possession".

    A partir de cette époque la Petite seigneurie appartient totalement aux ducs de Lorraine qui, dès l'année 1509, sont aussi devenus acquéreurs des droits assez importants que les Seigneurs voués du Chapitre possédaient encore à Thaon (Ibidem : B. 5915. - En 1092, Gilbert de Ville s'étant chargé de la défense de l'abbaye contre les Malandrins en reçut l'avocatie ou vouerie de St Ferréol avec le titre de chevalier de St-Gœry. Etienne de Bar, évêque de Metz, donna au XIIe siècle la vouerie d'Epinal à Mathieu la rendit à son fils Thiéry IV, évêque de Metz, en 1171. Les évêques de Metz la donnèrent ensuite librement à des seigneurs du pays, et Nicolas d'Anglure, l'un d'eux, la céda au duc Antoine, en 1510. (D'après Félix de Salles, Chapitres nobles de Lorraine : LV. 38).

    2.1.9. Evénements militaires au XVe Siècle

    Routiers. - En dehors des incursions plus ou moins fréquentes des troupes de certains seigneurs, tels que Robert de Saarbrücken et Robert de Baudricourt qui jettent leur soldatesque sur Thaon et les villages qui avoisinent Châtel (1431), puis, deux ans plus tard sur Hergugney, Xaronval, Avrainville et Bainville, le pays subit encore les passages désastreux des bandes de Routiers. Au commencement de l'année 1436, l'une de ces bandes occupe Thaon et les environs et terrorise toute la région pas ses excès (Bibliothèque d'Epinal ; Collection de Lorraine : 386. Fol. 15.)

    L'évêque de Verdun, qui d'après Digot (III., 64) avait quelque goût pour le métier des armes, marche contre les pillards qui se retirent devant lui et vont se retrancher dans le village de Sercoeur. Ainsi protégés, ils pourront tenir longtemps et faire perdre beaucoup de monde aux assaillants. Mais les soldats de l'évêque usent d'un moyen radical: ils mettent le feu aux quatre coins du village et rejettent dans les flammes tous ceux qui cherchent à s'évader. Cinq cents routiers périssent dans le brasier et quinze seulement sont faits prisonniers.

    Ecorcheurs. - Vers la même époque, une famine cruelle se fit sentir à Thaon et dans tout le pays avoisinant: c'était la conséquence naturelle des déprédations commises dans les campagnes soit par les Routiers, soit par les garnisons d'Epinal et de Châtel, soit enfin par des nouvelles bandes indisciplinées connues sous le nom d'Ecorcheurs et que, pour en débarrasser la France, le roi Charles VII avait jetées sur notre province.

    Il ne fallut rien moins que l'intervention du marquis de Pont, Louis, fils du duc de Lorraine, soutenu des renforts de tous ses vassaux pour en venir à bout (Dom Calmet : II Fol. 828.). Thiébaut IX, seigneur de Châtel, lui avait fourni 500 lances, et par une lettre du 12 Février avait reçu en échange "297 bons florins d'or pour ses services et pertes de chevaulx". (Archives de Meurthe-&-Moselle : B. 444.23, 1444).

    Changement de Suzeraineté. - Depuis quelques années, les habitants d'Epinal faisaient des tentatives pour secouer le joug des évêques de Metz. Charles VII étant venu en Lorraine, ils lui députèrent plusieurs bourgeois chargés de lui offrir leur soumission : le roi de France se rendit alors à Epinal, passant par Thaon, à la tête d'une escorte des plus brillantes, et fit son entrée dans la ville au milieu des acclamations du peuple. Epinal et les villages voisins furent dès lors arrachés au temporel de Metz et ajoutés au domaine de la couronne royale.

    Vingt ans plus tard (1465), Thaon voit de nouveau défiler dans ses rues une riche escorte qui accompagne Thiébaut IX, seigneur de Châtel et Maréchal de bourgogne. Celui-ci est allé trouver Louis XI, en a obtenu la possession d'Epinal sous prétexte que cette place trop éloignée de ses Etats ne peut lui être d'aucune utilité et il s'avance pour en prendre possession. Cependant, malgré les objurgations du bailli de Sens envoyé par Louis XI afin de présenter le nouveau souverain, les bourgeois refusent d'ouvrir leurs portes.

    Furieux d'un tel affront, le compétiteur leur crie alors de toutes ses forces : "Puisque par amour à moy ne voulez obéir, je vous jue que vous auray par force et en serez pugnis." - "Monsieur, faites comme vous l'entendrez, lui est-il répondu."

    Thiébaut IX reprend donc le chemin de Châtel pendant que le bailli de Sens retourne à la Cour de France rendre compte de ces événements. Louis XI veut alors user de fourberie, mais c'est en vain : Les Spinaliens restent inébranlables dans leur fidélité et envoient des députés à Montargis où se trouve la Cour.

    Le roi, craignant de voir l'Empereur intervenir dans la question, écoute leurs raisons, en reconnaît la justesse et les décharge de leur serment de fidélité à son égard, les autorisant à choisir tel prince qu'ils voudront pour les défendre et les protéger. Le duc de Lorraine, Jean, qui assiste à l'entrevue, s'offre aussitôt aux magistrats, et, certains de l'adhésion de leurs concitoyens, les députés s'empressent de le reconnaître pour leur souverain.

    Dès ce jour, Thaon comme Epinal devenaient définitivement fief du duché de Lorraine.

    Fidélité des Thaonnais. - Au commencement de Février 1465, Thiébaut mande à Châtel les maires des environs d'Epinal dont les communautés faisaient anciennement partie du temporel des évêques de Metz ; il leur apprend qu'il a reçu l'investiture de cette ville par lettres confirmées de la main du roi et les invite à lui prêter serment de fidélité. Ceux-ci essayent de faire quelques remontrances assez timides qui ne servent qu'à l'exaspérer et à lui faire proférer force menaces.

    Les maires effrayés demandent un délai pour se concerter de nouveau avant de prêter serment. "Conseillez-vous bien, répond le maréchal. Car par la mordieu, vous me ferez le serment avant que n'alliez ne partiez de ceste ville." Puis il les laisse délibérer, accordant à ces prisonniers plusieurs jours de réflexion. Afin de les intimider davantage, il les fait encore menacer par son fils qui déclare devoir piller et brûler leurs maisons: Mais nos braves paysans, fidèles à leur cause, ne s'en émeuvent pas et refusent le serment demandé. (Annales de la Société d'Emulation : XII. 275)

    Conséquences Belliqueuses. - Pendant ce temps, le Maréchal de bourgogne levait des troupes sur ses terres de Châtel, Romont, Clézentaine, Tantimont, Chaligny et Bainville.

    Un vieux bonhomme, raconte la chronique, que de Moriville estoit, dict au Mareschal : Monseigneur, pour Dieu, au Duc de Lorraine ne vous prenez, certainement rien n'y gagnerez. Quand il ouyt ainsi parler, fait prendre le bonhomme et emprisonner, et à l'entour de Chaste, son armée at assemblé, tant à chevaulx comme à pied, a prins bombardes, couleuvrines, serpentines et canons, se sont mis au chemin, devant Espinal se sont arrivez ; en hault de la Justice Espinal ont assiégé, grands coups d'artillerie tiroient dedans ; ung coup de bombarde fut tiré dont l'église devoit estre gastée. Dieu et Monseigneur Sainct Gœury firent miracle ; la pierre, grosse comme un chappeau, frappa à la verrière sans aller plus avant, tomba derrière le grand autel sans personne blesser. Toutes gens veant ce coup ont Dieu loué. Les habitans faisoient bon debvoir d'eulx deffendre en attendant leurs gens.

    Ce n'est pas sans doute sans une certaine appréhension que nos bons Thaonnais qui sont restés fidèles et ont repoussé de toutes leurs forces la nationalité bourguignonne que Thiébaut voulait leur imposer, envisagent le succès possible de l'entreprise. Ils comptent sur la résistance des Spinaliens et font des vœux pour la défaite et la déroute de ces troupes qui passent si fièrement dans les rues.

    Leurs espérances ne seront pas déçues: les bourgeois ne sont pas restés inactifs et ont appelé à leur secours leurs seigneurs Lorrains.

    En effet, ceux-ci arrivent conduis par le Marquis de Pont-à-Mousson, Nicolas, Fils du Duc-de-Lorraine qu'ils ont trouvé à Neufchâteau et qui s'est mis à la tête des milices que Collignon-de-Ville a levées dans le pays. Du haut de la Côte-de-la Justice, le Maréchal de Bourgogne voit venir de loin l'armée de Nicolas qui, après s'être reposée aux Forges, descend les Côtes-de-Chanteraine et déploie ses colonnes.

    Mais laissons encore la parole à notre bon chroniqueur ; il va  nous conter dans ses moindres détails, la fuite des troupes du seigneur de Châtel:

    Quand hors des bois se sont montrez (les troupes lorraines), le Mareschal de Bourgogne et tous ses gens, tous hastivement ont siège levez ; toutes leurs tantes et pavillons, le pot-au-feu, la table mise, ont tout laissiez ; à peine en emmenèrent l'artillerie ; ils furent si espouvantés, déjà cuidoient des Lorrains estre pris et tuez ; tous lassirent et à Chastel-sur-Moselle sont retirez. Ceux d'Espinal en hault de la montaigne sont allez au lieu où ils estoient assiégez, ont tout trouvez, tantes, pavillons, les tables mises, le pot-au-feu, ils ont tout pris sans avoir rien laisser, dedans Espinal ont tout amenez."

    Ce n'est pas néanmoins sans aucun dédommagement et sans opérer toutes les rafles possibles sur les terres d'Epinal et des environs que le Maréchal de Bourgogne se retire derrière les murs de Châtel. Les troupeaux de la ville, les bergers et autres gens tombent entre ses mains et les pauvres paysans n'obtiennent leur mise en liberté qu'après avoir prêté serment de soumission et d'hommage (Archives de Meurthe & Moselle : B. 428). En passant dans le village de Villoncourt, car la déroute s'est opérée sur la rive droite de la Mozelle, les Bourguignons s'emparent de tout le bétail et font quatre prisonniers qu'ils poussent devant eux jusqu'à Châtel (Gollut).

    Cette démonstration belliqueuse du Maréchal de bourgogne ouvrait pour le pays une ère d'hostilités incessantes entre Lorrains et Bourguignons.

    C'est d'abord le siège de Châtel qui est entrepris mais sans succès par l'armée de Nicolas, renforcée de nombreuses recrues levées à Epinal et dans les villages voisins. Les troupes des deux nationalités sillonnent sans cesse le pays, imposant leurs coûteux cantonnements aux pauvres habitants quand elles ne les rançonnent pas complètement, et le territoire de Thaon souffre particulièrement des ravages exercés à chaque instant par un certain Jean, dit Cueur de Lyon (Cœur de Lion), capitaine de la garnison de Châtel.

    Siège de Châtel. - Il devenait urgent de réduire enfin cette garnison pillarde. Un nouveau siège est donc projeté et met en liesse Thaonnais et Spinaliens. Ceux-ci sont dans une activité fiévreuse : Ils sortent leur grosse bombarde de l'arsenal, la mettent en état et lui font subir certains perfectionnements ; ils s'approvisionnent de boulets, de "viesoing" (vieux oing, vieux saindoux) pour graisser leur artillerie, de moules à confectionner des pierres à bombardes, de poudre, de couleuvrines et de provisions de toutes sortes (1470, Archives communales d'Epinal : CC. 13)

    L'armée lorraine se concentre dans les environs et une partie cantonne à Thaon.

    Dès la mi-Février, les Spinaliens s'occupent des premiers préparatifs du siège: leurs gens arrivent à Thaon et suivent la Moselle jusqu'en face de Vaxoncourt et sans doute avec l'aide d'un certain nombre de Thaonnais, démolissant la grande vanne qui détourne la rivière de son cours naturel et l'amène contre les remparts de la ville. Ils travaillent déjà depuis huit jours et l'on ne cesse de leur envoyer des provisions de bouche, des crochets et des piques. Ils y sont encore lorsque le Maréchal de Lorraine qui se dirige sous les murs de Châtel arrive à Epinal avec 339 chevaux.

    Pendant que le comte de Salm fait prendre un jour de repos à ses troupes, les Spinaliens mettent la dernière main aux réparations de leur artillerie ; la grosse bombarde dont ils sont si fiers, les couleuvrines et les serpentines subissent une dernière inspection ; des chariots sont chargés de vin et de provisions de toutes sortes ; près de 6.000 "feusts de vireton" (flèches d'arbalètes), des lances, de la poudre et autres munitions de guerre sont tirés de l'arsenal prêts à partir.

    Le lendemain l'armée, au sein de laquelle scintillent les brillantes armures de nombreux chevaliers, se met en marche à la suite du Maréchal de Lorraine ; elle défile fièrement dans les rues de Thaon aux applaudissements chaleureux de tous les habitants dont plusieurs poussés par la curiosité s'empressent de la suivre jusqu'à Châtel.

    La place, investie le 1er Mars, fait bonne contenance et les assiégeants éprouvent bientôt des pertes sérieuses : le bâtard d'Aigremont, Gaspard de Bade, "le plus beau chevalier de la Lorraine et du Barrois" et d'autres gentilshommes y trouvent la mort. Les Lorrains y perdent même leur meilleur bombardier "Maistre Jean Lambert" qui s'est distingué devant Liverdun et qui, depuis son arrivée sous les murs de Châtel, tire tous les jours trois bombardes. Comme il recharge l'une de ses pièces, un coup de serpentine parti du château l'atteint et le tue.

    Plusieurs fois la canon des Châtellois fait voler en éclat les batteries des assiégeants ; le Maréchal de Lorraine y remédie en envoyant aussitôt à Epinal un de ses canonniers et plusieurs charpentiers chercher les autres bombardes, serpentines et couleuvrines laissées à l'arsenal. L'artillerie spinalienne semble être même particulièrement visée par celle du château : sans parler des affûts brisés, des roues mises en morceaux, des "mantels" démolis et envoyés en réparation, la grosse serpentine de fer, forgée à grand frais l'année précédante et la grosse bombarde sont fracassées par des projectiles de la place. Pour comble de malheur, deux bombardiers d'Epinal se laissent encore surprendre dans une sortie des assiégés et ne sont rendus à la liberté que huit mois plus tard après plusieurs démarches et supplications tentées par leurs compatriotes auprès de charles-le-téméraire.

    Henry-de-Neufchâtel, fils et successeur de Thiébaut IX, a recours à la ruse et fait traîner le siège en longueur par des ouvertures diplomatiques qui jettent le désordre et le mécontentement dans l'armée assiégeante. Fatiguée de son oisiveté sous les murs de la place, l'artillerie d'Epinal se retire près de Charmes, pendant qu'un certain nombre de bourgeois, engagés sans solde pour la durée du siège, abandonne en masse le camp de Châtel et regagnent leurs foyers. Le bailli d'Allemagne lui-même suit les déserteurs et quitte le siège à la tête de sa compagnie.

    On comprend facilement la désolation et surtout le dépit de nos Thaonnais à la vue de ces nombreuses défections qui menacent d'anéantir cette fière et vaillante armée qu'ils avaient vu défiler dans toute sa splendeur et sur laquelle ils avaient fondé de si grandes espérances. C'était la semaine de la Passion, c'est-à-dire quelques jours avant Pâques, que se produisaient ces faits de démoralisation.

    Fatigué lui même de la longueur de ces négociations, Henry-de-Neufchâtel veut tenter un vigoureux effort pour délivrer Châtel. A sa voix, les gentilshommes de Bourgogne et de Franche-Comté montent à cheval, se rangent sous les ordres de Peter-de-Haquembach et se dirigent vers la Lorraine. Instruits de leurs projets, le comte de Salm fait pratiquer des abatis afin d'arrêter, ou du moins de retarder la marche des Bourguignons ; en même temps il enjoint de garder soigneusement les avenues de la place de peur que quelque messager n'y entre et n'apprenne aux assiégés l'approche du secours qui leur arrive.

    Les travaux du siège sont ensuite repris avec vigueur: l'artillerie des Spinaliens quitte Charmes et revient se mettre en batterie devant la place, pendant que des trompettes vont en hâte sonner l'alarme dans les rues de la ville. La confiance renaît, les bourgeois volontaires courent aux armes, s'enrôlent dans les rangs de leurs compagnons arbalétriers, couleuvriniers et autres qui reviennent de Remiremont où ils surveillent les abords de la frontière bourgogne et tous les reprennent le chemin de Châtel au milieu des ovations chaleureuses de leurs compatriotes et des acclamations des Thaonnais dont ils traversent rapidement les rues.

    Lorsque tous ses combattants sont réunis, le Maréchal-de-Lorraine simule les préparatifs d'un assaut général. A cette démonstration, le gouverneur de Châtel propose au comte de Salm un accommodement. C'est tout ce que désire les Lorrains, car le succès général n'est rien moins que certain, la place étant défendue par des remparts élevés et des ouvrages de première force. Ils se contentent donc d'exiger que les dépendances de Châtel, à l'exception de Romont, seront dorénavant annexées au duché et, une fois le traité signé, ils se hâtent de lever le camp, le gros de l'armée se dirigeant sur Charmes et les Spinaliens regagnant triomphalement leurs foyers.

    Subitement l'appoinctement faict, dit notre bon chroniqueur, on chargit bombardes et tous les bastons. Ceulx de Chastel, hommes et femmes et enfants, de la joye qu'ils avoient, tous dehors saillirent, les bastons et tous les bagaiges aydoient à chargie ; mais ils ne scavoient mie qu'ils deussent estre secourus ; il est à croire que sy ils l'eussent sceu, c'estoiet fiers gens, ils s'eussent bien gardés de faire appoinctement.

    L'artillerie et les bagages de l'armée étaient à peine en sûreté derrière les murs de Charmes, que les bourguignons apparurent sur la Route-de-bourgogne (route actuelle de Châtel à Dompaire), au nombre de 8.000 combattants. On remarquait dans les rangs Phillippe-de-Neufchâtel avec sa garnison de Fontenoy-le-Château dont il était le seigneur, et les sieurs de Chastelguyon, du Vergy et de Rivières. "Quand lesdits seigneurs de bourgogne, ajoute la chronique, virent le siège levé estoit, à peu qu'ils feurent enraigiés".

    Ils essayent pourtant de pousser jusqu'à Charmes et de provoquer l'armée Lorraine, mais devant les sorties résolues de celle-ci, ils se retirent pleins de dépit sur Thaon et regagnent la bourgogne par la route d'Epinal.

    Dernières hostilités. - La mort de Nicolas, duc de Lorraine, laissait la province à son cousin René qui, trompé qui, trompé par les belles promesses de charles-le-téméraire, met ses Etats à la merci de ce dernier. Epinal, comme beaucoup d'autres villes lorraines reçoit une garnison bourguignonne, mais les soldats étrangers commettent toutes sortes d'excès qui font éclater des plaintes si fortes et si nombreuses que rené rompt ses engagements et se met en devoir de faire rentrer sous son obéissance les places qu'il a livrées.

    Dans le courant de Janvier (1473) on voit arriver à Thaon 120 Cavaliers superbement montés, sous les ordres du bâtard de Vaudémont ; ils se dirigent sur Epinal et attendent à la Maladrerie l'arrivée des troupes ducales qui s'avancent de Rambervillers. La concentration opérée et devant ce déploiement de forces, la garnison bourguignonne d'Epinal se rend aussitôt à sa discrétion.

    Durant deux années nos Thaonnais assistent, non point sans en subir maints désagréments, à des escarmouches continuelles entre Spinaliens et Châtellois. Un parti de Lorrains qui se trouve à Vaxoncourt pour tenter un coup de main contre Châtel est appuyé par la garnison d'Epinal sous la conduite du brave Harnexaire. Celui-ci veut tenter le siège et arrive "par devant Chastel" avec des provisions de vin et de farine et "deux poinsons à mettre ung millier et demi de traict et un barroy."

    Quelques semaines plus tard (Août 1475), les bourguignons de Châtel essayent de prendre leur revanche et épient les mouvements de la garnison lorraine d'Epinal dont une partie s'est dirigée sur Arches. Ils la suivent de près et vont s'embusquer jusque sur le ruisseau de Sobart ; mais ils manquent leur coup: les Spinaliens, qui ont l'œil au guet, ont envoyé des messagers informer ceux des leurs qui battaient la campagne.

    Bientôt charles-le-téméraire arrive en personne dans le but de relever en Lorraine l'honneur de ses armes. Ses troupes, qui sont cantonnées à Thaon et dans les villages voisins, menacent Epinal. La place est bien approvisionnée et fournie d'une garnison suffisante ; néanmoins, désespérant d'être secourue, elle capitule après neuf jours de siège. Le 19 Octobre 1475, le duc de bourgogne y entre en triomphe et exige des bourgeois le serment de fidélité ; puis il prend le chemin de Thaon à la tête de toutes ses troupes et se dirige sur Nancy qu'il investit le 25 Octobre et dont il s'empare après un mois de siège.

    Toute la province lui est alors soumise ; et pourtant ses soldats ne jouissent pas de la tranquillité d'une occupation définitive. Pendant qu'il est en Suisse combattre certains cantons révoltés, plusieurs seigneurs lorrains, à la tête de quelques troupes levées sur leurs domaines, entreprennent une guerre de partisans, de telle sorte que Thaon est sans cesse occupé par des bandes armées bourguignonnes et lorraines qui sont de passage ou imposent leurs cantonnements plus ou moins dispendieux.

    Cependant , vaincu par les Suisses, Charles-le-Téméraire se disposait à rentrer en Lorraine et à y rétablir son autorité alors fort ébréchée par la reprise que le duc René II venait de faire d'Epinal et de Nancy (Septembre et 6 Octobre 1476).

    Mais les troupes laissées en garnison dans cette première place ne sont pas plus commodes: elles se composent, en partie du moins, d'un ramassis de toutes sortes d'étrangers dont les pillages font presque regretter la garnison bourguignonne. Des plaintes et des protestations nombreuses parviennent au duc qui invite M. de Bierre, gouverneur du Duché, à provoquer une enquête. Elle est faite à Epinal par Jean-de-Besenge, substitut du procureur général de Lorraine. Des plaignants de toute condition se présentent, parmi lesquels un vieillard de Thaon dont voici la déposition (16 Février 1476):

    Bernard de Tawon, aigié d'environ 80 ans, a juré et déposé sur les saintes évangilles de Dieu que, le soir de la Sainct Mertin, darrienement passé, ung de laditte garnison, appelée Jehan-Baptiste, et ses serviteurs, vinrent en l'ostel dudit déposant et rompirent par force l'huixe de sa chambre et prinrent en icelle du vin à lour voulentez, de la vaxelle d'estain et plusieurs autres biens meubles, lezquelz ils en portèrent et avec ce vinrent on grenier dudit déposant et y prinrent du froment ceu que bon leur sembla.

    Et encore depuis, ce sont arrière (dernièrement) revenus autres compaignons Lombers de laditte garnison qui sont entrez par force on grenier dudit déposant et y ont pris 6 resalz de froment, comme ce que ce fut chose abandonnée ; et de ses ottrages et maléfices s'en a esté plaindre ledit déposant à Messire Baptiste, pour lors capitaine, mais il n'en a peu avoir aucune restitution (Document sur l'Histoire des Vosges : IX. Fol. 94)

    Nous relevons encore parmi les nombreuses dépositions celle d'un habitant de Domèvre-sur-Avière : "Didier, Filz Jehan Maugin, demeurant à Dompmeuvre, aigié d'environ quarante ans, a juré et déposé sur les sainctes Evangiles de Dieu qu'il avoit une huge au lieu d'Espinal, en l'ostel de la femme Jehan Xaldet, en laquelle aucuns Lombert de ladite garnison y ont prins et en portez plusieurs lincieux, nappes, thailles et couvre-chiefs sans ce qu'il en eut peuz avoir aucune restitution.

    On sait le résultat de la journée du 5 janvier 1476 : pendant que Charles-le-Téméraire accouru avec une nouvelle armée est mortellement blessé sur le champ de bataille de Nancy, nombre de ses chevaliers tombent aux mains des troupes Lorraines : cette victoire portait le dernier coup à l'occupation bourguignonne.

    2.1.10 Occupation des Troupes Protestantes

    Premières incursions. - Depuis la fin des guerres entre la Bourgogne et la Lorraine, les Thaonnais vivaient en paix, n'étant plus incommodés ni rançonnés par les nombreuses bandes armées qui avaient jusqu'alors sillonné sans cesse le pays.

    C'est seulement au commencement de l'année 1535 qu'ils sont inquiétés de nouveau. Les environs de Châtel et d'Epinal sont subitement envahis par des troupes qui ont des velléités d'entreprendre le siège de cette première ville. Elles sont à la solde des chefs protestants, peut-être Guillaume-de-Furstemberg qui, par la force des armes, cherche à imposer à la catholique Lorraine, la religion de Luther (Archives Communales d'Epinal : CC. 53). Malheureusement, l'histoire ne nous a conservé aucun souvenir de cette démonstration belliqueuse qui fut, semble-t-il, assez rapide.

    L'armée de Polwillers à Thaon. - Il n'en est pas de même de celle qu'entreprit, sur la fin de Septembre 1557, un certain colonel et baron Polwillers, gouverneur d'Haguenau. La région de Châtel et Epinal est alors sous le coup d'une profonde inquiétude: on signale dans les environs une nombreuse armée à ses ordres escortée néanmoins de plusieurs commissaires lorrains et répartie pour sa subsistance dans les villages compris entre Rambervillers et Mirecourt.

    Le gros des troupes est campé sous les murs de Châtel et le prévôt de Charmes avertit les quatre gouverneurs d'Epinal qu'elles vont gagner cette ville. Arrivé à Thaon, Polwillers change heureusement de projet et se rejette subitement sur Dompaire, Mirecourt, Ville-sur-Illon, Pierfitte, etc. Cependant, quelques jours plus tard, l'armée rebrousse chemin ; une partie repasse par Thaon et l'autre sous les murs d'Epinal, prenant l'une et l'autre la direction de Rambervillers.

    On est au milieu du mois d'Octobre ; le quartier général de Polwillers est établi à Padoux et pendant plus d'un mois les villages voisins ont à subir les dévastations de la soldatesque. La semaine de la Sainte-Catherine (25 Novembre), deux Spinaliens sont encore envoyés à Bayecourt, pendant la nuit afin de connaître "de linfortune et mal advenence du feus que l'on y veoit comment ladicte infortune estoit advenus à cause que l'on estimoit que cestoit lavant garde du corronel de Bollevillers."

    Le retour offensif que craignent les Spinaliens n'a pas lieu, mais un messager leur annonce bientôt, en guise d'étrennes, qu'un autre aventurier, nommé Vachier, déloge de Charmes et doit arriver incessamment avec sa troupe. On se tient sur ses gardes et l'on se hâte d'ériger au guet du château un panonceau destiné "à démonstrer quand il arrivoient multitude de gens en ce lieu et pour espionner et congnoistre quelles portes ils entrent."

    Naturellement Thaon assiste au défilé de cette bande armée, si toutefois il n'en subit aucun des excès.

    Cet encombrement de troupes protestantes dans la région, les craintes continuelles des Spinaliens de les voir franchir les portes de leur cité, les précautions prises Châtellois en prévision d'un assaut possible, n'est-ce pas là un ensemble d'indices qui nous portent à croire que leur passage ou leur séjour à Thaon fut loin d'être inoffensif pour les pauvres habitants ; heureux alors ceux qui pouvaient, dans de telles conjonctures, mettre à l'abri leurs biens et leurs personnes derrière de solides remparts ! (Archives Communales d'Epinal : CC. 74).

    Les Reîtres. - Après l'occupation et le passage de ces armées étrangères, la région paraît jouir enfin de dix années de tranquillité. Le Duc Charles III en profite pour visiter ses Etats et en particulier ses deux places fortes de Châtel et d'Epinal, ce qui donne aux Thaonnais l'occasion de l'acclamer à son passage (1560, Archives Communales d'Epinal : CC. 77).

    Mais bientôt voici de vives appréhensions pour l'avenir : les protestants de France s'agitent, veulent tendre la main à ceux d'Allemagne et la Lorraine est encore sur le point de supporter le passage de toutes ces armées. Charles III, qui s'est rendu compte des faibles effectifs qu'il peut mettre sur pied, ne peut s'y opposer, et les troupes Luthériennes du prince de Condé ainsi que les Reîtres de Jean-Casimir, fils de l'électeur palatin Frédéric III, peuvent tout à leur aise fouler aux pieds le sol de notre région catholique.

    Leur présence dans le pays (1567) nous est signalée par le plantureux repas que s'offrent les officiers du bailliage de Châtel avec le produit de la vente d'un cheval abandonné par ces Luthériens et recueilli comme épave (Archives Communales d'Epinal : CC. 83, passim.).

    Deux ans plus tard. Six mille Reîtres et cinq mille lansquenets menacent la Lorraine: le roi de France essaye alors de leur barrer le passage en établissant deux camps, l'un à Jeuxey à deux lieues de Thaon, l'autre à Baccarat et en concentrant des troupes à Fontenoy-le-Château sous les ordres du sieur de Menours. En même temps, Charles III envoie ses archers renforcer la garnison de Châtel et fait cantonner d'autres compagnies dans les environs aux frais des villages qui les abritent. Evidemment Thaon n'est pas oublié (1569, Archives Communales d'Epinal : CC. 83, passim.).

    La guerre qui éclate de nouveau en France entre catholiques et Protestants (1575) ramène sur notre pays les Reîtres de Jean-Casimir. Leurs bandes doivent arriver sur la fin du mois de Juin, mais le 21 Juillet rien n'a encore paru et ils commencent seulement leurs incursions dans les derniers jours de Décembre. En même temps une armée de 7.000 Suisses leur vient comme renfort et la jonction a lieu dans les environs de Thaon.

    Quelques jours après toutes ces troupes traversent la Moselle à Charmes et à Portieux après avoir incendié une grande partie de cette dernière localité et occupent les villages de la rive gauche  avant de gagner, par Neufchâteau, la frontière française (Janvier 1576, Dom Calmet : II. f. 1390)

    Elles sont suivies à quinze jours d'intervalle par deux autres bandes qui viennent aussi d'Allemagne. Le Bailli d'Epinal qui a été informé des excès commis lors du premier passage, lève des soldats pour monter la garde avec les bourgeois (Archives Communales d'Epinal : CC. 87)

    Enfin, outre les levées d'hommes et les réquisitions de toutes sortes, durant les années 1589, 1590 et 1591, les villages des environs de Châtel ont encore à supporter la présence presque continuelle des troupes lorraines.

    2.1.11 Guerre de Trente-Ans

    Excursions de Charles IV à Thaon. - A Charles III, mort en 1608, succédèrent comme ducs de Lorraine Henri II, dit Le Bon et François II, sous le règne desquels rien de remarquable n'est à relever pour l'histoire de Thaon. Par suite d'un arrangement de famille, François II fut remplacé en 1624 sur le trône ducal par Charles de Vaudémont qui prit le nom de Charles IV.

    Ce prince, doué d'un esprit audacieux, remuant et léger, possédait néanmoins les qualités brillantes qui séduisaient le vulgaire ; malheureusement son goût pour les aventures et pour la guerre devait jeter notre province dans les plus affreuses calamités.

    Lors des nombreuses pérégrinations qu'il fait dans ses Etats au commencement de son règne, nos Thaonnais ont à maintes reprises l'occasion de lui présenter leurs hommages. Le 8 Mai 1630, il vient de Châtel qu'il a déjà visité en Janvier, passe à Thaon et se dirige sur Epinal et probablement sur Plombières. Dès le 24 du même mois, son retour est annoncé et les Châtellois sont invités à seller deux bons chevaux pour le service de Son Altesse. Les portiers, les hallebardiers et les jurés de la ville sont debout toute la nuit pour surveiller l'arrivée du duc qui vient de Thaon où il s'est arrêté au moins quelques instants. Cette fois, il est accompagné de la duchesse Nicole, de son frère le Cardinal et d'un suite nombreuse. Durant la halte faite au village, deux Thaonnais sont réquisitionnés pour porter la litière de la princesse et à leur arrivée à Châtel ils reçoivent 1 franc pour leurs gages (Archives communales de Châtel : GG. 31.)

    Charles IV qui a été frappé de la beauté du pays et de ses forêts spacieuses revient au mois de Septembre et s'installe pour 17 jours à Châtel. Il est escorté de sa garde, d'une compagnie de Chevau-légers et suivi de sa maison de chasse : valets, garçons de chiens, veneurs, traqueurs et piqueurs, sans compter les meutes, les faucons et les éperviers.

    De grandes battues sont d'abord organisées dans la forêt de Ternes, derrière Moriville ; puis ce sont les bois de Thaon et de Darnieulles qui reçoivent ensuite les honneurs des chasses ducales. Tous les hommes valides de Vaxoncourt sont mobilisés comme traqueurs et piqueurs, sans compter les nombreuses levées faites dans les villages où son Altesse est de passage (Archives communales de Châtel : GG. 31.)

    Première occupation française. - L'année 1633 voit commencer les hostilités entre la France et la Lorraine. Informé que les troupes françaises commandées par les maréchaux de la Force et d'Effiat menacent nos frontières, Charles IV donne des ordres pour approvisionner Châtel et Epinal et lever des troupes. Celles-ci sont souvent formées d'aventuriers qui n'ont de Lorrain que le nom et vivent dans la région comme en pays conquis, anéantissant même les récoltes encore sur pied. A l'approche des français, elles suivent le duc qui part pour l'Alsace et ne laisse que des garnisons dérisoires qui se rendent à la première attaque (Février 1634, Archives communales de Châtel : GG. 3.)

    La région est dès lors envahie et encombrée de troupes françaises : Thaon comme tous les autres villages voisins subvient à leur entretien et épuise toutes ses ressources afin de pourvoir aux exigences des vainqueurs. Les premiers mois de l'année 1635 sont les plus pénibles pour les malheureux habitants tant les cantonnements militaires sont nombreux. Les uns proviennent des armées des maréchaux de Bressey et de Rohan, les autres de celle du maréchal de la Force qui durant plusieurs mois rançonne les villages de la région. Le 27 Juillet il est de passage à Thaon, venant de Charmes, en compagnie du marquis de Sourdis, et gagnant Epinal. Comme il n'a pas le temps de passer à Châtel où il est attendu, il se fait apporter à la Héronnière, où il a dressé sa tente, les deux repas qu'il s'était fait préparer dès la vieille au château.

    Quelques semaines auparavant nos Thaonnais (3 Juin), ont déjà été rançonnés par des troupes nombreuses commandées par le prince de Condé en personne qui, sorti d'Epinal le matin, est allé prendre une nuit de repos au Château de Châtel (Châtel-sur-Moselle avant la Révolution : fol. 107-108.)

    Les Suédois. - A partir de cette époque, et durant plus de trente ans, Thaon verra ses rues fourmiller de soldats français, suédois, cravates, allemands et lorrains qui se livreront aux réquisitions les pus brutales, dévastant les blés et les moissons et pillant les infortunés et pillant les infortunés habitants. Mais ceux qui s'attirent sans contredit la réprobation générale, ceux qui par leurs cruautés de chaque instant provoquent le plus de malédictions, ce sont les Suédois et les Cravates dont les armées ne semblent formées que d'un ramassis de brigands.

    Ces terribles envahisseurs apparaissent au mois de Juin 1635: Leur arrivée est signalée par les nombreux incendies allumés dans tous les villages de notre région qu'ils occupent successivement (Juillet-Août). Le régiment de Batilly (régiment Weimarien portant le nom de son Colonel et admis à la solde des français) est des plus redoutables: chaque fois qu'il passe, les Châtellois se tiennent sur leurs gardes (18 Mai et 18 Juillet, Archives communales de Châtel : CC. 19.).

    Le 19 Septembre, ses nombreuses colonnes indisciplinées et féroces font une nouvelle apparition: mais Châtel regorge déjà de troupes ; aussi le régiment se laisse-t-il facilement persuader de chercher ailleurs des quartiers plus propices ; il repart donc aussitôt et la ville s'empresse de lui donner un guide pour le conduire à Thaon et à Chavelot. (Archives communales de Châtel : CC. 19.).

    Durant tout l'été et l'automne 1635, Français, Suédois, Cravates et Allemands, littéralement entassés derrière les murs d'Epinal et Châtel, sont chaque jour à court de vivres et pour trouver leur subsistance ils envahissent les campagnes, fourrageant les blés et les récoltes sur pied, vivant de rapines brutales, imposant leurs cantonnements aux pauvres habitants et les dépouillants de leurs dernières provisions.

    Est-il besoin de faire remarquer, pour donner une idée de leur misère et de leur détresse, que nos Thaonnais, également éloignés de deux centres de garnison, ont à supporter plus encore peut-être que leurs malheureux concitoyens des autres villages, les ravages abominables de cette terrible guerre.

    L'occupation n'est pas moins effrayante durant les deux années qui suivent: les paysans qui ont survécu à tant de calamités sont dans le plus complet dénuement ; leurs maisons ont été dévastées, ruinées, incendiées et comme dernière ressource ils se réfugient à l'abri des remparts de Châtel où ils se construisent aux coins des rues et sur les places, des huttes et des cabanes en planches : c'est là, qu'entassés avec leur bétail, ils attendent la fin de la guerre.

    La région est encore particulièrement rançonnée au mois de Mars 1637 par l'armée de Turenne qui ne peut établir ses quartiers à Châtel, tant la place est déjà encombrée. Sur la fin de l'année ce sont les troupes lorraines qui commencent enfin à relever la tête et à faire à l'ennemi une guerre de partisans. Leurs succès s'accentuent de jour en jour et après maints engagements heureux, Epinal et Châtel tombent bientôt en leur pouvoir (1638) ; malheureusement elles sont trop nombreuses et dès le mois de Mars 1639, les français occupent de nouveau Châtel (Cf. Châtel-sur-Moselle avant la Révolution : fol. 110-118).

    Nouvelle occupation française. - L'accalmie relative des années 1639 et 1640 fait place en 1641 à une reprise d'hostilités. La semaine d'après la Trinité la cavalerie française de du Hallier rançonne la région, mais, disons-le, avec moins de rapacité que les années précédentes. A son départ un parti lorrain profite de l'occasion pour reprendre Châtel et quelques jours après Charles IV passe à Thaon à la tête de son état-major, allant inspecter la place et y jeter quelques troupes.

    Mais ce succès n'est que momentané ; les soldats de la garnison ne sont pas en nombre suffisant pour résister et dès le mois de Septembre Châtel est de nouveau perdu. A cette époque, la région est occupée par le gros de l'armée française ; les régiments sont si nombreux et laissent à leur suite tant de misère, que les paysans de Thaon, Pallegney, Vaxoncourt se réfugient à Châtel. Le 29 Novembre, le bruit se répand que toute l'armée du roi doit encore arriver ; hélas ! on ne craint qu'une chose, c'est de la voir prendre ses quartiers d'hiver dans le pays ; pour s'en informer, les Châtellois dépêche un messager jusqu'à Blâmont (Cf. Châtel-sur-Moselle avant la Révolution : fol. 110-118).

    Les dix années qui suivent ne sont pas moins désastreuses pour les habitants obligés de supporter les cantonnements ou les passages incessants des multiples bataillons français.

    Cependant Charles IV finit par reparaître en Lorraine et, profitant de l'agitation causée par la Fronde, il reprend presque sans coup férir Epinal et Châtel (Juin 1650) et parvient à les conserver un an. Mais la reprise de ces deux villes ramène sur le pays une concentration incroyable de troupes françaises, à tel point que l'on se croit revenu aux plus mauvais jours de l'occupation suédoise. Les villages redeviennent déserts , les paysans effrayés ont cherché un asile dans les bois et ceux qui ont eu assez de courage et d'audace pour garder leurs foyers sont écrasés par les contributions et réquisitions militaires (Cf. Châtel-sur-Moselle avant la Révolution : fol. 135-136).

    Fin des Hostilités. - En vertu du traité des Pyrénées, les garnisons françaises allaient enfin quitter nos places fortes et évacuer le territoire. Au mois d'Août 1661, Charles IV, qui se rend aux eaux de Plombières, passe à Thaon et fait halte à Châtel où il reçoit de nombreuses doléances. Il y apprend que certains villages, sont complètement ruinés et abandonnés et que les autres ne sont guère en meilleur état. Thaon est de ce nombre et huit années de paix ne suffisent pas à y ramener l'aisance.

    Hélas! On devait encore subir les inconvénients d'une dernière invasion.

    La guère éclate, en effet, entre la France et la Lorraine (Août 1670) : Nancy est surpris par une avant-garde de la cavalerie, tandis qu'une armée de 25,000 hommes, sous les ordres du maréchal de Créqui, envahit le territoire. Le 27, Charles IV arrive à Châtel et à Epinal et y donne ses dernières instructions.

    Cependant, un mois s'est à peine écoulé, que cette dernière place tombe au pouvoir de l'armée royale dont plusieurs escadrons sont venus prendre leurs quartiers à Thaon durant les opérations du siège. Et maintenant c'est le tour de Châtel : Créqui envoie ses troupes camper sous les murs et préparer l'investissement de la place. Quant à lui il ne se met en route que le surlendemain, passe à Thaon avec son état-major et arrive le même jour à Nomexy où il visite les travaux entrepris par ses soldats. Afin de ménager sa cavalerie, comme il le dit lui même dans son rapport à Louis XIV, il envoie deux brigades à Portieux, deux autres à Domèvre et en garde une près de lui. Ces quartiers, ajoute-t-il, devront lui envoyer, chaque jours, huit escadrons pour la fatigue du camp. (Nomexy : fol. 72-73.)

    Le 29 Septembre Châtel se rendait. Pendant les mois qui suivent, les troupes ne cessent de l'encombrer et de vivre à ses dépens. Mais les soldats se trouvent forts à l'étroit dans leur cantonnements et sans doute que leurs rations quotidiennes ne sont pas plus abondantes surtout à l'arrivée de certains autres bataillons de passage. Aussi quelques compagnies essayent-elles de chercher fortune ailleurs: Epinal les attire ; en route donc. Mais pendant qu'elles font étape, les unes à Thaon, les autres à Domèvre, un messager d'Epinal arrive leur signifier de rebrousser chemin sur Châtel (1671, Archives communales d'Epinal : CC 835.).

    L'année 1673 s'était passée sans incident bien remarquable, lorsqu'au mois de Février 1674 on apprend tout-à-coup l'apparition de Charles IV et son armée sous les murs de Remiremont qu'il enlève aussitôt. Quelques jours après Epinal subit le même sort, puis c'est Châtel dont la garnison ne se trouve plus en force pour résister, surtout dans une ville qui a perdu ses fortifications.

    Nos bons Thaonnais sont naturellement heureux d'applaudir à des succès aussi surprenants et ils ne manquent pas de manifester leur joie lorsque le duc défile dans leurs rues à la tête de sa vaillante petite armée.

    Malheureusement cette irruption subite n'était qu'un coup d'audace sans aucune conséquence sérieuse. Turenne, qui en est informé, a vite rallié ses troupes alors disséminées dans leurs quartiers d'hiver. Il arrive à Châtel, passe à Thaon, marche sur Epinal et Remiremont qu'il reprend, mais se trouve arrêté, au moment d'entrer en Alsace, par un corps d'Allemands et de Lorrains. Quelques jours après les Thaonnais assistaient à l'évacuation sur Châtel de tous les malades et blessés de son armée (cf. Châtel-sur-Moselle avant la révolution : fol. 165 et 166.)

    Passages militaires et princiers. - Thaon, qui se trouve sur la grande route d'Epinal, Châtel, Nancy, est encore maintes fois choisi comme lieu de cantonnement par les troupes de passage, ou voit se dérouler sur son territoire les manœuvres maintenant inoffensives des deux garnisons voisines.

    La vue du soldat loin d'effrayer la paisible population ne sert plus qu'à exciter sa curiosité et même sa sympathie. Les régiments qui viennent successivement tenir garnison à Châtel et à Epinal sont des plus nombreux et des plus variés, aussi nos Thaonnais peuvent, durant tout le 18e siècle, admirer à leur aise la multiplicité de leurs brillants costumes et acclamer les illustres capitaines qui les commandent. Ils n'ont plus alors à redouter les pillages, les incendies et les brigandages dont ils ont souffert si cruellement pendant près de deux siècles ; le soldat n'est plus le mercenaire avili et dégradé vivant de meurtre et de rapine, c'est au contraire un protecteur né des intérêts particuliers comme le défenseur attiré de la patrie commune. Et voilà pourquoi on fête sa présence ; voilà pourquoi on est heureux de lui faire partager en famille le modeste repas que sa ration militaire fraternellement abandonnée arrive parfois à rendre moins frugal.

    Mais l'élément guerrier n'attire pas seul l'attention de nos Thaonnais dans le cours du 18e siècle. Souvent ils sont mis en liesse par le passage de grands personnages et leurs riches escortes. Signalons tout particulièrement celui de Son Altesse Royale et du prince Charles (1699), celui du prince François 1712, du duc de Guise 1713 et du roi d'Angleterre qui la même année se rend aux eaux de Plombières, enfin celui du duc François III qui vient de Châtel où il a provoqué des réjouissances jusqu'alors inconnues (1729, cf. Châtel-sur-Moselle avant la Révolution : fol. 168, 205-207.).

    2.1.12 La peste au XVIe, au XVIIe et au XVIIIe siècle

    Triste état de la région au commencement du 16e siècle. - La peste orientale et d'autres contagions sur lesquels on a pas conservé de détails exacts avaient sévi en Lorraine durant les années 1504, 1505, 1507, 1508, 1522, 1524. Produites ou du moins favorisées par des disettes passagères, elles avaient fait de grands ravages ; l'art des médecins reconnut son impuissance, après s'être épuisé en vains efforts pour arrêter les progrès du fléau et l'autorité civile jugea à propos de recommander certains amusements dans le but de dissiper la stupeur causée par les tristes scènes que l'on avait fréquemment sous les yeux. En 1508, les magistrats de Metz permirent, "pour la récréation des citoyens, de juer aux gueilles (quilles) et à plusieurs aultres jeux ; et incontinent fut à chascune porte dressé deux ou trois jeux de gueilles, là où se trouvaient plusieurs gens pour passer leur temps." En 1522, les Quatre-de-Ville de Nancy firent délivrer un bichet de blé à deux "tabourins" pour avoir réjoui le peuple pendant la mortalité.

    Pour épargner aux habitants la vue des morts et des mourants et pour mettre obstacle à des communications dangereuses, on construisit dans des lieux écartés des loges, souvent froides et malsaines, où l'on enfermait non seulement les pestiférés proprement dits, mais encore les personnes dont l'état sanitaire était regardé comme suspect. (Aug. Digot IV fol. 105.)

    Tel est le récit trop succinct fait par l'historien de la Lorraine, Aug. Digot, sur les ravages du terrible fléau au commencement du 15e siècle, ravages qu'il nous impossible de préciser davantage en ce qui concerne du moins notre propre région. L'absence de tout document nous oblige donc à nous en tenir pour cette période à des conjectures générales et la seule hypothèse que nous puissions soulever, c'est de nous demander s'il ne faut pas voir dans le nom des lieux A la Borde, Logepomme (loge au pommier), Hallebarde (à la borde), le souvenir des huttes construites pour abriter non pas les anciens lépreux mais les malheureux pestiférés du 16e siècle.

    La peste durant la seconde moitié du 16e siècle. - Si les archives communales ou autres sont non moins muettes sur les ravages exercés par la peste à Thaon durant la seconde moitié du 16e siècle et la première moitié du 17e, il n'en sera pas moins instructif et intéressant de connaître l'état déplorable de la région et des localités voisines.

    Cet état, qui nous est particulièrement révélé par les archives communales de Châtel, fera estimer à leur juste valeur, par suite des comparaisons et des rapprochements qui s'imposeront d'eux-mêmes, les ruines accumulées à Thaon par la terrible épidémie.  Nos lecteurs seront donc suffisamment renseignés sur la désolation qui durant de longues années étreignit leur pauvre village, lorsqu'ils auront pris connaissance des scènes lamentables qui désolèrent Châtel et les communautés voisines.

    Les encombrements de troupes que nous avons signalés durant la seconde moitié du 16e siècle ne pouvaient manquer de semer, dans le pays occupé, les germes de la contagion. C'est en 1532 qu'on la voit apparaître pour la première fois à Châtel ; elle sévit encore fortement en 1545, mais elle bat surtout son plein durant les années 1566, 1567 et 1568.

    A peine en a-t-on reconnu les symptômes dans les murs de cette dernière ville, qu'on transporte à la hâte les contaminés à l'hôpital où ils sont bientôt entassés dans les locaux insuffisants, et pour les empêcher de propager le mal par des sorties inconsidérées, on a soin d'en obstruer toutes les issues au moyen de fagots d'épines.

    Cependant le mal fait tous les jours des victimes en plus grand nombre ; la communauté construit à côté de l'hôpital des huttes supplémentaires et une loge de garde-malade. La mortalité est très grande car la peste exerce ses ravages aussi bien sur les troupes de Jean-Casimir que sur les villageois au milieu desquels elles cantonnent.

    Tant de précautions ne parviennent à enrayer les progrès du fléau ; les habitants quittent leur demeures malsaines et s'enfuient au sein des forêts. Enfin l'épidémie disparaît avec les grandes chaleurs de l'année 1567 ; mais les Châtellois qui en sont enfin délivrés agissent avec prudence ; sur la fin de Septembre ils envoient à Epinal un de leurs anciens maires s'informer si la peste y règne encore, afin d'éviter tout danger de contamination lors de la foire qui doit avoir lieu le 17 Octobre.

    Nouvelle consternation en 1575 surtout en 1587. Cette dernière année il faut promulguer de nouvelles ordonnances sanitaires. Interdiction absolue de circuler dans les rues de Châtel après la sonnerie du Salve (l'Angelus): c'est le moment choisi pour la sépulture des pestiférés et la désinfection de leurs hardes, et devant les maisons où passera le lugubre cortège, chaque propriétaire devra brûler des parfums.

    Famine et peste au 17e siècle. - Charles IV, qui a séjourné à Châtel, le 7 et 8 Mai 1630, n'y passe qu'une nuit à son retour, 24 Mai, car le bruit court avec persistance que la peste est dans les environs. Bientôt les habitants des campagnes, au milieu d'un affolement général, arrivent en foule aux portes de la ville, faisant appel à la compassion et à la charité publiques. On accueille à bras ouverts les premiers venus : ils sont dans une misère si profonde ! Les uns ont perdu tous les membres de leur famille ; d'autres sont ruinés par suite des incendies nombreux dûs sans doute à cette panique inconsidérée, et les bourgeois, au récit de tant de misères, délient volontiers leur bourse.

    Mais voilà qu'au sein de cette population étrangère, on croit reconnaître quelques signes de la terrible contagion : aussitôt, sur l'ordre des autorités, les portes de la ville s'ouvrent et tous ces malheureux sont refoulés en dehors des murs. Loin de se disperser, ils restent entassés sur le grand-pont, attendant les distributions de pain que les Châtellois continuent à leur faire. Les revenus de legs nombreux donnés jadis en faveur des pauvres sont largement mis à contribution mais n'y peuvent suffire et les bourgeois ont encore la charité de se cotiser entre eux.

    Ces distributions quotidiennes achèvent d'attirer les autres miséreux qui parcourent les campagnes voisines et le nombre s'en accroît tellement que les ressources de la communauté ne suffisent plus: il faut les supprimer afin d'obliger tout ce monde à se disperser car la contagion décime les villages voisins et menace de gagner la ville.

    Elle finit par s'y introduire et durant les deux années 1632 et 1633 elle sévit avec tant de violence qu'à côté de deux cents actes de sépulture inscrits dans les registres paroissiaux, on n'en trouve pas trois de naissance.

    Les ruines accumulées sur notre pauvre pays durant la guerre de Trente-Ans, ne sont rien en comparaison des ravages causés par la famine et la peste. Les paysans ont vu leurs provisions de blé complètement détruites par une excessive concentration de troupes ; d'autres fois les malheureux se lamentent devant leurs récoltes encore sur pied et que les bandes de Cravates et de Suédois ont anéanties sans pitié.

    Une page tirée du journal de Claude Guillemin, tabellion et échevin à Saint-Nicolas-du-Port nous donnera une idée de la détresse dans laquelle se trouvait plongée notre région en 1635:

    On a vu, assure-t-il, aux portes de Châtel, six garçons dont l'un âgé de 15 ans, tous lesquels rongoient aux dents les os d'un cheval mort et escorché depuis plus de quinze jours et cela après que les loups et les chiens en avoient pris le meilleur et une infinité d'aultres personnes en ce pays, se jeter comme des vautours et corbeaux sur les charognes et les cuirs des bêtes escorchées, les mangeant et chassant partout aux rats et souris pour trouver quelque subsistance. A Ubexy, le père et la mère étant enterrés depuis trois jours, leurs propres enfants les tirèrent de terre et les mangèrent.

    La terreur règne partout, car les vivants ne suffisent plus à enterrer les morts. Les quelques maisons restées debout dans les villages sont pillées et abandonnées, ou plutôt on n'y rencontre plus que les cadavres des malheureux propriétaires tombés là victimes du terrible fléau. Il n'y a pas jusqu'aux presbytères qui n'offrent aux yeux ce lamentable spectacle: Le procureur de Châtel en a forcé l'entrée dans plusieurs localités voisines et il n'y a trouvé, chose horrible! Que les cadavres en putréfaction des malheureux curés (Cf. Châtel-sur-Moselle avant la révolution : fol. 119-122.)

    Moriville, Clézentaine, Vaxoncourt sont complètement déserts et Thaon n'est pas moins maltraité. Là comme ailleurs la famine et la peste ont exercé leurs ravages, le village est abandonné et lorsque le receveur d'Epinal (percepteur de l'époque) se présente en 1641 pour lever des contributions il n'y trouve plus que deux familles (Archives de Meurthe & Moselle : B. 6030.). L'année suivante il n'en trouve encore que cinq et lorsque les registres paroissiaux commencent à paraître (1655), c'est pour accuser un minimum de naissances qui est loin de nous montrer Thaon rétabli dans son état normal.  

    Années

    Nombre de naissances

    Années

    Nombre de naissances

    Années

    Nombre de naissances

    1655

    1

    1662

    4

    1669

    2

    1656

    0

    1663

    5

    1670

    5

    1657

    6

    1664

    3

    1671

    0

    1658

    2

    1665

    7

    1672

    0

    1659

    2

    1666

    6

    1673

    0

    1660

    5

    1667

    7

    1674

    9

    1661

    1

    1668

    6

    1675

    2

     Si l'on calcule la natalité moyenne des dix premières années, on arrive péniblement au nombre 3 (2,9 exactement) et il faut encore avoir soin de faire remarquer que les naissances de Chavelot, alors annexe de Thaon, sont comprises dans ces faibles effectifs.

    A partir de 1676, le village se repeuple sensiblement et reprend bientôt son état normal. La tenue des registres paroissiaux, comme on peut le voir, a certainement été négligée durant les années 1671,1672 et 1673 ; quant aux décès, quatre seulement y sont consignés de 1655 et 1683, parmi lesquels celui d'un soldat français, La Verdure, natif de Moulins et aux ordres du Maréchal des logis de l'Orme (Archives communales de Thaon. Registres paroissiaux. - En 1690, nous relevons encore le décès d'un autre soldat, Claude Combaret, compatriote du précédant ; enfin, en 1782, nous trouvons un nommé Mathieu, natif de Thaon, enrôlé au régiment de Beaujolais (Archives Comm. CC. 3).  Le Territoire de Thaon faisait partie au 18e siècle de la subdélégation, c'est-à-dire du bureau de recrutement militaire d'Epinal. (Arch. Comm. FF. 5.).

    Epidémie de 1782. - La désastreuse guerre de Trente-Ans terminée, Thaon se ressaisit très rapidement: la vie et l'aisance finirent par renaître sur les ruines de la dépopulation et de la misère les plus extrêmes et rien ne vint plus entraver la marche progressive de son développement ni troubler la tranquillité de ses habitants avant l'année 1782.

    Mais à cette date nous trouvons dans les archives de Meurthe-et-Moselle une lettre du curé, Nicolas Mouzon, adressée à M. de Rozières, subdélégué de la subdélégation d'Epinal, par laquelle il lui signale l'état maladif et inquiétant de nombre de ses paroissiens.

    Il y a, des fièvres si tenaces qu'il n'est pas possible de les déraciner et qu'il est dangereux qu'elles ne dégénèrent pas en fièvres putrides ; dans ce moment il y au moins cinquante personnes qui sont attaquées et réclament des secours urgents.

    Monsieur de Rozières invite aussitôt le supérieur de la charité de Nancy à pourvoir aux premières nécessités : le frère Nicole est envoyé à Thaon porteur d'une somme de 150 livres destinée au soulagement des plus besogneux (12 Avril 1782). Mais l'épidémie se répand de jour en jour, les soins les plus urgents que le frère prodigue aux malades sont insuffisants et ne peuvent enrayer le mal : il faut absolument à Thaon et à Chavelot un médecin qui se rende compte de la malignité de la fièvre et en combatte directement les causes premières.

    Sur la requête qui lui est adressée dans ce sens, le supérieur de la Charité envoie aussitôt le père Evariste Pulleu, aussi habile praticien qu'édifiant religieux. Grâce à ses ordonnances et à ses prescriptions, l'épidémie diminue rapidement et, dès le 28 Mai suivant, il reprend le chemin de Nancy au milieu des démonstrations les plus enthousiastes de la population. Le soir même de son départ, le maire, les jurés et les habitants, réunis en conseil de communauté, adressent à son supérieur une lettre pleine d'éloges et de remerciements dans laquelle nous lisons:

    Il (le père Evariste Pulleu) est resté constamment et sans déplacement jusqu'aujourd'hui pendant lequel temps il a traité avec zèle et exactitude plus de deux cents malades pour la plupart attaqués de fièvres quotidiennes, tierces, quartes, toutes tendantes à la putridité. C'est sans doute à sa science, à son zèle, aux bons remèdes et aux bons aliments qu'ils a distribués à nos habitants malades que nous devons attribuer le bonheur qu'il eu qu'il ne lui soit péri aucun malade quoiqu'il en ait eu beaucoup de très mal et même en danger de mort.

    La lettre rédigée, tout-le-mode se rend à l'église et l'on chante un Te Deum d'actions de grâces. Le résultat prodigieux obtenu par le père Evariste avait seulement nécessité la dépense de 559 livres, 3 sols (Archives de Meurthe & Moselle : C. 348.).

    2.2. Administration seigneuriale et communale

    2.2.1. Droits de l'abbesse à Thaon (Lien vers les copies des Droits des Abbesses - Documents très anciens)

    Inventaire de ces droits. - Les droits que les abbesses du Chapitre d'Epinal possédaient à Thaon au 13e siècle sont consignés sur un vieux parchemin qui constitue la véritable charte de ses habitants. C'est un manuscrit sans date mais dont l'écriture et la rédaction en font certainement remonté l'origine au treizième siècle: maintes fois, il en est fait mention dans le Cartulaire du Chapitre sous le nom de Rouleau des droits de Thaon.

    Eu égard à son importance et à son antiquité, nous devons en donner une transcription intégrale ; mais auparavant il est utile de résumer les droits en question dans une énumération succincte dont chaque partie fera l'objet d'un chapitre spécial.

    Voici, en effet, les articles principaux sur lesquels ils portaient :

    1. Officiers administrateurs
    2. Plaids anneaux
    3. Corvées & charrues
    4. Vaine pâtures
    5. Moselle
    6. Forêts
    7. Justice
    8. Dîmes
    9. Culte

    Ces deux derniers articles rentrent naturellement dans la 3e partie de ce second livre: L'administration paroissiale.

    Quelques-uns parmi ces droits, comme celui d'élire un maire et de tenir plaid bannal, ceux de justice et de patronage de la cure sont et restent absolus, c'est-à-dire entièrement réservés à l'abbesse ; d'autres qui ont été primitivement dans cette condition, tel celui de propriété sur les forêts, ont perdu de leur rigueur et ont peu à peu cédé devant les revendications des habitants ; d'autres enfin, comme le droit de pêcher et de percevoir les dîmes, appartiennent en partie seulement à l'abbesse.

    Rouleau des droits de l'abbesse. - Voici maintenant le texte du parchemin qui les renferme et qui, dès les premiers temps, était lu à la tenue de chaque plaid annal:

    Ce sunt li drois que ma dame li abbasse de Spinalz ait en sa mairie de Thaon, liquelz drois doient estre rapourter dous fois en l'an, cest assavoir, à chascune foy, VIII jours après les plais bannaulx de Spinalz (Cette pièce a été publiée dans les Documents sur l'histoire des Vosges : l. 172.).

    Madame tient l'éritage ci après nomei et les autres droitures ausi en fié et en homaige de main et de boiche (bouche) de monsignor de Mes (Metz). Et tient ma dame dès lou leu (dès le lieu) qu'on dit Saincte Mertin Fontenne en jusques au Poixaul de Wyherey, et revient par dessus jusques a Chavireus et par la chauce (chaussée) de Pontax, et se retourne jusques au vaichin qu'est entre lou finage de Thaon et d'Yegney, et se renait ma dame par davant la porte de Mesnil, si se retorne par devers lou boix juriei d'Ygney et de Chalmoisey (Chaumousey), et de lai (là), se renait sus par lou molz et lou dur (une partie de Thaon se trouve sur un terrain pierreux et l'autre sur un sol marécageux: de là cette expression du mou et du dur), li molz est de Thaon et li dur est de Chalmoisey, jusquez à la pynouze chareire. Item se renait Madame par lou leu qu'on dict Lez Fournes de Hemont, de là meult si en renait jusques à la fontenne qu'on dit En Liecorrin, et de là renait par dessus, droit à la fontenne de Wallehay, de là meult, si se retorne par la marcelle Maglaine, et de la marcelle Maglaine, revient par lou chaisne devant la mason Mariaite de Dommevre et monte sus par la ruelle, si en revient par la mare qu'on dit Au Poiseul, de là meult ma dame, si en vient par lou chaisne qu'est entre Baldemont et lou boix de Thaon, li chaisnes est porris et li trous est plains de wacons (essaims d'abeilles) ; d'ou chaisne meult ma dame si on vient jus droit au jardeneil et par lou moyen des trois reneteilz, et revient ma dame jus par la Mauresey et repaire tout droit par Sainct Martin Fontenne, par la chavée de Hembairmolin et revient par Martin Fontenne.

    Dedens lou ban et leiz confins dessus dis ait de trois paires de seignoraiges (seigneuries), lez quelz Madame doit dou tout justicier, et il ait lou ban descroit par ensi qu'elle ait et doit avoir toutes les encoissons qu'elz dictes confins sunt faites: c'est assavoir lez amendes de combaitre (combat), de raicosse de toirfait et les pargiees et toutes lez autres encoissons qui ès confins dessus dictes sunt faites, fuer que les droitures Saint Arnoult.

    Madame ait telle raison en la ville de Thaon qu'elle puet et doit fare dou queil home qu'elle volrait, son maoure (maire), si li hom ait lou sens et lou pooir dou pourteir et dou soustenir la dicte marie, et se il ne ait lou sens et lour pooir, il en doit estre creus par son simple sarement ; li mares il mest ses forestiers et son doyen.

    Item Madame doit ades tenir ses plais banalz a Thaon VIII jours après lez plais bannalz et quand lez tient, li mares appelle deux compaignons ou trois pour maingier avec lui et pour lui aidier a tenir ses plais ; et doit panre li mares ses despens sus les premiers chaiteilz. Madame, et se Madame estoit empalchie pourquoi elle ne peust tenir sez plaids lou jour desus dict, elle doit rajourner ses parterriers (compersonniers), a tel jour comme elle lez porroit et worrait tenir, et il doient estre tuit li parterriers.

    Item Madame ait, en la mairie de Thaon, 15 quartiers de terre, c'est assavoir : 10 à Thaon et 5 à Dameuvre, li quartiers par lui doit à Madame, chascun an, 2 resaul de blef, 7 resaulx de soile et 7 resaulx d'avoinne, douquel resaul d'avoine, li moitié doit estre à reilz et li autre à my ; et doit chascuns quartiers trois sous, une geline et 2 buef au charroy pour aller querir lou vin a Saincte Roolaine, desquels quartiers dessus dis li maires il ait et doit avoir 2 quartiers, li dous forestiers 1 quartier et li doyens demi quartier, et se il tiennent la terre, paiez en sunt.

    Item qu'il tient lou quart d'un quartier, il doit un buef au charroy dessus dit et si en falit la montance d'une augenne, il ne doit point, li mare wait aval la ville commandant son charroi ; se il ait mestier d'un chart, il lou prant là où il lou se trueve sens encoison, et lou fait athirier ensi con il sceit que boin il est. Li buef viennent, on les joint ; quant il sunt joins, li prodomes cui sunt li bues viennent au maour et li demandent seurtei de lour bues ; li maire demande a l'eschavin queile surtei il affiert, et li eschavins doit jugier que se il avient rien de lour bues, Madame lor doit rendre ou il doient retenir tant dez droictures qu'il doit a Madame, comme lour bues valroient, ne autre surtei il ne doient avoir. Item que Madame doit warder les boviers qu'il moinrient lou charroy de fain, et de soir, a l'aler et au revenir, et doit a chascun chart, a chascune geite, demi resaul d'avoinne, et quant li charrois est revenus, chascun vait a son chart ou a sa rene et la prent, et se li chars ne puet revenir, cilz cui li chars sunt doient aler au boix pour fare un autre chart ; ne autre rendage ne fait Madame et doit les boviers fors et l'anelon.

    Item se plais meut davant lou maour que wans il soit ploiez, li maires lou moine tant avant comme il puet et doit, se li mare ne puet fare paix, il vait en la chambre Madame et ront lou wan ploier, et après ceu que Madame l'ait en sa main, et il y convient cos (cause) ferir, elle lou rent la halte justice, si en partent en tier et en deux pars.

    Item que cilz de Thaon et de Domeuvre qu'il waigent de 4 beixes a la saxon, doient a Madame, chascun  an, a la Sainct Martin, 2 resaulx d'avoinne, et se il hait home qu'il welle rien dire contre li forestiers li demandent la buche, laquelle on doit desdure au plais de doinalz et la desduit en ensi qu'il doit estre tesmoigniés par deux homes qui teil chateil doient.

    Item que Madame ait et doit avoir à Domeuvre et à Thaon les cruées (corvées). C'est assavoir que chascune charrue doit a madame, chascun an, 2 services, a chascune sasson et 8 deniers.

    Item doit avoir Madame pour lez prés de ceste marie feneir et soieir, la faul et la forche de cealz qu'il tiennent les quartiers, la faul pour 6 deniers et la forche pour 3 deniers, avec ceu que Madame lez doit encors fournir.

    Item en la rivière, ont li prodomes de cest leu la trulle (trouble) aipasse, la verge, quatre reveleures, lou brasseu sens paul ferir et sens verge et sens fare vendàige, et doit aller li paxières (pêcheur) Madame par dessus la rive, et puet cherroier sa nef et apandre ses filetz 15 piés en sus de la rive, sans estre home en dongief.

    Item li prodomes de cest leu (ont) la halte foresse et ont on boix lou chasne et lou fol (hêtre) pour lour chief crevir (les charpentes) et pour fare lour chars et lour charrues et lou morboix pour lor fœrasse (chauffage) et cil qu'il paient les meulz d'avoinne ont, lou soir de la Sainct Martin ou lou soir de Noeil, on boix, une charrée de teil con il weullent panre.

    Item que se il ait paixon on boix, cest les prodomes de la ville parmei ceu qu'il doient paiei pour un chascun porceil (porc) annal, 1 denier, et pour lou pourceil marsonge, 1 denier ' dez quelz li forestiers doient avoir les sangles deniers et les sangles mailles, et se cilz de cest leu refusoient la paixon ou qu'il n'eussient pors pour lou mettre, Madame en porroit fare ses voluntez des enqui en avant. Item quicunques trueve un geton ou un bloc (essaim) on boix et il lou rapporte, li premier qui leu rapporte doit avoir la moitié et Madame l'autre.

    Item un chascuns de la ville puet faire un escarpe on boix, fuer que on boix bannal par ensi qu'il en doit parler au forestier, li forestiers lou puet laxier a un autre parmei 7 deniers et parmei ceu que cil qui vaingneroit l'escarpe, doit paiei lou terraige à Madame et la première gerbe pour lou dimer, si ne l'avoit paiei.

    Item se il ait en la ville ouriers, il ne doient aler on boix pour abatre pour leur ouvraige fore ce il n'en paient aux forerstiers ou au maire et ne doient vendre rien defuer, et autrement il doient l'amende.

    Item ait Madame la cognissance des mesures de blef et de vin.

    Item les pargiees sunt à Madame parmei ceux que li… il ont lou tiers.

    Les amendes de torfait et des terres montent à 6 deniers, les aicosses et li bans brisiés à 5 sous, li amende dou boix monte à 5 sous, li plaie overte monte ai 9 sous, li embaneure monte a 25 sous.

    Droits de l'abbesse en 1611. - Nous aurons occasion, dans chacun des chapitres qui suivent de revenir sur les multiples droits de l'abbesse au 13e siècle et d'en donner quelques explications qui aideront à comprendre le texte ancien précédent. La rédaction se transforme d'ailleurs d'année en année, les prérogatives seigneuriales se classifient et c'est ainsi que nous les trouvons sous une apparence plus modernisée au commencement du 17e siècle. Nous extrayons ce document d'un compte du Chapitre d'Epinal, en 1611 (Archives des Vosges : G. 153. Fol. 19-24.).
     

    Droits que Mesdames ont au lieu de Thaon

    Mesdites dames et Chapitre sont dames foncières au lieu dudit Thaon y ayant création de Maire et justice qui connaissent de toutes actions réelles desquelles toutes amendes échuttes leurs appartiennent comme aussi toutes amendes d'embannies, regains et ban remis, lesquelles montent et avallent selon qu'elles eschoient, desquelles leurs maires doibt donner déclaration (à elles) ou à leur prévot et quant aux amendes et faits personnels, battures, injures, sont et appartiennent à Notre Souverain Seigneur.

    Ont aussi mesdites dames et Chapitre les confiscations des bêtes sur celles à la … pour la moitié, contre les habitants dudit Thaon pour l'autre moitié.

    Et pour celles qui sont mises deux fois sur l'embannie sont aussi confiscables comme dessus, n'estoit qu'il en ayent la permission de mesdites Dames et Chapitre.

    Les Faulcies de Thaon. - Au finage dudit lieu y a plusieurs faulcies de preys que sont redevables à Mesdames, à cause de leur église, de chacune faulcie un denier pour ce qu'elles sont esté reprinses et relevées par cy-devant envers mesdites Dames parmy payant chacun an par faulcie un denier comme di est, lesquelles montent et avallent selon qu'on en relève.

    Les rapports des forestiers. - Au lieu du dit Thaon sont deux forestiers créés par le maire de Mesdames pour la garde de leurs bois qui ont puissance d'y prendre les mésusants, les amendes desquels sont à mesdites Dames et où lesdits forestiers ne trouvoient aucun mésusant en leur année, sy sont-ils tenus payer trois rapports vallant chacun 4 gros.

    Les Pargées (Amendes champêtres). - Lesdits forestiers sont tenus par chacun an rapporter au prévot de mesdites Dames au grands plaids bannaux dudit Thaon les pargées que vaillent 2 gros, 4 deniers chacun an à cause de leur office, lesquelles pargées ne montent ny avallent.

    La Paxon. - Les devant nommés forestiers sont tenus chaque an à chause de leur office rapporter la paxon des bois dudit lieu appartenant à Mesdames, le dimanche avant la Nativité Notre-Dame et quand elle est rapportée, chacun bourgeois dudit lieu y peut mettre 8 porcs dont il prend le meilleur et mesdames l'autre après, et s'il n'y en met que 7 il doit pour chacun porc un denier, et pour la marsauge un obolle et où il se trouverait quelques porcy mal allictés par quelques des habitants ou forains, trouvés à garde faicte sont confiscables à mesdites dames pour la moitié et l'autre moitié auxdits habitants.

    Item quand on trouve quelque jeton de mouche à miel ès-bois dudit Thaon, il se doit rapporter au maire dudit lieu créé par Mesdames et y prend celui qui le rapporte la moitié contre Mesdames.

    Ont aussy mesdites dames et chapitre la surveillance des mesures audit Thaon et les amendes contre les défaillants.

    Les Muids d'avoine. - Tous habitants dudit lieu que font cultiver terre par quatre animaux, scavoir bestes à leur cultivement de saison, sont tenus rendre et payer à mesdites Dames pour chacune charrue un muid d'avoine desquels le prévôt en fait compte en l'article des grains cy-devant.

    Les Corvées de charrue. - Les habitants dudit lieu que font charrue entière et qui prestent et ne font louage de leurs chevaux, juments et bœufs pour ayder à s'accompagner pour faire charrue n'ayant de leur nourriture 4 bestes pour cultiver leurs terres, iceux habitants doivent chacun an à Mesdames 12 deniers.

    Les Amendes des bois. - Les forestiers dudit Thaon sont tenus par chacun an rapporter au prévot de mesdames le jour qu'il tient les plaids annaux audit Thaon toutes les amendes des bois, des y trouvés mésusants lesquelles sont de 4 gros chacun.

    Les Menues dixmes. - Les menues dixmes dudit lieu en ce qui touche et appartient à Mesdames, contre le curé dudit lieu et Vicaire d'Epinal ont esté mis à monte à qui plus, au plus offrant et dernier enchérissant à l'éteinte de la chandelle et eschues à Henry Duval le jeune, marchand bourgeois d'Epinal, pour la somme de 60 francs monnoie de Lorraine payables par chacun an pour le temps, terme espace de trois ans commençant à la Saint-Laurent 1609 et à pareil jour finissant en payant ladite somme de 60 francs audit jour de feste Saint-Laurent.

    Dénombrement de 1681. - A l'origine l'abbesse est seule à jouir des droits qui précèdent ; au 17e siècle il n'en est plus de même: la mense capitulaire en absorbe quelques-uns dans leur intégrité, tandis que d'autres restent indivis entre cette mense et la mense abbatiale.

    C'est ce qui ressort du dénombrement du 25 mai 1681 sur lequel nous lisons:

    I. Parmi les biens qui constituent la mense abbatiale: la rivière de Thaon

    II. - Parmi les biens qui dépendent de la mense capitulaire:

    1e La seigneurie foncière de Thaon dont la justice est exercée par un maire, lieutenant et greffier créés par le Chapitre qui connaissent de toutes actions réelles en première instance.

    2e Un bois au finage de Thaon appelé ***fosse, la Goutte Meslé, le Jeune Bois ou la Coste, contenant cinq ou six arpents, dans lequel les habitants dudit lieu ont leur affouage et le Chapitre les amendes et les confiscations.

    3e Un muid d'avoine dû annuellement au terme de la Saint-Martin par chaque charrue de Thaon, ce qui fait approchant un rezal, mesure de Nancy. Un denier sur chaque fauchée de pré ; 4 gros pour chaque bête mise au regain ; 1 denier pour chaque porc mis à la glandée.

    4e Quatre gros d'amende dontre chacun des habitants de Thaon, Domèvre-sur-Avière et Igney ne comparaissant point au plaid bannal que le Chapitre a droit de tenir à Thaon deux fois l'année.

    5e Les menues dimes de Thaon et les trois quart des grosses.

    III. Droits indivis pour l'abbesse et pour le Chapitre.

    1e Droit de patronage sur la cure de Thaon.

    2e Les grosses dimes de Thaon dont le quart à l'abbesse et le reste au chapitre. (Archives des Vosges. - Cartulaire du Chapitre d'Epinal : fol. 401.)

    La Déclaration de la communauté faite en 1700, résume comme il suit l'état des revenus du Chapitre de Thaon: "Ladite communauté est redevable par chacun habitant qui fait sa charrue lui seul, devant la Saint-Georges de chaque année d'un demy-resal d'avoine et de deux petits sous d'argent que les dites vénérandes dames tirent à la Saint-Martin. - Elles tirent aussi quatre reseaux de seigle sur des particuliers de Thaon pour des successions qu'elles possèdent. Lesquels doivent payer lesdits grains par chacune année à la Saint-Martin. - De plus lesdits habitants sont redevables au terme Saint-Martin d'un denier par chaque jour de terre, desquels lesdites Dames tirent suivant qu'il est aussi porté par leurs titres, censies et terriers. Lesdites terres se montent à 666 jours. - Elles ont aussi lesdites Dames deux champs sur le finage dudit Thaon, lieudit sur la Martaye, l'un contenant 2 jours 1/2, et l'autre 1 jour 1/2, et elles en tirent desdits deux champs 2 reseaux de seigle et autant d'avoine à la Saint-Martin."

    Adjudication des revenus abbatiaux. - Anciennement les revenus que tiraient l'abbesse et le Chapitre de leurs droits à Thaon étaient perçus par le maire, le doyen, les banvards et les forestiers, chacun dans le ressort de ses attributions ; ceux-ci les versaient ensuite entre les mains du prévot capitulaire lors des plaids annaux. Au 18e siècle, il n'en est plus de même ; le Chapitre prend la méthode d'adjudication et afferme à un seul tenancier le produit de tous ses droits. Or on est pas sans éprouver une certaine surprise lorsqu'on parcourt les deux seuls procès-verbaux qui nous en ont été conservés. Sur le premier qui est une adjudication du 30 Novembre 1778 nous lisons que:

    Les muids et cens, les amendes champêtres, la moitié dans les dommages et intérêts prononcés pour délits commis dans les forêts, les droits appartenants au Chapitre dans les villages d'Igney, ensemble tous les droits du Chapitre à Thaon, autres néanmoins que ceux concernant les dimes, les ventes ordinaires des assiettes et bois chablis, tous ces droits ont été laissés à Sébastien Valence de Thaon pour un an, moyennant 200 livres (Ibidem : G. 154. Article 51.).

    Le second procès-verbal détermine en 1787 les mesures à employer dans la perception des cens en nature, la manière de s'en servir et leur valeur:

    Les cens se délivreront à l'avenir à l'imal d'Epinal qui vaut 6 pots, qui vaut 2 pintes ou 4 chopines et la chopine 4 roquilles.
    Le blé et le seigle se mesurent raz et l'avoine au comble ; le comble fait le tiers de la mesure raz, de sorte que huit pots raz ne font que six pots combles.
    L'imal comble vaut 6 pots qui vaut 4 chopines qui vaut 4 roquilles.
    Le total de cette année se répartit comme il suit:
    Argent : 21 sols, 6 deniers 1/2.
    Blé : 3 pots, 3 chopines, 1 roquille 1/2.
    Seigle : 45 imaux, 4 pots, 3 chopines, 2 roquilles.
    Avoine : 44 imaux, 2 pots, ……. 1/4 de roquille.

    On avouera que la répartition de ces cens en argent ou en nature sur tous les habitants, ne devait guère, par suite de modicité, leur être onéreuse.

    2.2.2. Mairies de Thaon - Impôts

    Un mot sur les prévôtés laïques et ecclésiastiques. - La prévôté laïque étant une subdivision du bailliage, Thaon faisait partie de celle d'Epinal. Or la juridiction de cette prévôté atteignait le village à des titres différents: pour le territoire appartenant au Chapitre, elle n'avait d'autre but que d'y assurer et d'y réglementer la levée des impôts généraux et certains cas de jurisprudence ; quand à celui dont le Duc de Lorraine était le seigneur, il retombait naturellement, comme les autres propriétés domaniales de la région sous l'administration du prévôt laïc d'Epinal.

    Au 18e siècle chaque prévôté laïque fut connu sous le nom d'Office, c'est ainsi que l'on trouve Thaon comme faisant naturellement partie de l'Office d'Epinal (Archives de Meurthe-et-Moselle : B. 11738.19).

    Le Chapitre avait aussi sont prévôt, chargé de la gestion de ses nombreux domaines: c'est assez dire que la prévôté ecclésiastique comprenait dans son ressort un certain nombre de mairies.

    Mairies. - Le territoire de Thaon dépendant de deux prévôtés devait évidemment renfermer deux mairies, l'une ressortissant du Chapitre (mairie ecclésiastique), l'autre de la prévôté d'Epinal (mairie laïque). Cette dernière ne s'étendait, comme nous l'avons vu, que sur le quart du territoire (petite seigneurie), tandis qu'aux trois autres s'adjoignaient encore les villages de Domèvre et d'Igney qui par le fait tombaient sous la juridiction de la mairie ecclésiastique de Thaon.

    A la tête de chaque seigneurie se trouvait donc un maire choisi respectivement par l'abbesse du Chapitre et par le duc de Lorraine, puis un adjoint qui portait suivant les époques les titres de doyen, échevin ou lieutenant de maire.

    Administration communale. - Après cet exposé, on pourrait croire qu'à Thaon il ne pouvait se trouver de communauté régulièrement constituée et par suite de conseil communal: il n'en est rien cependant, puisque nous voyons les habitants posséder en toute propriété un certain nombre de champs et de forêts et s'en partager les revenus dont la répartition nécessitait, par le fait, certains administrateurs.

    Il ne nous a pas été possible de retrouver la constitution d'aucun des conseils de communauté de Thaon, mais il est probable, pour ne pas dire certain, qu'au moins pour la période antérieure à l'édit du 12 mars 1707, il se composait du maire, du doyen et de quelques députés de chaque seigneurie.

    Liste des maires. - L'élection des maires étant laissée à l'arbitraire des seigneurs ecclésiastiques et laïcs, la liste, si elle était complète, en serait assez longue, d'autant que chaque année à la tenue des plaids annaux ils pouvaient user de leur droit. Les maires en charge portent le titre de maires modernes; ceux qui ne sont plus en fonction, continuent néanmoins à s'attribuer leur ancien titre.

    Dans l'énumération que nous allons en donner, les noms avec astérisque désignent les anciens maires; d'autre part nous indiquons, quand cela nous est possible les seigneuries qu'ils ont administrées par les initiales G.S. (Grande Seigneurie), P.S. (Petite Seigneurie).
     

    Maires de Thaon avant la Révolution 

    1444

    Jacquot

     

    1509 & 1522

    Arnould*

    G.S.

    1510

    Touvenin Génin

    P.S.

    1522

    Gœric de la Cheminée*

    G.S.

    1522

    André de Bouxières

     

    1564

    Richard Jean Richard*

    P.S.

    1564 & 1575

    Gœry de la Cheminée

    G.S.

    1564

    Demenge Gormant*

     

    1564

    Demenge Jean Lhomme

    P.S.

    1564

    Nicolas des Hières, leutenant de maire

     

    1575

    Jean Gormand

    P.S.

    1612

    Nicols Jean d'Arches

    P.S.

    1612

    Didier Adam

    G.S.

    1612

    Claudon Grosman*

     

    1655

    Savète

     

    1657

    Gabriel

     

    1684 & 1705

    Nicolas Perrin

    G.S.

    1688

    Dominique Fleurent

     

    1688

    Jean Davillé*

     

    1691

    Antione Larché*

     

    1700

    Nicolas d'Arches

    P.S.

    1706 & 1736

    Joseph Perrin

    G.S.

    1729

    Jean Dubois

     

    1736

    Georges Perrin

     

    1738

    Brice Jacobé (le jeune)

     

    1742

    Dominique Renaud

     

    1745

    Dominique Perrin

    G.S.

    1745

    Nicolas Collin

    P.S.

    1759

    Georges Balay

     

    1787

    Brice Lacroix

    G.S.

     Créances et dettes communales.- La seule créance que nous trouvions au nom de la Communauté de Thaon est un prêt de 400 fr. fait au duc Charles III (1569), pour l'intérêt duquel le receveur général lui verse 20 fr. (Archives de Meurthe-et-Moselle : B. 5942).

    Ce fut la malheureuse guerre de Trente-Ans qui la jeta dans des dettes, énormes pour l'époque, et dont elle fut autorisée à ne rembourser que les deux tiers, soit 1400 fr., aux héritiers de Nicolas Jean d'Arches.

    La construction d'une nouvelle église et des procès interminables grèvent ensuite le budget communal au 18e siècle. Voici en effet, ce qu'on lit sur une déclaration de 1738:

    La communauté doit au Sr. Michel, greffier à Epinal, 900 livres empruntées par Brice Jacobé, Laurent Lacroix, Gœry Aubertin, Jean d'Arche qui en ont passé contrat en leur pur et privé nom et dont la communauté doit les indemniser, attendu que ça a été à sa prière et qu'ils lui ont remis les deniers qui ont été employés pour la tour et ce qui a été à leur charge dans la construction de la nouvelle église, ladite Communauté en payant la rente.

    Ladite Communauté doit aux enfants de Fleurent de Chavelot 300 livres portées par contrat passé par Laurent Lacroix, Brice Jocobé et Joseph Vauthier, fondés de procuration de ladite communauté qui doit les indemniser, laquelle pour ce paye les intérêts chacun an, ladite somme employée comme celle ci-dessus pour ladite église.

    Ladite Communauté doit à l'hopital d'Epinal 1000 fr. empruntés sous le nom de Gœry Aubertin et Thouvenin Dubois que la Communauté doit indemniser comme ayant été chargés de faire ledit emprunt et icelui employé au profit de la Communauté pour les frais de voyages non récupérés au procès qui a été dans les tribunaux au sujet des limites de leur finage. (Le procès intenté contre la Communauté de Girmont dura dix ans).

    Ladite Communauté doit 625 livres payables à la St-Martin prochaine, pour un tabernacle et ce à Joseph Jeandel, sculpteur à Epinal.

    Ladite Communauté paye 125 livres par an pour les logements des pâtre et maître d'école.

    Le tout, outre les charges ordinaires, notament de l'entretien de la maison curiale conjointement avec la Communauté de Chavelot.

    Outre aussi les autres cens qui se payent aux seigneurs (Archives de Meurthe-et-Moselle : B. 11738.119).

    A la fin de la même déclaration, nous trouvons le relevé suivant des charges ordinaires de la Communauté:

    1. 24 Livres pour la moitié du Chapitre d'Epinal aux regains vendus par la Communauté en 1736.
    2. 30 livres dues à Georges Dubois et consors, pour la location de la maison du maître d'école.
    3. Joseph Perrin de Thaon a dit avoir pris à bail à son nom de ladite Demoiselle Claudel d'Epinal les droits du Domaine à Thaon pour le courant de la ferme actuelle, que néanmoins c'est au profit de la Communauté ; le prix est de 25 écus par an.
    4. Le même syndic a dit que, la fabrique du lieu n'ayant rien, il en coûtait chaque an pour luminaire, cordes, linges, ornements, vitres d'Eglise, etc.…, plus de 100 livres.
    5. Que pour les ports d'ordres, cas imprévus, voyages nécessaires des syndics pour son gouvernement, il en coûte encore beaucoup chacun an. (Le 10 Décembre 1740, en exécution d'une ordonnance du 21 Octobre, les créanciers de la Communauté de Thaon portent leurs titres au Lieutenant général du bailliage d'Epinal afin qu'il puisse en rendre compte au duc de Lorraine (Archives de Meurthe-et-Moselle : B. 11738.119).

    Impôts. - La Taille. - La Taille ou Aide ordinaire était un impôt que constituait jadis le rachat de la servitude. De seigneuriale qu'elle était primitivement à Thaon, elle fut domaniale, lorsque les ducs de Lorraine devinrent possesseurs de la Vouerie d'Epinal et adjudicataires de la Petite Seigneurie. Nous voyons, en effet, qu'en 1509 et 1510:

    Ceux de Thaon étant à Monseigneur le Duc, à cause de la vouerie d'Epinal doivent taille deux fois par an, assavoir à Pasques et à la Saint-Remy que ne montent et avallent. Et doivent pour leur taille de Pasques 8 fr. 3 gros, en quoi le seigneur de Baudrecourt a accoustumé pranre dès toujours le sixième, montant à 16 gros 1/2 et Monseigneur prend le demeurant, montant à 6 fr. 10 gros 1/2 (En 1607, les 8 fr. 3 gros appartiennent exclusivement à Son Altesse. (Ibidem : 5989)

    Et pour le terme Saint-Remy, la taille audit Thaon vaut 11 fr. en quoi le seigneur de Baudrecourt prend le sixième montant à 22 gros ; et le demeurant montant à 9 fr. 2 gros est à Monseigneur à cause de ladite vouerie d'Epinal (Archives de Meurthe-et-Moselle. - Comptes du receveur d'Epinal : B. 5915)

    En 1543, nous voyons dans la répartition de l'aide ordinaire de Saint-Rémy sur les villages de la prévôté d'Epinal, Thaon taxé à 92 florins. (Archives de Meurthe-et-Moselle. - Comptes du receveur d'Epinal : B. 5931)

    Spécimen d'un tableau de répartition pour Thaon. - Sur une répartition de la somme de 1116 fr. à prélever en 1666 pour l'Aide ordinaire de la Saint-Remy sur les villages du bailliage d'Epinal, Thaon est taxé à 84 fr. 4 gros, 2 blancs et voici le nom des habitants imposables et la quotité de leur taxe:  

    Le mari Nicolas Jean d'Arches

    Laboureur, à cause de sa charge

    Néant

    Antoine Vautrin

    Laboureur

    8 fr.

    Antoine Larchez

    Laboureur

    14 fr.

    Toussaint

    Laboureur

    10 fr.

    Nicolas Dubois

    Manouvrier

    3 fr. 4 gros

    Jean d'Arches

    Laboureur

    10 fr.

    Curien Aubertin

    Manouvrier

    4 fr.

    Pierre Mollothiey

    Agé de 80 ans

    4 fr.

    Jean Aubertin

    Pauvre laboureur

    4 fr.

    Noël Cornement

    Laboureur

    10 fr.

    Jean Benoit

    Laboureur

    7 fr. 2 gros

    Jean Jacobé

    Pauvre laboureur

    4 fr.

    Nicolas Perrin

    Pauvre laboureur

    5 fr.

    La veuve Didier Jacob

    Pauvre âgée de 80 ans

    1 fr.

    Georgette Gromand

    Tous pauvres

    1 fr.

    La Subvention. - C'était, au 18e siècle, la principale des impositions roturières : elle avait été substituée à la Taille ou Aide ordinaire et représentait ce que nous appelons de nos jours l'impôt foncier. Or le chiffre de la Subvention générale était fixé par le duc en son Conseil et envoyé à la Chambre des Comptes qui le répartissait entre toutes les communautés du Duché.

    Le Vingtième. - Cette contribution est une importation française qui fut imposée, en 1749, par un édit de Stanislas. Il se levait sur tous les revenus et produits des sujets lorrains, privilégiés ou non. En 1757 parut un nouvel édit qui établissait un second vingtième et 4 sols pour livre en sus du premier. C'est alors que le mécontentement public fit explosion.

    Or les Thaonnais sont dans l'impossibilité d'y faire face à moins d'opérer des coupes extraordinaires dans leurs forêts. Sur la fin de l'année 1758 ils adressent une requête à la Cour souveraine, déclarant "qu'ils ne peuvent payer ni le vingtième pour 1758, ni le double vingtième pour l'année précédente, non plus que les autres frais survenus pour la plantation de bornes à leurs bois". L'autorisation est seulement accordée en 1760 (Archives Communales : DD 1.).

    Les Ponts et Chaussées- Cet impôt, destiné aux ouvrages d'art des ponts et chaussées, fut ajouté à la subvention par une ordonnance que Léopold promulgua à la fin de son règne et dans laquelle il réservait néanmoins les Corvées pour la confection et l'entretien des chemins.

    Donnons ici à titre de document le taux variable que prend à Thaon la levée de la subvention et de l'impôt des Ponts et Chaussées.  

    Année

    Subvention

    Ponts & Chaussées

    1745

    1053 livres

    537 livres

    1759

    1120 livres

    716 livres

    1760

    1043 livres

    669 livres

    1763

    1174 livres

    717 livres

    1765

    633 livres

    425 livres

    1782

    827 livres

    793 livres

    1785

    830 livres

    758 livres

    1786

    763 livres

    734 livres

    1787

    752 livres

    726 livres

    (Archives Communales : CC. 1.)Enfin les cabaretiers de Thaon devaient 6 fr. au trésor pour droit de loger et tenir taverne (Lepage : Le Département des Vosges. Article Thaon).

    Outre les impôts généraux dont il vient d'être question, les ducs de Lorraine jouissaient des revenus seigneuriaux affectés à leur seigneurie de Thaon. En 1740, la Communauté, représentée par M. Perrin, devient l'adjudicataire de la ferme de ces revenus, moyennant la somme de 75 livres ; "mais ils ne consistent qu'en des accrues d'eau qui leur (aux Thaonnais) sont absolument nécessaires pour leurs pâturages auxquels ces accrues sont ouvertes" (Archives de Meurthe-et-Moselle. : B. 11738.119)

    2.2.3. Les plaids annaux

    Nombre de plaids annaux. - Au moyen-âge le seigneur convoque ses vassaux soit dans son propre château, soit dans un village plus central de ses domaines ; lui même préside l'assemblée reçoit l'hommage de ses sujets, encaisse leurs redevances, leur rend la justice ne dédaigne pas au besoin de les consulter et de régler de concert avec eux tous les points qui intéressent le bon gouvernement de ses terres.

    Ces assemblées se perpétuent à travers les siècles, subissant naturellement quelques modifications plus ou moins sensibles, mais ayant toujours pour but principal la proclamation des droits seigneuriaux, tant de justice que fonciers. Elles sont alors connues sous le nom de Plais annaux ou Plaids bannaux.

    En tant que seigneurs fonciers l'abbesse et le Chapitre d'Epinal avaient droit à des plaids annaux. Mais alors que, presque partout ailleurs, le seigneur se contentait d'une seule réunion annuelle, l'abbesse en tenait deux à Thaon qui avaient lieu huit jours après celles d'Epinal (13e siècle).

    L'abbesse, lisons-nous sur le Cartulaire du Chapitre (1729), a le droit de les tenir par ses officiers une ou plusieurs fois chaque année.

    Sur la fin, la règle admise en ce qui concerne la date fixée pour les plaids annaux, c'est qu'ils se tiennent à Thaon au printemps et à l'automne, le premier selon l'ancienne coutume, c'est-à-dire huit jours après celui d'Epinal, le second au jour fixé par l'abbesse en Septembre, Octobre ou Novembre (Archives des Vosges. Cartulaire du Chapitre : G 144. f. 99)

    L'endroit de leur tenue variait : tantôt ils avaient lieu dans la maison du maire ou plutôt devant sa maison, comme par exemple en 1699, tantôt à Martinfontaine ou Fontaine Saint-Martin, ainsi que le rapporte la tradition. Quelque temps avant la date choisie, l'abbesse ordonnait à son maire de Thaon de prévenir les intéressés du jour, du lieu et de l'heure qu'elle avait elle-même fixés (Archives communales : FF. 2. - Archives des Vosges. Cartulaire du Chapitre : G. 158 - Arch. de Meurthe & Moselle : B. 11719.)

    Composition des plaids. - lorsqu'elle daignait s'y rendre, l'abbesse était naturellement la présidente des plaids annaux. Assise sur une estrade préparée par les habitants, entourée de quelques uns de ses officiers et assistée de son maire de Thaon, elle se levait à un moment donné, puis montrant du doigt le finage qui lui était soumis et promenant son regard sur ses sujets assemblés, elle disait à haute voix: "Je suis seigneur de ce lieu".

    A défaut de l'abbesse, c'était un chanoine et le prévôt de son Chapitre qui la remplaçaient (Le 17 Novembre 1699, le plaid a lieu à 8 heures du matin)

    Non seulement les habitants de Thaon étaient convoqués aux plaids, mais encore ceux de Domèvre-sur-Avière et d'Igney, et quiconque refusait de s'y rendre sans excuse légitime était frappé d'une amende de 4 gros. (Arch. comm. : FF. 2. - Le 17 Novembre 1699, le chanoine président est Messire Nicolas Brégeot et le prévôt Jean Bruge.)

    Ordre du jour.- La séance ouverte, le maire lisait la convocation du plaid qui avait été antérieurement publiée par le sergent dans les rues de Thaon et des autres villages intéressés, puis il donnait un état des amendes infligées et de certains menus cens qu'il avait levés (Archives des Vosges : G. 151. 33.), portait à la connaissance du public les rapports du bangards et des forestiers (gardes champêtres et gardes forestiers), énumérait les bêtes mises au regain et rendait compte du nombre de charrues et demi charrues et des muids d'avoine qu'elles produisaient.

    A ce moment un des prêtres présents se levait et bénissait le Plaid "de part Dieu, de part Saint-Goëry et de part mesdites Dames" ; puis, sous peine d'amende, il défendait aux assistants de troubler la séance par des cris ou du bruit et des sortir avant sa clôture. Alors le greffier se levait et commençait à lire la longue énumération des droits seigneuriaux du Chapitre.

    Arrivait alors le tour des amendes champêtres. Pendant toute l'année les bangards ou gardes du ban constataient les délits et dressaient des procès-verbaux ; ils avaient soin, autant que cela était possible de gager, c'est-à-dire de saisir une pièce à conviction. Par exemple, s'ils trouvaient un cheval ou une vache dans une pâture interdite, ils ramenaient la bête au village et, comme disent certains procès-verbaux, la déposaient au greffe, d'où le propriétaire ne la tirait qu'en payant les dépenses et en signant lui-même le procès-verbal qui constatait le délit.

    Alors c'était seulement aux Plaids annaux que la punition était prononcée. Sur les réquisitions d'un procureur, l'abbesse échaquait l'amende, c'est-à-dire en fixant le taux, suivant le cas, faisant écrire à la marge du procès-verbal: "échaqué à cinq sols, à dix sols, à trois livres", ou bien: néant, si elle annulait le procès-verbal, ce qui arrivait quelquefois, quand le garde ayant négligé de réaliser ou gager, son affirmation était contredite par les intéressés (d'après E. Mathieu. L'Ancien régime. F. 301.).

    Après l'échaquement des amendes champêtres, venait celui des amendes forestières, celles portées dans le Bois-Banny exceptées ; puis l'on jugeait les rapports et les reprises faites dans tous les bois de la Seigneurie ; enfin l'on réglait les confiscations y échéantes, les ventes de bois et les coupes, sauf les restrictions reconnues par la transaction du 12 Mars 1612, relativement aux forêts dans lesquelles avaient droit les habitants de Thaon et de Domèvre (Archives des Vosges : G. 144. f. 99.)

    Avant la fin de la séance, on renommait les fonctionnaires inférieurs de la Seigneurie , maire, lieutenant de maire, échevin, greffier, sergent, qui étaient choisis sur une liste dressée souvent par les habitants ; d'après quoi, l'abbesse renouvelait les anciens règlements de police ou en promulguait de nouveaux (le 18 Septembre 1691, Nicolas-de-la-Croix est choisi comme greffier. - Ibidem : G. 152)

    Enfin l'on dressait le procès-verbal de la séance au bas duquel l'abbesse et ses officiers apposaient leur signature, puis tous se rendaient à un banquet. Au 13e siècle, le dîner précédait la tenue du Plaid et avait lieu chez le maire du Chapitre qui en prélevait les frais sur les "premiers chaiteilz" ou amendes échaquées. Plus tard nous voyons le comptable du Chapitre pour les revenus de Domèvre apporter à ce repas "le gatteau qu'il était obligé de fournir et rapporter tous les ans" (Ibidem : G. 191. - En 1705, le comptable est un nommé Claude, doyen de Thaon.).

    Ajoutons encore que tout nouveau venu à Thaon, devait, pour jouir du droit d'assister aux Plaids annaux, verser un droit d'entrée de 5 francs.

    2.2.4. Corvées et charrues

    Quartiers de terre propriétés du Chapitre. - Dans l'énumération des droits de l'abbesse au 13e siècle, il est dit en substance que:

    Madame possède en sa Mairie de Thaon 15 quartiers de terres dont 10 à Thaon et 5 à Domèvre. Chaque quartier par lui doit annuellement deux resaux de blé, 7 de seigle, et autant d'avoine sur lesquels resaux d'avoine moitié doit être à reilz (rase) et les autres à my (comble) ; d'autre part chaque quartier lui doit aussi 3 sous, une geline, et doit fournir en plus deux bœufs pour aller chercher du vin à Sainte-Roolaine ; celui qui n'exploite que le quart d'un quartier doit un bœuf pour le même charroi ; s'il manque un augenne à son quartier, il ne doit rien.

    Sur les 15 quartiers, le maire doit en avoir deux, les forestiers et le doyen, la moitié d'un: s'ils tiennent la terre, c'est à dire s'ils cultivent ce qui leur est attribué, ils en sont payés ou dédommagés.

    La lecture de ces quelques lignes paraît assez énigmatique surtout si l'on envisage ces vieilles coutumes à travers le miroir de notre civilisation actuelle. Cependant, les difficultés finissent par s'aplanir en établissant certaines distinctions.

    Chaque quartier par (pair), venons-nous de lire, payait les redevances énoncés plus haut: il y avait donc deux sortes de quartiers: les pairs et les impairs comprenant, les uns et les autres, des terres labourables et des prairies naturelles ou artificielles.

    Or les quartiers pairs semblent avoir été partagés, non pas en toute propriété mais en sorte d'affermage, entre les familles de Thaon et de Domèvre au prorata du nombre de leurs charrues, tandis que les quartiers impairs restent la propriété exclusive du Chapitre.

    Chaque famille cultive donc sa part qui lui est attribuée dans les terres labourables et récolte les prairies de la première catégorie moyennant certaines redevances en nature et quelques charrois de vin. Nous verrons qu'il n'en est plus de même en ce qui concerne les quartiers de la seconde classe.

    Curieux charrois. - Les possesseurs ou détenteurs d'une certaine portion de terre doivent, comme on l'a vu, fournir des bœufs pour le transport du vin de l'abbesse. Lorsque l'occasion s'en présente. C'est le maire qui est chargé d'y pourvoir et voici de quelle manière il s'y prend. Il parcourt d'abord le village en commandant son charroi ; cela fait, s'il a "mestier" (besoin) d'un char, il le prend là où il le trouve sans "encoisson" (récriminations) et il le fait aménager comme il lui semble bon. Les bœufs qu'il a désignés en commandant son charrois arrivent alors et lorsqu'ils sont joints, les propriétaires réclament au maire sûreté pour leurs animaux.

    Alors le maire s'adressant à l'échevin lui demande qu'elle garantie il donne, et celui-ci de répondre que si les bœufs viennent à périr durant le voyage, Madame l'abbesse devra les remplacer, sinon les réclamants retiendront les redevances qu'ils lui payent annuellement, jusqu'à concurrence de la valeur desdits bœufs.

    Corvées. - En ce qui concerne les quartiers impairs, la culture et la rentrée des céréales et des foins étaient faites par corvées. Le droit de prélation permettait alors au Chapitre de commencer avant les habitants du village et celui de corvée de se servir d'eux. "Madame a et doit avoir à Domeuvre et à Thaon les cruées (corvées), c'est-à-dire que chaque charrue lui doit à chaque saison de l'année deux services et 8 deniers". Il y a donc, comme on le voit, des corvées de charrue au printemps et à l'automne et il en est de même pour la récolte des foins et autres fourrages.

    Ceux qui y sont obligés, ce sont d'abord les détenteurs des quartiers pairs et pour chaque quartier ils doivent fournir une faux et une fourche, ou plutôt un faucheur et un faneur, car c'est l'Abbesse qui se charge de l'achat des instruments.

    Quant aux bouviers ou conducteurs qui prêtent leurs bêtes de somme pour la rentrée des denrées, c'est madame elle-même qui les suit à l'aller et au retour lorsqu'ils conduisent leurs chars de "fain" (foin) ou de "soir" (trèfle) ; de plus elle doit pour chaque voiture et pour chaque "geite" (jointe ou paire de bœufs) un demi-resal d'avoine. Lorsque toutes les voitures sont chargées, chacun va près de la sienne ou à sa renne et la prend, et si quelques attelages n'ont pu revenir par suite de rupture, ceux qui en sont propriétaires peuvent "aler au bois pour faire un autre char."

    Charrues. - On a vu qu'au 13e siècle chaque charrue devait au Chapitre "deux services et huit deniers" à chaque saison. Or voici en quoi consistait la charrue ; nous le trouvons indiqué dans la relation suivante:

    On ne comptera pour la double charrue que celui qui labourera communément 50 jours de terre à la roye et au-dessus, la forte saison comprenait la faible.

    La charrue entière sera réputée pour chaque habitant qui labourera avec ses seules bêtes quelque petite quantité que ce soit.

    Ceux (deux ou plusieurs) qui mettront ensemble leurs bêtes pour labourer, ne seront pas censés faire ensemble qu'une même charrue et n'auront ensemble qu'une même portion (de bois) et ne payeront ensemble qu'un muid.

    La double charrue payera deux muids comme du passé, la simple un.

    On considérera les charrues sur le pied qu'elles seront trouvées depuis l'automne inclusivement jusqu'a la Saint-Georges, temps auquel on fait la répartition (Arch. des Vosges : Cartulaire du Chapitre. Liasse 5. fol. 650.)

    Muids d'avoine. - Au bas de la convention qui précède se trouve la ratification du Chapitre datée du 5 Mai 1745 portant en outre la clause expresse que si une même personne faisait plus de deux charrues, elle payerait au dit Chapitre autant de Muids d'avoine qu'elle serait réputée avoir de charrues.

    Cette obligation, on le voit, était un impôt seigneurial assez particulier.

    Déjà en 1611 nous lisons:

    Tous les habitants qui font cultiver terre par quatre animaux, scavoir bestes à leur cultivement de saison, sont tenus de rendre et payer à mesdites Dames pour chacune charrue un Muid d'avoine, desquels le prévôt en fait compte à l'article des grains. (Ibidem : G. 153. Art. 22.).

    Et ailleurs (1729):

    Il y a une rente seigneuriale particulière mais commune, tant aux habitants de Domèvre que de Thaon, appelée les Muids d'avoine qui constituent à 4 imaux d'avoine par chacune charrue. A Domèvre ils se payent indistinctement par les habitants qui ne sont point de la seigneurie, comme par les autres (Ibidem G. 144 fol. 99.).

    Quelle est l'origine de ce singulier impôt? Elle provient de la Corvée en charrois due au 13e siècle par les laboureurs de Thaon. Par suite des guerres incessantes et des bouleversements extraordinaires qu'elles occasionnèrent au 16e et au 17e siècle, les braves cultivateurs de Thaon n'osaient probablement plus se mettre en route et aller chercher à Sainte-Roolaine le vin du Chapitre: d'aucuns y avaient peut-être laissé leurs chars et quelquefois leur vie et, pour s'affranchir d'un voyage aussi chanceux, ils avaient accepté une transaction et payé en nature, c'est-à-dire en avoine, les charrois en question, et c'est la Saint-Martin qui fut choisie comme échéance (Archives des Vosges. Cartulaire du Chapitre : G. 151. f. 33.).

    Le Muid d'avoine valait, en 1784, quatre imaux ; or; à cette date, les cultivateurs qui y sont tenus, forment un total de 28 charrues et payent en outre 1 gros 2 blancs (Ibidem: Layette, 17e Liasse, 5.), tandis que ceux qui n'ont que la moitié, le tiers ou le quart d'une charrue donnent proportionnellement suivant l'acte du 30 Avril 1745 (Ibidem: G. 155. 21.).

    La collecte générale de tous les muids versés en 1681 montait à peine à un resal, mesure de Nancy (Ibidem: G. 151. 33.). Le rapport, on le voit, n'était pas de bien grande importance. Chose assez curieuse, les laboureurs imposés parvinrent à obtenir du Chapitre un sensible dédommagement: dès avant 1742, ils s'étaient fait octroyer la propriété et l'usage de 7 arpents de bois dans les forêts du Chapitre (Ibidem: Layette, 17e Liasse, 5.)

    En 1745 nouvel accord entre les laboureurs et l'abbesse:

    "En interprétation de la transaction précédente par laquelle il est convenu que des sept arpents destinés aux laboureurs et à ceux qui payent le muid d'avoine, trois seront pour l'indemnité du droit ancien de prendre bois pour chars et charrues, à répartir à proportion des bêtes tirantes et y compris celles qui tirent des charrettes.

    Les quatre autres arpents seront répartis entre les laboureurs au prorata des charrues et suivant que ledit Muid d'avoine de cens, consistant à présent en un demi resal, mesure actuelle d'Epinal, se paye au Chapitre, double, simple, par moitié ou quart."

    Exploitation du terrain cultivable. - Un seul état, et encore très succinct, des terres constituant l'étendue de la commune de Thaon est arrivé jusqu'à nous ; il porte la date de 1759 et nous donne les renseignements suivants:

    1. 2.000 jours de territoire cultivable, y compris 37 jours à la cure et 7 jours au Chapitre d'Epinal.
    2. 150 jours de prés
    3. 50 jours de chénevières
    4. 8 jours de jardin, non compris ceux qui sont attachés aux maisons
       (Archives Communales : CC. 2.).

    2.2.5. Vaine pâture

    Relevé des paquis communaux. - En dehors de quelques parcelles de bois, la communauté de Thaon ne possédait que certaines accrues d'eau appelées Paquis. Ces terrains, formés au détriment des prés et des champs riverains de la Moselle avaient une existence très aléatoire et n'étaient pas d'un produit bien fixe par suite des débordements aussi extraordinaires que capricieux de la rivière. En voici d'ailleurs un état que nous trouvons sur la déclaration de la Communauté faite en 1700.

    Pour à l'égard des paquis communaux il n'y en a point sinon des accrues de la rivière de Moselle, lesquels sont en gravier et cailloutage et remplis de bois de saulces, aulnes et genest, etc. ; et iceux proviennent tant de leurs preys et champs tellement que si lesdits habitants veulent avoir foin, il faut le prendre sur des champs comme n'ayant plus de preys d'ancienneté.

    Lesdits graviers se montent à la quantité de 155 jours, 8 omées, 7 toises et lesdits de Thaon payent tous les ans 9 fr. barrois tant à Son Altesse Royale qu'au seigneur de Girmont, à cause de l'ascencement de leurs preys et terres détruites de ladite rivière tant de son vieux cours qu'autrement.

    Ils déclarent aussi que ladite rivière étant dehors de son vieux cours, elle a détruit tellement le reste des prés et champs qu'ils ont encore un gravie en de ça la rivière actuelle mesurant 84 jours 1/2, lequel gravie est entre ladite rivière actuelle et le reste de quelqu'un de leurs champs qu'ils laissent comme jà dit pour avoir du foin.

    Ils déclarent aussi qu'ils ont encore un gravie contenant 69 jours, 1 omée, dont les trois quarts sont engagés à plusieurs habitants dudit lieu et autres villages circonvoisins et le reste est partagé entre ladite communauté ; l'argent de l'engagement a été employé aux dettes communales dudit Thaon et ladite gravie est entre une ancienne saignée de ladite rivière et leurs champs.

    Encore un autre Gravie dit "Sur le void de la Rose", comprenant 1 jour, 2 omées, 8 verges, engagé pour payer leurs dettes, près ladite saignée ci-dessus.

    Ils ont aussi un autre Gravie encore Sur le Void de la Rose, contenant 26 jours, 6 omées.

    De plus, un Gravie derrière leur église, de 18 jours, 22 toises.

    De plus, un Gravie devant leur église de 24 jours 3/4.

    Ils ont aussi une haye les Chenets, lesquels sont découpés pour cause des chemins qui passent au travers, lesquels ne portent point profit, d'autant que ce n'est que fontaines et lieux marécageux, contenant 44 jours, 8 omées, 15 toises.

    Dont en conséquence de tous ces Gravies, il est facile à voir que leur finage ne vaut pas grand prix, d'autant que leurs terres sont remplies de cailloux, genêts et autres et même à grande peine y peuvent avoir du seigle et sarasin pour entretenir leur famille (Archives de Meurthe-et-Moselle : Déclaration des communautés: B. 11719.).

    Une autre déclaration que nous donnons encore et qui est postérieure de 38 ans à la précédente nous renseignera sur le montant des revenus que les Paquis rapportaient à la caisse municipale:

    La communauté de Thaon, par ascensement fait en la Chambre des Comptes le 21 Août 1736, a 258 jours, 8 omées, 9 verges d'accrues d'eau aux environs de la Moselle, moyennant 30 francs de cens annuel au profit du Domaine du roi, le tout abandonné à la vaine pâture.

    La dite communauté a en outre 45 jours d'accrue d'eau, moyennant 9 francs de cens annuel envers le Domaine, ce qui se paye annuellement et dont la communauté n'a point vers elle les titres par écrit, cela étant marqué dans les registres du Domaine.

    Un paquis, dit A la Panne, contenant une fauchée, une ornée, dont le produit est de 3 livres.

    Un autre paquis, lieu-dit Au Void de la Rose, contenant 9 omées, laissé pour 4 livres, 10 sols.

    Un autre paquis de 8 fauchées en nature de pré, détenu par plusieurs habitants de Thaon depuis 1720, par forme d'engagement pour 163 écus, à 3 livres l'un, jouissant pour l'intérêt du produit dudit paquis dont le réachat peut se faire totiés quotiés en rendant par la Communauté ladite somme.

    Un autre paquis, dit On bas des Voids, contenant 4 fauchées, possédé par plusieurs par forme d'engagement pour 344 francs et dont le réachat peut se faire totiés quotiés.

    Les dites sommes provenant des engagements ayant été employées à défendre les finages contre les inondations de la Moselle.

    Des paquis ci-devant, la communauté n'a aucun titre par écrit, mais la possession immémoriale (Arch. de Meurthe-et-Moselle: Déclaration des Communautés : 11738.119).

    Regains. Si les foins récoltés sur le Paquis constituent à peu près les seuls revenus de la communauté, il n'en est pas de même des regains.

    Depuis longtemps, lisons-nous sur une pièce de 1692, les Thaonnais ont coutume de conserver un canton de leur prairie en regain, partie pour le paturage de leurs bêtes grasses, l'autre pour être partagée entre eux. Or ils se sont rassemblés pour faire le partage les 22 et 23 Septembre et se sont séparés sans avoir rien fait parce qu'ils se sont refusés à acquiescer aux exigences de Nicolas Perrin, maire en la justice foncière de Thaon, qui réclamait une plus grosse portion que les autres, sous prétexte qu'il supportait une plus forte cote que les autres dans la subvention et dans les charges publiques (Arch. des Vosges : G. 140 f. 22)

    Les habitants dénoncent ces prétentions au Chapitre qui leur donne raison.

    Aliénation d'une partie des regains. - L'édification d'une église ou de tout autre monument communal de quelque importance est toujours fort onéreuse surtout pour un village privé presque complètement de revenus ; d'où nécessité pour les habitants de se sacrifier et de pourvoir personnellement aux dépenses extraordinaires. C'est ce qui a lieu à Thaon lors de la construction de l'église ; c'est pourquoi les habitants s'entendent entre eux et décident , avec l'approbation du duc de Lorraine, de mettre en regain pendant six ans une partie de leurs prairies jugées les plus convenables, jusqu'à concurrence d'une somme de 500 livres (1736, Archives Communales FF. 5.).

    En 1740, les paquis servent à la vaine pâture des bestiaux, à l'exception d'un seul dont la récolte est destinée à couvrir les intérêts d'un emprunt de 1000 fr. fait en 1721 par la Communauté à l'hôpital Saint-Maurice d'Epinal, dans le but de subvenir aux frais du long procès de 10 ans intenté à Girmont au sujet des bans et pâturages des deux communautés (Arch. de Meurthe-et-Moselle : B. 11738.)

    Fruits Champêtres. - Ce que l'on appelait vulgairement les Fruits Champêtres était pour certains villages une véritable source de revenus. C'est qu'en effet tous les fruits récoltés en pleine campagne, c'est-à-dire en dehors des meix ou jardins, devenaient propriété communale. A Thaon, la recette de ces fruits est nulle ; mais les regains de tout territoire sont placés dans la même catégorie et la communauté finit par voir sa caisse assez remplie grâce aux amodiations qu'elle en fait chaque année.

    Un décret de Stanislas vint réglementer en 1760 la question des regains qui souvent provoquait des procès interminables entre les communautés voisines. Chaque village dut faire deux parts de ses prairies livrées à la vaine pâture après la coupe des foins ; l'une continuerait à subir le parcours du bétail, l'autre serait mise en réserve et produirait du regain dont le profit serait partagé entre les seigneurs fonciers ayant troupeau à part et la communauté. Le décret avait cela de particulier que les propriétaires des prés enclavés dans la partie réservée, fussent-ils hors des limites cadastrales, n'avaient rien à réclamer sur le prix des regains s'ils n'étaient seigneurs fonciers.

    On se rend compte alors de l'acharnement mis par ceux que cette prescription touchait à se libérer d'une telle sujétion, et c'est à ce sujet, qu'en 1760, s'ouvrit un interminable procès entre la Communauté de Thaon et la demoiselle Mathieu, amodiatrice de la seigneurie d'Igney. Celle-ci possédait des pâturages sur le finage de Thaon, prétendait les soustraire à l'obligation de porter regain au profit de la Communauté. Mais le décret était formel : condamnée en première instance, elle vit le jugement confirmé en appel (1760-3, Archives communales : F F. 5)

    Les prés où l'on récolte les regains ne sont pas nécessairement amodiés, et il arrive parfois qu'ils sont convertis en pâturages. Or, la contribution moyenne fixée par le Chapitre et prélevée sur chaque bête rouge mis au champ est de 9 gros et lorsque le regain se trouve peu abondant, comme en 1706, elle tombe à 6 gros (Archives communales : F F. 2 - : Le Chapitre fixait une redevance pour chaque tête de bétail mise aux embanies - Arch. des Vosges G. 144. f. 99)

    Droit de parcours. - On comprend assez que les Thaonnais se soient, autant que possible, efforcés de mettre toutes leurs prairies en rapport de regains, sans en réserver la moindre parcelle pour la vaine pâture de leurs troupeaux, attendu qu'ils jouissaient de ce droit de vaine pâture même sur les villages voisins, à l'exception de Girmont. C'est, en effet, ce qui nous est indiqué sur la Déclaration de 1700:

    Les habitants possèdent en commun un droit d'usage de vaine pâture sur le finage d'Igney, à partir du chemin sortant dudit Igney, pour aller à Oncourt.

    Ils possèdent aussi les mêmes droits de vaine pâture sur les finages de Domèvre-sur-Avière et ce en toutes saisons, même ceux de la Communauté dudit Domèvre sont obligés de faire un chemin sur leur finage propre pour passer les troupeaux desdits de Thaon, en les conduisant dans le ruisseau dudit Domèvre, comme ayant droit de pasturer dans leur dit finage à prendre depuis le Champ de la ville en descendant jusqu'au rupx de corbez.

    Ils ont pareillement un même droit de vaine pasture sur le finage de Chavelot à prendre depuis le Champ Les penzes dit devant Baudémont en tirant au car (quart) de l'église dudit Chavelot.

    Et lesdits droits d'usage de vaine pâture sont appropriés aux dits de Thaon sur les finages ainsi dénommés desdits Igney, Domèvre et Chavelot et ce d'ancienneté (Arch. de Meurthe-et-Moselle : B 1X7X9)

    Dès avant 1574, des contestations s'élèvent au sujet de la vaine pâture entre Thaon et Oncourt à propos d'un bœuf de ce dernier village surpris dans un pourpris des forêts de Thaon "ledit pourpris estant de présent en nature de haye et treixe, entre le buisson de Saint-Gris et les fouillies de Domèvre, appoinctant au Rupt d'Avière d'une pointe et sur le chemin de l'autre". Après maints débats, les choses finissent par s'arranger: il sera dès lors loisible aux habitants d'Oncourt "de mener pâture et vain pâturer en tout temps leurs troupeaux de bêtes rouges à cornes et bestes blanches audit pourpris es bois de Thaon". Cette transaction est ratifiée par acte du 19 janvier 1604 (Arch. des Vosges : G. 151 et 191. Liasse 5, No. 4.)

    Territoire de contesté par Girmont. - Les débordements de la Moselle, changeant quelquefois son lit, provoquaient naturellement des discussions entre les villages riverains. Le Clocher, territoire ainsi nommé à cause d'un monticule conique qu'on y voyait autrefois, fut particulièrement et chaudement disputé entre Thaon et Girmont.
    Ce dernier village en revendiquait la propriété, prétendant que par sa position il devait naturellement lui appartenir. Mais on oubliait qu'autrefois la rivière arrivant au finage de Girmont, quittait brusquement la ligne droite pour se jeter sous les coteaux, arrosant le Clocher qu'elle avait à sa gauche et les prés ou les champs de cette communauté qu'elle avait à sa droite.

    Le Clocher ne faisait donc qu'un tout avec le territoire de Thaon.

    Mais sur les entrefaites, la Moselle ayant pris son cours direct jusqu'au lieu dit la Gayère, elle sépara le Clocher du finage Thaonnais et donna ainsi lieu aux prétentions des habitants de Girmont.

    Certaine de ses droits, la Communauté de Thaon concède alors pour trois ans à un nommé Aubertin la jouissance du terrain litigieux à condition de le mettre en prairie et de lui payer 9 écus et 16 fr. de vin.

    A peine Aubertin l'a-t-il entouré de palissades que les gens de Girmont au nombre de quarante, armés de pioches et de haches, renversent et brûlent la clôture. Le lendemain un procès était engagé. Condamnés une premiere fois en 1721, les Thaonnais en appellent au Conseil d'Etat qui casse le premier jugement, ordonne la restitution de l'amende consignée par eux et inflige à leurs adversaires de Girmont une amende de 400 livres payable à la Caisse Communale de Thaon, sans compter tous les frais de ce long procès qui avait duré dix ans. (Archives Communales : F. F. 12).

    En 1724, la route d'Epinal à Châtel qui passait au Nord sous le village de Thaon et gagnait directement les côtes de la Héronnière, fut fortement endommagée par les eaux et remplacée par la grande chaussée d'Igney à Thaon (Manuscrit Fiel.)

    Un dossier des Archives communales en fait encore mention en ces termes, en 1761: "Le grand chemin d'Epinal à Nancy régnait sous la côte de Chavelot à l'orient ; ce village était en bas du coteau. Le chemin continuait sous la chapelle de Paillé (démolie en 1778 par ordre de l'évêché de Saint-Dié), sous le village de Thaon, sous le moulin d'Igney, sous la côte et sous le bois de la Haronière, mais depuis plus de 90 ans on n'y passe plus. Chavelot a été reconstruit sur la hauteur, tous les chemins sont abolis, il n'en reste que ce qui sert pour mener les engrais sur les héritages, les cultiver et les vuider, et ce qu'il y a à observer, c'est que les chemins ont été incorporés à plusieurs endroits aux héritages, notamment à ceux cultivés dans la plaine par les habitants d'Igney, tant sur le ban d'Igney que sur celui de Thaon.

    Ce qui est aussi à remarquer sur l'ancien chemin d'Epinal qui était l'ordinaire avant 1724, temps auquel commença la confection des routes et de la Grande Chaussée d'Igney à Thaon, de ce chemin reste quelques vestiges qui ne paraissent pas partout auprès d'Igney ; on les voit encore mais réduits à trois ou quatre pieds de largeur ; on n'en a conservé ce reste que pour aller cultiver, engraisser et vuider les héritages: plus loin, vers Thaon, il n'en reste aucune marque, même où les habitants d'Igney cultivent". (Arch. Comm. : FF. 8, 1er cahier)

    2.2.6. La Moselle à Thaon

    Droits anciens sur la Moselle. - Au 13e siècle l'abbesse du Chapitre s'offre de temps à autre le plaisir d'une promenade en barque sur le cours de la Moselle à Thaon, et lorsqu'elle se livre au divertissement de la pêche, il lui est loisible "cherroyer sa nef (barque) et apandre ses filez 15 piés en sus de la rive" sans que personne puisse se plaindre.

    Si la pêche en barque cesse de lui plaire, elle peut se promener sur le bord de la rivière et y jeter ses amorces.

    De leur côté les Thaonnais sont encore assez favorisés relativement au droit de pêche: Les bourgeois peuvent, en effet, se sevir de la "trulle aippasse" (trouble épaisse ou à maille serrées), de la "verge" (ligne) et d'autres engins inconnus aujourd'hui tels que les "quatre reveleures et les brasseu sans paul (pieu) férir et sans verge". Et pour avoir le droit de pêcher il fallait agir, en s elivrant à ce sport, dans un but d'utilité exclusivement personnelle et n'en tirant aucun profit pécuniaire (sans faire vendaye - en 1324, nous trouvons aux Archives de Meurthe-et-Moselle. B. 428 une confirmation de Henry dauphin, évêque de Metz, touchant l'accord fait entre lui et Henry, comte de Vaudémont, au sujet de la Moselle entre Epinal et Châtel.).

    En 1729, le droit de pêche sur la Moselle est partagé entre l'église Saint-Gœry et l'abbesse:

    La pesche de la rivière, lisons-nous, les espaves, amendes, confiscations eschéantes dans ladite rivière à l'un et l'autre bord, depuis la Chapelle dit Paillé, jusqu'au dessus du Rang dit Ez-Tro, proche le finage de Vaxoncourt appartiennent à l'église St-Goëry et à Madame l'abbesse (Archives des Vosges : G. 144. 99.)

    La pêche est amodiée en 1763 pour 124 livres à un nommé Maurice Poitresse : Il a droit, d'après le bail, non seulement à la pêche, mais aux dommages et intérêts, épaves et confiscations qui n'excèdent pas 50 fr. Or la note qui suit déclare que "la réserve des amendes et de la moitié des confiscations excédant 50 fr. est un objet chimérique ; les habitants ayant le droit de pêche personnelle, il n'y a pas un rapport (procès) dans dix ans et une épave est phénomène inconnu." (Ibidem : G. 146 f. 4. 5.).

    Le petit ruisseau qui sort du Soché, près de Chavelot, n'est pas oublié: C'est la Communauté qui paye à la Saint-Martin une redevance annuelle de 30 gros pour le droit qu'ont les habitants d'y pêcher (Archives de Meurthe-et-Moselle : B. 11719, 1700)
    Quant à la chasse, elle est très avantageuse pour les Thaonnais, car suivant d'anciens titres ils déclarent avoir à leur disposition toutes les terres du bailliage d'Epinal (Ibidem.)

    Endiguement de la Moselle. - Si dans les premiers temps nous ne trouvons aucune trace des frais occasionnés pour l'endiguement de la Moselle, c'est que les évêques de Metz en supportaient eux-mêmes les charges. On a vu, en effet, les subventions importantes qu'ils octroyent "pour les convertir et les employer à la fortification et deffense des vannes et escluses de ladite ripvière audit Thaon, comme appert par les décrets et ordonnances desdites Excellences."

    En 1598, il n'en est plus ainsi, et ce sont les deux villages de Thaon et Girmont qui doivent supporter cette charge ; mais, comme certaines années les travaux urgents sont dispendieux et provoquent des conflits entre les deux communes, Thaon préfère s'affranchir de cette sujétion et, moyennant un dédommagement de 1.000 francs, somme une fois payée à Girmont, cette dernière consent à supporter tous les frais (Archives Communales : FF. 1.).

    Il faut croire que la transaction lui devient trop onéreuse puisqu'on en revint à l'ancien état de choses. En 1710, les Thaonnais déclarent, en effet, manquer des fonds nécessaires à "empescher les ravages et dégats des inondations de la Moselle". Pour se procurer l'argent, ils demandent au Chapitre l'autorisation d'engager pour quelques années un canton de terre qui leur appartient et qui lui contient 8 jours ou arpents, au lieu-dit Le Paquis du Clocher, situé au-delà du canal récemment construit près de la Moselle "ce qu'ils ne peuvent faire sans la permission et consentement de Mesdames qui sont dames foncières dudit Thaon". Celles-ci accèdent naturellement à la requête (Archives des Vosges : G. 146 f. 4. 5.).

    Terrible débordement de 1590. - Il est bien rare qu'une année se passe sans que la Moselle subisse un ou plusieurs débordements à la suite des pluies prolongées du Printemps et de l'automne et surtout à la fonte des neiges, Maintes fois les habitants riverains abandonnent à la hâte leurs maisons envahies et se retirent sur les côtes attendant avec plus ou moins de résignation l'écoulement des flots menaçants.

    Un des plus terribles débordements remonte à l'année 1590. A cette époque le village de Chavelot est bâti dans la vallée sur le bord de la Moselle et au pied du monticule où il se dresse fièrement aujourd'hui. La fonte des neiges accentuée par des pluies torrentielles gonfle subitement la rivière: en quelques heures toute la vallée se couvre d'une eau toujours montante qui commence à prendre des proportions effrayantes.

    Les habitants se sont enfui, se réfugiant sur les coteaux voisins et du haut de la Charade, du haut de ce triste observatoire, nos pauvres Thaonnais assistent navrés à l'engloutissement de leurs maisons. C'est une mer en furie toute fière des épaves qu'elle transporte au loin ; encore impuissante à la démolition des habitations qu'elles a envahies, elle s'acharne sur les champs et les prairies qu'elle ravine et dévaste dans toute l'étendue de la vallée.

    Chavelot plus encore que Thaon souffre des ravages du terrible débordement. Lorsque les habitants peuvent rentrer dans leurs tristes demeures, ils n'ont plus qu'à pleurer sur les ruines causées par le fléau : chariots, mobilier, bois de chauffage, animaux domestiques et bêtes de somme, tout a disparu emporté par la vague furieuse.

    Au sein de leur détresse, ils s'adressent au duc de Lorraine, Charles III, le suppliant de venir à leur aide: chose très inquiétante pour eux la Moselle a changé de cours, se créant un nouveau lit tout près de leur village et menaçant de tout emporter au prochain débordement. Afin de parer à ce danger imminent, ils se hâtent de projeter la construction d'une grande vanne dont les frais seront couverts, ainsi que l'autorise Charles III, par un octroi mis sur toutes les voitures chargées passant par Chavelot.

    Cet octroi, dit M. Fiel, se payait depuis 17 ans, lorsqu'en 1607, les habitants de la ville et du bailliage d'Epinal s'adressèrent au même duc, lui demandant que cet impôt ne pesât plus sur les habitants du bailliage. Je n'ai point de réponse du duc de Lorraine ; ce qui est certain, c'est que, trois ans après, comme le danger devenait plus imminent. Henri le Bon qui avait succédé à son père, se trouvant à Plombières, donna ordre, le 7 Septembre 1610, aux officiers du Domaine d'Epinal de se transporter sur les lieux et de commencer les travaux nécessaires afin de donner un nouveau cours à la Moselle.

    Afin de couvrir les dépenses d'une telle entreprise, le bailliage est imposé pour une somme de 1600 fr. argent de Lorraine, (le franc, ou plutôt la livre de Lorraine valant 13 sous 1/2 de France). La ville d'Epinal contribue à cette somme pour le chiffre de 200 livres ; mais avant de verser leur contingent, les villages du bailliage demandent connaissance de la somme rapportée par l'octroi de Chavelot. On répond à leur réclamation en les obligeant à verser de suite les deux tiers de leur imposition.

    Destruction de Chavelot. - Hélas! Il était trop tard. Les travaux projetés depuis vingt ans étaient à peine commencés qu'une inondation plus terrible encore que les précédentes s'abat sur le pauvre village. Se jetant avec rage dans le nouveau lit qu'elle s'est créé, la Moselle s'engouffre de là dans les rues, y tourbillonne avec fureur, battant en brèche et renversant successivement toutes les maisons.

    L'église elle-même, malgré ses solides murailles cède au flot dévastateur et tombe sous les terribles poussées d'eau que provoquent les remous formidables des constructions qui s'abattent tout autour ; elle s'effondre lourdement au milieu de craquements sinistres, lançant dans les airs des tourbillons écumants qui retombent avec fracas et se ruent en vagues mugissantes contre ce qui reste encore debout. Quelques instants après, tout le village avait disparu ; trois maisons seules restaient encore, plus ou moins ébranlées.

    A Epinal, dit M, Fiel, de mémoire d'homme on n'avait vu pareille inondation et sur l'un des tilleuls du cours on peut encore lire la date de 1610 marquant la hauteur à laquelle était parvenu la Moselle lors de ce débordement.

    Débordement de 1760. - Depuis la catastrophe de 1610, la Moselle continuait à couler le long de la côte de Chavelot et arrivait sous Paillé, au bas du monticule qui porte le nom de Derrière l'Eglise.

    A quelques mètres en aval du nouveau cimetière, elle bifurquait ; une partie se dirigeant à gauche coulait sous les champs de La Borde et allait alimenter le moulin d'Igney ; tandis que l'autre, continuant son chemin direct allait rejoindre son ancien lit par Les Mottes et La Gayère. Déjà elle avait renversé l'ancienne maison de cure avec une partie de son bouverot, plusieurs autres maisons et détruit plus de mille arpents tant de chenevières que prés et champs et bouleversé une partie du terrain où se trouvait l'église et le cimetière.

    Elle menaçait encore d'envahir la chaussée qui relie Thaon à Igney et après elle le village, lorsque Stanislas, par une corvée commandée et à laquelle prirent part trente communes, la contint dans son lit par une vanne qui a donné son nom à cette partie du village. Les travaux terminés Stanislas aurait dit en voyant la note de frais: "Si j'étais à recommencer, je mettrais le feu aux quatre coins de ce mauvais Thaon et je le rebâtirais sur les côteaux."

    Canal du moulin d'Igney. - C'est encore à M. Fiel que nous céderons la parole au sujet des difficultés que les Thaonnais éprouvèrent et du procès qu'ils soutinrent pour obtenir l'abolition d'un canal construit sur leur territoire par un sieur Benoît Aubry, meunier à Igney, canal qui les exposait à tous les inconvénients des débordements de la Moselle.

    De temps immémorial, le moulin d'Igney était alimenté par un canal qui allait chercher les eaux de la Moselle sur la côte rouge à leur sortie du finage de Thaon et pour ce droit les propriétaires payaient annuellement un cens de six chapons et quelques deniers à la commune de Châtel à qui, depuis sa sortie de notre territoire appartenait la Moselle.

    Mais ce canal finit par ne plus être entretenu parce que les meuniers trouvèrent plus commodes de se servir des eaux qui leurs arrivaient de Thaon, depuis que la rivière, quittant son lit, coulait sous la côte de Paillé. Cet état de choses dura jusqu'à ce qu'elle eût repris son cours ordinaire sous les coteaux de Girmont.

    Le meunier d'alors, voyant qu'il ne recevait plus d'eau par cette voie que dans les inondations lorsque le trop plein de la rivière se jetait sous les Côtes de Paillé et trouvant trop dispendieux les travaux à faire pour remettre la canal dans le premier état, fit un barrage dans la Moselle et ouvrit à côté, vers la fin du finage de Chavelot, un autre canal qui commençait à environ 168 toises au-dessus de Paillé et amenait les eaux sous Thaon par le jardin détruit de l'ermitage jusqu'au moulin.

    Notre commune, menacée de voir de nouveau la Moselle prendre un cours qui lui avait autrefois occasionné tant de dégâts dans sa prairie, poursuivit devant qui de droit le meunier Benoît Aubry. Sa réclamation fut appuyée par Madame l'abbesse qui, en sa qualité de maîtresse des eaux dans toute l'étendue du territoire de Thaon, se trouvait lésée dans ses droits de pêche.

    Aubry fut condamné non seulement à payer une amende de 50 francs, mais aussi à briser sa digue et à combler le canal. (Archives communales : FF. 1.)

    2.2.7. Les Forêts

    Gruerie. - L'ensemble d'un certain nombre de forêts seigneuriales ou domaniales formait ce que l'on appelait une gruerie à l'administration de laquelle était proposé un officier nommé gruyer. Celui-ci, dit M. Bonvalot, a un triple office: Administrateur, il prend l'initiative de tout ce qui peut améliorer la forêt, il en tire par une exploitation judicieuse le parti le plus avantageux ; comptable, il encaisse le prix de vente des bois et des autres produits forestiers, ainsi que les amendes pour mésus ; juge, il punit sur les rapports des gardes forestiers les infractions aux règlements et ordonnances.

    Chaque bailliage possédait un gruyer préposé à l'administration des bois domaniaux, sans préjudice des gruyers ecclésiastiques entretenus par de riches abbayes pour la surveillance et l'exploitation de leurs forêts. A côté du gruyer du bailliage d'Epinal se trouvait donc celui du Chapitre, le premier nommé par le duc de Lorraine, le second par l'abbesse.

    A partir de 1707, chaque gruerie prit le nom de Maîtrise.

    Droits anciens. - d'après le rouleau du 13e siècle, les habitants de Thaon possédaient à cette époque la Haute-Forêt, c'est-à-dire qu'ils avaient le droit d'y couper le bois nécessaire à la construction de leurs maisons, à la confection de leurs voitures et de leurs charrues et le bois mort pour leurs affouages ; d'autre part le laboureur qui payait le muid d'avoine pouvait encore aller chercher, le soir de la Saint-Martin ou de Noël, une voiture de bois "telle qu'il voulait la charger".

    La Haute-Forêt était donc le seul bois possédé par Thaon et encore était-il divisé indivis avec Domèvre-sur-Avière. Or cette possession était plus fictive que réelle et ne représentait guère qu'un droit d'usage jadis concédé par l'abbesse et n'entraînant aucun des avantages sérieux de la propriété véritablement foncière.

    C'est ce qui nous explique comment le Chapitre, inquiet de certains empiétement, revendique , sur cette Haute-Forêt ses droits de propriétaire. C'est contre la Communauté de Domèvre-sur-Avière que des poursuites sont engagés. Après avoir passé devant toutes les juridictions, l'affaire finit par être portée à la Cour de France et le roi Charles VII prend fait et cause pour les paysans inquiétés. Défense est faite aux Dames d'Epinal d'avoir à troubler désormais les habitants de Domèvre "par leurs gens, prévôt, maire et autres officiers dudit Thaon dans les droits, franchises et libertés qu'ils ont dans les bois" du Chapitre. (Archives Communales de Thaon : FF. 2 - Sur le refus des habitants de Domèvre de se soumettre aux injonctions du Chapitre, le prévôt de l'abbesse s'était avisé de saisir tous leurs porcs un jour qu'ils étaient à la glandée et de les conduire à Epinal. Après la décision de la Cour de france, le Chapitre eut naturellement à rembourser des dommages-intérêts pour cette spoliation radicale, 29 Mai 1456.).

    Les Rappes d'Aucourt. - Les droits que Thaon et Domèvre avaient en commun dans la Haute-Forêt devaient nécessairement provoquer des conflits. Dès 1522, on essaye d'y remédier par un modus vivendi conclu entre les deux communes, avec l'assentiment du Chapitre. Dorénavant les "Rappailles dites d'Aucourt devers le ban de Fomerey jusqu'à la rivière d'avière prenant au moulin de Monsieur de Darneulles appartiendront à Domèvre" et l'on conservera seulement indivis quelques rappailles situées sur la rive droite de l'Avière en face de Thaon.

    Ce n'est pas sans dédommagement que les Thaonnais ont renoncé en faveur de Domèvre à l'usage sur les Rappes d'Aucourt, car ceux-ci leur concèdent à leur tour des droits analogues sur le bois de la Haute-Futaye (Archives des Vosges, Cartulaire du Chapitre : G. 144. 59)

    Bois des Communailles. - Nouveaux tiraillements entre Domèvre et Thaon au sujet du "Bois des Communailles dessus Perrel". Après un premier accord intervenu en 1575, on finit par s'entendre et, le 10 Août 1593, les deux communautés passent une transaction d'après laquelle "elles partagent entre elles ledit bois pour les usages à elles concédés" (Le bois de communailles avait pour limites: le Bois le Duc, le Buissson St-Gœry, le Champ Baudrel et plusieurs autres champs de Domèvre, le bois Barny de Thaon et des champs de Domèvre). Quant à la propriété foncière, elle restera au chapitre ainsi que le produit des amendes portées contre les mésusants (Archives des Vosges. - Layette 17, Liasse 5 du Cartulaire).

    A la suite de cet accord Thaon entre en possession de la moitié de la forêt contestée, celle qui touche au Bois le Duc et au Buisson St-Gœry ainsi que d'une autre parcelle de la même forêt "suivant les limites en ladite transaction" et enfin d'un "héritage lieudit On Chorbois", compris entre les héritiers Houot, le Chemin des Pavés, le Bois de Thaon et plusieurs champs (Ibidem : G. 144 f. 99. - d'après un arpentage fait en 1596 à la réquisition des officiers de la Gruerie d'Epinal, le Buisson Saint-Gris (Gœry) contenait 30 arpents, 7 omées, 3 verges, et le Bois le Duc, alias St-Pierre, 206 arpents, 3 omées. - Cartulaire, Layette 17, Liasse 5.)

    Transaction de 1612.- A Force de jouir de certains droits d'usage très importants dans plusieurs bois du Chapitre, à force d'émettre des exigences toujours plus prononcées et même dans certains empiétements, les habitants de Thaon trouvent tout naturel de prétendre à la propriété foncière de ces mêmes bois.

    L'action qui est intentée contre toutes leurs prétentions traîne en longueur à leur grand détriment et après des procès fort coûteux ils n'arrivent à aucun résultat favorable et sont obligés, par la transaction du 12 Mars 1612, de reconnaître à l'avenir que "le Chapitre a la seigneurie foncière et la propriété de tous les bois situés au finage de Thaon, l'usage et l'utilité en vaine et grasse pâture, en affouage, marnage, chef couvrir (faites de maisons à couvrir), chars, charrettes, charrues entretenir" ; que cependant l'Abbesse veut bien leur en laisser l'usage ancien à eux et à leurs successeurs aux conditions suivantes stipulées sur la transaction:

    1º (Les habitants de Thaon) seront tenus de reprendre chacun an du mayeur desdites Dames et Chapite audit Thaon, les glandées desdits bois, scavoir pour la première embouchée, le jour de la feste Nativité de Notre-Dame, dite Crollebois, et le recour le dimanche avant la Saint-André (30 Novembre), au défaut de quoy ils en seront privés et en pourront lesdites Dames et ledit Chapitre disposer à leur volonté et discrétion, desquelles reprinses ou non ledit mayeur sera tenu les advertir ou leur prévôt dès le lendemain de chacun desdits jours pour cas de défaut en disposer comme dit est, de laquelle églandée en payant audit Chapitre un denier par porc pour la première embouchée et autant pour le recour, ils pourront disposer entre eux sans toutefois y emboucher porcs appartenant à autres que de leur communauté à peine de confiscation de tels porcs étrangers et mal embouchés.

    2º A l'égard de leur affouage ils le pourront prendre au bois mort et mort bois sans assignal comme d'ancienneté ; mais quant à l'égard du bois pour marnage, leur chef couvrir, chars et charrues entretenir, ils ne pourront qu'ils ne leur soit assigné et marqué par ledit mayeur, sans en pouvoir vendre ni transporter hors dudit Thaon. Bien leur sera-t-il loisible de s'en vendre l'un l'autre pour leur usage audit Thaon de celui provenant de partage à eux fait en corps de communauté en la présence, assistance et assignal du mayeur dudit Chapitre, à charge de, en tout cas, user desdits bois en bon père de famille et n'y commettre abus, à peine, conformément à la coutume, de recevoir règlement de la part desdites Dames et Chapitre tels que portés par les articles de gruerie de Son Altesse Royale, de quoy faire ledit Chapitre s'est réservé le pouvoir, comme aussy s'est retenu et retient pareils droits en ladite utilité que lesdits habitants pour les nécessités que lesdites Dames et Chapitre pourront avoir tant pour bâtiment audit village, ban et finage qu'autres nécessités qu'elles y pourraient avoir, sans toutefois en pouvoir vendre ny donner non plus que lesdits de Thaon, si ce n'est d'un mutuel consentement.

    3º Toutes les confiscations qu'escherront audit bois seront et demeureront comme d'ancienneté communes entre lesdites Dames et Chapitre pour la moitié et auxdits habitants pour l'autre, pourvu toutefois qu'elles ne procèdent d'abus par eux commis en corps de communauté, auquel cas lesdites confiscations seront et demeureront pour le tout auxdites Dames et Chapitre, l'eschaque et modérations  desdits confiscations étant auxdites Dames et Chapitre comme du passé.

    4º A été passé un traité et accord entre lesdites parties que les amendes qu'escherront au Bois des Communailles dont mention est faite au partage du 10 Août 1595, demeureront et se diviseront comme elles y sont édictées, et lequel partage lesdits de Thaon ont en tant qu'il leur touche peut et doit toucher, confirmées et ratifiées par les présentes.

    5º Les amendes qu'escherront ez autres bois situés audit ban et finage sont et demeureront pour le tout auxdites Dames et Chapitre comme d'ancienneté, privativement desdits de Thaon et de tous autres (Archives des Vosges : Cartulaire du Chapitre : G. 191, Liasse 5.)

    Avant d'aller plus loin et pour l'intelligence des transactions, quelques notes explicatives sont ici nécessaires sur la Glandée, les Amendes et les Affouages.

    Glandé ou Paxon. - La Glandée, appelée aussi Paxon, était le droit qu'avaient les habitants de Thaon d'envoyer leur troupeau de porcs parcourir les forêts du Chapitre. Nous le trouvons déjà au 13e siècle:

    Ceux qui ont droit à la paxon au bois, est-il dit sur le Rouleau, ce sont les bourgeois du village qui payent un denier pour chaque porc annal mis à la glandée et aussi un denier (plus tard c'est une obole) pour le "pourceil marsonge" (cochon de lait), et les forestiers prélèvent sur la recette "les sangles deniers et les sangles mailles" (pièces de monnaie de minime valeur).

    La glandée est annoncée, comme l'indique la transaction précédente la dimanche qui précède la Nativité-Notre-Dame appelée Crollebois (Archives des Vosges : Cartulaire du Chapitre : G. 153. f. 21.), et les bourgeois intéressés doivent en faire leur reprise, c'est-à-dire leur déclaration par devant le maire du Chapitre, le jour même de la Nativité (première embouche) et à la fête de St-André, 30 Novembre (recour).

    Au début, il n'y avait pas de "recour": le droit à la glandée se payait une seule fois, tandis qu'en 1612 on verse autant au "recour". A cette double contribution pécuniaire s'est ajoutée une autre contribution en nature plus onéreuse encore, lorsque le nombre des porcs mis à la glandée par un particulier est supérieur à 7. Dans ce cas le forestier choisit et s'adjuge le plus beau et l'abbesse en fait ensuite autant. Au dessous de 8, il est seulement payé un denier pour chaque "porc annal" et une obole pour "la marsonge" (d'après la transaction de 1522, la Glandée était indivise entre Domèvre et Thaon même dans les bois partagés, et d'autre part l'héritage attribué à Thaon à la suite de l'accord de 1593, ne comportait pas de droit à la Glandée.

    Confiscations et amendes. - Dans le cas de fraude de la part des habitants, c'est-à-dire, soit qu'ils n'aient pas fait leur déclaration préalable, soit qu'ils aient cherché à dissimuler le nombre de leurs porcs supérieur à 7 en essayant d'en attribuer à des voisins moins bien fournis et complaisants, soit qu'ils aient envoyé à la Paxon des cochons venus d'un village voisin, il y a confiscation totale, dont une moitié revient à la Communauté et l'autre au Chapitre.

    Toute les contraventions aux règlements du Gruyer étaient frappées d'une amende que l'on échaquait (déterminait) à la tenue des Plaids annaux. En 1522 ceux qui sont surpris commettant dégât dans les bois et transportant le produit de leur vol avec un char ou une charrette sont taxés les premiers à six, les seconds à trois francs, tandis qu'en 1611, le taux de l'amende est uniforme et fixé à 4 gros.

    Mais la recette des amendes ne se partage pas comme celle des confiscations: on en fait trois parts égales ; la première pour le Chapitre, la seconde pour le forestier, dénonciateur et la troisième pour le duc de Lorraine. Ce dernier tiers, lisons-nous, est destiné à obtenir main-forte, c'est-à-dire prise de corps de la part du pouvoir séculier sur ceux qui se refusent à payer leur amende. Celles du Bois des Communailles sont réservées au Chapitre ; néanmoins toutes les autres ne sont pas d'un fameux rapports (152X).

    Au commencement du 17e siècle, le total des amendes pour les trois villages de Thaon, Igney, Domèvre ne montait pas à plus de 100 fr.

    Défrichements et affouages. - D'après le Rouleau chaque habitant de Thaon a le droit d'opérer des défrichements dans les bois du Chapitre, à condition d'en prévenir le forestier et d'en obtenir l'autorisation. Si le défrichement a été fait à son insu, le forestier peut saisir le terrain et l'attribuer à un autre à condition que celui-ci versera 7 deniers, payera ensuite le droit de terrage à l'abbesse et donnera au dîmier ou paulier la première gerbe récoltée sur le terrain défriché.

    A cette époque, les forêts couvraient alors la plus grande partie du territoire, ce qui explique cette latitude extraordinaire donnée aux défricheurs et la possibilité de fournir des affouages avec le seul bois mort. Si un particulier a besoin pour son utilité personnelle ou celle de sa maison d'une coupe spéciale de plusieurs arbres, le maire la lui attribue aussitôt et lui désigne les pieds qu'il peut abattre ; mais l'intéressé n'a pas le droit d'en faire commerce, c'est-à-dire de les vendre en dehors de Thaon, et la même réserve existe encore pour la portion affouagère.

    Plus tard, lorsqu'après de nombreux défrichements les forêts ont sensiblement diminué, le bois mort ne suffit plus pour les affouages ; on procède donc à leur aménagement et l'on fait chaque année des coupes réglées de bois vert dont les frais d'exploitation sont supportés par les habitants, comme par exemple en 1729, où nous les voyons verser 9 gros pour chaque portion. C'est ce que nous appelons aujourd'hui la marque (Arch. des Vosges : G. Layette 17, Liasse 5, No. 7.)

    Etat des forêts en 1700. - La déclaration faite en 1700 sur l'état des forêts sises sur le territoire doit naturellement trouver place ici ; nous la transcrivons donc in-extenso:

    A l'égard des bois communaux dudit Thaon ils appartiennent auxdites vénérandes Dames. Il y en a un qui contient 1480 jours, 7 verges et à la queue d'icelui il y a encore un petit bois contenant 353 jours, 5 verges ; il y en a la moitié qui est remplie de fontaines et ne profite ni en bois ni en herbe.

    Et l'aboutissement de 1480 jours, 7 verges, se prend joignant celui de Chavelot et le bois appelé le Bois St-Pierre de Chaumousey, d'une part et celui ci-dessus d'autre part.

    Dans lesquels bois lesdites vénérandes Dames emportent toutes les amendes des reprises qui s'y trouvent être faites et s'il s'y trouve des dégradations dans iceux tout l'intérêt se partage par moitié entre les dites vénérandes Dames et ladite Communauté. Et même lesdites Dames n'en peuvent point vendre sans le consentement de ladite Communauté, ni ladite Communauté sans celui desdites Dames, sinon tout le bois mort que ladite Communauté a droit d'enlever et de couper.

    Ils ont pareillement droit, lesdits habitants de Thaon, d'usage de perpétuitez dans lesdits bois. Et chaque habitant de ladite Communauté de Thaon a droit de couper du bois dans lesdits bois pour son chauffage et pour s'en servir tant en marnage de maison, couvre-chef, que pour faire char, charrue et les entretenir, d'autant que lesdits bois sont en bois de chêne, foux (hêtre), chermine, tremble, boule (bouleau) et autres croissant sur le sable et cailloux comme n'ayant point d'autres terrains dans leur finage.

    Lesdits habitants ont pareillement droit de mettre des cochons lorsqu'il y a du gland et de la feine dans lesdits bois, en demandant néanmoins auxdites vénérandes Dames permission, à cause du droit de reprise. Cependant les habitants qui mettent des cochons dans lesdits bois sont redevables auxdites vénérandes Dames d'un denier par teste de chacun desdits cochons au terme St-Martin.

    Ladite communauté de Thaon possède aussi une rapaille et buisson partables par moitié avec la Communauté de Domèvre-sur-Avière, entre le Haut Bois-Banny de Thaon et les héritages de Domèvre.

    Et pour à l'égard de la moitié desdites rapailles et buissons, elle se prend le Bois le Duc et le Buisson Saint-Gris et le champ Baudrel d'une part sur le Bois-Banny de Thaon icelle contenant 55 jours, 8 omées, 9 toises, le tout suivant qu'il est porté par les lettres en copie dudit partage ci-jointes de l'année 1595.

    Lesdits habitants de Thaon emportent pareillement un canton desdites rapailles en l'autre moitié desdits de Domèvre prenant à la borne du champ Jean Eulry, tirant par le vieux chemin jusqu'au champ Baudrel, ledit chemin d'une part et lesdites rapailles (portion de Thaon) d'autre part et contient ladite moitié 22 jours 1/2, 4 omées, 4 toises 1/2. De plus emportent lesdits de Thaon la moitié des rapailles appelées les Rappes des bas des chênes, leurs dits bois d'une part et plusieurs champs de l'autre.

    Et s'il s'y trouve des reprises être faites dans lesdites rapailles, le tiers de l'amende vient à Son Altesse Royale et les autres tiers se partagent par moitié entre lesdites vénérandes Dames et la Communauté.

    Ils ont aussi un canton en nature de rapailles appelée la Haie du Chennecieux entre leurs champs de part et d'autre et contenant 12 jours, 9 omées.

    De plus, ont encore une autre rapaille appelée Lassanceau, joindant d'une pointe sur le Bois Banny et contenant 8 jours 1/2, 15 toises, le tout en vaine pâture (Arch. de Meurthe-et-Moselle : B. 11719).

    Cette pièce n'est, on le voit, que le résumé des règlements et des transactions précédentes, et il n'y a guère de changé, ou plutôt d'aboli, que le droit exorbitant du forestier de Thaon et de l'abbesse de s'attribuer un porc sur huit mis à la glandée (En 1735, à la suite de chicanes provoquées par les officiers de la Maîtrise d'Epinal, un accord intervient entre ces officiers et le Chapitre ; les premiers reconnaissent que celui-ci est bien propriétaire des Rappes d'Aucourt, du Bois des Chênes et du Buisson St-Gœry et fait par le fait que les agents du Domaine n'ont plus à instrumenter dans ces forêts. (Arch. des Vosges : Registre des Délibérations du District d'Epinal. No. 5).

    Aménagements des forêts. - Avant l'année 1742, l'exploitation des forêts était assez peu réglementée et laissée trop souvent à l'arbitraire ; ce fut seulement à la suite d'un arrêt de la Cour souveraine du 7 Avril de cette même année qu'il fut procédé à leur aménagement. Naturellement de nouvelles difficultés surgirent ; il fallut donc les résoudre par de nouvelles transactions et l'on s'en tint aux conclusions suivantes:

    Il y aura un Quart de réserve aux cantons de Chennesieux, Garos et Pransurieux, de la consistance de 430 arpents ; le surplus de la forêt faisant 1358 arpents sera divisé en 25 coupes annuelles sur le pied de 25 ans de recrue et de 52 arpents, 3 omées par coupe annuelle, aux charges portées par ledit arrêt et rappelées par ladite transaction il a été convenu:

    Que dans chaque coupe de 52 arpents, 3 homées, le Chapitre aura chacun an la pleine et entière disposition de 20 arpents 3 omées à prendre chaque fois en présence du syndic de la Communauté à un bout de l'assiette ou à l'autre, au sort.

    Les sept arpents qui seront à la suite des vingt arpents, trois omées du Chapitre seront aux laboureurs et à ceux qui payent le cens dit le Muid d'avoine, pour satisfaire aux droits de la voiture qui leur était due par les anciens titres chacun an ; à répartir entre eux suivant que chacun paye ledit cens dit le Muid d'avoine et à proportion. Les 7 arpents serviront encore pour satisfaire au droit que tant lesdits laboureurs qu'autres habitants avaient de prendre bois en ladite forêt pour leurs chars et charrues.

    Les 25 autres arpents à prendre en continuant le triage seront pour tous les habitants, même pour ceux qui payent ledit cens dit le Muid d'avoine, pour leur servir d'affouage et tenir lieu de tous les autres droits qui pouvaient leur appartenir en ladite forêt, sans préjudicier à celui d'avoir des arbres pour maronages et pour leurs toitures, non plus qu'au droit de vaine pâture en se conformant aux ordonnances et aux conditions et règles prescrites par ledit arrêt pour les séparations, balivaux et bois de réserve, en faisant aussi pour la grasse pâture les reprises accoutumés et droitures anciennes dues audit Chapitre tant pour lesdits usages qu'autrement.

    Le prix des houpies des arbres de maronage, le prix des chablis eschéant dans ladite forêt se partageront par moitié l'une pour le Chapitre et l'autre pour ladite Communauté, et de même le prix des arbres épars dépérissant et autres que le roi pourrait permettre de vendre dans ladite forêt par pieds.

    S'il se permet dans le Quart en réserve, dans la suite, des coupes et assiettes, le Chapitre y aura la disposition à son profit seul de 52 portions et 3 dixièmes ; 23 dixièmes les laboureurs et ceux qui payent le Muid d'avoine, pour les voitures 7 portions, à charge de laisser prendre ce qu'il faudrait pour les chars et charrues et les 25 autres pour l'affouage de tous les habitants en y comprenant même ceux payant le Muid d'avoine, ce qui leur est destiné faisant un préciput à leur égard.

    N'est au surplus dérogé par les présentes au droit de propriété, seigneurie et autres appartenant audit Chapitre, non plus qu'aux amendes à lui appartenantes. Les épaves, confiscations, se partageront par moitié conformément à la transaction de 1612 (En interprétation de cette transaction, il est convenu trois ans plus tard que sur les 7 arpents destinés aux laboureurs et à ceux qui payent le Muid d'avoine, trois seront pour l'indemnité du droit ancien de prendre du bois pour les chars et charrues, ces trois arpents à répartir à proportion des bêtes tirantes et y compris celles qui traînent les charrettes. Les 4 autres arpents se partageront entre les laboureurs au prorata des charrues et suivant que le Muid d'avoine de cens se paye au Chapitre. - Archives des Vosges, Cartulaire, Layette 17, Liasse 5, No. 8.)

    Dernières modifications. - A quoi aboutirent tant de transactions au 19e siècle, M. Fiel va répondre à cette question?

    Cette dernière transaction , dit-il, dura sur ce pied jusqu'au milieu du 19e siècle. Alors, après de forts démêlés entre cultivateurs, elle subit par sentence de la cour royale de Nancy les modifications qui changèrent, suivant les uns, le mode de répartition des droits des laboureurs, et ne fit suivant les autres, que confirmer les anciens usages.

    Cette transaction subit aussi des changements nuisibles aux affouagistes. Jusqu'alors ils n'avaient été qu'usagers de la forêt ; le gouvernement voulut les rendre propriétaires. Il fit estimer le fond de la portion qu'il voulut nous céder ainsi que la valeur des arbres, après quoi il nous abandonna la partie qui nous reste pour une autre partie qu'il nous enleva et qui fut le paiement de ce triste marché dont les suites ont été la réduction de notre affouage à la moitié, au tiers même de ce que nous tirions autrefois.

    2.2.8. La Justice

    Haute, moyenne et basse justice. - Aux seigneuries ordinaires il n'est fait attribution que d'une moindre portion des pouvoirs souverains et cette portion va toujours en décroissant selon que la seigneurie est une haute, une moyenne ou une basse justice.

    La Haute seigneurie possède la plénitude de juridiction en matière civile et criminelle et prononce des peines corporelles et pécuniaires. Cependant, nous ferons remarquer que la Petite seigneurie de Thaon, du jour où elle fait partie du domaine ducal, devient Haute seigneurie et jouit du droit de Haute justice réservé à Son Altesse.

    La Moyenne seigneurie n'a pouvoir que d'infliger des amendes égales ou inférieures à 60 sols et de statuer sur les affaires civiles inférieures à 10 fr. La Grande seigneurie de Thaon qui appartient au Chapitre d'Epinal est dans ce cas: C'est dire naturellement que l'abbesse ne possède que le privilège de la Moyenne justice et que la Haute est réservée au duc de Lorraine qui est ainsi Haut justicier de tout le territoire de Thaon.

    La Basse seigneurie se borne à sentencier sur de légères atteintes à la propriété, sur les abornements, sur les dommages et les saisies et à condamner à des amendes de 5 à 15 sols (selon les lieux), déterminées par le tribunal de la Basse Justice.

    A Thaon, le tribunal de Basse Justice est composé du maire, nommé par l'abbesse, assisté de l'échevin ducal, pour la Grande seigneurie, et du maire ducal seul pour la Petite.

    Droits de l'abbesse Moyenne justicière. - Les plus anciens de ces droits nous sont indiqués sur le rouleau du 13e siècle, où nous lisons en substance:

    Dans le ban de Thaon et les confins, l'abbesse a les trois quarts de la seigneurie dont elle doit justifier ; elle a le ban et le détroit, toutes les encoissons (affaires contentieuses) qui surgissent sur lesdits confins, c'est à scavoir les amendes de combattre (amendes pour coups portés), de racosse (infraction du ban), de torts faits et les pargies (amendes champêtres) et toutes les autres encoissons (affaires litigieuses), fors (excepté) les droits de Saint-Arnould.

    Si quelque affaire était porté seulement devant le maire et que le wans (gant) soit ployez, le maire l'instruit le mieux qu'il peut et s'il ne peut et s'il ne peut concilier les parties il renvoie à la Chambre de l'abbesse où il rompt le gant ployé, et lorsque Madame l'a pris en main, s'il juge à propos de cos férir (punir), elle le rend à la Haute justice en trois ou en deux parts (Archives des Vosges : G. 191.)

    Enfin, Madame jouit encore à Thaon de la connaissance, c'est-à-dire de la surveillance des mesures de blé et de vin.

    Procédure. - Le maire des Dames de l'Eglise Saint-Gœry juge avec l'échevin de Son Altesse en action réelle par semblant (1607).

    On le voit, sa compétence est limitée aux affaires exclusivement réelles qui se jugent par semblant, c'est-à-dire en première instance. Quand les parties ne se trouvent pas satisfaites, elles se pourvoient par appel devant le tribunal de l'abbesse (1607).

    Quant aux actions personnelles elles se traitent par devant le maire de Son Altesse, c'est-à-dire le maire de la Petite seigneurie et "les appellations qui s'interjectent des sentences (portées) par ledit mayeur, se vuydent par les gens de la justice d'Epinal" (Archives de Meurthe-et-Moselle : B5989)

    Amendes. - On comprend que les amendes infligées par chacun de ces deux tribunaux appartiennent aux seigneurs dont ils ressortent. C'est, en effet, ce qui a lieu:

    Les amendes eschues en la mairie de Thaon pour action réelle sont aux dames religieuses d'Epinal et celle d'action personnelle à Monseigneur (le duc de Lorraine) à cause de sa dite vouerie, esquelles le seigneur de Baudremont prend le sixième comme en la taille, montant et avallant selon les amandes qui eschéent. Pour cette année 1510 y sont eschues quatre amendes rapportées par Thouvenin Génin, maire.

    En 1607, les amendes pour actions personnelles sont au nombre de onze de chacune 4 gros, ce qui fait une somme totale de 3 fr. 8 gros sur laquelle le sieur de Baudrecourt ne prend plus rien.

    Outre les amendes d'action réelle et personnelle, il y a aussi celles qui proviennent des procès de pêche ou de bois.

    Les premières, du moins celles qui concernent la Moselle, appartiennent exclusivement à l'abbesse: "La rivière de Thaon et les épaves et amandes, ad cause de ladite rivière, tout est à Madame." (1453).

    Quant aux secondes, nous trouvons en 1612 une transaction qui en règle la destination:

    Toutes les confiscations qui escherront audit bois, seront et demeureront comme d'ancienneté communes entre lesdites Dames et Chapitre pour la moitié et auxdits habitants pour l'autre, pourvu toutefois qu'elles ne pocèdent d'abus par eux commis en corps de communauté auquel cas lesdites confiscations seront et demeureront pour le tout auxdites Dames et Chapitre, l'eschaque et modération desdites confiscations étant auxdites Dames et Chapitre comme du passé.

    A été passé un traité et accord entre lesdites parties que les amendes qu'escherront au bois des Communailles dont mention est faite au partage du 10 Août 1595, demeureront et se diviseront comme elles y sont édictées et lequel partage lesdits de Thaon ont en tant qu'il leur touche peut et doit toucher, confirmées et ratifiées par les présentes.

    Les amendes qu'escherront ez autres bois situés audit ban et finage, sont et demeureront pour le tout auxdites Dames et Chapitre comme d'ancienneté, privativement desdits de Thaon et de tous autres.

    A l'égard des prédictes amendes de mesus en preyries et autres fruits champêtres seront et demeureront telles qu'elles sont édictées et statuées par la coutume. Finalement a été passé traité entre lesdites parties que par continuation de ce que le temps immémorial s'est pratiqué audit Thaon, aux plaids bannaux que lesdites Dames et Chapitre ont droit d'y tenir par le mayeur et autres officiers deux fois l'année, se fera lecture auxdits plaids du rolle des droits seigneuriaux qu'elles ont audit village, ban et finage, tant sur les habitants qu'autrement et dont lesdits rolles les confins desdits ban et finage sont bien particulièrement déclarés (Arch. des Vosges : G. 191, Liasse 5.)

    Enfin le rouleau du 13e siècle nous fixe le taux des principales amendes:

    1º Amende de tort fait ……………………………………………………………. 6 deniers
    2º Amendes des terres, ou amendes champêtres …………………………………. 6 deniers
    3º Les raicosses (irruption dans le ban ou champ clôturé) ……………………….. 5 sous
    4º Les bans brisés ou bris de clôture…………………………………...…………. 5 sous
    5º Les amendes forestières……………………………………………..…………. 5 sous
    6º La plaie saignante……………………………………………………...………. 60 sous
    7º Les ambaneurs…………………………………………………………………. 25 sous

    En 1729, cette dernière recette est partagée à moitié entre le Chapitre et la Communauté de Thaon (Arch. des Vosges : G. 144. f. 99.)

    2.2.9. Sorcellerie à Thaon

    Un mot sur la sorcellerie. - La sorcellerie existe-t-elle ou a-t-elle jamais existé? Question fort embrassante, surtout si l'on envisage avec les préjugés et le scepticisme qui de nos jours sont de mode en tout ce qui touche au domaine préternaturel.

    Si l'on admet cependant la possibilité de phénomènes résultant exclusivement de la puissance et de la malice du démon, ce qui constitue en théologie une thèse parfaitement démontrée, la question se simplifie: c'est alors que le témoin des faits extraordinaires qui se déroulent sous ses yeux, ou l'auditeur des événements qu'un narrateur digne de foi lui atteste, n'a plus qu'à se recueillir et à juger sans parti pris de la valeur intrinsèque de ces manifestations étonnantes comparée aux forces naturelles ou extra naturelles capables de les produire.

    Et même dans la circonstance, l'hésitation peut être permise: la science n'ayant pas dit son dernier mot, on peut encore espérer la voir un jour nous étonner par ses découvertes qui, aujourd'hui, nous sembleraient merveilleuses.

    Jusque là, rien que de légitime et de sage.

    Cependant la question se précise davantage lorsqu'on vient à se trouver en face de personnes saines de corps et d'esprit qui déclarent péremptoirement être en communications plus ou moins fréquentes avec un certain agent d'ordre supérieur qu'elles disent être Satan en personne et qui, par suite de leurs relations occultes avec l'esprit du mal, produisent par des moyens simples, naturels, inoffensifs, absolument insignifiants et ridicules des effets extraordinaires qui contrecarrent ou anéantissent complètement les lois naturelles jusqu'alors connues.
    Et quand ces gens payés pour se taire par la perspective du dernier supplice qui les attend, quand ces gens sont légion et attribuent à un agent extra-naturel le pouvoir merveilleux dont ils jouissent, peut-on raisonnablement les traiter tous de farceurs, de névrosés ou d'hystériques?

    Le lecteur jugera par lui-même d'après l'exposé des faits et des événements que nous allons lui soumettre ; mais auparavant, il est bon de les renseigner sur la procédure usitée en Lorraine relativement aux prévenus connus vulgairement sous le nom de sorciers.

    Procédure usitée contre les sorciers. - Une personne passait-elle pour entretenir des relations avec le démon, ou bien était-elle l'objet d'une accusation semblable, aussitôt les officiers de justice la faisaient arrêter et conduire en prison préventive à Epinal où elle subissait bientôt son interrogatoire.

    Si les aveux était spontanés, dès lors l'affaire était jugée et le coupable condamné à la strangulation ; mais l'inculpé faisait-il entendre des protestations d'innocence, c'est alors qu'intervenait le bourreau, ou Maître des Hautes-œuvres, armé des instruments de la torture: les grésillons et l'échelle. "Les grésillons composés, dit Dumont (Justice criminelle : l. 80), de trois lames de fer se rapprochant à l'aide d'une vis qui les serrait à volonté, servaient à presser violemment le bout des doigts qui était introduits entre les lames jusqu'à la racine des ongles. Il suffit d'avoir eu le doigt pincé un seul fois en sa vie sous une pierre un peu lourde, pour se faire un idée de la douleur qui devait en résulter. Pour la rendre plus intolérable et empêcher en quelque sorte l'accusé de se soulager par le mouvement des autres membres comme en a généralement l'habitude, si cette première épreuve n'amenait pas des résultats attendus, on lui plaçait en même temps les doigts de pieds, surtout les orteils, dans un pareil étau, et alors il ne lui restait plus de ressource que celle de se tordre et de crier."

    Constatons en passant que tout prévenu qui a le courage d'endurer la torture et refuse des aveux est toujours remis en liberté. Il en est de même si l'inculpé rétracte ceux que lui ont extorqués les douleurs de la question, et la peine de mort n'est jamais infligé qu'à ceux qui reconnaissent formellement leur culpabilité.

    Lorsque les grésillons ne provoquent aucun aveu, on soumet le patient à un autre genre de torture plus douloureux encore: l'échelle.

    Construite dans la forme des autres, mais plus forte et à bâton anguleux, portant d'autre part à son extrémité un tourniquet en bois comme les haquets de brasseurs, l'échelle était placée d'un bout sur un tréteau d'environ un mètre d'élévation, l'autre bout posant à terre. On couchait dessus l'accusé, que l'on y attachait en bas par les pieds à l'aide d'une corde immobile, en haut par les mains à l'aide de la corde placée autour du tourniquet. Il y était étendu sans autre vêtement que sa chemise.

    Au moyen du tourniquet, on donnait à son corps et à ses membres une tension qui était graduée suivant son crime, ses forces et ses déclarations, en ajoutant à l'effet de la machine par un bois taillé en triangle aigu qu'on lui glissait sous les reins au moment de la plus grande tension. Pour que celle-ci fût satisfaite, l'accusé devait, avant le placement du bois, se trouver comme suspendu sans que son corps touchât à l'échelle.

    Exécution des sorciers. - Et maintenant quel est le genre de supplice réservé aux sorciers? Alors que dans le bailliage de Châtel la strangulation précède toujours le feu du bûcher, à Epinal la seule inculpée dont nous ayons la sentence judiciaire est condamnée à être brûlée vive: c'était sans doute dans la circonstance une aggravation de peine destinée à punir ses multiples forfaits.

    Les officiers qui doivent assister à l'exécution des coupables sont désignés sur les comptes du receveur du bailliage d'Epinal qui est chargé de prélever sur ces recettes de quoi les héberger après chaque supplice. On y trouve: le prévôt, l'échevin, le clerc juré, le receveur lui-même, le grand doyen, quatre sergents, le messager, le porte-enseigne et le ménetrier (Archives de Meurthe-et-Moselle : B. 5947)

    Le bûcher est dressé en dehors de la ville d'Epinal, sur le bord de la Moselle, à l'endroit appelé Grand-Gravot.

    S'agit-il de l'exécution d'un soldat convaincu d'homicide ou de tout autre crime entraînant la peine de mort, le coupable est conduit et exécuté à l'endroit même où il a commis son forfait. C'est ainsi qu'en 1672 nous voyons le receveur d'Epinal donner 3 francs à Noël Jacquemin pour "avoir conduict un soldat que l'on voulait faire passer par les armes, jusques au près de Thaon, et pour l'avoir encor reconduit jusques à Chavelot pour le faire enterrer." (Archives communales d'Epinal - Inventaire des) : Tome 3, 2e partie.)

    Sorciers des environs suppliciés à Epinal. - Durant la fin du 16e siècle et au commencement du 17e l'épidémie de sorcellerie battait littéralement son plein à Thaon et aux environs.

    Laissant de côté les sorciers dont la cause ressortissait au bailliage de Châtel, nous citerons seulement ceux des environs de Thaon jugés et exécutés à Epinal. En voici l'énumération qui est dressé d'après les comptes du receveur de cette ville:
     

    1570

    Un homme de Badménil, brûlé à Epinal

    Arch. de Meurthe-&-Moselle : B. 5940

    1575

    Une femme jugée à Epinal

    Ibidem : B. 5944

    1580

    Un homme et sa femme de Domèvre-s.-Avière

    Ibidem : B. 5949

    1585

    Une femme de Vaxoncourt

    Ibidem : B. 5952

    1594

    Une femme

    Ibidem : B. 5969

    1596

    Une femme

    Ibidem : B. 5972

    1601

    Plusieurs individus de Zincourt qui parviennent à s'enfuir

    Ibidem : B. 5980

    1615

    Un homme de Lonchamps

    Ibidem : B. 6001

    Sorciers de Thaon. - Sans nul doute, c'est Thaon qui tient le record quant au nombre des individus prévenus de sorcellerie et poursuivis devant la Haute justice du bailliage d'Epinal.

    Dès l'année 1539, le chef-lieu de notre département assiste à l'exécution d'une femme nommée la Grande-Berbe (Barbe) de Thaon. Les frais se sont montés à 33 francs 4 gros, tant pour les consultations demandées aux échevins de Nancy par les officiers de justice d'Epinal que pour les frais de voyage du Maître des Hautes œuvres, les dépenses engagées pour "l'estaiche" (poteau) à laquelle la coupable a été liée, le bois, les tagots, les engins et ustensils nécessaires à son supplice et enfin le dîner des officiers de justice (Archives de Meurthe-et-Moselle : B. 59X0).

    L'année suivante ont lieu à Epinal les débats très retentissants d'un procès intenté contre une vieille sorcière de Thaon, nommée Odile Aubert ; enfin l'année 1564 nous fournit les déclarations d'une foule de témoins qui viennent déposer au chef-lieu du bailliage contre un certain Colin Aubert, dit Mozel, originaire aussi de Thaon. Après avoir résumé ces deux procès, nous les donnerons in-extenso, au moins pour la curiosité de la chose (Le premier est tiré du manuscrit de M. fiel qui, dit-il lui-même, en a obtenu copie de M. le sous-archiviste des Vosges. Nous avons recueilli le second à la bibliothèque de la ville d'Epinal dans un volume in-folio (No. 153 de l'ancien catalogue) intitulé: Notice sur la Lorraine et renfermant nombre de manuscrits concernant cette province.)

    Odile Aubert. - Odile, âgée de soixante-dix ans, fille de Jacob de Voges et de Catherine Aubert est dénoncée comme sorcière à la justice d'Epinal, par Gœric-Jehan Jacob de Thaon. Elle est emprisonnée et après avoir subi la torture, mais étant "néantmoins libre et hors d'icelle (torture)", elle commence ses aveux (23 Juin 1540).

    Il y a environ quarante ans son grand'père et sa grand'mère ont été brûlés comme sorciers au Grand-Gravot à Epinal. Les reproches qu'on lui en fait continuellement la mettent hors d'elle-même et la poussent au mal. Un jour qu'elle est à la campagne, ruminant ses projets de vengeance, le diable lui apparaît et lui offre de lui enseigner l'art de confectionner des poisons avec des animaux immondes desséchés au four, et cela à condition de renier Dieu, la Vierge et son baptême.

    Elle accepte la proposition et, d'après les indications qu'elle reçoit, prépare de la poudre satanique dont elle a usé, avoue-t-elle, contre plusieurs personnes de Thaon, protestant d'autre part être pour quelque chose dans la maladie de son dénonciateur.

    La première fois qu'elle s'en sert, c'est deux ou trois ans après l'apparition diabolique, contre un nommé Mengin Duritel qu'elle soupçonnait lui avoir volé de la toile. Ayant mis un jour une pincée de sa poudre délétère dans ses aliments, celui-ci languit dix semaines et meurt.

    Vers le même moment, pour se débarrasser des assiduités malhonnêtes d'un certain Mauvaise Aventure, de Portieux, elle le rend malade après lui avoir insinué de cette poudre dans son vin.

    Son troisième aveu est épouvantable, car s'est le curé de Thaon lui-même qui devient sa victime. Sa "chamberrière" (domestique), nommé Nicole, veut se débarrasser de son maître et s'adresse pour ce à Odile Aubert. Celle-ci entrant aussitôt dans ses vues, s'empresse de lui donner de sa poudre mortifère et le pauvre curé se laisse tellement persuader par "les agnels" (paroles doucereuses) de sa bonne, que par trois fois successives il consent à en absorber dans son vin et dans ses aliments.

    Alors l'enflure gagne son corps et quelques jours après il a rendu sa vie.

    Et voilà que sur ses cendres à peine refroidies les deux mégères se livrent à la bonne chère, se vautrant durant plusieurs jours dans l'ivrognerie crapuleuse et mettant à sac la cave de leur victime.

    Les enfants eux-mêmes n'échappent pas à ses mains criminelles et ne peuvent trouver grâce devant elle. Un dimanche, de grand matin, elle s'introduit subreptissement dans la maison la maison d'un nommé Wauthier, de Thaon, puis se glisse adroitement jusqu'à la chambre à coucher sans tirer de son sommeil ni lui ni sa femme. Au pied du lit des parents un jeune enfant vagit dans son "bastellet" (berceau). Or, pour tirer vengeance de ce que le malheureux père n'a pas voulu lui céder un de ses champs au prix qu'elle en a offert, la satanée créature saisit brutalement le pauvre petit, l'étouffe dans ses langes et achève son œuvre de mort en lui étreignant violemment différentes parties du corps. On se figure le désespoir des parents lorsqu'à leur réveil ils ne trouvent plus que le cadavre affreusement meurtri de leur cher nourrisson.

    Une autre fois, vexée d'une simple plaisanterie que Jean d'Arches, de Thaon, s'est permise sur son compte en lui disant que "le millet qu'elle avait semé reviendrait après sa main comme les fourmis", l'horrible femme, profitant de son absence, se présente chez lui quelques jours après et, usant de paroles doucereuses avec la maîtresse du logis qui se trouve seule avec son petit enfant, elle parvient à s'en faire choyer. Alors pendant que la mère s'empresse de descendre à la cave lui tirer une chopine de vin, la misérable s'approche du berceau et cherche à enfoncer son pouce dans le crâne du petit innocent. Aux cris jetés par la victime, la mère remonte en toute hâte, surprend celle qu'elle allait gracieusement héberger dans la perpétration de son crime, et au lieu de la livrer sur le champ à la justice, elle supplie la mégère de rendre la santé à son enfant. Celle-ci s'y résout à contre cœur et fait préparer des bains et autres médicaments de sa composition qui soulagent et guérissent presque aussitôt le petit moribond.

    Effrayés à l'audition de tant de crimes, les juges enquêteurs cessent leur interrogatoire et n'en reprennent la suite que le surlendemain. Mais Odile Aubert s'est ressaisie et ne veut plus rien avouer. Il faut de nouveau lui appliquer la torture après quoi elle consent à continuer sa confession publique.

    C'est d'abord un sien neveu nommé Fleuriot qui, prétend-elle, l'aurait battue et chez lequel elle serait allée avec l'intention de l'étrangler durant son sommeil. Au moment où elle s'approche de son lit s'éveille, et comme à la portée de la main de Fleuriot se trouve un "marteau d'armes", elle juge prudent de s'enfuir.

    Pour avoir tué une poule d'Odile Aubert et n'avoir pas voulu la lui payer, un jeune homme nommé Gérard de Bouxières, de Thaon, devient l'objet de sa rancune. Un jour qu'il passe à cheval, la mauvaise femme effraye sa monture qui se cabre violemment et le projette à terre. Il est relevé à moitié mort et ses parents, au lieu de faire arrêter l'instigatrice de l'accident, trouvent plus prudent de l'inviter à un grand banquet donné en son honneur afin de calmer son courroux et obtenir des remèdes salutaires, ce à quoi d'ailleurs elle se prête volontiers, rendant la santé au jeune homme.

    Autre crime perpétré contre la domestique du curé de Domèvre-sur-Durbion qui, venue à Thaon il y a trois ou quatre ans avec un pannier de fruits, refuse d'en offrir à la prévenue. Celle-ci la suit à l'hôtellerie et glisse de sa poudre vénéneuse dans "la fricassée avec œufs" qu'elle s'est fait préparer. De cette viande empoisonnée les deux femmes font côte à côte leur repas, mais seule la "chambrière" du curé ressent les atteintes au poison qui agit rapidement et la fait mourir après quelques jours d'horribles souffrances.

    Une fois encore, "à l'instigation de l'ennemy son conducteur ayant préparé un pouldre mortelle de peaul de colleuvre (peau de couleuvre) prinse et trouvée entre les deux Notre-Dame", elle en jeta dans un potage qu'elle mangeait en compagnie de la fille Jehan Boullengier qui tomba aussitôt malade et cela parce que cette fille avait conseillé à sa mère de ne pas payer un imal de cendres que leur offrait ladite Odile. Après plusieurs jours de langueur et de souffrances, les parents de la malade invitent l'empoisonneuse à un grand banquet. Celle-ci, touchée de leurs supplications rend la santé à leur fille au moyen d'une saule broyée et infusée dans de l'eau.

    Enfin, pour avoir tardé à lui offrir un "blanc gastaul", Jehan Munier, de Dogneville, devient une des victimes de Odile Aubert qui, ayant broyé une certaine graine, en fait un breuvage mortel qu'elle verse subreptissement dans son verre un jour qu'il est à l'auberge de Thaon. Quelques jours après il n'est plus.

    Avec ce dernier aveu l'infâme sorcière déclare ne plus rien savoir.

    Une troisième fois on la met à la torture et elle finit encore par expliquer que plusieurs remèdes qu'elle a donnée pour contrecarrer ses poisons sont restés sans efficacité, et cela chaque fois que ses victimes ont déjà reçu l'Extrême-Onction.

    Devant ce demi aveu d'une multitude d'autres attentats, les magistrats enquêteurs ordonnent de mettre la prévenue une quatrième fois à la question. Mais le mutisme de l'accusée se poursuit et on la reconduit en prison en prison en attendant le jugement qui est bientôt prononcé par "les maistres eschevins et eschevins de la Justice de Nancy."

    La sentence ne pouvait être trop rigoureuse ; aussi Odile Aubert est condamnée à subir le carcan durant plusieurs heures sur une des places d'Epinal, après quoi elle est conduite au Grand-Gravot, hors de la ville. C'est là, sur les bords de la Moselle, que la malheureuse expie sur le bûcher l'épouvantable série de tant de crimes: liée solidement à une "estache", elle "est bruslée en ung feu tant que mort s'ensuyve à l'exemple d'aultres."

    Colin Aubert, dit Mozel. - Vingt-quatre ans plus tard, un procès non moins retentissant est introduit à la justice d'Epinal: l'inculpé est le neveu de la fameuse Odile et, si l'on s'en tient aux allégations des nombreux témoins convoqués dans le cabinet du juge d'instruction, ses méfaits sont non moins terrifiants que ceux de sa tante.

    Mais ici, et c'est ce qu'il faut faire remarquer, nous n'avons que des accusations, j'allais dire de simples soupçons produits par de nombreuses victimes de ses maléfices.

    L'analyse scrupuleuse que nous faisons de l'enquête nous amène aux constations suivantes:

    Quarante-deux témoins de tout âge, de tout sexe et de toute condition comparaissent devant le juge. Sur ces quarante-deux témoins, trente-trois se plaignent d'avoir vu un des membres de leur famille tomber plus ou moins mortellement victime du poison de Colin Aubert, dit Mozel.

    Quelle était la composition de ses poisons? La même que ceux de sa tante Odile: c'est-à-dire de la poudre provenant de bêtes venimeuses, crapaux, couleuvres et lézards désséchés au four et pulvérisés. Dès que Mozel parvient à en insinuer la moindre pincée dans la boisson ou dans les aliments de celui dont il veut tirer vengeance, aussitôt le poison produisant son effet, le patient tombe en langueur, voit l'enflure gagner son corps, ou bien se sent fortement atteint à l'estomac, aux entrailles et succombe enfin au bout de quelques jours.

    Plusieurs Thaonnais ont vu le prévenu ou ses enfants recueillant des crapaux ou des couleuvres et les faisant ensuite dessécher au four du maire Gormand. Chose non moins curieuse, un des témoins l'a aperçu par les champs, en compagnie d'un grand homme noir, frappant avec des verges sur une flaque d'eau pour attirer sur la campagne la grêle et la tempête et il ajoute que sur un simple signe de la croix de sa part le grand homme noir a subitement disparu.

    Le nombre de victimes du terrible Mozel est extraordinaire: près de cinquante personnes auraient subi les atteintes de ses poisons ou de son pouvoir diabolique, sur lesquelles vingt-huit auraient passé de vie à trépas. Plusieurs, sur leur lit de mort et après avoir reçu les derniers sacrements l'accusent formellement d'être l'auteur de leurs souffrances et de leur maladie incurable. L'un d'eux veut même user des grands moyens et appelle à son chevet les médecins les plus en vogue de Nancy et de Strasbourg: peine inutile, leurs médicaments sont sans effet. Quant aux animaux empoisonnés on en compterait une trentaine.

    Le seul guérisseur infaillible c'est Mozel lui-même, Mozel l'empoisonneur! Parvenez à force de flatteries, de prévenances, de politesses à calmer sa rancune, à recevoir de lui quelques aliments sortant de sa maison et le malade sera sauvé. Ce n'est pas toujours chose facile ; mais sa femme est là moins intraitable et plus compatissante aux douleurs qu'on lui signale et c'est par son intermédiaire que la plupart du temps l'on parvient à obtenir quelque remède.

    Et le remède qui paraît le plus efficace, c'est celui que nos bons Thaonnais appellent Métredart ou Mitridart, sorte d'antidote ou d'électuaire composé de plusieurs substances aromatiques et d'opium, dont le nom vient de Mithridate, roi de Pont et de Bithynie, qui passait pour l'avoir inventé. Ce médicament très composé aurait eu les mêmes propriétés que la thériaque que jadis on croyait propre à combattre les poisons et à guérir les morsures des animaux venimeux.

    A Thaon, le metredart semble d'un usage assez commun ; on en confectionne dans bien des ménages, mais ce qu'il y a d'extraordinaire c'est que celui que prépare Mozel a seul un pouvoir laxatif et par suite curatif. Le pain, le sel, le fromage, les poires sèches et même les cendres provenant de lui ou préparés chez lui produisent des effets analogues quoique moins efficaces.

    L'un des témoins cités, Claudon Vanney, après avoir absorbé les remèdes de Mozel, vomit un lézard tout vivant ; un autre, le forgeron Remey, sur le point de rendre l'âme, rend "raive (rave) vuie" ; un troisième enfin, après avoir éprouvé "une grosse enflure et tremblement", voit, au bout de trois semaines, son cou et son front se couvrir de "grosses aposthumes" qui amènent sa guérison.

    Les personnages le plus marquants de Thaon n'échappent pas à la vindicte de l'empoisonneur: le maire Gormand, le curé Messire Jean Aubert et son frère, son prédécesseur Messire Claude Parisot et autres tombent plus ou moins victimes de ses maléfices.

    Les motifs de son implacable rancune sont quelquefois des plus futiles: Mozel a été mis à la porte de certaine maison par suite de son importunité, on aura négligé de l'inviter à un festin de noces ou de fiançailles, il n'aura pu obtenir à l'auberge par suite de son ébriété un verre de vin qu'il réclame, son voisin encombrera momentanément le devant de sa maison, un pêcheur refusera de lui octroyer le poisson qu'il demande, l'un de ses enfants aura subi une correction bien méritée ou bien n'aura pas été choisi par tel ou tel cultivateur pour la garde de son bétail, tout cela suffit à exciter sa vengeance et à provoquer de sa part d'horribles représailles.

    Beaucoup lui reprochent ouvertement et publiquement ses agissements clandestins et diaboliques: Il se tient coi et n'intente aucune poursuite judiciaire contre ses diffamateurs. Bien plus, lorsqu'il s'aperçoit que l'on finit par le dévisager et qu'il se trouve menacé sérieusement, il prend la fuite et reparaît seulement lorsque l'émotion populaire est calmée. Il se souvient d'ailleurs, lorsqu'il opère ses fugues, des supplices infligés à ses proches parents: son frère Claudon, sa sœur Margoz, son grand-père Jehan de Voges et sa grand-mère, une sienne tante Marguerite et une autre Odile dont il a été longuement question, tous ont subi le dernier supplice et monté sur le bûcher: c'est le sort qui lui est réservé s'il n'opère de temps en temps quelque fugue en pays inconnu.

    Sa prudence est d'ailleurs extraordinaire: les accusations les plus offensantes ne semblent pas l'émouvoir et c'est tout à leur aise que certains Thaonnais le traitent publiquement d'empoisonneur, de genoy (sorcier), de confectionneur de grêle et de guetteur de haut chemin ; il ne songe pas un seul instant à les poursuivre en justice et à leur demander la preuve de leurs assertions.

    Quelles furent les conclusions du juge d'instruction à la suite de l'interrogatoire. Mozel fut-il condamné ou gracié, c'est ce que nous ne pouvons dire? Cependant, il est probable qu'à l'instar des autres membres de sa famille non moins coupables que lui, il subit encore le dernier supplice sur la fameuse place du Grand-Gravot à Epinal.

    Avant de donner le compte rendu in-extenso de cette mémorable enquête, il est utile de faire remarquer que, dans la circonstance, l'historien ne trouve pas les éléments de conviction qui se présentaient dans le procès précédent. Celui de 1540 renferme des aveux précis et bien catégoriques de l'inculpée ; celui de 1564 n'est que le résultat d'une enquête et ne rapporte que des faits nombreux sans doute, mais présentés la plupart du temps sous forme dubitative et n'acquérant une certaine force de démonstration que leur ensemble et leur sorte de cohésion.

    Comme on le verra, les accusateurs manquent presque tous de netteté et de précision dans leurs dépositions ; le plus souvent ils s'appuient sur des on-dit, des cancans de village qui ne fournissent aux faits dénoncés aucune garantie de véracité ; et, faut-il l'avouer, les maladies, les empoisonnements communiqués par le terrible Mozel ne seraient rien moins que prouvés si, de temps à autre celui-ci ne se mêlait de détruire l'effet de ses machinations et d'opérer par des remèdes naturellement insignifiants les cures les plus merveilleuses ; et c'est là, croyons-nous, le seul argument sérieux que l'on puisse invoquer pour démontrer sa culpabilité.

    Il est certain d'ailleurs que les juges ne s'en tinrent pas à cette instruction remplie d'allégations aussi vagues que peu certaines. Mozel fut sans doute mis à la question, interrogé minutieusement dans sa prison et les aveux seuls du prévenu purent fournir au tribunal les motifs d'une condamnation rigoureuse, si condamnation il y eut.

     2.3. Administration paroissiale

    2.3.1. Cure de Thaon

    Juridictions ecclésiastiques. - Quoique formant une des terres du temporel de l'évêché de Metz, Thaon paraît bien néanmoins avoir appartenu de tout temps au diocèse et à l'officialité de Toul. Sa proximité avec Epinal lui valut de faire partie du doyenné de cette ville et par suite de l'archidiaconé de Vôges (Pouillé de Toul, Année 1707)

    A partir de 1777, Thaon fut compris dans le diocèse de Saint-Dié alors créé et rattaché à l'archidiaconé et au doyenné d'Epinal. Enfin, lors de la réorganisation du culte (1801), Thaon se trouvant compris dans le canton de Châtel-sur-Moselle, la paroisse appartint au doyenné de cette ville.

    Annexe. - Avant le concordat, la paroisse de Thaon eut, de temps immémorial une annexe, Chavelot, que le curé desservait tantôt seul, tantôt avec le secours d'un vicaire non résident. Avant la Révolution, une église annexe était celle qui avait autrefois subsisté par elle-même et qui, à cause de la pénurie des prêtres ou des habitants, avait été unie à une autre.

    Quand donc et pourquoi Chavelot devint-il une simple annexe? C'est la question que nous n'avons pas eu à approfondir, cette localité n'intéressant notre récit que d'une façon secondaire. Cependant, si nous consultons les registres paroissiaux nous constatons que dès leur origine (1657) Chavelot est sous la dépendance de Thaon, puisque les actes de baptêmes et de sépultures sont indistinctement consignés sur le même registre.

    A s'en référer au Dictionnaire du Département des Vosges de M. Léon Louis, il semblerait bien établi que cet état de choses remonte à une haute antiquité, même avant l'an 1003, attendu que, d'après le susdit auteur, l'empereur St-Henri, dans son diplôme bien connu, aurait donné au Chapitre: "ad Tadonem una ecclesia cum capella, l'église de Thaon avec sa chapelle", c'est-à-dire son annexe selon l'interprétation donnée.

    Or si l'on prend capella, chapelle dans le sens d'annexe, il s'agit dans le texte original l'annexe de Dommartin (ancien Girmont). Nous lisons, en effet, sur le diplôme: "ad Domnum Martinum ecclesiam unam cum capella sibi subjecta, à Dommartin une église avec la chapelle qui en dépend" ; tandis que pour Thaon l'empereur St-Henri parle seulement de dix manses de Thaon et de l'église: "ad Tadonem mansos decem cum ecclesia". (Nous nous en rapportons ici au texte latin original et à la publication qui en a été faite dans les Documents de l'histoire des Vosges, mais dont la traduction juxtaposée est absolument fautive, du moins en ce qui concerne la donation de Thaon. Le Cartulaire du Chapitre, dans le compte rendu qu'il fait des libéralités de St-Henri, confirme d'ailleurs le texte original et ne parle aucunement de la chapelle ou annexe de Thaon)

    Il y a donc contradiction entre le texte original et celui que donne le Dictionnaire du Département des Vosges (Dictionnaire des communes du département des Vosges, par Léon Louis. Article sur Thaon). La même contradiction existerait-elle de nouveau relativement à un autre diplôme de l'archevêque de Trier confirmant, en 1216, les libéralités de St-Henri et la possession par le Chapitre d'Epinal de "l'église de Thaon avec sa chapelle et dix manses, Ecclesiam de Tadone cum capella et decem mansos". Si la contradiction n'existe pas, l'union de Chavelot à Thaon remonterait alors au 12e siècle, mais comme l'original de ce document nous a échappé, citons ce que dit le docte M. Lepage à son sujet:

    Il est aussi fait mention de l'église de ce lieu (Thaon) dans une charte de Thiéry, archevêque de Trier, par laquelle il confirme les possessions du Chapitre.

    Et encore une fois, il n'est pas question de la fameuse chapelle ou annexe.

    Patronage de la cure. - Le chapitre d'Epinal était collateur de la cure de Thaon. Qu'est-ce à dire?

    Chacun sait que le pape et les évêques seuls ont le droit de conférer les pouvoirs et les emplois ecclésiastiques, mais qu'ils peuvent abandonner à d'autres le choix des personnes qui en seront investies. Aujourd'hui, par exemple, c'est le gouvernement qui désigne les évêques et c'est le pape qui les institue. Ce droit de nomination, distinct de l'institution canonique et dont le gouvernement seul jouit à l'égard des évêchés, était exercé avant la révolution, sur tous les bénéfices par des patrons ecclésiastiques ou laïcs, par des abbés ou des abbesses de monastère (c'est le cas pour Thaon), par des chanoines, par les ducs de Lorraine ou les rois de France, par des seigneurs, quelquefois par de simples paysans qui nommaient aux bénéfices sous la réserve de l'approbation et de l'institution canoniques.

    La cure de Thaon avait donc pour patron ou collateur l'abbesse du Chapitre d'Epinal qui, comme telle, jouissait aux offices de l'église paroissiale de droits honorifiques tout spéciaux. La première elle allait à l'offrande, marchait la première aux processions et recevait la première l'encens et le pain bénit ; elle avait son banc au chœur et ses armoiries étaient placées bien en vue (Cardinal Mathieu : l'Ancien régime, f. 110-116)

    Concours. - Le patronage avait on le voit de multiples inconvénients, entre autres celui de lier continuellement les mains à l'évêque, et d'exciter les ambitions et les compétitions les plus répréhensibles. C'était à l'Eglise d'essayer de se dégager des liens de cette institution et de reconquérir son droit de nomination. Elle réussit en partie au Concile de Trente.

    Ce Concile, au milieu d'une société toute hérissé de privilèges, proclama hautement la supériorité du mérite personnel, et pour lui ouvrir un accès plus facile vers les bénéfices, il imagina le moyen qui, dans notre société démocratique, sert à recruter les services publics: le Concours. Il fut établi que les bénéfices de patronage ecclésiastique, comme celui de Thaon, seraient soustrait pendant huit mois à la collation des Patrons et réservés au Pape ; que celui-ci délèguerait dans chaque diocèse l'Evêque pour les conférer au plus digne et que le plus digne serait désigné par un tribunal de gradués en théologie, après une épreuve publique, à laquelle pourraient prendre part tous les clercs de bonne vie et mœurs.

    Le concours fonctionna en Lorraine jusqu'en 1790 et la cure de Thaon était du nombre des paroisses ainsi concédées, pourvu qu'elles vinssent à vaquer dans un des mois de Janvier, Février, Avril, Mai, Juillet, Août, Octobre et Novembre qu'on appelait les Mois du Pape et en dehors de la vacance du siège pontifical (Arch. des Vosges : G. 144. f. 122)

    Il n'est pas sans intérêt de constater que l'Eglise de Lorraine faisait une large place au talent pauvre, à une époque où tant de portes lui étaient fermés, et que bien des fils de paysans lui ont dû une situation qui les élevait au-dessus de leurs seigneurs, et leur assurait, avec l'honneur du sacerdoce, les ressources de l'étude et de la dignité de la vie (On signale dans le Cartulaire (1632-1670) quatre pièces disparues qui justifiaient, pour le Chapitre, la jouissance du droit de patronage - Layette 17, liasse 1.)

    2.3.2. La dîme

    Origine de la dîme. - La dîme était le droit qu'avait l'Eglise de prélever, pour les frais du culte et l'entretien de ses ministres, le dixième du produit des biens de la terre.

    L'usage de donner ou de payer la dîme est presque aussi ancien que le monde. Dans l'Ancienne Loi elle fut établie en faveur des Lévites par Dieu lui-même, lorsqu'il donna sa loi à Moïse sur le Mont Sinaï ; dans la Nouvelle, elle fut remise en vigueur non par Jésus-Christ, mais par des règlements ecclésiastiques fondés sur cette parole de Saint-Paul que "le prêtre doit vivre de l'autel".

    Dans son origine la dîme revenait de droit au curé, mais peu à peu un grand nombre furent aliénées, soit à certains seigneurs et furent appelées dîmes seigneuriales, soit à des monastères ou à des seigneurs ecclésiastiques ; dans les deux cas elles furent appelées dîmes inféodées.

    On distingue les grosses et les menues dîmes ; les premières sont prélevées sur les gros fruits, comme le blé, l'avoine, l'orge, la laine, le vin, etc… ; les autres se recueillent dans les jardins clos, comme les pois, les fèves et autres légumes.

    Dîmes du chapitre. - On s'explique à peine comment le Rouleau des droits de l'abbesse ne fait aucune mention des dîmes que le Chapitre tirait à Thaon ; la chose est tellement extraordinaire que l'on peut se demander si, au 13e siècle, la totalité n'en revenait pas au curé. Il ne paraît pas cependant qu'il en soit ainsi et l'explication la plus plausible, c'est que l'abbesse étant seigneur foncier et jouissant, par suite de son patronage, des droits curiaux sur le cure de Thaon, toutes les dîmes devaient naturellement lui appartenir: Le Rouleau n'avait donc pas à en faire mention, puisque aucune difficulté ne pouvant surgir à ce sujet.

    Dans ces conditions, le curé de Thaon recevait du Chapitre ce que l'on appelait alors la Portion Congrue, consistant en une rente annuelle dont le montant devait équivaloir au tiers du rapport des dîmes.

    On ne saurait dire à quel moment ni pourquoi cet état de choses prit fin ; tout ce que l'on sait, c'est que, dès le 15e siècle, un règlement était intervenu, rompant avec l'antique tradition. A cette époque, l'abbesse déclare, prendre sur Thaon le quart des grosses dîmes ainsi que les menues, "levées sur les terrages, ménils amodiés, prés, pargies, rentes et cens de Thaon et de Domèvre" (Arch. des Vosges : G. 206)

    Répartition des dîmes. - Chavelot en tant que annexe, versait naturellement ses dîmes aux décimateurs de Thaon, mais avec des quotités différentes.

    Les premiers renseignements que nous trouvons sur leur répartition totale proviennent d'une note inscrite sur le Cartulaire du Chapitre. Elle relate une transaction passée en 1613 entre le Chapitre, l'administration de la cure d'Epinal et le curé de Thaon. Or, d'après cette note, les trois intéressés se seraient adjugé à chacun le tiers des dîmes de Thaon. Quant à celles de Chavelot, les deux tiers auraient été attribués au Chapitre et le reste par moitié, aux administrateurs des deux cures (1613, Arch. des Vosges : G. 192)

    Sur la fin du 17e siècle, le curé de Thaon émet des prétentions exorbitantes sur la dîme de Chavelot et il réclame les deux tiers par suite d'amodiations qui lui ont été faites. Il invite donc le chapitre et l'administrateur de la cure d'Epinal à se désister en sa faveur, le premier pour la moitié de ce qui lui revient, le second pour le tout. Invité à produire des pièces justificatives, le curé se retranche derrière une fin de non recevoir et, somme toute, il est obligé de souscrire à une nouvelle transaction qui confirme à chacun des intéressés leur ancienne quotité dans la perception des dîmes de Thaon et de Chavelot (3 Août 1691, Ibidem : G. 191-2)

    Le droit de rapportage, dont nous donnons plus loin une explication, était aussi également partagé, pour les grosses et les menues dîmes, entre la mense capitulaire, l'administrateur d'Epinal et le curé de Thaon (Ibidem : G. 144-99). Les premières subissaient un nouveau morcellement: un quart du premier tiers, c'est-à-dire un douzième, revenait directement à l'abbesse et le reste au Chapitre. Ce partage s'était opéré le 25 Août 1716 à la suite d'une transaction par laquelle l'abbesse entrait en possession du douzième des dîmes de Thaon, à condition qu'elle abandonnerait au Chapitre ce qui lui avait été laissé en échange le 9 Juin 1633 (Ibidem : G. 140-65)

    Dîmes novales. - La dîme grosse et menue de tout terrain récemment défriché ou nouvellement mis en culture s'appelait dîme novale et revenait de droit au curé. C'est donc à lui de prendre les précautions voulues et de bien faire constater par pièces notariés que tel et tel canton est resté terrain vierge et n'a pas été exploité ni mis en culture qu'à une époque déterminée, car les difficultés qui surgissent sont imputables souvent à la négligence sur ce point. A Thaon, ce qui ouvre la porte à toutes sortes de tiraillements au sujet des dîmes novales, ce sont les changements fréquents que la Moselle subit dans son cours après les inondations.

    C'est ainsi que des chicanes ont lieu au sujet au Pré le Taureau (Chavelot), du Reng Paillé, de la Noue et des jardins vers la Blanche-Eau. Le curé de Thaon, Messire Henri Nhielle prétend aux dîmes novales de tous ces terrains, mais comme les titres qu'il apporte ne sont rien moins que probants, il accepte une transaction d'après laquelle ses droits se borneront seulement au Pré le taureau, tandis que le reste appartiendra au Chapitre (1613, Arch. des Vosges : G. 19X)

    Cent vingt ans plus tard, un de ses successeurs, Alexis Jacquemin, émet de semblables prétentions ; non seulement il réclame comme novales celles qui ont été refusées à Messire Henri Nhielle, mais il signale encore d'autres cantons qui lui paraissent récemment mis en culture. Tels sont le Grand Geay, une chènevière de Nicolas Thiriat, près du Grand Geay, la Dansoire, jardin compris entre les maisons du maire Perrin et de la veuve Cornement, des héritages au canton de la Grande-Prairie, les meix derrière l'ancienne église, au Petit Saulcy et la levée du Devant, près du chemin d'Oncourt.

    On lui refuse de reconnaître comme novales les dîmes de tous ces cantons ; par contre, on lui reconnaît des droits sur:

    L'emplacement des maisons dites les Maisons-Brûlées de Thaon, à l'occident de la Levée et aubout du village vers Epinal, ensemble des meix au derrière desdites maisons et dépendances d'icelles, aboutissant lesdits meix sur ancien sentier, lesquels meix ont 17 verges de hauteur dès les mazures et au côté vers Epinal et 23 à l'autre côté ; plus les dîmes aussi comme novales du petit canton de meix à présent en nature de chènevière qui est attenant au précèdent en descendant, aboutissant sur le même sentier, jusqu'au meix de Siméon Valence et derrière le meix que François Leval a au derrière de sa maison ; plus de l'emplacement de la mazure et du meix appartenant à la veuve de Joseph Vautrin situé à Thaon, au lieudit A la Rue, contenant 7 omées, entre la maison de feu Gœry Aubertin d'une part, l'héritage de la cure et lequel est démoli en partie par la Mozelle, d'autre part, la Rue du devant ; plus 24 verges de champ enclavé dans le meix appartenant à Jean Bernard proche de ladite chènevière dite le Meix Collin d'une part du dessous, les enfants de Dominique Fleurent d'autre part du dessus, ledit meix de Bernard faisant hache dans les champs à cause des 24 verges réunies audit meix, le tout outre les autres dîmes novales qui ne font point de contestation.

    A l'égard des anciens chemins abandonnés à cause des nouvelles grandes routes sur les finages de Thaon et Chavelo, la dîme de ce qui se cultive ou se cultivera sur lesdits anciens Grands Chemins sont et seront incorporés chacun en droit soy (sic), et à l'égard des parties desdits anciens Grands Chemins qui ne seront point incorporés aux héritages voisins et qui seront cultivés séparément, la dîme sera de même nature que celle des héritages qui leurs seront voisins du côté de la nouvelle Levée chacun en droit soy (sic) pour appartenir de même ; le présent arrangement fait par différentes considérations, mêmes lieux préalablement vus, les titres d'iceux examinés et les anciens entendus et sans préjudice aux novales à venir ny aux autres qui ne font point de contestations (Arch. des Vosges : G. 191, Liasse 2. - Le Cartulaire parle aussi d'un compromis passé en 1779 entre le Chapitre et le curé de Thaon sur une difficulté survenue à l'occasion de certaines terres prétendues novales par le curé - ibidem : G. 151, f. 647.2)

    Dîmes de Rapportage. - Elle consistait à aller dîmer les gerbes ou autres denrées des paroissiens sur les bans voisins où ils récoltaient.

    D'habitude le rapportage était réciproque: les décimateurs de Thaon, par exemple, ayant droit de rapportage sur les champs de Domèvre-sur-Avière, les décimateurs de ce village avaient le même droit sur ceux de Thaon. Il arrivait pourtant qu'à la suite de transactions, certaines réserves ou restrictions étaient imposées à cet usage. C'est ainsi que "l'héritage" dont Thaon devient possesseur à la suite de l'arrangement de 1593, est déclaré "dîmable à la dîmerie de Thaon, sauf rapportage s'il est labouré par des habitants de Domèvre" (Arch. des Vosges : G. 144.99)

    Sur ce genre de dîmes le curé de Thaon émet des prétentions absolues à l'encontre du Chapitre qui admettrait plus volontiers qu'elles fussent partagées comme les grosses et menues dîmes. Un procès est engagé en 1725 ; condamné en première instance, le curé en appelle. Bientôt néanmoins, sentant le terrain se dérober sous ses pas, il fait annuler son appel et accepte l'ancien usage qui semblait attribuer au curé le produit des dîmes de rapportage, à l'exception d'un tiers qui du consentement du curé revenait au fermier des dîmes du Chapitre (1698).

    Taux de la dîme, son rapport. - Le taux et le mode de perception de la dîme variaient tellement qu'il n'y avait peut-être pas deux villages en Lorraine où les choses se passassent exactement de la même manière. La grosse généralement dans l'onzième ou douzième gerbe, mais quelques villages privilégiés ne la payaient qu'à la seizième ou dix-septième, quelquefois même à la vingtième et à la trentième.

    Rien ne nous renseigne sur le rapport de la dîme à Thaon, tout ce que nous savons c'est qu'en 1787, le tiers des dîmes de Thaon et le sixième de celles de Chavelot se montaient ensemble à 1500 livres (Ibidem : G. 117, 2e pièce)

    En 1645, en pleine période d'invasion Suédoise, le rapport des dîmes est si minime à Thaon, que l'administrateur de la cure d'Epinal qui en possède le tiers, demande au Chapitre de lui servir sa portion congrue de 400 francs (Ibidem : G. 144.19)

    Il faut croire que le tiers des dîmes qui formaient le fond principal des revenus curiaux de Thaon n'était pas des plus riche vers 1725, car nous voyons le curé intenter un procès aux autres décimateurs et réclamer pour lui la totalité des dîmes. La sentence fut ce qu'elle devait être et maintint l'usage ancien.

    A elle seule, la dîme de rapportage, qu'en 1778 nous trouvons amodiée pour neuf ans, produit durant ce laps de temps un total de 40 paires de seigle et 40 d'avoine. Dix ans plus tard, elle arrive à 60 resaulx de seigle et 60 d'avoine (Arch. des Vosges : G. 154. Art. 6)

    Enfin la dîme grosse et menue de la troisième charrue appartenait au maître d'école (1711, Pouillé de Toul)

    2.3.3. Temporel de la Cure

    Bouvrot. - on vient de voir qu'elle était la quotité attribué au curé de Thaon dans la perception des dîmes. Or ces recettes en nature, qui eussent bien petitement suffi à l'entretien du pasteur, s'augmentaient de son casuel et des revenus d'un certain nombre de propriétés constituant ce que l'on appelait alors le Bouvrot.

    Aucune indication ne nous est parvenue sur la recette du casuel et sur les tarifs en usage à Thaon ; il n'en est pas de même du Bouvrot dont l'origine exclusivement lorraine tire son nom de bœuf ou de taureau à entretenir.

    Primitivement le curé de Thaon, comme dans beaucoup d'autres localités, jouissait donc seul au village du droit de nourrir le taureau et en dédommagement on lui accordait la propriété foncière d'un certain nombre de terres. Lorsque ce soin lui fut retiré et l'animal confié plus décemment à d'autres mains, le curé n'en conserva pas moins tout ce qui revenait de cette ancienne sujétion et en jouit jusqu'à la Révolution.

    Inventaire du Bouvrot. - C'est parmi les titres du Chapitre d'Epinal que nous avons découvert cet inventaire portant la date de 1708. En voici la reproduction:
     

    Propriétés dépendant du Bouvrot de la Cure de Thaon

    Prés
     

    Lieux-dits

    Contenance

     

    Jours

    Omées

    Verges

    Pieds

    Veleveux Taquel

     

    13 

     

    Moyaux

     

    5

    5

    La Loriquette de la Halbarde

    3

    12

     

     

    Poirier fourchu

     

    5

    15

     

    Guet de la Rose

    4

    20

     5

    Ez dheux de Renard

    2

    2

    1

     

    Grand Vendredi

    4

    8

    10

     

    Saulces Vanney

     

    14

    18

     

    Ez Queniers

    Petit pré non arpenté.

    On Vau de Mongel

     

    5

    15

    2

    Champs labourables
     
     

    Lieux-dits

    Contenance

     

    Jours

    Omées

    Verges

    Pieds

    La Chèvre le Loup

    3

    8

    20

    5

    La Chenaux

    4

    2

    13

     

    Voye d'Oncourt

    5

    2

    6

     

    Voye d'Oncourt

    2

    5

    12

     

    Douaire du Noyeux

     

    5

    3

     

    Au bout du Douaire du Noyeux

    3

    5

    21

     

    Au Grand Chemin

    6

    12

     

     

    Prey du Meix Anthoine Vautrin

    7

     

    Chènevières
     

    Lieux-dits

    Contenance

     

    Jours

    Omées

    Verges

    Pieds

    A la Borde

     

    14 1/2

     

     

    Au long de la Simetière

     

    6

    3

     

    Derrière l'Eglise

     

    3

    8 1/2

     

    Presbytères. - Une des victimes du fameux empoisonneur Mozel, Messire Jean Aubert, avait réservé par testament une somme de 200 livres de Lorraine destinée, soit à réparer le presbytère qu'il avait habité lui-même, soit à en acheter un autre moins exposé aux inondations de la Moselle. Les héritiers ayant fait difficulté pour la résiliation de cette clause, l'affaire fut porté au tribunal de l'Officialité de Toul qui, le 10 Février 1599, condamnait les récalcitrants à s'exécuter.

    Des experts furent alors chargés d'aviser à l'emploi de cette somme et déclarèrent, après visite au susdit presbytère, qu'étant donné son état de délabrement, il était préférable d'en acheter un autre. On fit donc choix d'une maison appartenant à la veuve Jean Gromand et comprenant un corps de logis avec ses dépendances et un jardin.

    L'ancien presbytère était alors plus que jamais menacé par la Moselle dont les débordements antérieurs avaient détruit la plus grande partie des "meix, jardinages et usuaires" y affectés ; le nouveau, au contraire, était plus éloigné de l'eau, à proximité de l'église et offrait toutes les garanties de solidité. On fixe le prix à 200 francs, cours de Lorraine, et le contrat est passé par devant deux chanoines représentants du Chapitre et Messires Maurice et Gérard Villemin, celui-là administrateur d'Epinal, celui-ci curé de Thaon, propriétaires par tiers de l'ancien presbytère.

    Les deux premières parties intéressées, le Chapitre et l'administration d'Epinal, consentent à abandonner pour l'avenir au curé de Thaon leurs droits de propriétaires sur la nouvelle maison, à condition que l'autre leur sera concédée pour abriter leurs dîmes, sans préjudice de celles du curé, et s'il y a des frais d'entretien, ils seront supportés également par les trois décimateurs (4 Janvier 1600, la pièce notariée de ce contrat se trouve transcrite en entier dans le manuscrit de M. Fiel.)

    La catastrophe de 1610 qui emporta Chavelot, maltraita fortement le presbytère récemment acheté qui se trouva par suite du nouveau lit que s'était creusé la Moselle, menacé perpétuellement de complète destruction. Il fallait donc prendre des mesures de sécurité et le curé Messire Henri Nhielle le revendit en 1621 à un certain M. Abraham. Un de ses descendants, Antoine Vautrin le céda en 1699, au curé Messire Joseph Etienne qui en fit don à ses successeurs ; mais alors ce n'était plus qu'un chazal, c'est-à-dire un simple hangard.

    Il fallut donc se pourvoir d'une autre cure lors de la vente de Messire Henri Nhielle, et ce fut la communauté qui prit à sa charge les frais d'achat. On peut voir en effet sur sa déclaration de 1700:

    La maison appartient à la communauté et au long d'icelle il y a une grange progre à loger les dîmes. (Archives de Meurthe-et-Moselle : B11719)

    En 1784, comme elle menace ruine, Thaon et Chavelot s'entendent pour la reconstruire à leurs frais et c'est à cette occasion qu'est gravée l'inscription suivante qui se lit encore à l'entrée de ladite cure qui est la cure actuelle.

    Au seul et vrai Dieu du Très-Haut, c'est à vous à qui nous offrons ces travaux, c'est pour votre honneur et gloire que nous posons cette pierre. Cette maison est pour tous les enfants chéris disciples de Jésus-Christ. O Dieu descendu de Sion répendez sur cette maison vos très saintes bénédictions. De tous messires les curés que j'ai l'honneur de loger le premier est M. Guillaume, natif de Gerbévillers.

    2.3.4. Eglises

    Anciennes églises. - La plus ancienne église dont il soit fait mention dans les archives est celle qui fut démolie en 1733.

    Elle était bâti , dit M. Fiel, sur le coteau au bas duquel coulait la Moselle, ce qui explique pourquoi on donne à cette portion du finage le nom de Derrière l'Eglise.

    Menacée depuis longtemps d'être emportée par les eaux, elle fut renversée par les habitants qui la reconstruisirent à l'endroit où se trouve l'église actuelle.

    C'est le 24 Septembre 1733 qu'eut lieu la pose de la première pierre du nouvel édifice en présence de la Dame Doyenne du Chapitre, venue à Thaon pour la circonstance. Mais les quelques lignes tracées par le curé d'alors, Messire Alexis Jacquemin, n'annoncent pas grande satisfaction de sa part relativement à cette cérémonie:

    Le vingt-quatrième Septembre de l'année 1733 fut posée une espèce de première pierre à la tour de la nouvelle église de Thaon par la dame doyenne du Chapitre, sans aucune cérémonie observée et prescrite par notre mère la Sainte-Eglise (Arch. communales de Thaon. - Registres des baptêmes. - Année 1733)

    D'où les fonds vinrent-ils pour l'édification du monument? Des décimateurs, particulièrement du Chapitre, comme aussi de la Communauté qui, de ce fait, se trouva endettée de 2.000 fr,. somme extraordinaire pour l'époque et pour la modicité de ses revenus. Les Thaonnais s'adressèrent alors au Duc de Lorraine et en obtinrent un décret les autorisant , pour couvrir leurs frais de construction, à mettre en regains, pendant six ans, une partie de leurs prairies (Ibidem : FF. 5, 1736). La récolte pour un bail de six années fut amodiée 1750 livres à Joseph Perrin, et les fonds percus servirent en particulier "aux lambris de l'église, voûte du chœur, ferrure, menuiserie et murailles du cimetière", ce qui semblerait indiquer que le gros œuvre de l'édifice fut à la charge du Chapitre.

    Or cette amodiation lésait les droits de celui-ci qui touchait chaque année la moitié des revenus fournis par la vaine pâture ; aussi la Communauté, avant d'obtenir la promulgation du décret d'autorisation, dut-elle s'engager à lui verser un dédommagement de 56 francs (Arch. de Meurthe-et-Moselle L B. 11738. - Les lambris de l'église coûtèrent 27 livres de main d'œuvre et 126 livres d'achat de bois. Les frais de la voûte du chœur s'élevèrent à 250 livres et ceux de la porte à 39 livres. L'entretien du huitième de la nef et du toit était à la charge du Chapitre. - Arch. des Vosges : G. 146.1.5.)

    A peine construite, l'église tombait sous le coup de l'interdit. Pour quels motifs l'évêque de Toul usa-t-il de rigueur, nous l'ignorons et le fait serait resté dans l'oubli sans la note suivante que nous relevons aux archives de Meurthe-et-Moselle:

    Le 30 du mois de Juin 1738, délivré 7 livres à Jean Lambert pour voyage fait à Toul pour faire lever l'interdit de l'église (Arch. de Meurthe-et-Moselle : G. (B?) 11738.119)

    Ce fut cette même année qu'une épouvantable catastrophe acheva de ruiner le pauvre village. Un incendie d'une violence inouïe éclata tout-à-coup et dévora en quelques heures toutes les maisons situées entre la Corvée et le commencement du village du côté d'Epinal. Durant de longues années, les ruines de nombre de maisons couvrirent le sol, puis après un déblaiement sommaire elles firent place à des chènevières et à des jardins au sujet desquels nous avons vu le curé réclamer les dîmes novales.

    Fabrique. - Après avoir parcouru toutes les archives de Thaon, nous ne nous serions pas douté qu'il y ait eu un Conseil de fabrique chargé de la gestion des revenus paroissiaux, et l'occasion d'en parler nous eût fait défaut sans la note suivante relevée sur le manuscrit de M. Fiel, note qui nous laisse entrevoir que l'Eglise n'était pas dépourvu de fondations et que naturellement il existait un Conseil de Fabrique. Après avoir parlé du curé constitutionnel, M. Maudheux, et de sa fin tragique, M. fiel ajoute:

    A la suppression du culte, s'imaginant que c'en était fait de la religion, il avait rendu les titres que la Fabrique possédait contre plusieurs particuliers. Quelques-uns les rendirent plus tard, beaucoup d'autres les conservèrent malgré les poursuites de mon prédécesseur pour en obtenir la restitution. Et voilà une des causes de disparition pour toujours de tant de fondations.

    Patron de l'église. - le souvenir du grand thaumaturge St-Martin qui, ainsi que nous l'avons constaté, a laissé tant de traces dans la région, ne pouvait être tombé dans l'oubli à Thaon ; aussi le retrouvons-nous bien vivace dans la personne de St-Brice. L'ancien village de Girmont, Dommartin, avait recherché la protection du pieux évêque de Tours en s'attribuant son nom: Thaon fit de même et s'attira ses faveurs, en vouant à son disciple Brice sa première église.

    Il est donc tout naturel de consacrer quelques lignes biographiques au saint patron de la paroisse dont la fête religieuse se célèbre le 13 Novembre et la fête civile le deuxième dimanche de Juillet.

     St-Brice. (444). - Né à Tours, il fut mis de bonne heure entre les mains de St-Martin qui le forma dans le célèbre monastère de Marmoutiers. Il profita d'abord des leçons d'un si bon maître, fut admis dans les Ordres sacrés et reçut même l'onction sacerdotale, malgré bien des fautes dont il s'était déjà rendu coupable. Bientôt il devint un sujet de scandale par son orgueil et ses emportements ; Saint-Martin eut beaucoup à souffrir de la part de ce disciple ingrat, mais il ne voulut jamais consentir, malgré les sollicitations de son clergé, à le dégrader du sacerdoce et à le chasser de son église: Dieu lui avait révélé que Brice lui succéderait et le Saint l'avait déclaré hautement.

    La douceur de St-Martin continua à ramener Brice de ses égarements et, à la mort du Saint-Evêque, on ne balança pas à lui donner pour successeur celui qu'il avait lui-même désigné de la part de Dieu. Brice, dès lors, devint un autre homme ; il mit tout en œuvre pour faire oublier sa conduite passée et pour expier par la pénitence tant de fautes qu'il avait commises.

    Saint-Martin lui avait annoncé que les tribulations ne lui seraient point épargnées ; il fut, en effet, calomnié de différentes manières et la vertu qui lui était chère par dessus toutes les autres ne put échapper à d'injustes soupçons. Confiant en Celui qui, tôt ou tard, s'établit le défenseur de l'innocence, il fit apporter devant la foule assemblée un enfant à la mamelle dont on l'accusait d'être le père et lui ordonna de déclarer la vérité. Aussitôt la langue de l'enfant se délia pour prononcer très nettement ces paroles "Non vous n'êtes pas mon père". Le peuple pressa l'évêque de lui demander qui était son père ; mais Brice s'y refusa, disant qu'il lui suffisait d'être disculpé du crime dont on l'accusait. Malgré ce miracle et d'autres qui le suivirent, on ne voulut pas croire à son innocence. Il fut chassé de sa ville épiscopale  dans laquelle il ne rentra qu'après sept ans d'exil, sur l'ordre du Souverain Pontife qui avait reconnu son innocence. Brice gouverna son diocèse pendant sept ans, après lesquels il mourut rempli de mérites (extrait des Petits Bollandistes : XIII, 395)

    Son corps fut déposé dans l'église qu'il avait bâtie sur le tombeau de St-Martin. Vers l'an 580, Saint-Grégoire de Tours le fit transporter à Clermont, en Auvergne, et le Plaça auprès de l'évêque Saint-Gal, son oncle.

    On le représente : 1º portant des charbons allumés dans un pan de son vêtement. Selon la légende tourangelle, le Saint-Evêque obtint du ciel ce miracle pour se disculper, devant ses diocésains ameutés, du crime de fornication dont on l'accusait ; 2º faisant parler un enfant nouveau-né.

    2.3.5. Chapelles

    Chapelle de Saint-Blaise. - L'ancienne église était entre les bras de la Moselle et était devenue inaccessible.

    Tel est le renseignement qui nous est fourni quelques années après sa démolition (Archives de Meurthe-et-Moselle, 11758.119 - 1738). Or cette difficulté d'accès n'était pas récente, puisque nous voyons une chapelle de secours érigée dès l'année 1689 et destinée à subvenir aux besoins du culte lors des débordements de la rivière. Le curé Messire Joseph Etienne l'avait fait construire à ses frais, en face de la cure actuelle, la dédiant à Saint-Blaise et l'enrichissant de 15 messes fondées, dont 12 en l'honneur du Saint Sacrement et les autres pour le repos de son âme, de celles de ses parents défunts et de ses paroissiens (Elles étaient rétribuées à 3 fr. 6 gros). Il y était adjoint un petit bâtiment dont la location devait servir à son entretien et à sa décoration.

    La chapelle fut donnée à Messire Jacquemin et à ses successeurs, à condition que si jamais elle venait à disparaître par suite de son inutilité, les fondations seraient affectées à l'église paroissiale et le terrain rattaché à la cure, ce qui eut lieu en 1733. Elle fut alors convertie en salle d'école et la maison d'habitation servit à loger le magister.

    Chapelle de Notre-Dame et de Saint-Antoine. - Nous lisons dans les Origines d'Epinal, par M. l'abbé Ch. Chapelier:

    La petite chapelle de St-Antoine, bâtie un peu au-dessus d'Epinal, sur la rive gauche de la Moselle,… fait volontiers croire que le culte de St-Antoine se répandit de bonne heure dans nos contrées. Cette dévotion dut évidemment le jour à la maladie du feu sacré (mal des ardents).

    Or la chapelle de St-Antoine ou de Paillé, sise à Thaon, se trouve dans des conditions identiques. Bâtie un peu au-dessus du village, sur la rive gauche de la Moselle, elle semble avoir la même origine et la même destination que sa sœur d'Epinal et serait-on taxé de témérité en supposant qu'elle fut érigée lors de la terrible épidémie pour honorer le patriarche des cénobites qui, à l'instar de St-Gœry, était alors le grand guérisseur des pestiférés de l'époque.

    Le Pouillé de 1711 nous apprend qu'elle était dédiée en même temps à la Sainte-Vierge et qu'à cette date le collateur était un sieur de l'Epée.

    La dévotion superstitieuse que les habitants de Thaon et de Chavelot portait à cette chapelle semblerait bien indiquer, comme on va le voir, que son érection date de la fameuse épidémie du 11e et 12e siècle. Nous laissons ici la parole à M. Fiel:

    Sur l'autel de la chapelle et devant l'image de Saint-Antoine, lorsqu'on avait une personne grièvement malade, on faisait brûler trois bougies, une en l'honneur de St-Vit, l'autre de St-Languit et la troisième de St-Mort. Le sort du malade dépendait de la bougie qui s'éteignait la première: si c'était celle qui brûlait devant St-Vit, le malade ne devait point tarder à recouvrir la santé ; si c'était la seconde il devait languir longtemps ; malheur à lui, si c'était la troisième.

    La chapelle ayant été supprimée, le titre fut transporté dans l'ancienne église de Chavelot dont dépendait cette chapelle, gravé sur une très belle pierre de marbre et placé sur l'autel de la Sainte-Vierge. Mais à la démolition de la chapelle, cette pierre aura tenté la cupidité de quelque personne et voilà sans doute la cause de sa disparition…

    Cette chapelle supprimée à l'arrivée de notre célèbre Révolution fut plus tard, par ordre de l'évêché, renversée et détruite parce qu'elle avait fini par servir de retraite aux malfaiteurs.

    Ermitage de Paillé. - La chapelle de Saint-Antoine était gardée par des solitaires sont l'ermitage s'élevait à proximité ; ils appartenait à la Congrégation de St-Jean-Baptiste.

    Lorsque en 1842, on extraya des pierres du côteau de Paillé, on retrouva les fondations de la chapelle et de l'ermitage et tout à côté les ossements de treize sépultures que les terrassiers, à l'insu du curé, enfouirent sous la route actuelle.

    Voici les noms de plusieurs des ermites gardiens de la chapelle: (Source - Registres paroissiaux, passim. 1.)
     

    1700

    Frère Bazil, décédé à l'âge de 32 ans, enterré à Paillé.

    1713

    Frère François Venuchat, âgé d'environ 78 ans, gardien de la chapelle, décédé à Chavelot et enterré au cimetière paroissial en présence de nombreux assistants.

    1724

    Frère Louis Colin, âgé de 84 ans, décédé dans la chapelle de Paillé et enterré au cimetière de Chavelot en présence de ses enfants. Il faut croire que sur ses vieux jours, le bon Colin s'était fait ermite

    1733

    Frère Bernard, âgé de 80 ans.

    1749

    Nicolas Adam. Agé de 80 ans, enterré sous la chapelle de Paillé.

    1794

    Frère Jean-Baptiste, enterré sous la fenêtre de la sacristie.

    2.3.6. Titulaires de la Cure

    Les Chapelains. - On a remarqué qu'au 16e siècle les titulaires de la cure de Thaon portaient tout simplement le titre de Chapelain. C'est que le Chapitre d'Epinal étant de droit curé primitif de Thaon, les titulaires nommés par l'abbesse n'étaient guère que des vicaires résidents ou des administrateurs, et se trouvaient conséquemment dans une situation identique à celle dont jouissaient alors les desservants d'une chapelle ou chapelains. Le curé d'Epinal qui était dans les mêmes conditions que celui de Thaon, s'en tenait, lui aussi au titre bien modeste d'administrateur, titre qu'il conserva longtemps encore après que ses collègues de Thaon avaient usurpé celui de Curé.

    Quand et à quel sujet eut lieu cette usurpation? Peut-être à la suite des bouleversements de la Guerre de Trente-Ans et grâce sans doute à la condescendance particulière d'une abbesse à l'égard de l'audacieux chapelain.

    Curés.
     

    1564

    Jean Aubert. - Son frère Claudon Aubert habitait avec lui, peut- être comme Vicaire. Empoisonnés l'un et l'autre par le fameux Mozel, Claudon y perdit la vie à la suite de l'empoisonnement.

    1599

    Gérard Villemin qui achète la maison de la veuve Gormand pour la convertir en presbytère

    1612 & 1621

    Henry Nhielle

    1635 & 1645

    Nicolas Thomas - originaire de la famille des Tabellions de Domèvre-sur-Durbion (d'après M. Fiel)

    1660 & 1666

    Jean Abram

    1672

    J. Sauvage - En 1683, il signe encore comme curé, puis, quelques jours plus tard, c'est Messire Joseph Etienne qui prend le même titre, et enfin Messire J. Sauvage reparaît peu après et reste en fonctions jusqu'en 1787 (=> 1687)

    D'un autre côté, un prêtre du nom de Charles-Eric Sauvage habite Thaon et se donne en 1675 comme "prêtre vicaire" et en 1678 comme "Curé d'Igney" (Note de M. Fiel: "Monsieur Sauvage dans les actes qu'il a rédigés met toujours la particule de avant le nom de Nicolas Lacroix. Il faut alors que ce soit à ce Monsieur qu'un duc de Lorraine, par conséquent Léopold, ait offert, comme me l'a assuré un de ses descendants, des titres de noblesse que sa modestie refusa, disant que sa fortune ne lui permettait pas de soutenir cette dignité.")

    1686

    Joseph Etienne. - Après avoir signé des actes paroissiaux jusqu'au 3 Juin 1687, il fait place, le 25 Novembre, à Messire Henrion qui signe encore "curé de Thaon" et disparaît lui-même au bout de deux ans, laissant réapparaître son prédécesseur qui occupe la cure de Thaon jusqu'en 1707. Avant d'arriver à Thaon, il avait exercé le saint ministère à Lonchamps et c'est lui qui construisit à ses frais la chapelle de secours de St-Blaise et la donna aux curés ses successeurs.

    Messire J. Etienne, dit M. Fiel, a laissé de lui la réputation d'un prêtre zélé pour la gloire de Dieu et le salut des âmes qu'il a dirigées pendant 23 ans ; qu'il veuille bien continuer à les aimer devant dieu. Pour des raisons qui ont dû être bien fortes, Messire Etienne quitta en 1709 la paroisse de Thaon à laquelle il était si attaché pour celle de Longchamps, permutant alors avec Messire Jacquemin.

    1686 et 1688

    Henrion. - Il ne semble pas qu'il ait vécu en bonne harmonie avec les chanoinesses d'Epinal, du moins si l'on en juge d'après cette résolution prise en Chapitre à son sujet:

    On tirera ce qu'on pourra du sieur Henrion, curé de Thaon, au pardessus des 5 paires 1/2 qu'il offre pour l'an présent.

    Puis sur une note au bas de page on lit encore:

    Le 14 avril, en présence du sieur Gerbé, il m'en a offert 7 (Arch. des Vosges : G. 148, f. 12.)

    1709-1746

    Michel-Alexis Jacquemin

    En 1732, il obtint du pape Benoit XI des indulgences plénières à gagner pendant sept ans par ceux qui visiteraient les églises de St-Brice à Thaon ou de St-Epvre à Chavelot, le jour de la fête de ces Saints. Mais d'après la décision de Monseigneur de Toul, ces indulgences ne devaient recevoir leur effet qu'autant que ces jours-là il n'y aurait ni danse, ny ronde (Note de M. Fiel).

    Il mourut âgé de 72 ans (19 Novembre 1746), et son corps fut enterré dans le chœur de l'église qu'il avait inaugurée "sous la lampe du sanctuaire". A ses funérailles assistaient Messires Claude Lemoine, curé d'Igney, qui présida la cérémonie ; François Paris, Chapelain royal de Châtel ; Jacques-Thomas Jeanmaire curé de Golbey ; Pierre-Paul Poignant, Vicaire d'Uxegney, et Nicolas Lamoize, vicaire de Thaon.

    1747-1783

    Nicolas Mouzon. - Nous ne pouvons que reproduire ici les quelques lignes biographiques que nous a données M. Fiel:

    Ce digne prêtre a laissé une grande réputation de sainteté, s'il faut en rapporter au jugement d'une personne qui l'avait connu et de qui je tiens le fait suivant. Il aurait, par ses prières et par ses larmes, rendu à la vie un enfant mort sans baptême, lequel aurait vécu assez de temps pour recevoir le sacrement. Je ne cite ce fait qu'afin de montrer l'idée que l'on avait de sa sainteté. C'est à lui que nous devons la parcelle de la vraie Croix que nous avons le bonheur de posséder.

    M. Mouzon était de Mirecourt et oncle de Mlle Mouzon, fondatrice de 40 heures, de 12 messes du St-Sacrement, de deux messes de service pendant l'octave des morts, enfin d'une rente de 36 fr. que paye l'hospice d'Epinal pour les mois d'école des enfants pauvres. Mort en 1782 dans la 70e année de son âge, M. Mouzon a été inhumé à droite de la tour, au lieu où commence le bas-côté de l'église actuelle.

    1783-1784

    ? Guillaume - natif de Gerbévillers.

    1785-1791

    Joseph Antoine, dont nous parlerons longuement durant la période révolutionnaire.

    Vicaires. - C'est en compulsant les registres de baptêmes que nous avons pu relever les noms qui suivent:
     

    1675

    Charles-Eric Sauvage

    1744

    ? Moignam

    1746

    Nicolas Lamoize

    1764-1767

    H. Morel

    1772-1773

    N. Mougel

    1775

    J. Jourdan

    1775-1783

    Cp. Hirtoux

    1784-1786

    ? Dumond

    1786-1791

    Jean-René Saint-Mihiel

    Prêtres originaires de Thaon. - La liste des prêtres originaires de Thaon trouve naturellement sa place ici ; c'est à M. fiel que nous l'empruntons encore:
     

    1564

    Jean Aubert et son frère Claudon Aubert

    1659

    ? Villaume, curé de Longchamps à cette date

    1682

    ? Thouvenot, chanoine du Chapitre de St-Gœry

    1745

    ? d'Arches, curé d'Ormes (Meurthe).

    1759

    Nicolas Aubertin, Curé de Xaronval, en 1758.

    1847

    Jospeh Christophe, mort Diacre

    1853

    Dominique André, vicaire de Rupt-sur-Moselle, mort en 1853.

    1870

    François Perrin, retiré à Brantigny, oncle de M. Bailly, curé de Houécourt, mort en 1877.

    2.3.7. Confréries et congrégations

    Confrérie de Saint-Joseph. - Erigée le 18 Février 1668 par Nicolas Jean d'Arches et Mengeolle sa femme, la confrérie est affiliée à celle de la Cathédrale de Toul. Les fidèles de l'un et de l'autre sexe peuvent s'y faire inscrire et participer "aux mêmes grâces, indulgences, privilèges octroyés à celle dudit Toul, participer à toutes les prières qu'y s'y font et aux bonnes œuvres qui s'y pratiquent et à toutes les autres qui y sont pareillement associées"

    Aucun règlement n'est imposé aux confrères qui 's'engagent simplement à faire "par l'imitation des vertus de St-Joseph, toujours les œuvres pour la gloire et service de Jésus son nourrisson et de sa divine Mère."

    Confrérie du St-Sacrement. - Voici ce que dit M. fiel au sujet de cette confrérie:

    La confrérie du St-Sacrement, dont le titre d'érection n'est point arrivé jusqu'à nous, a été établie en l'an 1732 à la requête de M. Jacquemin, curé de la paroisse et de plusieurs paroissiens, notamment de Siméon Valence qui l'a enrichie par la fondation de douze messes du St-Sacrement auxquelles doivent avoir part les confrères.

    Ces Messes se sont toujours célébrées jusqu'à l'époque où quelques notables de la commune empruntèrent malheureusement pour toujours l'argent sur lequel elles étaient fondées pour payer les frais occasionnés par les poursuites que firent les cultivateurs afin de rentrer en jouissance des sept arpents dont le gouvernement, en 1790, s'était emparé, avec la part qui revenait au Chapitre d'Epinal dans notre forêt.

    Comme ils rentrèrent en jouissance de ces sept arpents ainsi que des arrérages qui leur étaient dus, depuis vingt et des années, ils auraient pu très facilement rembourser cette somme en retirant au prorata de ce qu'ils avaient reçu d'indemnité. Mais ils trouvèrent bon de conserver ce qu'ils avaient trouvé bon de prendre... Quoi qu'il en soit il est bien regrettable qu'une aussi bonne fondation ait pris une aussi triste fin.

    Congrégation d'hommes. - C'est la seule dont nous parle M. fiel, elle remonte au 24 Janvier 1773 et fut approuvé par l'Ordinaire dans les termes suivants:

    Claude, par la grâce de dieu et l'autorité du Saint-Siège apostolique, évêque, comte de Toul, etc…

    Sur ce qui nous a été représenté de la part des hommes et garçons de la paroisse de Thaon, de notre diocèse, que pour honorer plus particulièrement la très Sainte-Vierge, ils désirent s'associer et former une congrégation qui, étant unie à celle que nous avons érigée en notre ville épiscopale, serait conduite par les mêmes règlements et rendue participante des suffrages et autres recours spirituels sont elle jouit ; Nous avons loué leur piété et en conséquence avons érigé et érigeons par ces présentes ladite paroisse, une Congrégation en l'honneur de la Sainte-Vierge, en laquelle tous les hommes et garçons de bonne vie et mœurs de ladite paroisse pourront être admis de l'avis et du consentement du sieur curé qui en sera le directeur sous notre autorité.

    Assignons pour fête principale de ladite Congrégation celle de l'Assomption de la très Sainte-Vierge auquel jour nous permettons l'exposition du Saint-Sacrement dans l'Ostensoir au maître-autel de l'église de ladite Paroisse, depuis la grand'messe jusqu'au salut qui se fera après les vêpres et ensuite la bénédiction.

    Permettons en outre de faire dans ladite église aux autres jours de fêtes chômées de la Sainte-Vierge un salut après les vêpres avec exposition et bénédiction du Saint-Sacrement dans le ciboire, le tout à charge pour ceux qui y seront admis de se conformer autant qu'il sera possible aux règlements que nous avons donnés pour la Congrégation par Nous érigée en notre ville épiscopale à laquelle nous unissons et incorporons par ces présentes celle de ladite paroisse de Thaon, afin que, ne faisant qu'une seule et même Congrégation, quoique les exercices s'en fassent en différentes églises, ceux qui la composent puissent gagner les indulgences plénières et autres accordées par N. St-Père le Pape en faveur de ceux qui y seront admis.

    En conséquence exhortons ceux qui s'y feront enrôler de se pourvoir desdits règlements imprimés auxquels Nous avons joint les offices, prières, cantiques et pratiques que Nous avons jugé les plus propres à nourrir leur dévotion envers la très Sainte-Vierge, avec les brefs d'indulgences ci-dessus et autres accordés par nos saints Pères les Papes pour tous les fidèles de notre diocèse.

    Donné à Toul, le 24 Janvier 1733, Thiébaud. Vic. Gén.

    M. fiel se livre ici à certaines réflexions qui dénotent en lui un profond découragement au sujet des anciennes associations religieuses de sa paroisse: les unes ont disparu, les autres tombent en désuétude sans qu'il voie possibilité d'y remédier. Ecoutons-le plutôt:

    La Congrégation d'hommes, qui a été établie par M. Mouzon, a cessé depuis longtemps, probablement depuis la Révolution.

    Je ne parle pas des autres Confréries dont on ne trouve ni statuts ni autorisation ; quant aux deux premières, elles ne tarderont pas à tomber. A mon arrivée dans la paroisse, le nombre des confréries était bien petit ; j'ai cru devoir faire appel au zèle de mes paroissiens. Plusieurs ont répondu à mon invitation, mais quand j'ai vu que leur dévotion ne les amenait pas une fois de plus par an à la sainte table, qu'ils ne gardaient aucun des statuts dont je leur donnais connaissance et que tout se bornait pour eux à venir à l'offrande un cierge à la main que la Fabrique leur fournissait encore et à donner pour entrer dans la Confrérie 1 fr. 80 honoraire de la messe à laquelle ils ont droit à leur mort, alors j'ai cessé de les encourager à faire partie de ces Confréries qui ne rapportent plus de gloire à dieu que par la messe qu'ils ont à leur mort mais qu'ils peuvent avoir d'une autre manière.

    L'Archiconfrérie du St-Cœur de Marie. - Cette association moderne qui a pour but d'obtenir, par la prière et l'intercession de Marie, la conversion des pêcheurs fut érigée à Thaon par M. fiel et affiliée à l'archiconfrérie-mère de Notre-Dame-des-Victoires de Paris, en 1846.

    2.3.8. Episodes miraculeux

    Dévotion de Notre-Dame des Ermites. - Chavelot étant l'annexe de Thaon nous ne pouvons passer sous silence des faits miraculeux survenus en 1698 en faveur de deux nouveau-nés de ce premier village.

    A cette époque, Châtel possède un couvent des sœurs de Notre-Dame, fondé par Saint-Pierre-Fourier lui-même, et situé entre la Grande-Rue et la Rue-du-Moulin. Or dans la chapelle du couvent est exposée une Madone de Notre-Dame des Ermites qui est en grand honneur dans la ville et les environs.

    Les pèlerins accourent en grand nombre ; des grâces insignes et multiples sont obtenues par la puissante intercession de Marie et voici que quatre miracles, dont deux en faveur de Chavelot éclatent subitement dans la modeste chapelle et donnent au monastère de Châtel une renommée extraordinaire. Les procès-verbaux en sont conservés aux archives communales de cette ville (GG. 30.) et attestent, pour les générations futures, l'efficacité de la dévotion à la Vierge des Ermites.

    Mais en face de faits aussi graves et aussi surprenants, l'historien ne peut que se taire et laisser la parole aux contemporains et surtout aux témoins oculaires. C'est ce que nous allons faire en citant in-extenso le compte-rendu des deux miracles qui concernent la paroisse de Thaon:

    Enfant Fleurent. - Le grand recours qu'un très grand nombre de personnes affligées ont tiré de la dévotion de Notre-Dame des Hermites dont on a nouvellement érigé un tableau dans l'église des Dames religieuses de Châtel-sur-Moselle ayant inspiré à des particuliers d'y apporter des enfants morts-nés dans l'espérance de trouver du soulagement, il en vint effectivement deux, l'un du Sieur Fleurent, de Chavelot, annexe de Tavon et l'autre de Claude Robert du même lieu, lesquels l'on exposa sur une table de bois a devant ladite image à l'inceu du curé de Châtel et comme sur la fin de la neuvaine les personnes qui gardoient et qui veilloient auprès de ces corps morts s'aperceurent d'un très grand changement, elles appelèrent la sage-femme de la paroisse pour demeurer avec elles, en cas que Dieu par l'intercession de sa Sainte-Mère voulut opérer des miracles, ce qui arriva comme elles se l'étoient promis.

    Car le premier desdits enfans, le huitième jour de la Neuvaine, en présence de plus de vingt-cinq personnes ouvrit les yeux et les referma deux ou trois fois, de même que la bouche qu'il referma aussi deux ou trois fois, mit sa langue sur ses lèvres et la remua. De noir qu'il avait été auparavant et fort défiguré, il devint beau et vermeil d'un rouge vif et naturel ; de froid on le sentit chaud et d'immobile, on sentit et l'on vit du mouvement. Le cœur, ce principe infaillible de vie lui palpitait et même la chair au voisinage comme à une personne en vie et à même temps le poux se sentit très sensiblement au sommet de la tête.

    A ces signes on appela le sieur Curé qui vit une bonne partie de ces choses. Mais après avoir tâché de persuader à l'assemblée que ces signes étoient équivoques et dangereux, que c'étoient peut-être leurs yeux qui étoient éblouis ou des humeurs qui descendoient du cerveau dudit enfant et donné plusieurs autres raisons, il se retira sans vouloir qu'on donna le sacrement nonobsatnt un très grand nombre de personnes présentes qui murmuroient contre lui et quimle traitoient d'incrédule, disant que cet enfant perdroit le baptême par sa faute.

    Cependant le sieur curé avoue et assure qu'étant de retour chez lui dans sa chambre, il fit de sérieuses réflexions sur ce qu'il avoit vu et qu'après avoir tâché de dissimuler le miracle fut obligé de se rendre à la vérité sans le témoigner au dehors. De sorte qu'ayant été de rechef plusieurs fois invité de venir dans cette église, il s'y seroit transporté aussy pusieurs fois, et appréhendant à la fin de s'opposer aux miséricordes de Dieu, il dit à sa sage-femme de donner le sacrement si ces signes continuoient et devenoient encore plus évidents qu'ils ne l'avoient été auparavant et puis se retira chez luy. Ce qui arriva, et ladite sage-femme baptisa sous conditions ce premier enfant le neuvième du mois de Janvier et le Huitième de la neuvaine à une heure après midy.

    Le curé averti du fait, fut fort indigné parce qu'il ne croyait pas que les signes continueroient ny qu'ils augmenteroient. Il fit venir ladite sage-femme et après l'avoir interrogé fut enfin convaincu du miracle. Mais pour une plus grande précaution il l'obligea, avec celles qu'étoient présentes de lever la main devant le Saint-Sacrement, ce qu'elles firent très hardiment, de sorte que le curé, après avoir fait une profonde génuflexion devant le Très-Saint-Sacrement se retira.

    Mais comme on luy eût représenté qu'il ne pouvait refuser de mettre en terre sainte cet enfant après un tel miracle et ayant fait réflexion que sa sage-femme lui avoit assuré qu'elle avoit reconnu de plus grands signes de vie en cet enfant qu'en ceux qu'elle avoit baptisé à la maison en cas de nécessité auxquels pourtant on donnait terre sainte ; ces raisons avec la considération que ledit enfant froid et roide aussitôt le sacrement receu de chaud et maniable qu'il était auparavant, l'obligerent de luy donner sépulture, ce qui est arrivé en présence des personnes et des témoins soubsignés et marqués.

    Fait à Châtel le 12 Février 1699.

    Signé: J. Martel, curé de Châtel. - Jeanne Pariset. - Menissier, régent. - N. Henry. - C.-N. Doublot. - M. Gaudel. - J. faucheux.- U Marque de Claudine Malot, sage-femme. - U Marque de Françoise Guillebert.

    Enfant Robert.

    Le second (enfant) dénommé cy-dessus ayant donné les mêmes signes avec beaucoup plus d'évidence, on courut plusieurs fois au sieur curé, lequel se transporta dans ladite église et refusa plusieurs fois le sacrement. Enfin le douzième Janvier à neuf heures du soir il fut appelé de rechef pour etre lui-même témoin de la vérité, luy qui avait été dans le premier si incrédule.

    Effectivement étant allé dans ladite église non pas tant dans le dessein de baptiser que dans la pensée de dissuader les esprits, il vit de si grands et de si évidents signes, le cœur battre et palpiter si sensiblement, une chaleur si surprenante, une rougeur si naturelle après douze jours de mort pendant lesquels nul de ces signes ne s'étoit vu ; les yeux enfoncés qu'ils étoient avaient sorti au naturel hors de tête, outre qu'ils leva les deux épaules, qu'il ferma la bouche et qu'il l'ouvrit, qu'étant luy même si surpris il ne sceu que dire et étant revenu de l'étonnement dans lequel il fut, après avoir reconnu la miséricorde de Dieu qui vouloit sans doute se manifester sous l'Invocation de Notre-Dame des Hermites, qu'il baptisa de sa main ce second sous condition et comme ces signes continuèrent en présence de plus de vingt-cinq personnes qui les voioient comme luy et qui pleuroient de joye, après le baptême donné il courut à son église pour chercher les sainctes onctions parce que les signes continuoient toujours.

    Mais comme c'étoit de nuit et que le Margullier n'étoit pas chez luy, il demeura plus de temps qu'il ne croioit de sorte qu'à son retour les hommes présents luy ayant dit que depuis quelque moment il ne donnait plus signe et que luy-même ayant reconnu que ses yeux étoient renfonsés et dans le même état qu'ils étoient auparavant ces signes, et ayant la chair refroidie, il ne voulut pas luy faire d'onction et s'en retourna. Mais le lendemain il donna la sépulture audit enfant. Le tout a été reconnu et assuré par les soubsignés.

    Fait à Châtel le douzième de Février 1699

    Signé: J. Martel, curé de Châtel. - J. Menissier, régent. - M. Gaudel. - N. Henry. - C.-N. Doublot. - Robert. - J. Faucheux. - Jeanne Pariset. - U Marque de Claudine Malot.

    3. La Révolution

    3.1. Nouvelle organisation civile

    3.2. Difficultés administratives avec le Chapitre

    3.3. Vente de biens nationaux

    3.4. Dénonciations calomnieuses contre le maire

    Nouvelles élections municipales. - Le 25 Novembre 1791, on procède à Thaon à de nouvelles élections municipales. Elles ne sont pas favorables à Jean Daviller qui voit élire à sa place Brice Lacroix, laboureur et membre du conseil général du District d'Epinal.

    Mais celui-ci ne se soucie guère de remplir ses nouvelles fonctions de maire ; les difficultés qui s'annoncent comme devant compliquer les rouages de son administration le font démissionner aussitôt. If refusa même de se laisser porter sur la liste des notables et aucune instance de ses compatriotes n'est capable de le faire revenir sur sa détermination.

    On court au District et l'on prie l'assemblée d'intervenir et d'user de son influence. Peine perdue! Brice Lacroix a des raisons très péremptoires de refuser et le District cède enfin et accepte la démission (Arch. des Vosges : Série L. Délibérations du District d'Epinal, no. 808.4, 3 Décembre 1791)

    Mais s'il refuse d'assumer la responsabilité de la première magistrature communale, on aura peut-être plus de succès en essayant de lui faire agréer la charge de notable, et le D130partement lui-même, d'après l'avis du District, l'invite instamment "à répondre à la confiance de ses concitoyens en acceptant cette dernière fonction" (Ibidem : Registre no. 63, 12 Décembre 1792). Toujours même intransigeance, l'on se bute à un nouveau refus et Jean Daviller rentre en charge.

    Premières dénonciations. - La crainte d'être obligé d'en revenir à ce dernier avait déjà provoqué parmi les partisans de Brice Lacroix une dénonciation mensongère contre l'administration de l'ancien maire. Nous allons voir quels étaient les motifs de cette méchante rancune.

    Il est à remarquer que les ventes des biens nationaux ayant eu lieu tardivement, le maire Jean Daviller avait été chargé de louer au profit de la Nation les terrains en souffrance. Favorisa-t-il dans la circonstance quelques-uns de ses amis en procédant un peu vite à l'adjudication? C'est du moins ce dont il fut soupçonné.

    En effet, le 14 Novembre 1791, une dénonciation furibonde est déposée contre lui sur le bureau du District. D'ardents et intègres patriotes accusent le maire comme "traite à la Nation" demandent sa destitution "de toute fonction publique pour avoir mal administré les revenus de l'état" et réclament de l'assemblée l'autorisation "de relouer à nouveau les biens nationaux provenant des moines de Moyenmoutiers".

    Appelé à la barre, Daviller est invité à présenter sa défense. En quelques mots il répond aux accusations dont il est l'objet et après l'avoir entendu, le Directoire départemental :
    Vu les réponses du prévenu et l'avis du Directoire du District et considérant que les pétitionnaires ayant laissé écouler depuis le 28 Mars dernier, jour auquel l'enchère des cens de Thaon et Igney eut lieu, jusqu'au 17 Octobre dernier, sans faire aucune réclamation ; considérant d'ailleurs que les cens dont il s'agit ont été loués 125 livres de France, tandis qu'auparavant ils n'étaient loués que 125 livres de Lorraine, et que d'autre part les pétitionnaires ne font aucune offre de surenchère, estime qu'il n'y a lieu de délibérer (Arch. des Vosges, Série L, Délibérations du District d'Epinal : Registre no. 63)

    Nouvelles dénonciations. - Ces événements se passent durant l'interrègne, mais ne parviennent pas à ébranler la confiance de la majorité des membres du Conseil municipal qui, sur le refus définitif de Brice Lacroix, portent, comme nous l'avons déjà vu, leurs voix sur Jean Daviller.

    L'échec des adversaires était accablant mais ne fit qu'envenimer leur ressentiment.

    Depuis un mois seulement, le maire a repris ses fonctions et déjà une nouvelle dénonciation est arrivée contre lui sur le bureau du Directoire du District.

    Ce sont toujours les mêmes griefs.
    Il a eu l'audace et l'indélicatesse de frustrer la Nation en soustrayant des affiches pou louer des cens nationaux assis sur le territoire dudit lieu et sur celui d'Igney, dans l'intention d'en ôter la connaissance à ses concitoyens et de parvenir sans concurrents à en devenir adjudicataire.

    On osait espérer que le Directoire se déjugerait: il n'en fut rien. L'assemblée déclare en effet:
    Qu'après renseignements pris, elle a estimé dans sa séance du 14 Octobre qu'il n'y avait lieu à délibérer, ce qui a été confirmé le 17 Novembre par le Directoire du Département.

    En conséquence, elle s'en tient à sa délibération dudit jour 14 Octobre qui renvoie Jean Daviller des fins de l'accusation.

    L'affaire semblait donc réglée définitivement et classée, mais les ennemis du maire n'avaient pas dit leur dernier mot.

    Quelques jours plus tard, une nouvelle dénonciation d'une gravité exceptionnelle arrive encore au district: Le maire de Thaon n'est rien moins accusé que de concussion. Plusieurs membres du Conseil général de la commune ne craignent pas d'assurer qu'il "a fait de faux traités, de fausses quittances, et réclament que la preuve en soit faite sur les lieux, par devant un commissaire qui s'y transportera à cet effet."

    La réponse du Directoire va enfin couper court à ces ridicules et méchantes calomnies:

    Considérant, dit-il, que des faits ce cette nature, s'ils étaient prouvés, non seulement emporteraient la privation de la place de maire dont il est revêtu, mais qu'au terme de l'article 42 de la 2e section du titre 2 de la loi du code pénal du 6 Octobre dernier, il subirait encore la peine de quatre années de fers, le Directoire estime que la connaissance n'en appartient pas au corps administratif et qu'elle doit être renvoyée à l'accusateur public, sauf la responsabilité des individus qui ont signé la présente pétition en cas qu'ils ne parviennent pas à la preuve (Arch. des Vosges: Série L, Délibérations du District d'Epinal. Registre 6, no. 806).

    Mis au pied du mur et dans l'alternative ou de cesser leurs attaques ou d'intenter un procès dans lequel le défaut de preuves suffisantes tournerait à leur confusion et à leur perte, les ennemis de Jean Daviller se hâtèrent de prendre le parti le plus sûr et d'abandonner toute poursuite.

    Dans la suite (9 Prairial, an III), c'est Brice Lacroix qui devient maire, mais nous ignorons les motifs qui l'amenèrent alors à remplir les fonctions pour lesquelles il avait d'abord montré tant de répulsion (Ibidem: Registre 6, no. 805).

    Plaintes des adjudicataires du droit de pêche. - Le droit de pêche, réservé jusqu'alors au Chapitre, avait été mis en adjudication au profit de l'Etat et attribué à Georges Leval, laboureur à Thaon et à Jean-Joseph Serrière, de Girmont ; mais les espérances qu'ils avaient fondées sur cette location furent déçues bien vite.

    La première année qu'ils exploitent la pêche a été pour eux si mauvaise qu'il leur a été impossible de s'acquitter seulement du taux de leur adjudication.

    Ils pétitionnent donc près du district (28 Mai 1791), le suppliant:

    1e D'être chargé de 77 livres qu'ils redoivent sur leur canon de 1790. - 2e De défendre les habitants de Thaon et de Girmont de pêcher dans les lieux ci-devant amodiés au profit de la Nation (Arch. des Vosges: Section L. Délibérations du District d'Epinal. Registre no. 63.2.)

    Mais le District ne se laisse pas émouvoir et:

    Considérant que les Municipalités desdits lieux n'ont aucune connaissance que les pétitionnaires aient été empêchés dans l'exercice de leurs droits de pêche, estime qu'il n'y a pas lieu de délibérer.

    Une ruse. - Si les ennemis de Jean Daviller avaient vu leurs attaques réduites à néant, la concorde n'en était pas rentrée pour cela au sein su Conseil municipal.

    Le maire, qui jusqu'alors s'est appuyé sur le peuple dans son administration communale, veut augmenter son prestige et sa popularité en prenant, sans aucune consultation officielle de son conseil ou du moins des récalcitrants de son conseil, un arrêté qui autorise le partage de plusieurs terres communales entre tous les habitants.

    La meure était pleine de ruse et d'habileté.

    D'un côté, le peuple ne peut que vanter l'extrême générosité de son peuple, de l'autre, dans le cas où l'arrêté reviendra sans approbation, l'opposition seule en sera la cause ; ce sera aux yeux de la population l'effet d'une manœuvre due aux démarches tentées par le parti hostile auprès du Directoire.

    Le District flaire le piège et après avoir répondu naturellement par un refus d'approbation, il engage instamment le maire et son conseil à vivre désormais en meilleure harmonie (Arch. des Vosges: Section L. District d'Epinal. Registre VI. No. 108.4. - 31 Octobre 1791)

    3.5. Difficultés administratives

    Fruits champêtres. - Sur la fin du mois d'Août 1792, le bruit se répand que certains propriétaires de prairies se permettent de récolter les regains, contrairement à la coutume qui les considérait comme fruits champêtres.

    Le maire Daviller doutant qu'une nouvelle législation autorise cette manière d'agir demande l'avis du District qui répond:

    Une loi est intervenue maintenant les anciens usages, par conséquent les propriétaires n'ont pas le droit de s'emparer des regains et il faut dresser procès-verbal contre les réfractaires (Arch. des Vosges : Série L. District d'Epinal, Registre VI. No. 806-4)

    La décision est communiquée aux intéressés qui partent aussitôt à Epinal présenter leur défense ; mais le Directoire départemental tranche encore la question en faveur de l'ancien usage.

    Considérant, dit-il, que les coutumes qui maintiennent le droit de vine pâture sur les prés non clos après la récolte de la première herbe sont réservés par le code rural, qu'il n'est pas possible de s'en écarter pour priver ceux qui avaient droit à la vaine pâture de leurs prétentions à partager les regains mis en réserve ; considérant aussi que les bangards sont responsables des dommages faits aux récoltes lorsqu'ils ne se sont pas mis en devoir de les empêcher, qu'il n'y a lieu de délibérer sur la demande en rapport de l'arrêté du 3 Août qui, en maintenant le partage des regains sur les prés non clos, en proportion du nombre des bêtes mises à la pâture assure aux laboureurs et propriétaires qui ont ordinairement le grand nombre de bestiaux la plus grande quantité de regains dans le partage, enjoint aux bangards de veiller à ce qu'aucun particulier, sous prétexte de propriété de fond ne s'ingère à récolter de son autorité les regains dont il s'agit et autorise la municipalité à dresser procès-verbal de la négligence desdits bangards et à faire estimer les torts qui en résulteraient pour être ensuite statué contre eux, ce qu'au cas appartiendra (Arch. des Vosges : Série L. District d'Epinal, Registre VI. No. 806-4, 3 Septembre 1792)

    Forêts domaniales. - Empiètement de l'Etat. - On a vu que toutes les forêts appartenant au Chapitre avaient été confisquées au profit de la Nation. Lorsqu'on en vint à l'exploitation de ces forêts, les habitants de Thaon s'aperçurent, mais un peu tard, que l'Etat n'y faisait aucune des réserves usitées et ne se préoccupait nullement de certains droits d'usage qui leur avaient de tout temps été concédés par les chanoinesses, particulièrement de celui d'opérer chaque année dans leurs bois une coupe de sept arpents.

    Le 25 Mars 1793, la municipalité se permet de faire des représentations au District. Celui-ci fait la sourde oreille et répond:

    Le District considérant que les motifs donnés par la commune de Thaon sont trop vagues et trop incertains pour pouvoir accueillir la réclamation et qu'il serait dangereux de l'exposer dans un procès considérable, sans cependant préjudicier aux droits respectifs des partis, déclare qu'il n'y a lieu de délibérer (Arch. des Vosges : Série L. Délibérations du District No. 5)

    Cependant Domèvre-sur-Avière, le chef-lieu de canton s'aperçoit qu'il n'est pas moins lésé dans ses intérêts que Thaon. L'Etat prétend s'adjuger la moitié des affouages des deux communes sous prétexte que ces affouages proviennent des forêts du Chapitre.

    Que faire?… Des pourparlers s'engagent entre les deux municipalités, on a pour soi la coutume immémoriale, des titres, des parchemins qui proviennent de la dame abbesse et confirment la coutume. On rédige donc une pétition collective que l'on adresse au District: Les communes y exposent leurs droits et réclament justice.

    L'affaire est délicate et le district s'en débarasse en invitant les plaignants à poursuivre en justice le procureur de la général syndic qui représente la Nation.

    Voici en effet, sa réponse datée du 27 Juin 1793:

    Vu lesdites pétitions, les titres et traductions y joints, ouï le procureur syndic, le Directoire considérant que, par l'article 1 de la loi du 28 Août 1792, c'est pat devant les tribunaux que les communes doivent se retirer pour faire prononcer sur les prétentions de la nature de celles dont s'agit, qu'après l'article 8 de la même loi elles peuvent se faire réintégrer dans les biens qu'elles justifieront avoir anciennement possédés, considérant que leurs droits sont apparents ; estime qu'il y a lieu d'autoriser lesdites communes à traduire le citoyen procureur général syndic comme représentant la Nation au tribunal du District d'Epinal pour faire contradictoirement prononcer sur leurs prétentions (Arch. des Vosges : Série L. Délibérations du District No. 5)

    C'était une grosse affaire que d'engager des poursuites contre l'Etat, et, avant d'en arriver à cette redoutable extrémité, Domèvre et Thaon veulent épuiser toutes les juridictions administratives et s'adressent au Directoire départemental. Celui-ci montre d'abord plus de bienveillance et répond, le 21 Juillet 1793, que les communes aient à choisir entre deux arbitres qui s'entendront avec deux autres qu'il se réserve de nommer.

    Thaon et Domèvre désignent le citoyen Jacquot Perrin, de Thaon, président du District et le Citoyen Andreux, avoué d'Epinal et avoué des communes plaignantes.

    Le Directoire récuse ce choix et la raison en est:

    Que les deux arbitres sont intéressés dans la question et que leur suffrage est dès à présent acquis aux communes. Celles-ci devront donc en nommer deux autres et ce, devant le juge de paix du canton de Domèvre qui s'entendront avec les deux nommés par le procureur général syndic. (Arch. des Vosges : Série L. Délibérations du Directoire départemental, année 1793)

    A Bon chat bon rat: les communes récusent à leur tour le citoyen Martin l'un des deux arbitres de l'Etat, attendu que ce dernier peut-être regardé comme suspect. Le Directoire se rend à cette raison, mais déclare qu'il choisira seulement un arbitre "quand la commune de Thaon en aura elle-même nommé un autre à la place du citoyen Jacquot Perrin" (Ibidem : Délibérations du Directoire du District No. 5)

     On finit cependant par tomber d'accord sur la composition du jury ; mais, hélas! Le jugement rendu quelque temps après (2 Octobre 1793) est loin d'être favorable aux Thaonnais et les 7 arpents réclamés continuent à être exploités au profit de la Nation.

    Les choses restèrent en cet état jusque vers l'an 1820.

    Encore deux ou trois ans, dit M. Fiel, et la prescription était en faveur de l'Etat ; lorsque M. Marchal, maire de la commune, réclama contre l'injustice de cette possession et fit si bien que le gouvernement rendit les sept arpents et tout l'argent qu'il avait perçu de la vente des coupes faites dans lesdits arpents.

    Générosité municipale. - La mesure que Jean Daviller avait voulu prendre relativement au partage de certains terrains communaux au profit des habitants de Thaon, la municipalité de 1793 tenta de l'appliquer en faveur de la classe indigente.

    A la suite d'une motion faite dans ce sens à la Convention Nationale, le conseil prit une délibération d'après laquelle tous les terrains en question seraient attribués maux pauvres, au prorata de leurs besoins ; après quoi on procéda au partage.

    Mais la classe des laboureurs se sentait lésée: la loi n'étant d'ailleurs qu'en projet, une pétition signée Georges Valence, de Thaon, fut envoyée quelques jours après à Epinal. Elle n'y reçu pas brillant accueil. Le District, après avoir pris des informations près du maire, déclarait le 31 Mars 1793 qu'il n'y avait pas lieu de délibérer, sauf cependant "à procéder de nouveau audit partage quand le mode annoncé par la Convention nationale serait d'écrêté" (Archives des Vosges: Série L. Le 8 Prairial an III, le District alloue 64 livres à un indigent de Thaon, plus 60 autres livres qui devront être employées en travaux utiles à la Commune.)

    3.6. L'instruction

    Ecolage à la charge de la commune. - Le chapitre supprimé, c'était à la commune de pourvoir à l'instruction. Jusqu'alors, en effet, les chanoinesses avaient entretenu à leurs frais un maître d'école dans un local déclaré depuis bine national, de telle sorte que grâce à cette largesse les Thaonnais avaient de tout temps joui du bienfait de la gratuité.

    La disparition du Chapitre allait grever le budjet d'une charge inattendue qui attira aussitôt les préoccupations du conseil municipal. La question débattue, on convint de laisser les frais de l'écolage à la charge du District : l'Etat s'est emparé, dit-on, des biens-fonds du Chapitre, qu'il en supporte dons toutes les charges.

    C'est dans ce sens que l'on rédige une pétition et que l'on invite le receveur du District d'Epinal à inscrire sur les dépenses de son budjet le traitement du maître d'école de Thaon. L'assemblée qui est débordée de pétitions analogues fait la sourde oreille et répond par un refus. Le directoire départemental à qui l'affaire est soumise est du même avis, estimant:

    Que la suppression de la dîme n'étant profitable qu'aux habitants des campagnes, ils doivent supporter une partie des charges dont elle était grevée, en conséquence les habitants de Thaon doivent payer les gages de leurs maîtres d'école, à l'effet e quoi, la municipalité dudit lieu est autorisée à traiter avec un maître d'école pour les gages à lui accorder, à charge de représenter le traité s'il y a lieu (Arch. des Vosges : Série L, Délibérations du District, registre 2., 1er Avril 1X01)

    A la recherche d'une école. - Le local affecté par le Chapitre pour l'instruction avait naturellement été saisi et vendu comme bien national. Pour s'en procurer un autre, c'est à la complaisance du curé constitutionnel que l'on a recours.

    Il y a au centre du village une maison qui jadis a été donnée à la cure et transformée en chapelle en prévision des inondations qui empêchaient parfois les habitants de gagner l'ancienne église paroissiale. Comme ce bâtiment n'est plus d'aucune utilité depuis la construction de l'église actuelle et comme, d'autre part, le curé ne fait aucune difficulté de s'en dessaisir, le conseil municipal demande en conséquence l'autorisation d'y installer les locaux scolaires.

    Naturellement le District donne un avis favorable:

    Attendu que la chapelle dont il s'agit ne sert plus à l'usage auquel elle a été destinée… que le curé à qui appartient le fonds sur lequel elle est construite a pu en disposer au profit de son successeur comme curé ; le Directeur du District estime qu'il y a lieu d'autoriser la municipalité de Thaon à y loger son maître d'école et en ce qui concerne les réparations à y faire pour le rendre logeable, autorise le Conseil général de la commune à faire procéder par un expert à un devis estimatif desdites réparations (Ibidem : Série L. Délibérations du District, no. 63, registre 2.)

    On peut admirer la facilité d'interprétation apportée par le District aux intentions du donateur qui avait fait ses largesses non comme simple citoyen mais comme curé. En appréciant ainsi les choses, la chapelle devenait bien national de par la force des lois et s'offrait à l'Etat comme une bonne aubaine.

    Le Directoire départemental n'alla pas si vite en besogne: la spoliation qu'on lui suggérait ne lui sembla pas d'une légalité absolue et après délibération il fut décidé qu'un commissaire se transporterait sur les lieux "à l'effet d'examiner les inconvénients qui pourraient résulter du bâtiment en question par rapport à l'objet de sa destination." (30 Mai 1791, Arch. des Vosges : Série L. Délibérations du District, no. 63, registre 2.)

    Le 5 juin, le commissaire, M. de Rozières, membre du District fait un rapport conforme à la première délibération de cette assemblée, et le Directoire départemental:

    Considérant que la chapelle sert actuellement de bûcherie ainsi que les appartements y attenant et qu'ils sont un domaine national qu'il n'est pas au pouvoir de l'administration de céder gratuitement ; considérant que cette place convient pour y construire une maison d'école, autorise la commune à en faire l'acquisition.

    Projet de contribution scolaire. - Alors qu'on a compté sur une simple désaffection de la chapelle, il s'agit maintenant de l'acheter et, dans la circonstance, les finances de la commune ne sont pas des plus prospères.

    Où trouver des ressources? Quelques notables proposent de saisir les regains et les fruits champêtres et d'en réserver la vente pour l'achat de l'école. Le conseil approuve l'idée, s'informe des dispositions des principaux laboureurs relativement à l'exécution du projet, puis croyant suffisamment compter sur l'opinion publique, il prend une délibération en conséquence et l'envoie à l'approbation du District.

    Cependant certains manœuvres de Thaon qui se sentent lésés dans leurs intérêts pétitionnent pour détruire l'effet de la délibération. Le maire Jean Daviller est appelé est appelé à Epinal et, malgré toutes les raisons qu'il essaye d'alléguer, le Département aussi bien que le District lui déclarent que la délibération déposée sur leurs bureaux est illégale et entachée de nullité.

    La loi du 5 Juin n'est pas, lui dit-on applicable à ses prétentions… L'assemblée nationale n'a, jusqu'ici rendu aucun décret qui déroge aux dispositions des coutumes sur l'exercice du droit de parcours et de vaine pâture qui subsiste comme d'ancienneté ; en conséquence les regains et les fruits champêtres doivent être partagés entre les habitants de Thaon dans la proportion accoutumée. Ceux qui auraient déjà récolté les regains seront tenus d'en produire un état au moment du partage (27 Août 1791, Arch. des Vosges : Série L, Délibérations du District, registre VI, 806.4 et no. 63).

    Où trouva-t-on les fonds pour l'achat projeté, nous l'ignorons? Toujours-est-il-que, le 4 Novembre suivant, le District approuvait le devis des réparations à entreprendre dans l'ancienne chapelle vendue par le Directoire à la commune de Thaon (Ibidem : registre no. 63, vol. 2.)

    Thaon centre scolaire. - L'Assemblée constituante avait décrété que chacune des communes de France ouvrirait une école à laquelle l'Etat se chargerait de pourvoir. On s'aperçut bientôt que, soit absence de fonds nécessaires, soit manque d'instituteurs, la loi était inapplicable.

    On la rapporte donc dès le mois de Décembre 1792, et d'après les nouveaux règlements, partout où l'on se trouvera dans l'embarras pour une raison ou pour une autre, il ne sera plus érigé qu'une école par chaque millier d'habitants. De la sorte, deux ou trois villages devaient se réunir au plus populeux.

    A ce moment, Thaon est fourni de son maître d'école: c'est un nommé Jacquot Quirin, antérieurement instituteur à Oncourt, qui, le 7 Juin 1791, a pétitionné près du District afin d'être agréé pour Thaon. Sa nomination ne souffre aucune difficulté et le Directoire départemental la confirme, mais à deux conditions: c'est que le nouvel instituteur ne sonnera pas pendant les orages et qu'il enseignera le catéchisme de la Constitution.

    C'est seulement le 8 Ventôse, an III (26 Février 1795) que le District applique à Thaon la loi de Décembre 1792, par suite sans doute du départ de l'instituteur Jacquot Quirin, Thaon devient alors centre scolaire avec Chavelot et Oncourt pour annexes et cela parce qu'il est le plus populeux et le plus central.

    La mesure n'était pas très heureuse, car pour la population de 720 âmes des trois villages réunis, l'Etat, n'ayant pas les ressources suffisantes, n'établissait qu'un école mixte: elle était encore moins pratique, je dirai même qu'elle était ridicule pour la bonne instruction des enfants: comment en effet, obliger petits garçons et petites filles de tout âge à faire à pied et pat tous les temps le trajet d'Oncourt à Thaon à travers une longue et sombre forêt (Arch. des Vosges : Série L, Délibérations du District, registre no. 4)
    Jean-Séraphin Counot, natif de Thaon, fut agréé comme instituteur de la nouvelle école (18 Germinal an III, 7 Avril 1795, Ibidem)

    3.7. Charges militaires

    Garde Nationale. - Comme partout ailleurs la Garde Nationale fut organisée à Thaon dès l'année 1789 ; mais l'enthousiasme ne semble pas bien bruyant en faveur de la nouvelle institution. Son entretien est laissé d'ailleurs à la charge de la Communauté qui n'est guère à même de faire face à ce surcroît de dépenses et de plus les fusils promis par la Nation n'arrivent pas.

    On comprend dès lors le peu d'empressement de la compagnie à se mettre sous les armes ; et cependant son effectif est respectable puisqu'il se monte à 73 hommes. Il faut attendre jusqu'au 5 Octobre 1792 avant d'espérer pourvoir à son équipement militaire. D'après un ordre de la Convention, 1907 piques ont été attribuées aux communes du District d'Epinal, mais sur ce nombre 26 seulement arrivent à Thaon. C'était dérisoire : qu'on s'étonne après cela de ne trouver trace de la moindre mobilisation d'une compagnie qui n'eut guère d'existence officielle que sur le papier. Le jour même où l'on procède à la distribution des 26 piques, le Directoire départemental, d'après un arrêté du 16 Septembre précédant, avertit M. joseph Perrin, de Thaon, qu'il a été nommé commissaire chargé d'assurer les subsistances et la sûreté de Thaon. Or on s'apercevra bientôt que ce fut Thaon qui dut pourvoir aux subsistances d'Epinal.

    Volontaires. - En exécution de la loi du 9 Juillet 1791, le Directoire du département des Vosges recevait, le 14 Août suivant une lettre du ministre de la guerre prescrivant la formation immédiate de quatre bataillons de volontaires, et le 28 Avril avait lieu à Epinal la concentration des jeune gens de ce district et de celui de Remiremont.

    Mais rien n'était prêt, dit M. Félix Bouvier, pour les recevoir: ni vivres, ni logements. Ces malheureux, la plupart sans ressources, erraient dans les rues, mourant de faim. Plusieurs se retirèrent, plusieurs menacèrent de les suivre.

    Que firent nos braves volontaires de Thaon dont les noms ne nous ont pas été conservés? On peut facilement le conjecturer, vu le peu de distance qui les séparaient de leurs foyers.

    Ce ne fut pas malheureusement la seule fois qu'ils eurent à se plaindre de l'incurie et de l'impéritie de certains organisateurs. A leur arrivée au corps rien n'est prêt pour leur équipement, pas même pour leur habillement et, le 8 Août 1970, le conseil municipal de Thaon prenant en pitié la misère des siens, demande au District l'autorisation de puiser dans sa caisse la somme de 375 livres et de la distribuer aux volontaires de la commune (Archives des Vosges : Série L. Délibérations du District. - No. X05.4)

    La convention essaye bien quelquefois de calmer les récriminations trop éclatantes: elle promet beaucoup, mais quand il faut à toute force ouvrir les caisses de l'Etat, les subventions qu'elle vote tournent au ridicule. Qu'on juge plutôt par les 1036 livres accordées, le 17 Avril 1793, aux volontaires du District d'Epinal. La répartition faite, le maire de Thaon est informé que ses volontaires recevront, pour eux tous, la somme renversante de 14 livres, 11 sols, 4 deniers (Archives des Vosges : Série L. Procès-verbaux des Cessions. - Registre 7)

    Dans de semblables conditions, on comprend que les désertions n'aient pas été rares. Le 28 Thermidor, an III (15 Août 1795), un négociant d'Epinal est envoyé à Thaon par le Directoire du District afin "d'enjoindre aux défenseurs de la patrie autres que les absents par congé de rejoindre leurs drapeaux" (Archives des Vosges : Série L. Délibérations du District. - Registre 4)

    Enfin à cette date et en plus des absents qui doivent regagner leurs corps, la commune doit encore fournir aux volontaires sur la levée de 1200 hommes qui est imposée au département des Vosges (Archives des Vosges : Série L. Procès-verbaux des Cessions. - Registre 7)

    C'est à peine si grâce à certaines pétitions parvenues au District, nous avons pu recueillir le nom de quelques uns de ces jeunes gens enrôlés au service de la patrie.

    Le plus ancien est un nommé André dont le père Antoine André demande au District (7 mai 1792) de vouloir bien, en considération de son grand âge, lui renvoyer son fils aîné, volontaire au 2è bataillon des Vosges. On promet de s'intéresser à lui (Archives des Vosges : Série L. Délibérations du District. - No. 806.4)

    Deux ans plus tard (9 Fructitor an II. - 26 Août 1794), c'est Georges Valance qui réclame pour son fils un congé définitif parce qu'il ne peut s'en passer dans sa culture. Il n'obtient qu'un congé temporaire durant la saison des semailles.

    Le même jour enfin, Laurent Lacroix et Georges Guericolas, dont les fils ont été inscrits sur la liste des volontaires de la première réquisition, supplient, mais en vain, le District de les faire exempter. (Archives des Vosges : Série L. Délibérations du District. - Registre 4)

    Réquisition militaires en 1792 et en 1793. - La nouvelle de la déclaration de guerre à l'Autriche arrivait à Epinal le 28 Avril 1792 et le soir même Thaon en était informé. Hélas! L'heure des souffrances et des privations venait de sonner pour la pauvre commune et surtout pour sa population agricole.

    Ce sont d'abord les passages incessants de troupes et de munitions qui se rendent à l'armée du Rhin et au transport desquelles la commune est obligé de pourvoir. Du 4 Juillet au 27 Novembre, le nombre des convois effectués est incroyable: 106 chevaux et 47 voitures dont la conduite a imposé un absence de 160 jours à 326 personnes: tel est le bilan de ces quatre mois. La plus part du temps l'étape requise ne dépasse guère trois ou quatre jours, cependant nous en trouvons qui montent à 9, 10 et même 22 et 27 jours (Réquisitions des habitants de Thaon pour la conduite des convois destinés à l'armée du Rhin - 1792 - Archives communales : BB. 1).
     

    Personnes Réquisitionnées

    Chevaux

    Voitures

    Jours d'absence

    4 Juillet

     

     

     

    Joseph Arnould

     

     

     

    Dominique Marchal

     

     

     

    Charles Mathieu

     

     

     

    Nicolas Valance

     

     

     

    Laurent Lacroix

     

     

     

    Georges Leval

     

     

     

    Nicolas Colin

     

     

     

    11 Juillet

     

     

     

    Dominique Leval

     

     

     

    Charles Valance

     

     

     

    Brice Lacroix

     

     

     

    Dominique Cornement

     

     

     

    Dominique Nicolas

     

     

     

    Dominique Collenne

     

     

     

    Dominique Jacobé

     

     

     

    Dominique Dupont

     

     

     

    Dominique Veuve Balay

     

     

     

    18 Juillet

     

     

     

    Dieudonné Délot

     

     

     

    Jean Daviller

     

     

     

    Grand Batiste

     

     

     

    Nicolas Husson

     

     

     

    Dominique Thiriot

     

     

     

    Laurent Lacroix

     

     

     

    Charles Mathieu

     

     

     

    Joseph Mougrot

     

     

     

    21 Juillet

     

     

     

    Joseph Dumont

     

     

     

    Veuve Remy

     

     

     

    Joseph Perrin

     

     

     

    Veuve Valance

     

     

     

    Brice Jacobé

     

     

     

    Nicolas Perrin

     

     

     

    Laurent Lacroix

     

     

     

    D. Jacobé

     

     

     

    Nicolas Husson

     

     

     

    26 Juillet

     

     

     

    Nicolas Colin

     

     

     

    Joseph Perrin

     

     

     

    J.-B. Grandjacquot

     

     

     

    J.-B. Perrin

     

     

     

    Jospeh Balay

     

     

     

    10 Août

     

     

     

    Charles Mathieu

     

     

     

    J.-B. Grandjacquot

     

     

     

    Nicolas Husson

     

     

     

    12 Août

     

     

     

    Dominique Nicolas

     

     

     

    Joseph Perrin

     

     

     

    Dominique Délot

     

     

     

    1er Septembre

     

     

     

    Nicolas Cherrier

     

     

     

    Veuve Remy

     

     

     

    Nicolas Perron

     

     

     

    François Déiet

     

     

     

    Dominique Thiriot

     

     

     

    Laurent Lacroix

     

     

     

    Jean Jacobé

     

     

     

    Brice Lacroix

     

     

     

    Etienne Husson

     

     

     

    15 Septembre

     

     

     

    Nicolas Perrin

     

     

     

    Dominique Guericolas

     

     

     

    Joseph Arnould

     

     

     

    Joseph Balay

     

     

     

    26 Septembre

     

     

     

    Joseph Balay

     

     

     

    Charles Mathieu

     

     

     

    Dominique Cornement

     

     

     

    Joseph Balay

     

     

     

    Jacobé Claude

     

     

     

    Laurent Lacroix

     

     

     

    Nicolas Lacroix

     

     

     

    Jean Jacobé

     

     

     

    Brice Lacroix

     

     

     

    Jean-Joseph Lamoise

     

     

     

    Laurent Lacroix

     

     

     

    Les Thiriot

     

     

     

    Nicolas Perron

     

     

     

    Joseph Balland

     

     

     

    Nicolas Valance

     

     

     

    Dieudonné Délot

     

     

     

    11 Octobre

     

     

     

    Antoine André

     

     

     

    Veuve Remy

     

     

     

    Nicolas Perron

     

     

     

    Etienne Husson

     

     

     

    14 Octobre

     

     

     

    Veuve Remy

     

     

     

    François Délait

     

     

     

    Nicolas Perron

     

     

     

    18 Octobre

     

     

     

    Nicolas Colin

     

     

     

    Georges Léval

     

     

     

    Dominique Délot

     

     

     

    21 Octobre

     

     

     

    Nicolas Perrin

     

     

     

    Jean Daviller

     

     

     

    Dieudonné Délot

     

     

     

    22 Octobre

     

     

     

    Dominique Léval

     

     

     

    Charles Valance

     

     

     

    Fils Léval

     

     

     

    Brice Lacroix

     

     

     

    Jean Jacobé

     

     

     

    Joseph Lagarde

     

     

     

    23 Octobre

     

     

     

    Nicolas Colin

     

     

     

    Joseph Balay

     

     

     

    Fils Balay

     

     

     

    Laurent Lacroix

     

     

     

    Domestique de Lacroix

     

     

     

    Corenement

     

     

     

    Antoine André

     

     

     

    Laurent Lacroix

     

     

     

    Etienne Husson

     

     

     

    25 Octobre

     

     

     

    Charles Mathieu

     

     

     

    Nicolas Perron

     

     

     

    28 Octobre

     

     

     

    Veuve Balay

     

     

     

    Dominique Cornement

     

     

     

    Joseph Balay

     

     

     

    Jospeh Arnould

     

     

     

    Nicolas Valance

     

     

     

    Dominique Renaud

     

     

     

    2 Novembre

     

     

     

    Joseph Dupont

     

     

     

    Joseph Conot

     

     

     

    François Léval

     

     

     

    Georges Léval

     

     

     

    Dieudonné Délot

     

     

     

    Les Thiriot

     

     

     

    Nicolas Thiriot, fils

     

     

     

    Joseph Durand

     

     

     

    Joseph Lagarde

     

     

     

    Laurent Lacroix

     

     

     

    Son domestique

     

     

     

    7 Novembre

     

     

     

    Veuve Remy

     

     

     

    Dioudonné Délot

     

     

     

    François Remy

     

     

     

    Balthazard Hély

     

     

     

    Jean Daviller

     

     

     

    Jean-Baptiste Guyon

     

     

     

    Nicolas Perrin

     

     

     

    Dominique Cornement

     

     

     

    Le fils de Nicolas Perrin

     

     

     

    Nicolas Bailly

     

     

     

    Dominique Jacobé

     

     

     

    Brice Jacobé

     

     

     

    François Husson

     

     

     

    18 Novembre

     

     

     

    Laurent Lacroix

     

     

     

    Brice Lacroix

     

     

     

    Nicolas Perron

     

     

     

    Un conscrit

     

     

     

    Collenne & Jacobé

     

     

     

    Antoine André

     

     

     

    Dieudonné Délot

     

     

     

    Joseph Délait

     

     

     

    23 Novembre

     

     

     

    Nicolas Colin

     

     

     

    Joseph Balay

     

     

     

    Charles Mathieu

     

     

     

    Veuve Balay

     

     

     

    Fils Balay et domestique de Colin

     

     

     

    27 Novembre

     

     

     

    Joseph Arnoux

     

     

     

    Nicolas Valance

     

     

     

    Etienne Husson

     

     

     

    Nicolas Cherrier

     

     

     

    Laurent Lacroix

     

     

     

    Nicolas Perron

     

     

     

    Fils Cherrier

     

     

     

    Veuve Remy

     

     

     

    Dominique Gueuricolas

     

     

     

    Balthazard Hély

     

     

     

    La première réquisition en nature a lieu seulement le 28 Janvier 1793: Thaon est imposé pour 40 sacs d'avoine. Ce n'est là qu'un léger acompte et vers le milieu de l'année la pauvre commune sera horriblement mise à contribution. C'est ainsi que le 26 Juillet le District lui réclame déjà 10 quintaux de blé et 30 sacs d'avoine ; puis, trois semaines plus tard, le même District, qui doit fournir à la manutention 1260 quintaux de blé, la taxe pour 50. Chose digne de remarque, c'est Thaon qui est le plus imposé proportionnellement à ses 339 habitants: Epinal qui en compte 6134 ne fournit en effet que 15 quintaux.

    Le lendemain, nouvelle réquisition de 60 sacs d'avoine qu'il faut conduire à Epinal ainsi que 10 autres sacs le 25 Juillet ; puis, quatre jours plus tard, 40 quintaux de foin et 25 sacs d'avoine.

    Un mois ne s'est pas écoulé (19 et 22 Septembre), que les magasins militaires d'Epinal réclament de nouveau 60 sacs d'avoine et 20 mille de foin.

    Approvisionnement des marchés d'Epinal. - Ce n'est pas tout de subvenir aux besoins de l'armée, il faut encore alimenter coûte que coûte les marchés d'Epinal et ce n'est pas toujours facile. Presque chaque semaine arrive un ordre du District qui enjoint de prendre part, le Samedi suivant, à l'approvisionnement de la ville selon une quantité de froment fixée d'avance.

    La première fois (17 Août), on réclame 5 réseaux de blé ; la seconde (6 Octobre) c'est 8 ; mais le vide s'est fait sur les greniers, et puis chacun tient à se réserver une petite provision, choses qui expliquent pourquoi le maire ne peut envoyer qu'un resal. Le District se fâche, réclame sous les peines les plus graves les 7 autres pour le lendemain et en impose encore 8 nouveaux pour le Samedi suivant (Arch. des Vosges : Série L, Délibérations particulières du District. Registre No. 3)

    Le village était réduit, ruiné et l'on se demandait comment on pourrait passer l'hiver. Le District le comprit et usa de ménagements. Pendant deux ans Thaon n'approvisionne plus les marchés d'Epinal et c'est seulement au mois de Fructidor an II que l'on requiert trois nouveaux chargements de blé se montant à une vingtaine de quintaux: faut-il le dire, ce n'est pas encore sans maugréer que les cultivateurs conduisent leurs denrées.

    Les braves gens! ils ne se doutent guère de ce qu'il les attend: l'année suivante des ordres rigoureux les mettent en route chaque Samedi. A la fin, les pauvres malheureux finissent par se lasser et le District adresse force réclamations. La municipalité n'exécute pas ses ordres ou y met trop peu d'empressement, et la preuve en est, c'est qu'au 15 Nivôse an III (4 Janvier 1795), vingt cultivateurs de Thaon sont en retard de 150 quintaux.

    Le District finit sans doute par se rendre à la raison, car à partir de cette époque, la commune n'est plus taxée qu'une fois pour 8 quintaux de froment (17 Vendémiaire, an IV. - 8 Octobre 1795 - Arch. des Vosges : Série L. Délib. Particulières du District. Registre No. 3)

    Réquisitions militaires de l'an II et de l'an III. - On comprend d'autant plus le peu d'empressement des pauvres cultivateurs à se dessaisir de leur blé que les réquisitions militaires devenaient de plus en plus incessantes. L'énumération que nous donnons ici ne manquera pas d'exciter un étonnement mêlé d'un vrai sentiment de pitié à leur égard:
     

    An II

    8 Brumaire

    100 quintaux de paille conduits à Colmar pour l'armée du Rhin.

    27 Brumaire

    60 quintaux de paille et deux couvertures.

    19 Frimaire

    45 sacs de toile.

    20 Frimaire

    25 quintaux de blé.

    22 Frimaire

    4 mille de foin.

    8 Nivôse

    80 quintaux de paille.

    3 Ventôse

    D'après les réquisitions ordonnées pour les armées du Rhin et de la Moselle par les représentants du peuple La Coste et Baudot, Thaon fournit: 2 habits, 2 vestes, 2 culottes, 2 redingottes, 9(9) guêtres, 2 pantalons.

    7 Ventôse

    Sur une réquisition de 500 sacs d'avoine à fournir à Strasbourg, Thaon en fournit 50.

    9 Germinal

    Sur une réquisition de 1000 sacs d'avoine à conduire à Strasbourg, Thaon en fournit 80.

    25 Germinal

    Georges Valance réclame une indemnité pour la perte d'un bœuf mort en conduisant l'avoine à l'armée du Rhin. Le District ayant fait prendre des informations alloua 330 livres au plaignant parce que son bœuf est mort de fatigue.

    28 Germinal

    Une voiture de paille à conduire à Saint-Dié.

    2 Floréal

    Thaon envoie des voitures à Epinal pour conduire 9 mille pesant de réquisitions.

    12 Floréal

    100 quintaux de paille.

    18 Floréal

    80 sacs d'avoine

    27 Floréal

    20 quintaux de grains.

    28 Plairial

    70 sacs d'avoine.

    14 Messidor

    9 quintaux de grains.

    21 Messidor

    50 quintaux de grains.

    12 Thermidor

    2 voitures et 4 chevaux pour conduire à Lunéville les équipages du 9e chasseurs à cheval.

    14 Thermidor

    105 quintaux de grains.

    25 Thermidor

    130 quintaux de grains, 50 quintaux de d'avoine, 160 quintaux de paille.

    29 Thermidor

    40 sacs de toile.

    14 Fructidor

    16 sacs de toile.

    15 Fructidor

    42 quintaux de blé à conduire à Saverne

    27 Fructidor

    1 voiture attelée de 4 chevaux pour conduire à Landau des réquisitions militaires.

    An III

    1er Vendémiaire

    2 voitures attelées de 4 chevaux.

    18 Vendémiaire

    40 aulnes de toile.

    15 Brumaire

    3 voitures.

    9 Frimaire

    5 voitures pour Saverne.

    19 Frimaire

    2 voitures

    19 Nivôse

    Lors des approvisionnements militaires imposés au District, Thaon est taxé à 160 quintaux d'avoine, 170 de foin, 90 de paille.

    14 Pluviose

    6 chevaux.

    17 Plairial

    1 voiture pour Schélestadt (Arch. des Vosges, Série L. - Délibérations particulières. No. 3 passim.)

    An IV

    11 Vendémiaire

    20 quinatux de blé et 30 de seigle pour l'armée du Rhin.

    8 Brumaire

    141 quintaux de paille et 141 de foin pour la même destination.

    Autres réquisitions

    Ce n'est pas le tout d'approvisionner les marchés d'Epinal et de subvenir à toutes les réquisitions militaires: il faut encore nourrir les papetiers de Dinosey qui travaillent au compte de l'Etat.

    Voici, en effet, la curieuse délibération que nous lisons dans un registre, du District (no. 1), à la date du 6 Vendémiaire an III:

    L'administration du district d'Epinal considérant que pour se conformer à l'arrêté des représentants du peuple Perrin et Projean qui les chargent de faire fournir des subsistances pour le service de la Convention nationale, elle a requis en faveur du citoyen Viller, papetier de Dinozey, la commune de Thaon, une certaine quantité de quintaux de grains, pour l'exécution de quoi, la municipalité a requis les cultivateurs qui tous se sont conformés, à l'exception de veuve Nicolas Colin, Jean Déloi fils, Nicolas Perrin, Jean-Baptiste Guyon et Georges Valance, … arrêté que lesdits dénommés seront tenus de faire conduire à leurs frais au domicile du citoyen Viller les quantités de grains pour lesquelles ils ont été requis ; …que faute par eux d'y satisfaire ils y seront contraints à leurs frais personnels par la gendarmerie nationale sans préjudice de la grande peine.

    Le lendemain, un autre papetier, nommé Colombier, réclame encore 75 livres de blé que lui doivent les récalcitrants de Thaon: le District renvoie à la précédente délibération.

    Il ne faut pas s'étonner après cela de voir nos pauvres cultivateurs faire quelquefois la sourde oreille, même devant les menaces: ils n'y gagnent rien et il leur faut toujours céder à la force armée.

    Le 26 Brumaire, an II, une brigade de gendarmerie envoyée par le District vient à Thaon au sujet du retard éprouvé par trois voitures de réquisitions. Une autre fois (21 Ventôse), c'est un commissaire, nommé Pierre Drouot, qui arrive dans le but de presser le départ des subsistances militaires destinées à l'armée du Rhin.

    Enfin (18 Floréal), menaces du district, parce que Thaon n'a pas fourni son appoint relativement aux fournitures militaires exigées. On va lui appliquer la loi qui frappe les retardataires de détention et d'une amende égale à la valeur des réquisitions.

    Extraction du salpêtre. - Avec les réquisitions et l'approvisionnement des marchés d'Epinal, la municipalité avait à pourvoir aussi à la fourniture de certaines munitions de guerre, du salpêtre en particulier.

    Aussitôt la réception de la circulaire des régisseurs nationaux des poudres, le Directoire départemental prend les mesures nécessaires à la production immédiate de cette matière première.

    Le sol de Thaon a été reconnu suffisamment riche en salpêtre et des ordres ont été donnés pour l'installation des instruments propres au lessivages des terres. C'est un nommé Nicolas Buclier qui a l'entreprise de la nouvelle industrie (8 Pluviôse, an II - 27 Janvier 1794); il a sous ses ordres Jean Avenu de Mazelay, Ambroise Clausse de Vaxoncourt et Jean-Baptiste Sévit de Bzegney.

    A l'occasion de cette entreprise, la commune paraît avoir été mise à contribution pour la fourniture du bois de chauffage. Le fut-elle encore pour le salaire journalier des autre ouvriers? C'est possible ; toujours est-il que, eu égard à leur genre de travail, ils furent dispensés par le District du paiement des contributions militaires (Arch. des Vosges. Série L. - Délibérations du District. Registre 63 et No. 5)

    Le général Mathieu. - Alors que Thaon envoie ses jeunes volontaires sur nos frontières menacées, un de ses enfants y a déjà conquis la gloire et gagné à la pointe de son épée les étoiles de général de brigade.

    Arrivé au régiment à la suite sans doute d'un recrutement régulier des milices, il attire bientôt sur lui l'attention de ses chefs. L'instruction qu'il a reçue au village est bien élémentaire sans doute, mais son courage et ses vertus militaires brillent d'un tel éclat qu'il arrive au bout de quelques années au grade de sous-lieutenant.

    Un jour qu'il se trouve en permission dans sa famille, il gagne Epinal pour y régler quelques affaires. Le hazard lui fait rencontrer un groupe de militaires de la garnison, des propos sont échangés, une querelle s'engage et en un clin d'œil Mathieu a couché trois de ses adversaires sur le carreau.

    Après cet exploit, il reprend en hâte la route de Thaon et pour éviter des représailles suit le chemin de Dogneville d'où il aperçoit bientôt de l'autre côté de la Moselle, une patrouille lancée à sa poursuite. Il rentre à la faveur de la nuit pendant que les militaires montent la garde à l'entrée principale du village et attendent son retour ; puis le lendemain matin, avant l'aube, il part pour Nancy rejoindre son régiment.

    Lorsqu'il reçoit de Louis XVI la Croix de Saint-Louis, il invite à cette occasion la plupart des officiers de son régiment. Pendant le banquet et alors que l'on devise gaîment, son attention est attiré par une conversation appartenant à la noblesse. Le repas terminé et soupçonnant que sa personne était en jeu, il prend à part ses deux subordonnés et exige la traduction de leurs paroles.

    Bon gré mal gré il faut s'exécuter et ceux-ci déclarent qu'ils en étaient à se demander comment un roturier avait pu obtenir une décoration presque exclusivement réservé à la noblesse.

    "Eh bien! Moi, je vais vous l'apprendre!… Des épées, Messieurs, et allons de ce pas sur le terrain! Là, je vous ferai voir qu'un enfant du peuple sait aussi bien manier les armes qu'un officier titré!".

    Les deux lieutenants préférèrent offrir leurs excuses plutôt que de s'exposer aux chances d'un combats singulier.

    Dénoncé comme suspect durant la Terreur, il est rappelé de son régiment et invité à paraître à la barre de la Convention. C'est pour lui un arrêt de mort: Mathieu le comprend et gagne la frontière.

    Plus tard, il rentre en France, mais nous ignorons s'il y reprend du service. Il se retire définitivement en Belgique, meurt dans une localité située entre Fleurus et Charleroi et son corps est inhumé dans cette dernière ville.

    Son épée, sa croix de Saint-Louis, son uniforme de général et tous les objets précieux qu'il possédait furent adressés à sa famille et partagés entre ses membres. Un sien neveu, qui habitait Igney, reçut pour sa part l'uniforme de général et fut heureux de s'en confectionner un splendide habit de garde national: on fit de l'argent avec les autres souvenirs (M. Fiel déclare tenir ces renseignements trop exclusivement anecdotiques soit du neveu d'Igney, soit de M. Lacroix, l'intime ami du général.

    3.8. Organisation du culte constitutionnel

    Constitution civile du clergé. - L'Assemblée constituante avait à cœur d'établir la société sur de nouvelles bases. Après avoir réorganisé et centralisé tous les services de l'Etat, elle poursuivit son œuvre en donnant une Constitution civile à l'Eglise de France: Malheureusement, elle n'avait pas compris que s'était se mêler d'une foule de questions qui sont exclusivement du ressort de l'autorité ecclésiastique ou qui doivent se régler de concert avec elle.

    Tout d'abord une nouvelle circonscription des diocèses fut organisée, basée et délimitée sur la circonscription territoriale de chaque département (27 Novembre 1790). Il y avait là une première portée à la juridiction ecclésiastique ; elle fut malheureusement aggravée par d'autres dispositions non moins révolutionnaire qui ne pouvait manquer de soulever parmi les catholiques romains une réaction et une opposition formidables qui en certains départements se traduisirent en soulèvements armés.

    D'après la nouvelle législation, les curés étaient nommés par le peuple ou par les Districts et par là affranchis de la juridiction épiscopale: l'Etat ne reconnaissait plus les vœux monastiques et par le fait, supprimait les couvents et accaparait les biens de l'Eglise: Enfin, l'on créait un budget des cultes destiné à la rétribution des ecclésiastiques, curés et évêques, devenus subitement de simples fonctionnaires. Seuls, les prêtres qui prêtaient le serment de fidélité à cette Constitution civile du clergé étaient admis à exercer les fonctions de leur sacerdoce : les autres devaient se retirer.

    Traitement du curé et du vicaire de Thaon. - Thaon et son annexe Chavelot étaient alors desservis par deux excellants prêtres: M. Joseph Anthoine, curé, et M. Jean-René Saint-Mihiel, vicaire. Or l'Assemblée nationale qui, d'un trait de plume, avait déclaré acquis à la nation tous les biens de l'Eglise ne mettait pas le même empressement à gratifier les ecclésiastiques des indemnités promises.

    Des enquêtes furent ordonnées afin d'en dresser la répartition. Le 8 Novembre 1790, l'abbé Saint-Mihiel se présente au secrétariat du District d'Epinal et déclare qu'à titre de vicaire commensal du curé de Thaon pour la déserte de Chavelot, il espère jouir de l'indemnité accordée aux vicaires par l'Assemblée nationale (Arch. des Vosges. - Série L. Registre des délibérations concernant les religieux. N

    Trois mois plus tard comme l'abbé Antoine et lui n'ont encore rien touché, ils se présentent ensemble (10 Février 1791) pour réclamer, le curé les 1200 livres et le vicaire 700 qui leur reviennent par la loi (Ibidem. - Etat des ecclésiastiques. No. 51).

    Cependant malgré la spoliation des biens ecclésiastiques, les caisses de l'Etat sonnent le creux, des pétitions de plus en plus nombreuses se pressent sur le bureau du District sans paraître émouvoir beaucoup les administrateurs, et l'abbé Saint-Mihiel parvient néanmoins (9 Mars 1791) à en obtenir deux mandats pour son traitement arriéré et celui de son curé. (Arch. des Vosges. - Série L., Registre no. 3)

    Les fonds publiques n'étaient pas, on le conçoit, attribués de bonne grâce au traitement des prêtres insermentés. Cependant la loi était formelle et les receveurs finissaient un jour ou l'autre par s'exécuter. Aussi, las d'attendre plus longtemps, l'abbé Antoine adresse ses réclamations au District (2 avril 1791) relativement au payement du premier mandat de cette année et en reçoit la réponse qui suit:

    Le District, vu la délibération du 4 Janvier 1791 du directoire du Département qui autorise celui du District à accorder aux curés et vicaires un premier quartier du minimum de leur traitement et sa délibération du 15 Février par laquelle il déclare que la somme qui se trouvera être due à chacun des fonctionnaires publics pour la portion de la présente année. Jusqu'au moment où leur remplacement aura été effectué, devra payée sans difficulté, nonobstant le défaut de présentation de serment, a arrêté d'accorder au pétitionnaire sur le receveur du District un mandat de 300 livres pour le premier quartier de la présente année (Arch. des Vosges. - Série L., Délibérations du district. Registre no. II)

    L'accueil fait par les administrateurs à la requête de son curé encourage le vicaire à prendre la même voie afin de se faire rembourser la somme qui lui est due pour l'administration de la paroisse du 1er Mars au 17 Avril, date à laquelle il a cessé ses fonctions, et il réussit, en effet, à se faire allouer 33 livres (18 avril 1791).

    Quoiqu'insermenté et en non activité, l'abbé Antoine avait droit néanmoins à un traitement définitif de 500 livres ; or le second et le troisième trimestre de l'année s'écoulent sans qu'on ait songé à lui. Il pétitionne encore, et grâce à une amnistie, obtient gain de cause ainsi qu'il conste par ce qui suit:

    Vu l'arrêté du Département du 3 courant (Novembre), vu le décret du 8 Février dernier qui règle le traitement des curés qui d'après les décrets de l'Assemblée nationale seront remplacés par d'autres fonctionnaires publiques - le directoire du district, ouï le procureur syndic qui a vu la loi du 14 Septembre dernier qui accorde amnistie pour les délits relatifs à la Révolution et sur lesquels il n'est intervenu aucun jugement, considérant que le pétitionnaire a exercé les fonctions publiques à Thaon jusqu'au 17 Avril dernier inclusivement, estime qu'il y a lieu d'accorder au pétitionnaire sur le revenu du District mandat de la somme de 226 livres, 7 sols, 11 deniers, pour 5 mois, 15 jours du traitement à lui accordé par la loi du 8 Février jusqu'au 1er Octobre (Arch. des Vosges. - Série L., Délibérations du District. Registre no. IV, No. 806.4)

    Refus de serment. - Par un dernier décret du 4 Janvier 1791, tous les prêtres de France devaient prêter après la messe paroissiale du Dimanche le serment prescrit par la loi du 27 Novembre 1790.

    La cérémonie n'a lieu à Thaon que le 27 Février mais le serment de l'abbé Antoine et de son vicaire sont loin d'être un adhésion à la nouvelle constitution du Clergé. En face de toute la paroisse assemblée, les deux prêtres déclarent bien haut, le curé à Thaon et le vicaire à Chavelot, qu'ils ne peuvent se soumettre à toutes les exigences de la loi, leur conscience leur interdisant un serment absolu et sans restriction qui les séparerait de la communion avec l'église romaine. Ils ne peuvent, sans être schismatiques, reconnaître à la société civile le droit de modifier à sa guise la juridiction des évêques et des prêtres et de porter atteinte à l'indépendance spirituelle de l'Eglise. Ces réserves faites, ils jurent néanmoins fidélité à toutes les autres prescriptions de la loi.

    Le procès-verbal de la cérémonie est aussitôt rédigé et envoyé au Directoire du District qui invite, quelques jours après le curé de Thaon a donner des explications sur les restrictions apportées dans son serment du 27 Février.

    La réponse ne laisse plus de doute aux administrateurs sur les véritables sentiments de l'abbé Antoine, c'est pourquoi:

    Le Directoire du District, ouï M. le procureur du syndic et considérant que le refus du curé de Thaon de reconnaître le premier évêque du Département des Vosges à moins que le Souverain Pontife ne l'ait approuvé, constate par sa lettre en jour d'hier, ainsi que par l'explication qu'il donne au serment par lui prêté, qu'elles sont contraires aux décrets des 27 Novembre et 4 janvier dernier, estime qu'il y a lieu de déclarer son office vacant, dire qu'il n'y a renoncé, en conséquence qu'il doit être pourvu à son remplacement comme en cas de vacance par démission, en la forme désignée par le titre 2 du décret du 12 Juillet sur la Constitution civile du clergé (Arch. des Vosges. - Série L., Délibérations du District. Registre no. VI, No. 906.4)

    Curé constitutionnel.- La destitution de l'abbé Antoine avait été prononcée le 28 Mars par le Directoire du District: on procéda à l'élection de son remplaçant quelques jours après. Neuf autres cures du District d'Epinal étaient aussi à pourvoir pour la même raison. La voix du peuple allait soi-disant se faire entendre dans le choix de ses pasteurs, il était donc naturel de donner à cette mémorable cérémonie un éclat vraiment extra-ordinaire.

    Tous les électeurs, excepté M. Fleurant, ont écrit leur bulletin sur le bureau et l'ont déposé dans le vase à ce destiné. Ces bulletins au nombre de 32, ont été ouverts et dépouillés et n'ont donné la majorité absolue à personne, ce qui a été annoncé par Monsieur le Président. En conséquence, il en a été fait un second composé aussi de 32 bulletins duquel il n'est résulté aucune majorité absolue ; mais les sieurs Maudheux, prêtre ex-capucin, et Carlier, vicaire à Frémifontaine se sont trouvés réunir le plus grand nombres de suffrages. En conséquence, il a été fait une troisième section entre eux deux. Ce dernier scrutin, composé de 32 bulletins, a donné 16 suffrages au Sr Maudheux et autant au Sr Carlier ; mais celui-ci étant le plus jeune des deux candidats, le Sr Maudheux s'est retrouvé élu curé de Thaon (Registre des déclarations religieuses en 1790. No. 863)

    Or le nouveau curé, Joseph Maudheux, était né à Fomerey, paroisse de Gigney, en 1730, et était entré en religion chez les Capucins, dès l'âge de 15 ans. La loi vint le séculariser au couvent de Commercy et, lors de son élection, il habitait Epinal depuis 10 jours seulement (Ibidem). Mais déjà il comptait 61 ans, dont 46 ans de profession: c'était beaucoup pour lui que la desserte de Thaon et de Chavelot.

    M. Marchal, plus tard maire de Thaon, escorte l'évêque Maudru à son entrée dans St-Dié. - Un mois auparavant, il avait été procédé à Epinal à l'élection de Jean-Antoine Maudru, curé d'Aydoilles, à l'évêché de Saint-Dié (1er Mars 1791)

    Nous ferons, au sujet de son entrée dans sa ville épiscopale, une petite digression qui ne manque pas d'intérêt et qui n'est pas comme on pourrait le croire, un hors d'œuvre pour notre histoire. D'ailleurs nous laisserons ici la parole à monsieur Fiel qui nous a conservé ce curieux épisode:

    Après avoir pris congé des autorités d'Epinal, il (l'évêque Maudru) se mit en route pour St-Dié, accompagné jusqu'à Girecourt par un détachement à cheval de la garde nationale de la ville. Ce détachement fut remplacé à Girecourt par un autre commandé, si j'ai bonne mémoire, par M. Braux qui doit être de Saint-Hélène. Mais parce que la garde nationale de Rambervillers n'était pas encore organisée, M. Braux voulut bien, à la requête des autorités de la ville, continuer d'accompagner l'évêque jusqu'à l'Hôte du Bois où devait se trouver la garde de St-Dié.

    Comme cette garde n'était point encore arrivée, on s'arrêta dans une auberge à gauche et vers la fin du village. Mais le Pontife eut beau en éclaireur un grand vicaire pour découvrir au moins de loin la tant désirée garde, on ne vit rien venir.

    Alors M. Maudru pria le commandant de lui éviter la confusion d'entrer seul dans la ville épiscopale. Le commandant consulta son petit peloton et comme il était composé de jeunes gens de bonnes familles, tous montés, sur les plus beaux chevaux de leurs écuries, bien équipés, la tête surmontée d'un panache aux couleurs nationales, désireux de voir et d'être vus, tous demandèrent d'aller en avant.

    On se mit en route avec espoir de retrouver au moins, à l'entrée du faubourg, les autorités de la ville, mais personne ne se présenta ni là, ni à l'entrée de l'évêché pour le recevoir. La nouveauté n'attira personne sur son passage. Loin de là ; ceux qui le virent montant la Grand'rue se hâtèrent de rentrer chez eux ; plusieurs fermèrent leurs persiennes et si quelques femmes soulevaient un peu leurs rideaux pour le voir passer, elles les laissaient aussitôt retomber des qu'elles s'apercevaient qu'elles étaient remarqués par quelques-uns de sa suite.

    L'évêque ne trouvant pas dans son palais épiscopal dont il ne restait que les murs, de quoi héberger ses compagnons de voyage, les envoya loger au faubourg où le lendemain matin il vint les trouver. Il paya leur écot, remit au commandant de quoi leur faire boire un coup à sa santé pendant leur retour, après les avoir beaucoup remerciés d'avoir bien voulu l'accompagner jusqu'à St-Diez.

    Dans ce petit peloton se trouvait un jeune homme de Destord (M. Marchal) qui, plus tard par son mariage avec une demoiselle Lacroix devint habitant et ensuite maire de Thaon. C'est de lui-même que je tiens tous ces détails qui ont paru à Monsieur Coly, chanoine de St-Diez, dignes de faire partie de la collection qu'il a faite de renseignements pris de tous côtés pour entrer dans l'histoire du diocèse qu'il se proposait de faire et qu'il n'a point faite.

    3.9. Poursuites judiciaires contre MM. Anthoine et Saint-Mihiel

    Réception du curé constitutionnel. - L'ex-capucin Joseph Mandheux fut naturellement accueilli à Thaon avec la pompe et le cérémonial usités dans la circonstance. Avant leur départ, ses deux prédécesseurs, MM. Antoine et St-Mihiel, l'avaient à juste titre dénoncé à leurs paroissiens comme schismatique et curé intrus et sans juridiction ; ils avaient devancé de quinze jours le temps pascal afin de permettre à leurs ouailles fidèles de recevoir les sacrements en communion avec l'Eglise romaine, mais ces précautions ne produisirent pas tout l'effet qu'ils en avaient attendu et une partie de la paroisse se rangea aussitôt sous la houlette du nouveau pasteur.

    M. maud'heux, écrit M. Fiel, avait prêté, à l'exemple de son évêque (Mandru) serment de fidelité à la Constitution civile du clergé. Or, à son arrivée, une partie du village, et il paraît que c'était la plus forte au moins pour l'audace, le reconnut comme curé ; une autre ne voulut point le reconnaître: la paroisse fut donc divisée en deux camps ennemis, celui des patriotes et celui des aristocrates.

    Forts de l'appui officiel, les partisans du nouveau curé ne devaient pas tarder à donner libre cours à leur rancune et à dénoncer leurs anciens pasteurs.

    Dénonciations et procédure contre MM. Antoine et St-Mihiel. - Nommé curé de Thaon le 10 Avril 1791, Maudheux est intronisé dans sa paroisse le dimanche suivant, c'est-à-dire le 17.

    Dès le lendemain, l'accusateur public d'Epinal, Poirson, adresse aux juges du tribunal un formidable réquisitoire contre MM. Antoine et St-Mihiel et contre plusieurs autres prêtres réfractaires de la région et du canton de Xertigny. Les deux premiers sont coupables d'avoir mis en garde leurs paroissiens contre l'administration schismatique du futur curé ; les autres d'avoir lu du haut de la chaire ou fait circuler un mandement de Mgr Chaumont, daté du 18 Mars, et dénonçant l'intrusion des pasteurs imposés par l'Assemblée nationale (Cette procédure se trouve aux Archives du tribunal civil d'Epinal. nos remerciements empressés à M. le chanoine Thomassin, curé de la cathédrale de St-Dié, qui a eu l'obligeance de nous communiquer un manuscrit renfermant l'analyse détaillée de ce procès.)

    Nous sommes instruits, dit l'accusateur, par la rumeur publique que ces écrits (le mandement et la lettre latine du pape qui le suit) ont produit dans des têtes ignorantes et exaltées tout l'effet que leur auteur s'en était promis. Déjà un prêtre rebelle en a fait lecture dans l'église d'Uzemain, un autre s'est répandu en propos incendiaires dans un sermon prononcé, à l'église de Chavelot (C'était l'abbé Saint-Mihiel).

    Requiert qu'il soit informé par devant un commissaire nommé à cet effet contre les distributeurs et colporteurs de ces écrits, de même contre les fonctionnaires publics qui les auraient lus et publiés dans les paroisses de leurs arrondissements respectifs et contre ceux qui auraient réclamé dans leurs sermons ou dans les conversations avec leurs paroissiens contre les élections des nouveaux fonctionnaires publics, en annonçant qu'ils étaient des intrus sans pouvoir ou débitant d'autres discours capables d'exciter des séditions fanatiques et jeter l'alarme dans les consciences.

    Le jour même (18 Avril), le dossier est communiqué à M. de la Salle, commissaire du roi, qui renvoie tout simplement des fins de la plainte.

    On pouvait croire l'affaire terminée: il n'en fut rien.

    Vosgien, l'accusateur public provisoire, la reprend aussitôt et s'empresse de rédiger une longue diatribe contre les ecclésiastiques et les laïcs révoltés. Les juges du tribunal se montrent d'autant plus favorables aux poursuites, qu'ils déclarent en séance tenue le surlendemain que la nouvelle Constitution civile du clergé:

    N'attaque pas les points fondamentaux de notre sainte religion, puisqu'il (le mandataire de Monseigneur de Chaumont) ne cite aucun article du symbole des apôtres, ni des vérités évangéliques qui soit blessé par cette Constitution.

    Déposition des témoins. - L'enquête commencée le 23 Avril se termine seulement le 8 mai: c'est le juge Jacques Perrin qui a été "nommé commissaire à l'effet d'informer".

    Voici un résumé des dépositions qu'il reçoit le 23 Avril sur le curé et le vicaire de Thaon:

    Anne Hausète, épouse de Brice Vautrin, cultivateur à Chavelot, 24 ans. Dépose que le Dimanche auquel on a procédé à l'élection des nouveaux curés à Epinal, … étant à la messe de paroisse de Chavelot, l'abbé Saint-Mihiel, vicaire à Thaon, monta en chair (sic) et débita que les nouveaux curés qui allaient être nommés étaient des intrus qui n'avaient aucuns pouvoirs, que toutes les absolutions qu'ils donneraient seraient nulles, ainsi que les autres sacrements, … même le sacrement de baptême, que ceux qui reconnaîtraient les nouveaux curés, qui s'adresseraient à eux pour la confession ou qui assisteraient à leurs messes, seraient damnés, commettraient un sacrilège ; se rappelle présentement la déposante qu'elle n'était point à la messe, mais que son frère lui raconta que ledit abbé Saint-Mihiel avait débité en chair tous les propos contenus en la présente déposition.

    Nicolas Jacquemin, maire et laboureur à Chavelot, 36 ans. - Dépose que l'abbé Saint-Mihiel débita en prônant, … qu'on voulait faire un schisme, qu'il a ouï dire au nommé Colenne de Chavelot, qu'on l'avait excité à ne pas aller à la messe des nouveaux curés.

    Charles Mathieu, laboureur à Thaon, 34 ans. - Dépose que le Dimanche 10 du présent mois, étant à vespres à Thaon, le sieur Antoine, cy-devant curé de Thaon, en faisant une exhortation aux enfants qui avaient fait de ce-jour-là leur première communion, les félicita d'être dans la véritable religion catholique, apostolique et romaine et leur demanda s'ils voulaient y vivre et nourrir. Les enfants ayant répondu que oui: cependant, leur répliqua le curé, l'Assemblée Nationale vous donne des évêques et des curés qui sont malheureux mercenaires et intrus. - que la femme Parisot a questionné le déposant pour savoir s'il y aurait du mal d'aller à la messe du nouveau curé, qu'on lui avait insinué cette crainte en confession, que le déposant répondit n'être pas assez savant pour entrer dans de pareilles questions.

    François Haustète, greffier de la Municipalité de Chavelot, 35 ans. - Dépose qu'à la messe paroissiale de Chavelot, du 10 courant, l'abbé St-Mihiel en faisant une exhortation publique aux enfants qui avaient fait leur première communion, leur dit qu'enfin le temps de l'hérésie était arrivé, que les prêtres qui devaient remplacer les anciens fonctionnaires publics de la religion étaient des intrus et des loups ravissans, que tous les sacrements qu'ils administraient étaient des sacrilèges, tant à l'égard de ceux qui les recevaient et excita ses paroissiens à prier le Seigneur pour détourner les fléaux que cela méritait.

    Georges Leval. - laboureur à Thaon, 56 ans. - rapporte que le nommé Louis Levrot, manœuvre à Thaon, lui a dit qu'on lui avait refusé l'absolution parce qu'il n'a pas voulu promettre de ne pas aller à la messe du nouveau curé ; … qu'il n'a pas ouï le sieur Curé … dire que les nouveaux curés étaient des intrus, parce qu'il était occupé à éteindre les cierges, qu'il a ouï le reste de l'instruction et n'y a rien remarqué de contraire à l'esprit des décrets.

     Dominique Guyot, régent d'école à Chavelot, 48 ans. - Dépose que le vicaire de Thaon a exhorté les enfants à suivre la doctrine qu'on leur avait enseignée ; - que le sieur Antoine cy-devant curé de Thaon lui a remis le prétendu mandement du cy-devant évêque des Vosges en lui recommandant de le lire ; qu'après l'avoir lu, il l'a rendu au cy-devant curé au surplus n'a fait au déposant aucune question sur ledit mandement ; … que voyant que le curé allait partir, il s'est déterminé à faire ses pâques avant la quinzaine ; - qu'il a ouï dire au nommé Louis, aubergiste à Thaon, que le cy-devant curé dudit lieu lui avait refusé l'absolution, parce qu'il n'avait pas voulu promettre de pas aller à la messe du nouveau curé.

    Nicolas Colenne, maréchal-ferrant à Chavelot, 26 ans. - Dépose que l'abbé St-Mihiel a dit à vespres que les prêtres qui allaient venir étaient des schismatiques et des hérétiques ; que les sacrements qu'ils administraient seraient nuls, excepté à l'article de la mort ; - qu'ils en avait dit autant de la messe où il s'est plus étendu qu'à vespres ; - qu'étant allé se confesser à M. Antoine, curé de Thaon, le mercredi suivant, celui-ci lui avait conseillé de ne pas aller à la messe du nouveau curé, en lui disant qu'il ferait mieux de dire ses prières chez lui.

    Jean-Pierre Haustête, juge de paix du canton de Domèvre-sur-Avière, résident à Chavelot, 40 ans. - N'étant pas à la messe, raconte que, le 15. du Courant, le nommé Colenne, maréchal ferrant à Chavelot, sortant de faire ses pasques, dit au déposant qu'il voudrait que la contre-révolution se fit, qu'il irait se ranger du côté de l'ennemi.

    Catherine Richard, fille à Chavelot, 26 ans. - Déclare qu'ayant été la vielle des Rameaux se confesser au sieur Antoine, curé de Thaon, celui-ci lui défendit d'aller à la messe des nouveaux curés dont toutes les absolutions seraient nulles excepté à l'article de la mort, ce qui a été cause que ladite déposante n'est pas allée à la messe de la paroisse le jour des Rameaux, parce qu'elle était célébrée par le Sieur Maudheux, nouveau curé de Thaon.

    Marguerite Petitpoisson, fille d'une veuve aubergiste à Chavelot, 27 ans. - Dépose que le 10 courant, l'abbé St-Mihiel dit à Chavelot en parlant des intrus ; qu'il voudrait autant se confesser auprès d'un simple particulier laïc qu'après des nouveaux curés qui aimaient mieux abandonner leurs âmes que les biens de ce monde. - Que le samedy, veille des rameaux, étant allée à Thaon pour se confesser, l'abbé St-Mihiel gronda beaucoup la déposante ainsi que celles qui étaient avec elle ; qu'il y avait 15 jours qu'il les avait averties de d'approcher pour faire leurs pasques, qu'elles venaient trop tard: que cependant si elles voulaient communier auprès de lui il les entendrait ; - que la déposante s'étant approchée pour être entendue en confession, le même abbé lui demanda brusquement si elle voulait vivre ou mourir dans la religion catholique, apostolique et romaine, qu'ayant répondu affirmativement il répondit ; - il ne faut donc pas aller à la messe des nouveaux curés, il vaut mieux dire vos prières chez vous et n'aller à l'église que quand ils en seront sortis ; que la déposante lui ayant demandé où elle irait se confesser puisque le nouveau curé n'avait point de pouvoirs, l'abbé lui répondit qu'ils se trouveraient cinq ou six prêtres aux environs d'Igney dans le temps nécessaire pour les confesser ; - que dès le lendemain la déposante fut avec ses compagnes pour communier à Thaon par les mains dudit abbé, parce que celui-ci fut prévenu par la femme Guyot qu'on lui laisserait point dire la messe à Chavelot ; - que tous les propos avaient tellement jeté le trouble dans la conscience de la déposante, qu'elle ne fut point à la messe de paroisse le jour des rameaux, parce qu'elle était célébrée par le sieur Maudheux, curé de Thaon.

    Marie Richard, fille à Chavelot, 25 ans. - Dépose que, s'étant adressé au Sieur Antoine, le Samedy veille des Rameaux, pour être entendue en confession, celui-ci lui dit qu'elle venait bien tard ; à quoi la dposante ayant répondu que d'une part ses occupations, de l'autre la croyance où elle était que les pasques ne devaient se faire que pendant la quinzaine, l'avaient empêchée de se présenter plus tôt ; - qu'après avoir été entendue en confession, le même sieur curé lui dit qu'il ne fallait pas aller à la messe des nouveaux curés ; - ne se rappelle pas même la déposante s'il n'ajouta pas qu'il ne fallait pas non plus aller confesser près d'eux, mais se ressouvient parfaitement qu'il lui dit que ce serait non seulement commettre un sacrilège, mais même exposer le nouveau curé à en commettre un de sa part ; - que tous ces propos avaient tellement jeté l'alarme dans les conscience de la déposante qu'elle n'est allée ni à la messe ni à vespres de Chavelot parce qu'ils étaient chantés par le nouveau curé le jour des Rameaux, … a dit se ressouvenir que le curé ajouta que le village de Chavelot périrait parce qu'il n'écoutait plus la voix du pasteur et qu'il tomberait dans le schisme.

    Louis Levrat, cabaretier à Thaon, 56 ans. - Dépose que dans le courant de la semaine qui a précédé le Dimanche des Rameaux dernier, s'étant présenté au sieur Antoine… pour être entendu en confession, parce qu'il avait ouï dire qu'il fallait faire ses pasques avant la quinzaine sans avoir ouï dire pour quel motif, et n'ayant voulu promettre de ne reconnaître les nouveaux curés ni aller à leurs messes, il se vit fermer le guichet avec précipitation sans avoir reçu l'absolution, malgré qu'il eût confessé tous ses pêchés.

    Laurent Lacroix, laboureur et notable à Thaon, 49 ans. - Dit que 10 courant, le sieur Antoine, en faisant une exhortation aux enfants du lieu qui avaient fait leur première communion leur dit: Vous êtes bienheureux d'être nés dans la religion catholique, apostolique et romaine, et d'en avoir reçu la communion, car il viendra des prêtres qui n'auront aucun pouvoir, qui seront des intrus et des mercenaires.

    Jean-Baptiste Parisot, manouvrier à Thaon, 60 ans. - Déclare n'être pas allé à la messe de paroisse le jour des Rameaux, ni le jour de Pasques, parce que le curé le lui avait défendu en confession.

    Joseph Richard. Laboureur à Chavelot, 54 ans. - Etant allé se confesser au sieur Antoine à Thaon, le Dimanche des Rameaux, sur les 5 heures du matin, celui-ci lui défendit d'aller à la messe des nouveaux curés ; le déposant lui ayant observé qu'il serait bien difficile de n'assister à aucun office et faire son devoir de religion, ledit curé lui répliqua que ses prières seraient plus méritoires chez lui qu'à l'église ; qu'en ce qui concerne la confession, il se trouverait de temps à autre pour administrer ce sacrement à ses paroissiens, qu'il ne les abandonnait pas, et que si on avait besoin de se confesser, l'on pourrait s'adresser à quelques religieux qui n'auraient pas mis bas la robe ; - que ces propos avaient tellement jeté l'alarme dans la conscience du déposant, qu'il défendit à ses enfants d'aller aux offices de la paroisse que le nouveau curé a célébrés ce jour-là.

    Conclusion de l'accusateur public. - Le 12 Mai 1791, en suite de l'enquête précédente, l'accusateur public prit ses conclusions contre les inculpés: c'est une prise de corps contre les abbés Antoine et St-Mihiel car, d'après lui, il résulte:

    1º Qu'il y a preuve d'un coalition formée de la part de plusieurs prêtres réfractaires pour combiner un refus d'obéissance à la loi du 26 Décembre dernier qui veut que les fonctionnaires publics qui n'auront pas prêté le serment constitutionnel soient remplacés comme démissionnaires ; laquelle preuve se tire et de l'uniformité des moyens employés par les réfractaires pour soulever leurs paroissiens et du temps où ces machinations ont été pratiquées à la fois par eux en différents endroits ; - que cette coalition a eu pour objet d'exciter le peuple… en cherchant à allarmer les consciences, à allumer la fanatisme et à faire naître des soulèvements capables de troubler l'ordre public, soit par la lecture du prône du mandement incendiaire, soit en le faisant circuler dans les sociétés, soit enfin en déclamant en chaire les discours les plus propres à détruire toute confiance en ceux qui devaient remplacer constitutionnellement les prêtres indociles à la loi, ou en abusant du tribunal sacré de la confession pour souffler la discorde par son organe.

    Le commissaire du roi, M. de-la-salle, à qui ces conclusions sont remises, essaye de gagner du temps. Trois jours seulement lui sont concédés par la loi pour y joindre les siennes et il ne craint pas d'en prendre dix (22 Mai) ; bien plus, celles qu'il dépose sont toutes favorables aux prévenus:

    Tout vu et considéré, attendu que des informations il ne résulte aucunement que les inculpés ci-dessus ayant troublé l'ordre public ou formé d'opposition à la nomination ou installation des curés et vicaires établis en exécution de la loi du 26 Décembre, que les curés et vicaires ont rempli dès le premier moment et remplissent encore leurs fonctions sans obstacles, en persistant dans mes conclusions du 18 Avril dernier, j'estime qu'il n'y a lieu de prononcer aucun décret, soit d'assigné pour être ouï, soit d'ajournement personnel, soit de prise de corps.

    Mais à tout prix le tribunal veut des poursuites:

    Sans nous arrêter, dit-il, aux réquisitions du commissaire du roi, ayant aucunement des égards à celles de l'accusateur public, rendons un décret d'ajournement personnel contre … Antoine résidant à Igney, St-Mihiel, à Craon, … et d'assignation contre Paris (ex-curé d'Uxegney, résidant à Rambervillers)

    Jean-Baptiste Serrière, huissier au tribunal d'Epinal, fait alors les citations d'ajournement personnel. Le 3 juin il gage Igney mais en revient sans avoir pu joindre l'abbé Antoine qui était parti pour Brû où il avait été vicaire résident de Juillet 1783 à Février 1785, époque où il avait obtenu au concours la cure de Thaon.

    Dès le lendemain matin, l'accusateur public requiert défaut contre lui, contre son vicaire et contre plusieurs autres prêtres, particulièrement contre l'abbé Paris, ex-curé d'Uxegney, et enfin il conclut que le décret d'ajournement personnel devra être converti en décret de prise de corps contre tous les coupables, à l'exception de M. Paris qui sera seulement assigné de nouveau en décret d'ajournement personnel.

    Si l'on essayait de croire au moindre sentiment de clémence à l'égard de ce dernier, on se tromperait singulièrement. En effet, le brave curé d'Uxegney, qui habitait alors Rambervillers, s'était mis en route le jour même de l'assignation, 3 Juin, pour se présenter devant les juges, lorsque, arrivé à Epinal vers 10 heures du matin, il fut tout-à-coup assailli par une bande d'énergumènes, insulté et maltraité au point qu'il ne dut son salut qu'au généreux dévouement de l'aubergiste Saint-Jean qui le fit entrer précipitamment dans sa maison et le protégea durant cinq heures contre une multitude en fureur.

    De peur d'exposer davantage son bienfaiteur, il avait quitté l'auberge à la tombée de la nuit et repris sous un déguisement quelconque, le chemin de Rambervillers.

    Rentré chez lui il se met à son bureau afin d'écrire au commissaire-instructif les motifs qui l'on empêché de se présenter. A peine a-t-il commencé sa première lettre qu'on frappe à la porte, c'est l'abbé Antoine! Il arrive à Brû et se rend à Epinal pour répondre, lui aussi, à l'assignation qui lui a été portée l'avant-veille à Igney et dont il vient seulement de recevoir information. En quelques mots il est mis au courant des événements et de dangers que son ami vient d courir dans les rues d'Epinal et alors, séance tenante, il rédige les deux lettres qui suivent afin d'expliquer sa propre abstention:

    1º A M. Perrin, aîné, juge au siège de judicature, à Epinal.

    Monsieur,

    Dans le moment que je sus que j'étais assigné et ajourné personnellement pour comparaître devant vous, je partis aussitôt pour obéir. Mais je ne vis pas peu embarrassé en arrivant à Rambervillers, d'apprendre les exploits héroï-comiques de la populace contre les prêtres non assermentés de votre ville et surtout les dangers auxquels ont été exposé le sieur Paris à son arrivée ; chose dont il vous rendra compte. Je me joins à lui pour demander, si la chose est possible, d'être ent4endu dans un lieu où nous puissions jouir de la sûreté que la loi nous accorde.

    J'ai l'honneur d'être avec respect. Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

    Signé: Anthoine.

    Rambervillers, ce 4 Juin 1791. - En avertissant M. Paris je le serai.

    2º A M. de la Salle, commissaire du roy au siège de judicature, en son hôtel à Epinal.

    Monsieur,

    Aussitôt que du lieu de ma retraite j'appris que j'étais ajourné personnellement à votre siège de judicature, je partis incontinent pour obéir à la justice ; quelle fut ma surprise, en arrivant à Rambervillers, d'apprendre que, quoique la loi mette sous sa protection les personnes obligés à comparaître, cependant ma vie ne serait pas en sûreté à Epinal, d'après le départ forcé et précipité des ecclésiastiques de votre ville non assermentés. Et encore bien davantage d'après les avanies qu'a essuyé et les dangers qu'a courû, à la porte de Saint-Gœric, chez l'aubergiste Saint-Jean, le Sieur Paris arrivant pour le même objet. Comme il n'a échappé que par un de ces hazards que la Providence ménage et qu'il a été obligé de rebrousser chemin, je n'ai pas osé aller plus loin. C'est en conséquence que je prends la liberté de vous faire part de mon embarras et vous assure de ma soumission à la loi dont vous êtes le manutenteur ; de vous prier em même temps, si la chose est [possible de nous donner un commissaire dans un lieu où sans danger nous puissions nous transporter, en avertissant le sieur Paris à Rambervillers je le serai moi-même.

    J'ai l'honneur d'être, etc.

    Signé: Anthoine.

    Interrogatoire de l'abbé Saint-Mihiel. - Le 19 Juin 1791, le tribunal d'Epinal prend les dispositions suivantes:

    (Le tribunal) ayant aucunement égard aux réquisitions de l'accusateur public non plus qu'à celles du commissaire du roi et attendu que l'huissier Serrière au lieu d'ajourner les nommés Mathieu, Mongel, Saint-Mihiel, Bienaymé, ne leur a donné que de simples assignations, qu'il n'a même assigné le nommé Antoine: Attendu enfin que le nommé Paris se plaint d'avoir été insulté en cette ville, ce qui l'a empêché de comparaître, ordonne que les quatre premiers seront ajournés et le dernier assigné à comparaître par devant le sieur Perrin et attendu les plaintes du sieur Paris, ordonnons que le commandant de la Garde nationale sera requis de protéger les personnes des susnommés que nous mettons spécialement sous la sauvegarde de la loi.

    Sur cette nouvelle assignation, l'abbé Saint-Mihiel se met alors en route pour Epinal où il arrive le 21 Juin.

    Voici le procès verbal de son interrogatoire:

    Interrogé sur sa condition, a répondu s'appeler Jean-René Saint-Mihiel, natif de Remiremont, prêtre non conformiste, résidant à Craon (Il ne peut être question de Craon, département de la Mayenne, M. le chanoine Lhôte nous le signale à Haroué, ce qui serait plus vraisemblable ; il y a d'ailleurs près de ce village le château des de Craon.), âgé de 34 ans et de la religion catholique, apostolique et romaine.

    Interrogé s'il n'a prêché à l'église de Chavelot que les prêtres qui avaient pretté le serment étaient des intrus qui n'auraient aucuns pouvoirs et qu'il voulait faire un schisme. - A répondu qu'effectivement il a prêché que les nouveaux curés qui viendraient seraient des intrus parce qu'ils déposteraient les anciens curés sans aucune formalité de procès ; mais qu'il ne se rappelle pas s'il a dit que les nouveaux prestres n'auraient aucuns pouvoirs et qu'on voulait faire un schisme.

    Interrogé comment il a pu croire que les nouveaux curés seraient des intrus parce qu'ils remplaçaient les anciens sans avoir aucune forme de procès, tandis qu'il scait ou qu'il doit scavoir que sans la formalité du serment de fidélité au roi et aux lois de l'Etat, aucun curé même instituteur au roi et aux lois de l'Etat, aucun curé même institué par la puissance spirituelle pour tel ou tel territoire ne pourrait néanmoins y exercer aucunes fonctions ; qu'ainsi la puissance temporelle seule donnant le territoire, il lui appartient aussi de le retirer lorsque le bénéficier se refuse à la formalité essentielle et nécessaire de pretter serment de fidélité à la puissance temporelle et aux lois de l'Etat, ce qui est de même de principe divin? - A répondu qu'il croyait qu'effectivement le serment était nécessaire, mais qu'il croyait aussi que ce n'est pas la seule chose essentielle, que d'ailleurs les anciens curés ayant pretté ce serment lors de leur première installation, il croyait le second serment inutile.

    Interrogé comment il a pu croire la formalité du serment ancien plus essentielle que celle du serment voulu par l'Assemblée nationale, puisque le premier n'était exigé que par les ordonnances de Blois, d'Orléans et de Fontainebleau, ouvrages du seul délégué de la nation, tandis que le second est au contraire ordonné par les représentants légitimes de la Nation française. - A répondu que le temps qu'il a prêché à Chavelot il ne croyait pas le second serment aussi essentiel que le premier.

    Interrogé s'il n'a pas excité plusieurs personnes à ne pas assister à la messe des nouveaux curés. - A répondu que non.

    Interrogé s'il n'a pas dit que le temps de l'hérésie était arrivé, que les prêtres qui devaient remplacer les fonctionnaires publics étaient des intrus et des loups ravisseurs, que tous les sacrements qu'ils administreraient seraient des sacrilèges tant à leur égard qu'à l'égard de ceux qui les recevraient. - A répondu ne pas s'en rappeler.

    Interrogé s'il n'a pas dit à plusieurs paroissiens de Chavelot et de Thaon qu'il valait mieux dire ses prières chez soi que d'aller à la messe du nouveau curé. - A répondu que non.

    Interrogé s'il n'a pas dit à plusieurs paroissiens de Chavelot et de Thaon qu'il se trouveraient cinq à six prêtres aux environs d'Igney pour confesser dans les temps voulus. - A répondu que non.

    Interrogé comment lui qui n'était que vicaire est entré dans la coalition des curés. A répondu n'y être pas entré.

    Interrogé s'il savait la coalition qui existait entre les curés et les évêques. - A répondu n'en rien savoir.

    Interrogé s'il a lu le mandement de M. de Chaumont en son particulier ou en public. A répondu ne l'avoir pas lu.

    Interrogé s'il veut prendre droit par les charges. - A répondu que non.

    Son conseil: Maitre Marchal, homme de loi à Epinal.

    Décret d'arrestation. - Trois semaines après l'interrogatoire de l'abbé Saint-Mihiel (12 Juillet), l'huissier Parvé, muni d'un décret de prise de corps contre l'abbé Anthoine, se transporte à Brû pour le mettre en arrestation. Il ne trouva à son domicile que son vénérable père dont il ne put naturellement obtenir aucun renseignement précis. "L'abbé est parti, lui dit le vieillard, depuis plus d'un mois, et je ne sais pas où il est".

    Le lendemain, le décret d'ajournement de prise de corps et comme pou l'abbé Anthoine, l'huissier, chargé de l'arrêter n'a pas plus de succès. Il ne trouve à la maison que la vieille mère du curé dont il ne peut tirer autre chose que ceci: "Mon fils est parti bien loin, mais où est-il? Je n'en sais rien".

    Le 6 Août suivant, l'huissier du tribunal, escorté de deux citoyens et du tambour de la garde nationale se présente sur la place du Poiron à Epinal. Aprés trois coups de caisse il proclame les jugements portés contre les prêtres réfractaires. La même scène se réitère devant la porte principale du tribunal et copie des jugements est ensuite affichée à cette porte: Après quoi l'huissier se transporte (9 Août) à Rambervillers et à Brû où il se livre à des opérations et manifestations identiques.
    Enfin, l'accusateur public provisoire Poirson formule le 30 Août ses dernières conclusions. Après avoir rappelé longuement, quoique sommairement, tous les actes si nombreux de la procédure, il ajoute:

    Tout vu et considéré, attendu qu'il existe des charges sur lesquelles il est intéressant d'obtenir des preuves complètes, nous requérons être ordonné qu'il sera informé par ampliation sur les faits contenus en notre réquisitoire et plainte, circonstances et dépendances, que les témoins ouïs et à ouïr seront récolés en leurs dépositions et ceux faisant charge confrontés aux sieurs… St-Mihiel, accusés ; et à l'égard des sieurs Paris, …. Antoine… contumaces, que le recolement vaudra confrontation à leur égard pour du tout procès-verbaux dressés et communiqués être requis ce qu'au cas appartiendra.

    C'est la dernière pièce du procès et l'affaire en resta là, car la loi du 14 Septembre 1791 vint à propos annuler toutes les poursuites intentées pour faits anti-révolutionnaires. Néanmoins, le Directoire départemental avait obtenu l'effet moral qu'il cherchait. A la suite ce cette procédure les esprits étaient remplis de terreur: la peur avait ouvert la bouche des témoins et paralysé la langue des accusés, du moins celle de l'abbé Saint-Mihiel qui soutint mal devant la justice le rôle si honorable qu'il avait pris devant ses ouailles.

    3.10. Sous la terreur

    Administration du curé Maudheux. - pendant que les prêtres fidèles étaient poursuivis avec acharnement devant les tribunaux, que faisait le curé constitutionnel? Arrivé dans la paroisse le dimanche matin, 20 Avril 1791, il constate, le jour même, que sa sacristie est quelque peu dépourvue d'ornements. Aussitôt il en informe le maire et lui suggère l'idée de s'en procurer gratuitement par l'entremise du Directoire. Le département en possède, en effet, toute une collection qui provient des saisies opérées dans les chapelles et les maisons religieuses supprimées.

    Le conseil du pasteur est ingénieux et économique: la municipalité pétitionne donc, et séance tenante le District lui adjuge 4 aubes, 3 surplus et un ornement violet que l'on devra prendre "dans les linges et ornements déposés dans l'église paroissiale d'Epinal" (6 Juin, arch. des Vosges. - Série L, Délibérations du district, No. 63. Volume 2.)

    D'autre part, le confortable de la maison de cure laisse, à son avis, encore bien à désirer. Nouvelle pétition qui obtient toujours plein succès (6 Septembre, Ibidem : registre VI. No. 806.4).

    Mais l'extrême bienveillance de l'administration à satisfaire ses moindres désirs s'éclipse un peu lorsqu'il s'agit de ;e rétribuer: il est à Thaon depuis près de quatre mois et n'a pas encore touché un liard de son traitement. Il réclame donc au District ce qui lui revient "en qualité de capucin, de puis le 1er Avril, et en qualité de curé depuis le 17, y compris la part de la moitié de sa pension comme religieux". Les administrateurs font droit à sa requête et arrêtent.

    Qu'il sera accordé audit Maudheux mandat d'une somme de328 livres, 17 sols, 10 deniers d'une sorte, pour le trimestre d'Avril en sa qualité de curé de Tavon, déduction faite de 71 livres, 2 sols, 4 deniers pour les seize jours qui ont été desservis par l'ancien curé et qui à raison de 1.600 livres pour le pétitionnaire ont donné cette retenue ; - 35 livres, 11 sols, 2 deniers d'autre sorte, pour ce qui lui revient desdits seize jours, sur le second qurtier de son traitement de capucin, à raison de 800 livres, les deux sommes forment celle de 364 livres, 18 sols, 10 deniers qui sera allouée en dépense au sieur Voirin, receveur.

    Au mois d'octobre, la caisse du receveur reste encore fermée et le curé pétitionne de nouveau pour obtenir 387 livres, 10 sols qui lui reviennent en qualité de curé et d'ex-religieux.

    Mais les délais apportés dans l'acquittement de ses mandats, le curé Maudheux est toujours bien en cour auprès du Directoire. Dans une dernière requête il réclame une augmentation de 100 livres qui lui accordée sur une simple lecture:

    Attendu qu'il est arrivée à Thaon âgé de plus de 50 ans et que la loi lui octroie 1.200 livres comme curé et 400 comme moitié de son traitement de religieux ci-devant mendiant (Ibidem).

    Nouvelle répartition de la paroisse. - L'Etat, qui avait procédé de lui-même à la nomination des nouveaux curés ne pouvait manquer de s'attribuer des pouvoirs discrétionnaires sur la répartition des paroisses. Voici, en effet, ce que nous lisons dans le procès-verbal de la cession du Directoire du 10 Octobre 1792:

    La population de Thaon est de 370 habitants: c'était une cure dont dépendait Chavelot où se trouve une église succursale desservie par le curé de Thaon ou son vicaire. La population de Chavelot est de 270. Ce village restera réuni à Thaon ; mais il faudrait en distraire La Seurie (La Seigneurie ?) pour la réunir à Golbey à raison de son éloignement.

    Oncourt serait également réuni à Thaon et le curé et le vicaire qui bineront alternativement desserviront ces trois églises (Arch. des Vosges. - Série L., Délibérations particulières du District, No. 804.)

    Voilà donc le pauvre curé constitutionnel chargé de l'administration spirituelle de trois communes, alors que celle des deux premières était déjà si lourde pour ses 64 ans. Il voudrait bien trouver un vicaire, mais ses ressources ne sont pas suffisantes pour subvenir lui-même au traitement nécessaire et dans ces conditions il ne put compter longtemps sur le dévouement de ses collègues. S'il est parvenu, les deux premiers Dimanches à assurer le service religieux dans ses annexes c'est grâce à la forte somme qu'il a versée à un prêtre étranger. La situation est intenable ; aussi s'empresse-t-il encore de porter ses doléances au District (26 Octobre 1792)

    Une fois de plus, les administrateurs donnent un avis favorable et, "considérant que la pénurie des prêtres assermentés se fait sentir", lui octroient dans leur séance du 14 Décembre "un supplément annuel de 150 livres pour tout le temps qu'il n'aura pas de vicaire". (Arch. des Vosges. - Série L., Délibérations du District, Registre 63.)

    Aidé de ce subside qui lui permet de faire appel à quelque prêtre assermenté du voisinage, il administre sa paroisse durant toute l'année 1793 et, dans le budget préparé pour l'année suivante, nous lisons:

    Joseph Maudheux, âgé de 65 ans, curé de Thaon, reçoit 1.200 livres de traitement et 150 livres d'indemnité pour la desserte de l'annexe.

     Le culte et les excès révolutionnaires. - Cependant le culte consitutionnel ne devrait pas avoir l'heur de plaire longtemps à ses organisateurs.

    On commence tout d'abord à en rendre moins retentissantes les manifestations: les cloches sont en effet descendues et envoyées à la fonderie de canons de Metz ; elles ont sonné pour la dernière fois au baptême de la fille du maire (Pluviôse an II. - Février 1794).

    Le 9 de ce mois, le District avait nommé à Thaon un commissaire chargé de l'exécution de l'arrêté du représentant du peuple Faure, arrêté "tendant à prévenir les effets du fanatisme et la malveillance des prêtres" (Arch. des Vosges. - Série L., Délibérations du District, registre No. 63.). Le même commissaire, qui a nom Joseph Perrin, fait encore partie comme suppléant (21 Brumaire an III. - 11 Novembre 1794) du comité révolutionnaire organisé dans le District d'Epinal par Michaud, un autre représentant du peuple.

    Quelque temps après, le culte est totalement supprimé à Thaon et remplacé par des cérémonies patriotiques qui ont lieu chaque décade dans l'église. Des chansons aussi ridicules pour le fond que pour la forme simulent le chant des psaumes ; des orateurs d'occasion, et Dieu sait quels orateurs! Déclament du haut de la chaire des diatribes dépourvues de sens commun ou remplies de violences et de menaces à l'égard des prêtres catholiques et des aristocrates.

    Quelques malheureux intrus, tombés jusqu'au dernier degré de l'abjection et de l'apostasie ne sont pas les moins emportés. Les vieillards de Thaon rougissaient encore, il y a quelque quarante ans, lorsqu'il racontait à leur bon curé M. Fiel, les déportements scandaleux commis dans leur église par un certain Basile Thouillot, ex-curé intrus à Uxegney, qui osait profaner le saint lieu par des chansons plus que légères et des élucubrations insensées sorties de son imagination corrompue.

    Ce prêtre si peu digne de son sacerdoce est de Derbamont où il est né le 15 Juin 1761 ; il a prêté le serment constitutionnel à Ventron alors qu'il était vicaire. Arrivé à Uxegney comme intrus (22 Septembre 1791), il déclare en 1795 exercer encore le culte à Uxegney et à Domèvre-sur-Avière, renie ensuite son caractère sacerdotal, devient juge de paix du canton et vit en laïc sans aucune pratique religieuse, même après la réorganisation du culte. Il meurt à Uxegney, réconcilié cependant avec l'Eglise et répétant souvent dans les derniers moments de son existence et alors qu'il fait un retour salutaire sur son passé: "Que l'homme est bête sur la terre!" (Note communiqué par M. le Chanoine Lhôte)

    Au sein de cette apostasie générale, ordre est donné par le Directoire d'envoyer à Epinal tout le mobilier et les objets du culte.

    En conséquence de ce mandement, dit M. Fiel, le maire de Chavelot, annexe de Thaon, charge sur une voiture les ornements, livres de chants, missels, etc…, et les faits partir au chef-lieu, où ils sont, avec ceux venus d'ailleurs, ou vendus ou brûlés publiquement comme objets de superstition.

    A Thaon, ils furent soustraits à la profanation de l'impiété révolutionnaire et cachés dans des maisons chrétiennes. De tous ces objets de culte, le plus précieux, bien que le plus pauvre, fut sans contredit le reliquaire de la Croix-de-Notre-Seigneur-Jésus-Christ, lequel fut enlevé par le chantre de l'église et gardé chez lui jusqu'à la restauration du culte. Alors il fut rendu à sa destination première, et l'on peut voir dans les archives de la fabrique l'authentique de cette pieuse relique.

    Comme partout ailleurs, la population de Thaon subissait le joug de quelques énergumènes et se prêtait, non sans une profonde répugnance, à leurs exhibitions excentriques. Un arbre de la liberté avait été planté dans le cimetière et était l'objet des démonstrations les plus extravagantes. Quiconque n'y prenait part était arraché de sa demeure par les sans-culottes, entraîné violemment et jeté au milieu de danses effrénées organisées sous son ombrage.

     Pendant ces jours de triste mémoire, ajoute M. Fiel, vivait à Thaon un individu de triste mémoire ; il se nommait Laforge, Briseur de croix, parce qu'il avait brisé une croix qui se trouvait à mi-chemin de Thaon et d'Igney, au lieu qui porte encore aujourd'hui le nom de Croix Jean-d'Arches, puis une autre vers la fin de notre village en allant vers Igney, enfin une troisième dont je ne sais pas au juste l'emplacement. Il en aurait fait autant d'une quatrième fort ancienne qui se voit encore dans le village si elle n'avait été soustraite à ce nouvel iconoclaste.

    Aussi ne fut-on pas surpris du triste genre de mort qui termina ses jours. Des témoins oculaires m'ont dit qu'étant au lit de la mort. Il se tordait les membres de douleur, repliait son corps comme l'eût fait une anguille, s'arrachait les cheveux et jetait des cris comme un aveugle.

    M. Fiel, raconte encore à propos de ce Laforge, Briseur de crois, plusieurs autres exemples terrifiants de la justice de dieu: Quoique postérieures à la révolution, ils méritent d'être cités, d'autant plus qu'ils donnent l'occasion de faire connaître les anciennes croix de Thaon. "Dieu punit encore d'une manière frappante un autre briseur de croix en se servant des mains ce cet impie pour exercer contre lui sa juste vengeance". Voici le fait:

    En 1819, le tonnerre tomba sur un jeune homme de Thaon, Jean-Baptiste Guyon. Une croix fut élevée au lieu de sa mort: on la voit encore au dessus de la Marseille. En 1830, un habitant d'Epinal, appelé Bertrand, tira sur elle deux coups de fusil qui endommagèrent peu le Christ, mais mutilèrent une image et brisèrent la tête à une autre. Quelques années après il se tira un coup de pistolet au milieu de la rivière et mourut ainsi d'une double mort.

    Au Nord de cette croix, sur le chemin de Thaon à Epinal se trouvait une autre croix qui rappelait qu'un crime avait été commis la même année, ainsi que le prouve l'extrait suivant d'un testament fait en 1726, par Marie André, femme de Joseph Masson, ancien maire de Chavelot. Dans ce testament, elle impose à ses héritiers l'obligation d'employer une somme d'au moins 150 fr. pour faire rétablir à neuf et autant proprement que cette somme pourra le permettre, l'ancienne croix à présent tombée qui était sur le chemin au-dessous de Meix de l'ermitage de Paillé, ladite croix ayant été édifiée par la dévotion d'un de ses ancêtres: un d'iceux fut assassiné à cet endroit.

    En allant à Pérée vous trouverez encore, au bout de la tranchée de ce nom et sur votre droite, une croix qui n'est encore qu'en bois, arrêtez-vous pour dire une prière à la mémoire d'un homme de foi, nommé Brice Balland, qui a trouvé la mort en tombant d'un arbre.

    Je parlais tout-à-l'heure de la vengeance de Dieu contre les briseurs de croix, je pourrais encore la montrer s'execant contre les contempteurs de ses sacrements et de ses ministres.

    Un de la première catégorie, nommé Joseph Barroué, meurt subitement sur la place d'Epinal sans avoir eu le temps de demander pardon à Dieu pour une vie passée dans bien des désordres.

    Un autre est frappé d'une mort foudroyante à la porte du village. Quand, deux jours après, j'ai vu son cercueil entrer à l'église, j'ai dit à mon voisin: C'est la première fois que je le vois ici!

    Un troisième qui ne mettait point les pieds à l'église voyant le curé sortir de sa maison alors qu'il venait de remettre à sa femme un objet déposé chez lui pendant son absence, l'insulta en public avec tant de fureur que le pauvre curé se crut obligé d'entrer dans un maison, espérant que, ne le voyant plus, son ennemi se calmerait. Plus tard, ce malheureux tomba du haut d'un escalier sur le pavé de la grange où il fut assommé.

    Dernières années du curé Maudheux. - Comme le dieu Saturne, la révolution commençait à dévorer ses propres enfants. Aussitôt arrivé dans les Vosges, le représentant du peuple Michaud enjoint à tout ex-prêtre, même intrus, de se retirer à quatre lieues de la commune où il a exercé des fonctions pastorales.

    Avant de se résoudre à quitter ses ouailles, le curé Maudheux pétitionne et supplie les administrateurs du District d'user à son égard de certains ménagements. Grâce aux intelligences qu'il a toujours dans l'assemblée, un arrêté (Arch. des Vosges : Série L, délibérations du District. Registre 63) l'autorise à rester provisoirement à Thaon dans la maison qu'il occupe jusqu'alors (13 Vendémiaire an III. - 4 Octobre 1794).

    Et il semble bien que, durant toute la tourmente, il n'ait pas été trop inquiété dans sa résidence provisoire ; de plus, disons-le à sa louange, la tradition ne paraît pas lui attribuer aucun de ces actes d'apostasie si communs parmi les prêtres constitutionnels.

    Lorsque le bon ordre commença à renaître et que l'on vint à parler de la réintégration des prêtres émigrés, il tint à faire rétractation publique. Malgré la dissuation que lui en donnaient les tenants du schisme et particulièrement Claude Jeandat, son voisin intrus de Girmont, il monta un Dimanche en chaire et eut le courage de déclarer, au grand émoi de ses partisans que, n'ayant jamais été revêtu des pouvoirs nécessaires à l'administration de sa paroisse, les fidèles intéressés devraient s'adresser aux futurs curés pour la revalidation des mariages qu'il avait lui-même bénits et des absolutions qu'il leur avait données.

    A partir de ce jour ses facultés commencèrent à baisser et cela d'autant plus rapidement qu'au dire des anciens de Thaon qui l'avaient connu, il était "d'un caractère faible et d'une grande simplicité". Lors de la réorganisation du culte, il se retira à Vincey chez son frère Claude-Joseph Maudheux chez lequel il vécut encore quelques mois dans un état d'esprit lamentable.

    Dans les premiers jours de Décembre de l'année 1800, se trouvant à Nomexy chez Joseph Morel, charron, il avait attiré l'attention du public par ses manières excentriques. Le maire, Jean-François Petitposson, était arrivé sur les entrefaites et avait constaté lui-même un profond dérangement cérébral. Lorsque le pauvre curé sortit de la maison, le charron qui avait entendu ses nombreuses divagations, communiqua au maire les terribles appréhensions qu'il concevait sur ce malheureux prêtre, l'invitant à faire les recherches nécessaires pour le retrouver.

    Les inquiétudes de Joseph Morel n'étaient que trop justifiées: un mois plus tard (30 Décembre) on trouva son cadavre en décomposition fort avancée dans le bois Le Comte, derrière Nomexy. Il avait mis fin à ses jours en se pendant avec sa jarretière à un petit charme de la forêt ; la jarretière avait fini par se briser et le malheureux, en tombant, était resté à genoux, adossé contre l'arbre. Les animaux sauvages lui avaient déjà dévoré les oreilles, les mais et les poignets.

    Il portait comme vêtement "un habit de drap de loup, une veste grise de peluche, une calotte de panne bleu, des bas de laine blanche et des souliers, un bonnet mis dans son chapeau. - Une chemise, six mouchoirs de poche, une calotte de drap, deux coiffes de nuit, une pipe, un bréviaire romain et un autre petit livre intitulé Imitiao Chriti gisaient à ses côtés, renfermé dans un mouchoir blanc à raie rouge". Enfin, on retira de sa poche quelques pièces de monnaie et un portefeuille renfermant un mandat de 166 livres pour le tiers de son traitement du second trimestre de l'an VI (1798).

    Voici son extrait mortuaire: " Du 10 Nivôse an IX de la République française. - Acte de décès de Joseph Maudheux ci-devant capucin trouvé mort le jour d'hier par accident dans le bois Le Comte, finage de Nomexy, vers les trois heures de relevé, âgé de soixante te onze ans. Né à Fomerey, département des Vosges, demeurant à Vincey, fils de Claude Maudheux et dame Cornement, de leur vivant cultivateurs audit Fomerey. Sur la déclaration à moi faite par le citoyen Jean-Baptiste Renard, vigneron à Nomexy, âgé de 34 ans, qu'il a trouvé qu'il a trouvé le défaut mort dans le bois Le Comte, lequel a signé le présent acte. Lequel Joseph Maudheux a été inhumé dans le cimetière de cette commune, cejourd'hui en présence du citoyen Claude-Joseph Maudheux son frère, François Beurtaux son beau-frère, tous deux cultivateurs demeurant à Vincey qui ont aussi signé le présent acte. Et le corps dudit Joseph Maudheux a été levé par le citoyen Tannant, juge de paix, officier de police judiciaire du canton de Châtel, ainsi qu'il en conste par son procès-verbal du jour d'hier dont la teneur suit et de celui du citoyen Mangin officier de santé à Châtel, qui a été appelé par ledit juge de paix pour faire la visite du cadavre.

    "Signé: Bertaux, F.B. Renard, C.J. Maudheux." (arch. communales de Nomexy : E.I.2.)

    La présence au milieu du bréviaire et de l'Imitation de Jésus-Christ est tout en sa faveur et dénote péremptoirement que si le malheureux vieillard a mis fin à ses jours. Il faut attribuer sa mort moins à un suicide qu'à un simple accident résultant de son état mental. Il était âgé de 71 ans.

    Le culte catholique à Thaon durant le Terreur. - Après l'amnistie dont ils profitèrent, que devinrent les abbés Anthoine et St-Mihiel? Le premier passe la frontière ; quand au second nous le perdons complètement de vue.

    La plus élémentaire prudence conseillait de fuir, le Directoire ne pouvant manquer la première occasion de prendre sa revanche : l'abbé Anthoine gagne l'Allemagne et ca se réfugier avec M. Duporieux, curé de Domèvre-sur-Durbion, à Oeling , près de Siedburg. En janvier 1795, les deux prêtres sont assez confortablement placés dans une abbaye de religieuses bernardines de Zuzendorf, en Franconie ; malheureusement ils doivent fuir devant l'invasion française et c'est en Bavière qu'ils vont chercher un dernier refuge (Bibliothèque du grand séminaire de Nancy. Manuscrit de Chatrian : Kd. 89).

    Cependant, malgré la sentence qui le condamne à la déportation, l'abbé Anthoine ne craint pas de rentrer en France dans le courant de l'année 1799 et de venir exercer de nouveau ses fonctions pastorales au sein de ses ouailles fidèles.

    Sa présence et celle de l'abbé Meuriot, ex-vicaire de Golbey, est, en effet, signalée à Thaon par la commission cantonale de Domèvre et Longchamp qui les dénonce comme se cachant et disant discrètement la messe chez Brice Lacroix, Joseph Perrin et Rose Royon.

    Chose digne de remarque et tout à son honneur, Joseph Perrin qui fait alors parti du comité révolutionnaire chargé de traquer les prêtres, de les dénoncer et de les arrêter, leur offre la plus généreuse hospitalité et convertit sa cave et ses greniers en chapelles dérobées.

    L'abbé Anthoine de retour en France, parvient donc à échapper à toutes les poursuites, et lots de la réorganisation des paroisses est nommé curé de Ste-Marthe à Epinal, avec juridiction sur le Faubourg-des-Bons-Enfants et sur le village de Saint-Laurent qui devient annexe (1er Pluviôse, An XI - 21 janvier 1803). L'église Ste-Marthe était la chapelle de l'hôpital St-Maurice: C'est là qu'il meurt le 12 Avril 1825 (Note de M. le Chanoine Lhôte).

    Les maisons de Joseph Perrin, de Brice Lacroix et de Rose Royon ne furent pas les seules qui s'ouvrirent aux prêtres catholiques et leur offrirent un asile inviolable durant la tourmente,. Celle du brave cultivateur, nommé Mathieu, avait déjà abrité, en Juillet 1792, l'abbé Nicolas Duguenot, natif de Jeuxey et chapelain de la chapelle ducale de Châtel. Sur la sommation d'un agent de police il avait dû quitter cette ville et plusieurs nuits de suite il avait erré de village en village et avait enfin trouvé un gîte à Thaon. Un mois après, sur un avis du Directoire qui ordonnait à tous les prêtres insermentés de se rendre à la maison d'arrêt, l'abbé Duguenot partait pour Epinal se faire incarcérer, de peur sans doute d'être trop longtemps à charge à son bienfaiteur et de l'exposer à des perquisitions domiciliaires.

    Pendant ce temps de désolation, dit M. Fiel, quelques prêtres qui n'avaient point prêté le serment schismatique, pour ne pas abandonner les fidèles de la fureur du loup, vivaient cachés dans le pays, tous les jours exposés à des arrêtés et conduits à la guillotine. Profitant des ténèbres de la nuit et cachant leur caractère sous un habit laïc, ils parcouraient les campagnes, arrivaient dans quelques maisons chrétiennes où ils célébraient la saint messe pendant la nuit, dans une chambre à l'écart, confessaient, baptisaient, en un mot remplissaient les fonctions de leur état.

    De ce nombre était le Père Antoine Lottinger, chartreux de Bosserville, qui rendit bien des services à la paroisse en ces temps malheureux

    Citons pour mémoire seulement les noms de deux prêtres assermentés, l'un natif de Thaon et l'autre qui vient y habiter quelques mois seulement :
    Armand Ihler. - Chanoine de la collégiale de Thann, prête le serment constitutionnelle, devient curé de Thann, quitte cette paroisse vers le mois de Floréal an II, et comme il se propose de venir habiter à Chaumousey, vient en faire la déclaration au Directoire du District d'Epinal (25 Floréal - 14 Mai 1794). Il présente aux administrateurs un certificat de civisme de la commune de Belfort, lieu de sa résidence au 24 Germinal (13 Avril) ; par ce certificat, il conste qu'il a payé les impositions et la contribution patriotique. - M. Félix Bouvier le donne comme le premier prêtre des Vosges, qui ait apostasié, c'est-à-dire abjuré ses tittres ecclésiastiques (23 Frimaire an III - 13 Décembre 1794).

    Joseph Balland. - Capucin assermenté, né à granges le 26 Octobre 1736, devient vicaire résident à Rugney, de Septembre 1790 au 28 Octobre 1791, puis à Evaux-Ménil ou il prête le serment du 11 Octobre 1792 et écrit la déclaration suivante:

    Je soussigné, Joseph Balland, ex-capiucin de Granges, déclare qu'après avoir renoncé par le fait aux fonctions de vicair (sic) que j'ai exercé pendant trois ans j'y renonce de nouveau par le présent acte que je consigne sur le registre de la Commune d'Evaux-et-Ménil le 21 Floréal de l'an II de la République une et indivisible. Signé: B.-J. Balland" (Note de M. Balaud, instituteur à Evaux.)

    Le 25 Vendémiaire an II, le District de Mirecourt lui délivre un certificat constatant qu'il a été ministre du culte à Evaux et lui donne acte de "son intention de se retirer à Tavon où il entend à l'avenir recevoir sa pension fixée à 1.000 livres". (Registre des délibérations concernant les religieux. - Arch. des Vosges : L. 86X.)

    En 1801, il se dit curé de Deycimont. Rentré à granges en Avril 1803, il y devient vicaire en Janvier 1804 et sa dernière signature est du 21 Mai de la même année. Sa présence à Mirecourt le 16 Octobre 1794 nous porte à croire qu'il fut gardien du couvent de cette ville sous le nom de fr. Cyprien dont la nécrologie fixe la mort en Mars 1812. (Note de M. le Chanoine Lhôte).

    Son nom doit être inscrit au livre d'or de cette paroisse et l'historien de Thaon manquerait à son devoir s'il ne donnait à l'édification publique la satisfaction de connaître en détail la vie de ce généreux martyr de la foi. La biographie de R. P. Antoine fera donc exclusivement l'objet du chapitre XI. Elle est presque tout entière extraite du bel ouvrage de M. le Chanoine Mangenot: "Les ecclésiastiques de la Meurthe, martyrs et confesseurs de la foi pendant la Révolution."

    3.11. Un martyr

    Premières années. - Fils d'un docteur en médecine, Joseph-Antoine Lottinger et de Marie-Louise Vaultrin, Charles-François-Xavier naquit à Blâmont le 11 Décembre 1751 et fut baptisé le même jour. Il était le quatrième de cinq enfants dont l'aîné Antoine-Joseph, était entré dans l'ordre des capucins.

    Attiré comme son frère par la vie religieuse, il choisit la famille de St-Bruno et vint frapper à la chartreuse de Bosserville. Le 24 Mars 1772, il prit l'habit de novice sous le nom de dom Antoine et, l'année du novicat écoulée, il fit profession solennelle le 25 Mars 1773, puis reçut à Toul les ordres mineurs et le sous-diaconnat (23 septembre 1775).

    Ordonné prêtre en 1777, il devint bientôt le modèle vivant de ses frères, par la pratique de toutes les vertus qui font le vrai chrétien, le saint prêtre, le religieux parfait, par sa régularité, sa ponctualité, sa charité et surtout par le dédain de la vie présente et le désir de la vie future.

    Le 17 janvier 1791, il déclara opter pour la vie commune. Sa pension de religieux fixée à 900 livres lui fut payée tant qu'il resta à Bosserville.

    Or, dès le début de la Révolution, dom Antoine soupirait après la grâce du martyre. Un jour qu'une troupe de brigands avait assailli la chartreuse, il se réjouissait déjà à l'espoir d'être assassiné par ces ennemis de Dieu et de la religion et, après leur départ, il témoigna du regret d'avoir échappé à la mort en cette occasion. Souvent, en se recommandant aux prières de ses amis, il leur demandait de réclamer pour lui la gloire du martyre.

    Le 6 Octobre 1792, les chartreux durent quitter leur solitude de Bosserville. Ce jour-là, ils avaient célébré leur fête patronale et conduit à sa dernière demeure l'un des leurs, dom Nicolas Payen, mort la veille. Un certain nombre de religieux se retirèrent à Maréville ; mais pour dom Antoine, on ne savait où il était.

    L'exil. - Nous ne connaissons pas toutes les étapes de dom Lottinger sous le chemin de l'exil. Il se retira en Suisse et, pour donner satisfaction à sa tendre dévotion à la Sainte-Vierge, il fit un pèlerinage de Notre-Dame-des-Ermites. Il y éprouva tant de joie et de consolation qu'il s'était proposé d'y retourner.

    Il passa ensuite en Italie, alla peut-être visiter un sien oncle à Milan et se rendit à Rome. Devant les tombeaux des saints apôtres Pierre et Paul, il puisa un redoublement de zèle apostolique. Son pèlerinage accompli, il rentra en Suisse et, à la fin de 1795, il se fixa dans une chartreuse de la Turgovie, située aux environs de Toggenbourg (canton d'Appenzel).

    Le vénérable chartreux forma le dessin d'aller en chine prêcher l'Evangile et cueillir les palmes du martyre, mais il ne réalisa pas ce généreux projet, quand il eut compris qu'il pouvait remplir dans sa pauvre un apostolat fécond et trouver l'occasion d'une mort glorieuse. Il résolut donc de rentrer en Lorraine et se mit en route au mois de Mai 1796.

    Apostolat. - rentré dans sa patrie après trois ans d'exil, dom Antoine s'employa dès qu'il put et autant qu'il le put à l'administration des sacrements pour le salut des âmes. La route qu'il prit fut le Ballon-d'Alsace, baptisa un enfant à Ramonchamp, descendit le cours de la Moselle et arriva quelques jours après à Thaon.

    Or, depuis un an, les fidèles de cette paroisse avaient été complètement délaissés: aucun prêtres catholique n'y avait signalé sa présence, des enfants grandissaient sans baptême, des unions s'étaient formées sans la bénédiction de l'Eglise. dans ces conditions, on comprend l'accueil fait au P. Lottinger, lorsque la nouvelle se fut discrètement répandue qu'un religieux insermenté venait d'arriver au village et s'y tenait caché.

    Chacun eut à cœur de profiter de sa présence si providentielle. Durant plusieurs jours il célébra la sainte messe en quelque chambre dérobée, administra à nombre de personnes les sacrements de Pénitence et d'Eucharistie et baptisa des enfants dont quelques-uns avaient plus d'un an (d'après M. Fiel).

    Le souvenir ineffaçable qu'il laissa de son séjour à Thaon porte à croire que cette apparition ne fut pas la seule qu'il fit dans la paroisse ; il s'y était acquis l'affection de chrétiens absolument sûrs et dévoués et durant ses nombreuses courses apostoliques dans les environs, il eut à cœur de subvenir aux besoins spirituels de ses bienfaiteurs.

    Un soir qu'il voyageait par une nuit froide et obscure il fut assailli par deux volontaires qui n'avaient ni mission ni mandat de le saisir. Sa première pensée dut de leur offrir de l'argent pour avoir la liberté de continuer sa marche. Un des agresseurs acceptait volontiers les six livres et consentait à relâcher le prisonnier ; le second, ne cédant pas à l'appât de l'argent, employait la violence pour la traduire devant les tribunaux. Mais dom Antoine, par un mouvement vigoureux, se dégagea de ses étreintes et s'enfuit d'un pas rapide et léger. Plus tard il se reprochait d'avoir agi de la sorte et dans son désir ardent de mourir pour Jésus-Christ, il regrettait d'avoir volontairement perdu l'occasion d'aller au martyre.

    Arrestation. - Dom Antoine a raconté lui-même les circonstances de son arrestation.

    Le 26 Avril 1798, il reçut d'un prêtre missionnaire un billet l'invitant à porter, s'il le pouvait, les secours spirituels à quelques personnes de Gerbéviller.

    Le zélé religieux part sans hésiter, emportant la sainte Eucharistie.

    Son unique compagnon de route l'ayant averti que des patrouilles parcouraient le pays, il lui confia son dépôt sacré, de crainte qu'il ne fût profané si lui-même était arrêté. Les deux voyageurs arrivèrent à Gerbéviller vers onze heures du soir. Ils aperçurent de la lumière dans une maison ; mais comme elle était habitée par de fidèles catholique, ils jugèrent qu'ils n'avaient rien à craindre. Un peu plus loin, ils virent de la clarté dans une autre maison. Ses habitants étaient des ennemis de la religion ; néanmoins, parce que c'était une auberge, ils ne crurent pas nécessaire d'avancer avec circonspection.

    Ils entendirent cependant tout proche d'eux parler à voix basse ; l'obscurité de la nuit était si profonde qu'ils ne virent personne. Ils pénétrèrent bientôt au lieu où ils étaient attendus et où se trouvaient réunies des religieuses de la Congrégation-de-Notre-Dame. Dom Antoine confessa le malade auprès duquel on l'avait appelé ; mais il avait été vu et dénoncé. Le lendemain 8 Floréal an VI (27 Avril 1798), à midi, les gendarmes vinrent le prendre.

    Le prisonnier n'était muni d'aucun passeport, il déclara aux gendarmes qu'il n'avait point de résidence fixe. Le juge de paix du canton, devant lequel il fut aussitôt conduit, lui fit subir, en qualité d'officier de police judiciaire, un premier interrogatoire.

    Sans hésitation et sans crainte, avec le calme d'un innocent, dom Antoine se fit connaître comme "prêtre du ci-devant ordre des Chartreux de la maison de Bosserville, près de Nancy." Avouant qu'il avait émigré deux fois, qu'il n'avait pas de résidence fixe et qu'il menait une vie errante.

    Le lendemain les gendarmes l'emmenèrent directement à Nancy et présentèrent son interrogatoire de la veille à l'administration centrale du département de la Meurthe.

    Le prisonnier avait été déposé à la conciergerie, le 28 Avril vers 11 heures du matin.

    Tout le temps qu'il passa dans cette prison, il s'entretint de ses derniers moment. La joie intime qu'il éprouvait d'être incarcéré éclatait sur son visage et se manifestait dans toute sa conduite. Il se recommandait aux prières des catholiques et des prêtres qui vinrent le visiter: "Ne me recommandez pas aux prières des prêtres qui ont prêté le serment et ne sont pas réconciliés. Ils sont pour moi des hommes qui se mettent en face du crucifix pour lui cracher au visage."

    Condamnation. - Le 10 Floréal (29 Avril), le tribunal criminel rendit le jugement qui envoyait le prévenu devant la commission de Nancy.

    Dom Antoine était donc considéré comme émigré et non comme déporté rentré. La distinction établie par le ministre de la police générale, parvint trop tard pour que le tribunal pût l'appliquer au chartreux et lui infliger, au lieu de la peine de mort, celle de la déportation.

    Soumis à la juridiction militaire, le prévenu fut transféré, le 29 Avril, vers 3 heures de l'après-midi, de la Conciergerie à la tour Notre-Dame réservée aux prisonniers de guerre. Beaucoup de personnes du dehors le visitèrent et remportèrent une grande satisfaction de sa piété, de sa constance et de son allégresse. A l'un de ses visiteurs il dit: "Je répondrai avec franchise aux questions que me feront mes juges et je ne prétends pas tenir la gloire du martyre par le moindre mensonge".

    Ses amis lui proposèrent un défenseur pour plaider sa cause. Celui-ci s'engageait à le sauver si le prévenu le laissait dire ce qu'il voudrait: "A la bonne heure! Répondit le religieux, défendez-moi et sauvez ma vie si vous le pouvez ; mais que ce ne soit pas au détriment de la vérité, car si vous avancez quelque fausseté, je dirai le vrai sur-le-champ".

    Le défenseur voulait faire passer son client pour un esprit faible. A cette proposition, dom Antoine s'indigne et s'écrie: "Non, je ne souffrirai point qu'on recouvre à un tel subterfuge. Si mon défenseur l'emploi, je me lèverai devant les juges et je leur ferai voir par mes réponses que je possède toute ma présence d'esprit. Je serais un lâche, si j'agissais autrement".

    Le lundi 30 Avril, le rapporteur de la commission militaire vint à la tour vers 10 heures du matin. Il prit dom Antoine à part dans une chambre et lui ordonna de se déshabiller. En le fouillant, cet officier trouva sur lui deux mouchoirs, il voulut s'emparer du plus propre et du meilleur. Dom Antoine le pria de lui laisser pour bander ses yeux au moment de la fusillade. Le rapporteur accéda à sa demande et en le quittant lui: "Demain, premier jour de Mai, vous paraîtrez au jugement à 8 heures du matin".

    Dès lors, le prévenu ne s'occupa plus que de sa dernière heure. Il dit aux prisonniers qui l'environnaient: !J'ai besoin de tout le temps qui me reste pour me préparer au sacrifice". Et au cours d'une conversation avec des amis, il dit encore: "J'aurais plus besoin de résignation pour entendre une sentence qui me priverait du bonheur du martyre, que pour entendre une condamnation à mort que je désire".

    Le Mardi 1er Mai, à l'heure fixée, l'accusé est conduit devant la commission militaire qui devait le juger.

    A la question: "Avez-vous prêté les serments exigés par les lois? Il répondit: Aucun. - Pourquoi avez-vous refusé de les prêter? - Parce que ma religion et ma conscience ne me le permettaient pas".

    Il refusa de déclarer les familles chez lesquelles il avait logé, parce que la religion lui défendait de compromettre personne. La suite de l'interrogatoire fit voir que les juges n'eussent pas été fâchés de trouver un biais pour éviter une sentence capitale. L'accusé eût été absous s'il eût voulu dire qu'il ignorait la loi.

    Le défenseur cherchait aussi à tirer avantage d'une sorte d'équivoque sur ses noms de famille et de religion. Le chartreux ne lui permit pas d'en user. Comme on feuilletait la liste des émigrés pour s'assurer s'il y était inscrit, le greffier qui voulait le sauver lui dit: "Votre nom n'y est pas. - Il doit y être, répondit Lottinger. - Il n'y a point de Charles-Joseph Lottinger, reprend le greffier. - Eh bien! Cherchez aux A, vous y trouverez Antoine, chartreux de Bosserville, c'est moi!"

    Dans ses malles saisies avec lui on avait trouvé des vases sacrés et des ornements sacerdotaux qui étaient des pièces à conviction. L'avocat lui proposa de dire que ces objets ne lui appartenaient pas. - "Non, répliqua-t-il, c'est à moi: je suis prêtre catholique, je dis la messe, et je continuerai à la dire tant que je pourrai". C'est ainsi "qu'il dérouta par ses réponses toutes franches" la bonne volonté de ses juges à son égard.

    Vers onze heures du matin, après que une séance de trois heures, l'accusé est reconduit à la tour Notre-Dame. Il y trouve en arrivant un repas modeste qui lui avait été envoyé par une personne touchée de son malheur. Il ne fait d'abord que goûter les mets ; puis changeant tout-à-coup d'avis, il mangea de bon appétit et dit avec gaîté: "C'est un beau jour que celui-ci, c'est un jour de fête ; ordinairement je ne bois pas de vin, j'en boirai un peu aujourd'hui."

    Un laïque qui assistait à ce repas lui fit le récit détaillé des derniers moments de dom Sigisbert Thouvenin, prémontré fusillé à Nancy trois semaines auparavant, Lottinger, se félicitant de partager son sort, répondit que "lui faire ce récit, c'était lui servir un bon dessert".

    A deux heures, les juges viennent lire la sentence qui le condamne à mort.

    Il entend sans rien perdre de sa sérénité habituelle et sa première parole est un cri de reconnaissance: "Béni soit le Seigneur qui a bien voulu exaucer mes vœux!" Sa joie intérieure se reflète si manifestement sur son visage qu'un assistant ne peut s'empêcher de dire: "Il faut que cet homme soit fou ; on n'a jamais vu recevoir une sentence de mort d'un air si joyeux". Le condamné n'avait d'autre folie que celle de la Croix et la vivacité de sa foi lui avait toujours fait regarder comme une grande grâce celle de mourir pour la religion. Il dit encore à ce moment: "J'éprouve sensiblement la protection de Sigisbert Thouvenin auprès de Dieu, car je l'ai prié d'intercéder pour moi et de m'obtenir le bonheur de verser mon sang pour la foi de Jésus-Christ."

     L'Exécution. - Dès que la lecture de la sentence fut terminée, le condamné fut enfermé au secret dans une cellule jusqu'à cinq heures du soir. On vint alors le prendre pour le conduire à la place de Grève, "place des nouveaux martyrs." Il y marcha comme un généreux athlète, avec joie et en priant. De temps en temps il regarda modestement les spectateurs. Les yeux ayant rencontré dans la foule un de ses amis, il le salua trois fois.

    Au moment de parvenir au lieu de l'exécution, son tient perdit sa pâleur ordinaire, ses joues s'enflammèrent, son visage s'illumina et brilla d'une beauté extra-ordinaire et céleste. Il marchait d'un pas si ferme et si rapide qu'il dépassa le lieu du supplice. Un soldat de l'escorte lui cria: "Arrête donc, tu vas trop loin ; c'est ici". Alors, il s'arrêta, ôta son chapeau, tira de sa poche le mouchoir qu'il avait préparé dès le Dimanche précédent et qu'il avait eu soin de bénir, se banda les yeux, fit le signe de la croix, joignit les mains, se mit à genoux et reçut une décharge.

    Une balle l'avait atteint à la lèvre supérieure. Il tomba sur son côté gauche sans être mortellement blessé et tira la jambe comme pour se relever. Deux fusiliers apercevant ce mouvement s'approchent du côté droit et lui lâchent à bout portant deux coups de fusil derrière la tête.

    Le patient qu'on croyait mort, est aussitôt placé dans un cercueil ; mais, ô surprise! On le voit joindre les mains comme pour prier: C'était un dernier signe de vie. Une troisième décharge le frappe dans son cercueil à triste monde.

    Il était mort comme un Saint. C'était le 12 Floréal de l'an VI de la République (1er Mai 1798).

    Démonstration pieuses. - Une foule considérable attiré par le spectacle inaccoutumé de l'exécution d'un prêtre fut témoin du courage héroïque de dom Antoine. Les catholiques y étaient venus bénir dieu et admirer la force de sa grâce. Les indifférents et les ennemis de la religion eux-mêmes y assistèrent dans un respectueux silence. Tous étaient dans une sorte de saisissement.

    Le peuple donna au martyr de grandes marques de sa vénération: tous les objets qui avaient été a son usage furent considérés comme de précieuses reliques. Beaucoup d'assistants, bravant la défense et la force brutale des soldats, recueillirent le sang qui avait coulé abondamment sur la place. Le plus grand nombre accompagnèrent le corps jusqu'au cimetière des Trois-Maisons et les gendarmes ne purent les empêcher d'y entrer.

    Sur la tombe on se disputa les reliques: ceux-ci trempaient des linges dans le sang qui s'était répandu dans le cercueil ; ceux-là arrachaient l'herbe sur laquelle ses vêtements avaient été déposés ; d'autres prenaient de la terre imprégnée de sang. On se disputa le mouchoir qui lui avait couvert les yeux et un particulier l'acheta. Les plus forts seuls réussirent à s'emparer des reliques que tous désiraient posséder.

    Chacun remporta chez soi une vive impression ce cette mort édifiante: elle fut le sujet des entretiens de toutes les familles chrétiennes et de l'admiration de plusieurs ennemis de la religion. L'un disait: "Il y a dans tout cela quelque chose d'extra-ordinaire". Un autre: "Il ne convient pas ainsi de traiter des innocents". On entendit même un haut fonctionnaire adresser à l'un de ses collègues cette réflexion: "Remarquez-vous comment ces prêtres catholiques vont à la mort et la subissent? En voit-on d'autres la recevoir avec ce courage et cette paix?"

    Le peuple qui ne pouvait se dissimuler l'innocence du condamné laissa échapper assez librement ses murmures contre la rigueur exercée sur des citoyens paisibles, et l'on crû à cette époque que l'opinion publique avait ému les juges et les avait empêchés de condamner à mort, deux jours plus tard, l'abbé Charles Morel, curé de Troussey. Les fidèles, de leur côté, recourraient à l'intercession du martyr et les contemporains lui ont attribué plusieurs guérisons miraculeuses.

    3.12. Réorganisation du culte

    Nouveau clergé. – La tourmente révolutionnaire passée, il fallut songer à réparer, les ruines et la restauration du culte ne fut pas celle qui imposa la tâche la moins difficile.

    Depuis dix ans, les vides s'étaient faits nombreux, très nombreux même parmi les membres du clergé ; les fatigues et les privations d'un exil prolongé avaient fauché bien des têtes et aucune ordination n'avait porté remède à ce triste état des choses. Cependant le temps pressait, les paroisses réclamaient à l'envi des pasteurs et la liste des insermentés était loin de pouvoir satisfaire à toutes les exigences.

    Il fallut donc faire appel quelquefois aux prêtres, aux anciens religieux qui avaient eu la faiblesse de verser dans le schisme, en écartant bien entendu ceux dont la moralité avait été compromise.

    Après avoir rétracté publiquement leurs erreurs et particulièrement le serment constitutionnel, ils étaient envoyés par l'autorité ecclésiastique dans les paroisses éloignées du théâtre de leurs exploits plus ou moins édifiants. On pouvait croire que l'administration diocésaine songerait à renvoyer aux Thaonnais leur ancien curé ; il n'en fut rien, l'abbé Antoine, pour des raisons que nous ignorons, n'ayant pu ou voulu retourner au milieu de ses ouailles. Il est possible, comme d'aucuns le prétendent, qu'il soit devenu pro-vicaire diocésain, sans préjudice des pouvoirs accordés à M. de Thumery et à M. N.-A. Mathieu.

    L'abbé Jean-François Saucerottes. – Les manuscrits de Chatrian nous donnent l'abbé Jean-François Saucerottes comme premier succursaliste de Thaon (Bibliothèque du Grand Séminaire de Nancy : Chatrian. K. C. 11.)

    Né à Châtel-sur-Moselle (15 Décembre 1742) et fils de Pierre Saucerottes, avocat au bailliage de cette ville, et de Catherine Forquin, Jean-François, plus connu sous le nom de Père ou de Frère Pierre, était entré de bonne heure chez les capucins.

    Pendant les années 1785, 1786 et 1787, on le trouve comme conventionnel à Toul d'où il sort pour devenir successivement Gardien à Mirecourt, puis à Charmes (10 Août 1789), Définiteur d son ordre en Lorraine et enfin Gardien du couvent de Châtel.

    C'est avec a dernière énergie qu'il préserva les religieux de ce dernier couvent de la contagion du schisme et refusa toute compromission avec le culte constitutionnel. L'Histoire de Châtel pendant la Révolution rapporte quelle levée de boucliers il provoqua chez les révolutionnaires lorsque le 23 Juin 1791, jour de la Fête-Dieu, il interdit à ses religieux de prendre part à la procession de l'intrus Clément. Son couvent fut saccagé par une bande d'énergumènes qui allèrent jusqu'aux voies de fait et s'emparèrent de la cloche du monastère.

    Quelques jours après, les capucins étaient expulsés ; mais le frère Pierre continua de séjourner quelque temps dans sa famille de Châtel, puis il émigra à Versen-Salzburg (1794) et vont à la fin de l'année s'établir à München où il trouva de nombreux où il retrouva de nombreux compatriotes.

    A son retour d'exil, il est tout d'abord chargé de la paroisse de Thaon, où il ne reste guère qu'un an, et reçoit ensuite de M. Gorgel, pro-vicaire des Vosges, sa commission pour Girmont (1802). Mais Jeandat, le curé intrus, s'y trouve encore ; il ne veut pas se soumettre au Concordat, se cramponne à son titre constitutionnel et loin de se décider de partir, fait une guerre acharnée au nouveau curé.

    Les partisans de l'intrus, nombreux et influents font subir toutes sortes d'avanies au pauvre curé (19 Mai 1803), jusqu'au moment où M. de Thumery l'envoie à Frison (19 Février 1805). Le provicaire en informe alors Monseigneur d'Osmond:

    Au départ de M. Tocu, lui écrit-il, M. le curé de Châtel a envoyé à Frison M. Saucerottes qui n'avait pas réussi à Girmont, malgré ses vertus et sa science ecclésiastique. Il y restera.

    L'abbé D.-J. Contaut. – ce fut un ex-bénédictin assermenté que Monseigneur d'Ormond nomma comme successeur à l'abbé Saucerottes. Fils d'un meunier d'Uxegney, il administrait depuis quelques mois déjà la paroisse de Vaxoncourt et c'était sur l'ordre formel de son évêque que l'abbé Georgel l'avait déplacé pour l'envoyer à Thaon.

    Il est vraisemblable qu'il s'agit de notre ex-bénédictin, lorsque Chatrian nous parle d'un vicaire de Gripport, nommé Contaut qui, le soir du 23 Juin 1791, se trouvant chez M. Saucourt, chapelain de Charmes, en compagnie de l'abbé Carrez, vicaire résident à Florémont, faillit perdre la vie dans une émeute populaire. Pendant qu'une bande de forcenés envahissait, heureusement sans succès, la maison de M. Galland ex-curé insermenté de Charmes où ils espéraient capturer M. Symon, ex-curé de Châtel, et son vicaire, M. de Rozières, tous deux non moins insermentés, une autre troupe se ruait chez le susdit chapelain, se saisissait des trois prêtres et les écrouait dans les prisons de la ville, d'où ils sortaient le lendemain grâce sans doute à leur qualité de prêtres-jureurs. Pourquoi cette levée si subite de boucliers? C'est que l'on venait d'apprendre la fuite du roi et, pour les révolutionnaires de Charmes, le clergé seul était coupable de ce forfait!

    Après l'arrêté Michaud, il circule dans les environs de Châtel, fait en 1795 déclaration de culte à Vaxoncourt, administre quelques baptêmes à Hadigny et à Pallegney, marie sa nièce, le 9 Janvier 1799, à Domèvre-sur-Durbion et devient enfin desservant de Vaxoncourt à la réorganisation du culte (Abbé Mougel. – Paroisse de Domèvre-sur-Durbion, fol. 95). Il y reste jusqu'au mois de Germinal, an XI (Mars 1803), c'est-à-dire jusqu'au moment où il reçoit sa commission pour Thaon.

    Or la nouvelle de sa nomination avait jeté l'inquiétude parmi les catholiques de Thaon et leur avait causé la plus pénible impression. Des bruits fâcheux avaient circulé sur son compte, il passait pour être franc-maçon, et il ne fallut rien de moins pour le faire agréer de la population que l'intervention personnelle du curé de Rambervillers et de l'ancien pasteur M. Antoine qui l'un et l'autre faisaient grand cas de l'abbé Cautaut et vinrent eux-mêmes rassurer ses futurs paroissiens et leur démontrer l'inanité des imputations dont il était l'objet.

    Mais son séjour ne fut pas de longue durée, car au mois de Juillet de la même année il mourait empoisonné à la suite d'une messe dite à Chavelot dans un calice de cuivre en mauvais état. L'effet du poison fut si prompt et si violent qu'il ne put signer l'acte de mariage qu'il venait de bénir. C'est à la suite de cette mort foudroyante que Monseigneur d'Ormond interdit ce genre de calice dans toutes les paroisses de son diocèse.

    A la recherche d'un curé (Nous devons la correspondance dont on lira quelques extraits dans ce paragraphe à M. l'abbé Pierfitte, curé de Portieux, qui en a pris copie aux Archives de l'évêché de Nancy). – A la nouvelle de la mort de M. Contaut, le provicaire se préoccupe de lui donner un successeur et songe à M. Brie, curé d'Arches.

    Sans l'annexe, écrit-il à Monseigneur d'Osmond, je penserais à mon vieux M. Brie. On ne doit pas être difficile à Thaon après le passage de M. Contaut et quand vous auriez à déplacer quelque constitutionnel, il n'y aurait pas de quoi effrayer les habitants (17 Messidor, an XI.)

    Il y a encore un abbé Ferry, curé de Biffontaine, dont on a résolu le changement et l'attention de l'abbé Georgel est naturellement attiré sur lui. Mais l'évêque ne prise guère cette proposition et le provicaire offre une nouvelle combinaison.

    M. Houillon de Bouzemont, ne pourrait-on pas le placer à Thaon? M. Contaut y est universellement regretté: il avait réuni tous les esprits et les suffrages. Cette communauté très catholique demande un pasteur sans tâche et très catholique. M. Houillon m'a paru tel dans sa correspondance. Le curé cantonal M. de Thumery, propose M. Bagard placé à Bult, très connu et très estimé à Thaon. Il m'observe que la commune de Bult est trop petite pour les talents et la santé de M. Bayard ; je dois le voir incessamment et d'après notre entretien je vous reparlerai de Thaon (19 Messidor).

    Huit jours plus tard il n'est plus question de leur candidature et M. Georgel en revient à son vieil abbé Brie. Il lui fait parvenir sa commission parce que celui-ci lui "a laissé entendre que son infirmité ne l'empêcherait pas de desservir Thaon et Chavelot son annexe, si l'obéissance l'y envoyait".

    A peine a-t-il expédié cette nomination que les Thaonnais pétitionnent pour avoir comme curé l'abbé François-Bernard Thomas, prêtre de la dernière ordination. Leur requête n'est pas accueillie favorablement:

    J'espère, écrit le provicaire à son évêque, que M. Brie réussira à Thaon. Cependant cette commune m'a envoyé deux députations pour avoir M. Thomas qui vient d'être fait prêtre, parce qu'il a une belle figure et qu'il chante bien. M. Thomas s'étant flatté d'y être nommé, je lui ai appris, en répondant à sa singulière lettre, qu'il fallait avoir exercé pendant quelque temps sous un curé d'expérience, avant d'être à la tête d'une paroisse. Je ne connais pas ce Monsieur, j'ignorais même son existence sacerdotale, mais mon observation lui a déplu. Je lui crois des vertus et de bonnes qualités d'après une lettre de M. de Thumery, mais il a manifesté présomption et peu de déférence pour une volonté qui ne serait pas d'accord avec la sienne.

    Monseigneur ne paraît pas enthousiasmé de la nomination de M. Brie et propose à son tour M. Antoine Krantz "fort bon ecclésiastique ancien émigré. Thaon et Chavelot présente quelques ressources en principal et en casuel à cet émigré très en état de servir ces deux communes et qui les servira même très bien. C'est un homme de talent. Pour cela il suffit de nommer M. Brie à Dogneville.

    Dans l'intervalle, M. Brie était arrivé à Thaon et s'y était installé au milieu de l'indifférence et de la froideur presque affectées de toute la population alors entichée de l'abbé Thomas. Quelques jours après, n'y pouvant plus tenir, le pauvre curé va trouver le pro-vicaire et lui confie toutes les misères qu'il a déjà endurées depuis le peu de temps qu'il est dans sa nouvelle paroisse.

    Il n'est pas heureux, écrit M. Georgel à Monseigneur d'Osmond: Les communes de Thaon et de Chavelot, peu prévenues en sa faveur, vu sa mine et sa vieillesse, n'ont pas voulu lui faire le traitement convenu pour son prédécesseur. Il a même essuyé à cette occasion des désagréments à Chavelot et il est venu passer ici trois jours pour me rappeler cette réception. J'ai sur le champ dressé mes batteries pour Dogneville.

    Il n'est pas probable que l'abbé Krantz ait reçu, d'après le désir de Monseigneur, sa commission pour Thaon: Il fallait savoir auparavant si les habitants de Dogneville seraient aussi difficiles dans le choix de leur curé.

    Le pro-vicaire essaye donc de lui préparer les voies:

    J'ai écrit à M. Moine de Dogneville, M. Brie en a été bien reçu ; il l'a prôné à sa paroisse et pour mieux entraîner les suffrages et lui procurer le traitement de 600 francs que cette riche paroisse destine à son pasteur, il l'a engagé à chanter la messe dimanche dernier, fête patronale de la paroisse (invention de St.-Etienne) et à faire le panégyrique du saint. Le pauvre M. Brie a échoué, sa faible voix ne s'est pas fait entendre, on n'a rien compris à son sermon.

    M. Moine était présent: le maire et conseil municipal sont venus lui avouer que si on leur donne M. Brie, ils seront désolés. Nous ne doutons point, ont-ils dit, de ses vertus et de sa science, mais nous ne pourrons puiser dans ce trésor puisqu'il ne peut se faire comprendre. Il a donc fallu renoncer à Dogneville qui lui aurait bien convenu puisqu'il n'y a pas de binaison et que le traitement de la commune est de 600 fr. Convenu et arrêté.

    M. Brie est retourné à Thaon qui offre 300 fr. Et Chavelot 200 ; mais M. Brie voudrait avoir 600 fr. pour biner. Il m'a prié d'écrire aux deux maires pour les amener à cet arrangement. J'ai écrit, nous verrons le résultat.

    Les maires se refusèrent catégoriquement à toute augmentation de traitement et il fallut décidément retirer M. Brie qui n'était plus possible dans ces conditions. Ce fut l'abbé Nicolas Duguenot qui lui succéda (Octobre 1803)

    L'abbé Nicolas Duguenot. – D'après Chatrian, le nouveau curé était né le 12 Décembre 1743.

    Ordonné prêtre à 25 ans (1768), il est tout d'abord chapelain à Arches et devient ensuite vicaire résident à Rugney. Après son refus de serment constitutionnel il émigre, séjourne quelque temps à Köln, puis en Autriche et, à son retour d'exil, est nommé curé de Harol.

    Et ce n'est pas pour son bonheur qu'il arrive dans cette paroisse. Le maire, un impie de marque, ne peut sentir à ses côtés un prêtre insermenté qui, au dire du provicaire lui-même, "est un excellant ecclésiastique mais trop peu conciliant et dont le zèle s'élance quelquefois au-delà des bornes de la prudence". Une dénonciation du maire contre le curé produit pas grand effet sur le provicaire qui écrit à son évêque:

    La plupart des imputations sont fausses ou exagérées: cependant il faut avouer que le caractère de l'accusé, minutieux, trop raide et peu conciliant lui ont aliéné les deux tiers de la commune.

    A la lecture de ce rapport, Monseigneur d'Osmond répond que "la mutation de M. Duguenot peut être nécessaire sans qu'il cesse d'être méritant". (3 Messidor, an XII).

    Le surlendemain nouvelle missive de l'abbé Georgel au sujet de cette mutation décidée en principe:

    J'aurai pour M. Duguenot les ménagements dus à ses vertus: mais dans les circonstances actuelles il s'attirera encore d'autres désagréments dans une autre succursale. Il ne sait pas être roseau au moment des tempêtes, plier sans rompre. C'est le chêne antique qui, fier de ses profondes racines et des branches vigoureuses, lutte avec effort contre l'aquilon déchaîné et finit par être brisé et déraciné. Quand nous le déplacerons, je l'engagerai à venir me parler et je tâcherai de lui faire goûter nos principes de conciliation.

    Durant ces pourparlers, une enquête a été faite sur l'objet de la dénonciation du maire par M. Hamart, curé de Darney. Elle est tout à l'honneur du prêtre incriminé et ne sert qu'à le faire croître dans l'estime de Monseigneur d'Osmond qui écrit le 8 Thermidor:

    Le rapport de M. Hamart me prouve bien démonstrativement, non seulement l'innocence, mais même la sagesse de M. Duguenot. C'est qu'en vérité il faut dépasser les règles de la prudence et froller les principes pour ne pas s'attirer la haine de ces méchantes gens qui ne connaissent pas les ménagements.

    Le séjour de M. Duguenot à Thaon fut de courte durée.

    Le 16 Avril 1805, M. Georgel informe l'évêque des difficultés qu'il éprouve dans sa nouvelle paroisse:

    Il tient à son service une ex-religieuse d'Allemagne, âgée de plus de 40 ans, qui se dit visionnaire, etc... et jette le désordre dans la paroisse.

    Entre autres talents, dit M. Fiel, elle prétendait savoir quand une âme était sauvée ou damnée ; on comprend dès lors la colère de ceux dont elle damnait les parents.

    Une enquête est faite par l'ancien curé de Thaon, M. Anthoine, qui dans son rapport conclut ou au renvoi de l'ex-religieuse ou au déplacement de M. Duguenot.

    Mis par son évêque dans cette alternative, il préféra se retirer, fut nommé à Frenelle-la-Grande, ensuite à Jeuxey et mourut le 2 Octobre 1832.

     L'abbé Léger Jeanmaire. – Le successeur de M. Duguenot à la cure de Thaon fut un ancien lazariste, M. Léger Jeanmaire, né à Charmois-l'Orgueilleux, le 14 Mars 1763.

    Il est l'auteur d'une fondation sui porte son nom ; de plus il versa à la caisse du bureau de bienfaisance une somme de 500 fr. dont les revenus sont affectés au soulagement des pauvres.

    Nous ignorons les motifs qui l'engagèrent à quitter Thaon en 1811 pour accepter la cure de St-Nabord ; quoiqu'il en soit, il ressentit bientôt le chagrin de ce déplacement et supplia l'autorité diocésaine de la rendre à ses premières ouailles. On accéda à son désir et, le 1er Octobre 1812, il rentrait à Thaon.

    Ce retour précipité était le premier symptôme d'une maladie qui ne devait malheureusement que s'accroître et lui enlever peu à peu l'usage de ses facultés mentales.

    Quelques mois avant sa mort, l'instituteur de Thaon vient un soir passer quelques instants avec son pasteur. Alors qu'il l'interroge sur l'état de sa santé, il s'entend tout-à-coup adresser la requête suivante:

    - Comme je ne puis plus guère sortir de ma chambre, voudriez-vous avoir l'obligeance de me rendre un service.
    ? Tout-à-vos-ordres, Monsieur-le-curé!
    ? Eh bien! Quand minuit sonnera, vous irez à l'église et mettrez votre surplis de chantre, puis vous ouvrirez le tabernacle et m'apporterez le Saint-Ciboire afin que je puisse me communier moi-même.

    Tout scandalisé d'une telle proposition, le brave magister essaye de s'excuser, de faire comprendre que pour agir ainsi il lui faudra s'arroger sacrilègement et puis il se récuse, plus le curé met d'instances au point d'en arriver à un ordre formel et sans réplique.

    L'heure arrivée, dit M. Fiel, le brave homme se rend à l'église, revêt un surplis, et, tremblant de tous ses membres, va ouvrir le tabernacle d'où il croyait voir sortir la foudre pour l'écraser. Précédé d'un jeune homme portant le flambeau, il arrive à la cure. Le Saint-Ciboire entre les mains ; puis, la communion faite, il retourne à l'église avec le même cérémonial qu'auparavant.

    Il y a quarante ans que ceci s'est passé, et aujourd'hui encore l'instituteur ne me parle de ce qu'il a fait qu'avec un certain frémissement. – Que voulez-vous, me disait-il, les premières fois qu'il était question de cela, ne sachant pas jusqu'où vont vos pouvoirs dans un cas de maladie qu'on me disait grave, sommé par mon curé que je croyais jouir de toute sa raison, sommé d'obéir, j'ai obéi!

    Il n'y avait plus de doute possible ; l'abbé Jeanmaire avait perdu la raison et il fallut le diriger sur Maréville où il mourut en Février 1828. Sa dépouille fut ramenée à Thaon.

    L'abbé Gérard. – L'année durant laquelle l'abbé Jeanmaire fut curé de St-Nabord, l'administration de la paroisse fut remise aux bons soins d'un abbé Gérard, natif de Sercœur, qui habitait alors chez son beau-frère Joseph Perrin, de Thaon.

    Après avoir fait sa philosophie et sa théologie au séminaire de Besancon, il revint à Toul recevoir la prêtrise. Au moment de son départ, comme il priait son supérieur, M. Ballot, de vouloir bien lui remettre le certificat nécessaire: "Asseyez-vous là, mon ami, lui répondit ce dernier, et rédigez-le vous-même: je m'engage à le signer sans le lire".

    On ne pouvait faire plus grand éloge au jeune diacre et les espérances qu'il faisait concevoir ne furent pas trompeuses. Sa science et ses vertus l'appelèrent bientôt à de hautes fonctions et il fut nommé proviseur du célèbre collège de Toul. Il était véritablement doué du don des langues.

    Outre l'hébreu, dit M. Fiel, le syriaque, le grec, le latin, il possédait presque toutes les langues vivantes de l'Europe. Sa bibliothèque, composée de plusieurs milliers de volumes, était plutôt celle d'un littérateur que d'un théologien. On y trouvait tout ce que les pays d'Angleterre, d'Espaigne, d'Australie avaient de plus beau en littérature, aussi fallut-il trois voitures pour la transporter à Epinal.

    Il avait émigré pendant la révolution (où logèrent les curés de Thaon à la restauration du culte? M. Fiel déclare n'en rien savoir. Cependant, on acheta en 1812, pour servir de presbytère, une maison du village moyennant la somme de 2400 fr. L'acquisition fut faite au nom et aux frais de Thaon et de Chavelot, Treize ans plus tard elle fut remplacée par l'ancienne d'avant la Révolution. Elle appartenait alors à M. Chavanes qui, sur les instances du maire M. Marchal, la céda pour la modique somme de 50000 fr.

    L'abbé Charles Colin. – Nous ne pouvons clore ce chapitre sans parler de l'abbé Charles Colin qui intéresse notre histoire, sinon comme curé de la paroisse, du moins comme l'un de ses enfants qui lui font le plus d'honneur.

    Il naquit à Thaon en 1803 et par suite des anciennes relations de son père avec les dames d'Epinal, il fut tenu sur les fonts baptismaux par M. de Saint-Privé, :Lieutenant-Colonel et Madame Bœklin, la dernière doyenne du Chapitre.

    Après quelques études faites à la cure de Thaon, il entra au petit séminaire de Pont-à-Mousson où il devint condisciple de M. Fiel. La simplicité de ses manières et sa bonhomie naturelle lui attirèrent tout-d'abord les taquineries de ses condisciples qui ne voulaient pas croire au talents du jeune séminariste et attribuaient ses succès à l'avance qu'il avait prise dans ses études à la cure de Thaon.

    Un jour cependant le supérieur qui voulait couper court à des plaisanteries et même à des brimades de mauvaise aloi, s'adressa à la communauté réunie: "Messieurs les anciens, dit-il, vous vous moquez bien fort, trop fort peut-être, de vos nouveaux disciples ; et cependant j'en vois parmi eux qui plus tard prendront leur revanche et se moqueront de vous à leur tour. Qu'il me suffise pour aujourd'hui de signaler ces procédés à l'égard de M. Charles Colin de Thaon".

    Dès ce moment les taquineries cessèrent et firent place à la cordialité la plus sincère. On reconnut enfin au jeun séminariste une aménité et une bonté de caractère qui devinrent légendaires et lui valurent plus tard le qualificatif de "bon abbé Colin". Ajoutons que, durant tout le cycle de ses études, les succès des premières années ne se démentirent pas un seul instant.

    Lors de l'organisation du grand séminaire de St-Dié, sous l'épiscopat de Monseigneur Jacquemin, l'abbé Colin entra en philosophie et, devenu prêtre, fut envoyé comme vicaire à Remiremont. Nommé ensuite curé de Ranrupt, il ne quitta pas cette paroisse qu'après avoir eu la consolation d'assister à la bénédiction de la nouvelle église pour l'édification de laquelle il s'était tant dépensé.

    Envoyé à Rupt, dit M. Fiel, il rendit les mêmes services à sa nouvelle paroisse, mais non sans supporter bien des contrariétés. Il ne jouit pas longtemps du fruit de ses peines et mourut quelques mois après la consécration de son église (Lors de l'entrée de l'abbé Colin au Grand Séminaire de Saint-Dié, sa mère craignant une augmentation de pension par suite du changement de maison, alla exposer ses appréhensions à Mgr Jacquemin qui l'eut bien vite rassurée. Au courant de la conversation, comme la bonne femme lui parlait d'un sien frère qui avait suivi les cours de philosophie de Sa Grandeur: "Quel était son nom, lui demande l'évêque? – Lhuillier, Monseigneur. – D'où était-il originaire? – De Moyenmont, et il était vicaire à St-Hiliare au moment de sont départ pour l'Allemagne. – Comment, ma chère dame, vous êtes la sœur de l'excellant abbé Lhuillier! Oh! Que je suis heureux de vous voir, car ce siège que j'occupe devrait être le sien!"

    Le lendemain, ajoute M. Fiel, on vit une bonne paysanne, de la mise la plus simple, assise toute tremblante à la table de son évêque qui pendant le dîner ne cessa, les larmes aux yeux, de s'entretenir du frère qu'elle avait si prématurément perdu. – Il faut dire que l'abbé Lhuillier, alors tout jeune prêtre, s'était acquis la plus grande réputation à la suite d'un sermon donné à l'impromptu dans la cathédrale de Trèves, devant les frères de Louis XVI et leur suite, en partance pour l'exil. La mort vint malheureusement le frapper quelques temps après.

    3.13. Thaon sous le premier empire

    Une adresse à l'Empereur. – Le coup d'état du 18 Brumaire avait été pour la France le symptôme non équivoque d'une contre-révolution. Le peuple , si souvent terrorisé par les agissements de quelques mauvais meneurs, acclamait avec enthousiasme, l'homme qui se posait comme le restaurateur du bon ordre, l'organisateur d'un gouvernement stable et équitable et le libérateur des consciences opprimées.

    Aussi les plus chaleureuses démonstrations éclatèrent-elles sur tous les points de la France, redoublant d'intensité soit à la nouvelle des nombreuses victoires du Premier Consul, soit au jour du couronnement de l'empereur, soit encore à l'anniversaire de sa naissance.

    Chaque année des milliers d'adresses élogieuses se concentraient dans les cartons des préfectures, célébrant à l'envi de la gloire et la puissance de Napoléon. Nous n'aurions pas à nous arrêter ici sur l'existence de ces élucubrations plus ou moins sincères et emphatiques, s'il nous avait été donné de rencontrer dans le manuscrit de M. Fiel un des plus beaux modèles du genre sorti de toutes pièces de l'imagination surchauffée du brave greffier de mairie de Thaon.

    Le factum original appartenait, il y a quelque quarante ans, à un Alsacien, collectionneur de curiosités, qui en était devenu l'acquéreur à la suite d'un encan de vieux papiers tirés de la préfecture des Vosges.

    A la lecture, on croirait avoir entre les mains une charge tordante écrite à l'usage d'un charlatan du village, bourrée d'emphase, de pathos. D'incorrections et de niaiseries du dernier ridicule. La voici dans son intégrité : Quoique faite au nom du maire et revêtue de son seing, la pièce ne saurait lui être attribuée, l'encre et le genre d'écriture de la signature étant bien différent du texte.
     

    A Monsieur le préfet du Département des Vosges,

    Nous Perrin, maire de la commune de Thaon, a l'honneur, suppliant très humblement Monsieur le préfet, de vouloir bien recevoir la présente, afin que j'ai l'honneur d'invoquer votre autorité relativement à la fête annuaire en la naissance de Napoléon-le-Grand et plus que Grand par son mérite et sa valeur très mérité empereur des Français, roy d'Italie.

    Ce jour glorieux auquel les Cieux ont daigné donner à la France le libérateur suprême pour le civil, depuis la création du monde, depuis l'arrivée du déluge, son pareil n'a pas encore paru sur terre ; il les dépasse infiniment au-dessus de tous ses conquérants ayant eu l'honneur de vous citer dans le paragraphe ci-dessus, les César, les Alexandre, les Annibal, les Mars, même les Dioclétien, les Antoine et généralement les neuf autres empereurs romains dont je ne me rappelle plus les noms, et tous les conquérants gens de bien qui n'ont fait que blanchir dans toutes leurs victoires en comparaison de celle que vient de remplir notre estimable Empereur auquel on peut donner le nom de héros des héros.

    Dieu nous l'a donné de sa main et nous le recevons de même avec un parfait plaisir pour la déclaration du premier des hommes qui est le jour qui sera toujours mémorable aux Français, car nous le recevons dans notre sein avec le plus profond respect que j'ai l'honneur de vous supplier très humblement de vouloir bien m'autoriser à vouloir prendre sur les deniers disponibles de la commune les frais qui suivent de cette dépense.
     

    1º La veille de cette mémorable journée a été annoncée par un coup de cloche à midi et à l'angelus du soir. Le même coup a été réitéré le lendemain matin, jour de la fête pour tous les Français et a été continué ; les corps constitués étant assemblés ont assisté à Matines, à Laudes, à Prime, à Tierce, à Sexte, à None, à Vêpres et à complies. Pour la célébration de ce grand jour il fut chanté solennellement et à grand orchestre un Te Deum pour remercier de ce que sa main toute puissante avait daigné nous donner le premier des hommes pour être notre législateur ;

    2º Et pour faire face a toutes ces solennités la mairie a fait faire un feu de joie avec 25 fagots, cy.

    4 livres

    3º Soixante centimes pour une fusillade de 12 coups, cy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 

    0,60 c.

    4º Pour la dépense de la garde nationale, c'est-à-dire en rafraîchissements comme eau-de-vie, bierre, vin, orge et limonade, cy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 

    15 fr.

    La même dépense et les mêmes honoraires ont été faites pour le jour inappréciable auquel sa Majesté Napoléon-le-Grand a été couronné Empereur des Français et roy d'rItalie, Grand Protecteur de la Confédération du Rhin, Grand-Duc de Berg.

    Pour lesquels dépenses et honoraires le maire n'avait pas formé sa réclamation parce qu'il attendait pour le faire celle qui lui aurait été occasionné par la fête de St-Napoléon.

    Le maire de la commune ose espérer de votre bonté, Monsieur le préfet, que vous voudrez bien l'autoriser à prendre cette dépense sur les deniers disponibles de la commune.

    Monsieur le préfet, j'ai l'honneur de vous saluer avec un profond respect, une considération d'estime distinguée.

    Signé: Jh Perrin.

    Vraiment l'on se demande comment le maire de Thaon crut pouvoir apposer sa signature au bas d'un tel factum que l'on serait tenté de ranger parmi les élucubrations d'un cerveau complètement détraqué.

    Pauline Bonaparte à Thaon. – Le brave greffier de mairie qui obtenait tant de succès dans ses adresses au préfet était naturellement tout destiné pour la rédaction du compliment d'usage au passage de Pauline Bonaparte, princesse Borghèse. Cependant, nous aimons à croire que le maire fut mieux conseillé et eut recours à une plume plus délicate et mieux exercée.

    Le maire de Thaon, Joseph Perrin, eut en effet l'honneur d'abriter quelques instants sous son toit, à son passage, la sœur de napoléon 1er (1810). Elle était portée en chaise et à la tête de son escorte marchait le préfet des Vosges. Le cortège fit halte au village et la princesse accepta à déjeuner dans la maison du maire. Pendant ce temps le préfet des Vosges, l'épée à la main, faisait faction sur le seuil de la porte.

    Une paire de boucles d'oreilles donnée à l'aînée des demoiselles Perrin fut le prix de la tasse de lait qu'on lui servit.

    Les héros inconnus. – On apprend dans nos écoles primaires, dans nos lycées et nos collèges à admirer les hommes des temps passés, les héros de la Grèce et de Rome qui se sont dévoués pour leur partie ; et l'on a raison.

    Mais vraiment ne pourrait-on point prendre des exemples non moins frappants que ceux de l'antiquité dans notre histoire contemporaine et dans les annales militaires de chacun de nos modestes villages? Ne serait-il pas utile d'apprendre à notre jeunesse des écoles que de simples citoyens français, de pauvres paysans, de modestes ouvriers, attachés subitement à leurs rudes travaux, ont au moins égal sur le champ de bataille les plus illustres héros des temps anciens.

    Pourquoi n'ouvre-t-on pas dans chaque commune ce que l'on pourrait appeler le Livre d'or du Patriotisme, un livre où l'on trouverait écrit le nom de ces enfants généreux qui ont versé leur sang pour la france et où seraient pieusement et fidèlement recueillis leurs exploits guerriers et le récit de leur mort glorieuse ; un livre qui serait entre les mains de nos jeunes écoliers comme le Manuel vivant du véritable patriotisme et qui fournirait à l'historien le sujet d'un chapitre de vie, d'intérêt et d'édification?

    On compte trop souvent sur une tradition qui de nos jours me sait malheureusement plus se perpétrer à travers les générations et voilà pourquoi au moment d'exhumer la mémoire de ces valeureux enfants de Thaon, de tous ces braves qui, à la suite de napoléon 1er, arrosèrent de leur sang les différentes contrées de l'Europe, le seul renseignement qui nous arrive est celui-ci:

    De dix jeunes de la commune qui partirent pour la campagne de Russie, deux seulement revinrent.

    Et les autres qui à la suite du grand Empereur entrèrent en triomphe dans toutes les capitales, et ceux non moins nombreux dont les ossements blanchissent encore la terre étrangère, que sont-ils devenus? Qui a conservé le moindre de leurs exploits? Quels sont leurs noms? Leur régiment? Leur genre de mort? ... Silence!!

    3.14. Les Alliés à Thaon

    Ce chapitre est extrait à peu près textuellement soit des Souvenirs de 1814-1848, par Charton, soit du Manuscrit de M. Fiel.

    Vosges envahies. – Dès le mois de Novembre 1813, les troupes alliées commencèrent à passer le Rhin et les provinces d'Alsace et de Lorraine furent bientôt occupées malgré la résistance énergique des soldats français qui leur était opposés. La valeur et le dénouement ne purent rien contre la trop grande supériorité du nombre.

    Le maréchal Victor, duc de Bellune, avait reçu de l'Empereur l'ordre de défendre les gorges des Vosges. Obligé de jeter dans plusieurs places fortes de la frontière 18.500 conscrits ou gardes nationaux, il ne lui restait pas 9.000 combattants pour tenir la campagne. Il observait néanmoins le Rhin depuis Basel jusqu'à Strasbourg. Mais il dût se replier et il établit à Baccarat, avec une partie de son infanterie, sa cavalerie de réserve commandée par le brave général Milhaud qui, le 24 décembre 1813 avait si bien sabré les Autrichiens à Sainte-Croix. Il plaça en première ligne à Raon-l'Etape la division Duhesme forte de cinq bataillons, la division de cavalerie légère du général Piré et une batterie d'artillerie à cheval.

    Cependant une portion des armées coalisées avait traversé le département du Haut-Rhin et faisait son entrée dans celui des Vosges. C'était d'une part, le corps wurtembergeois sous les ordres du prince royal de Wurtemberg, et, d'autre part, les cosaques du Don commandés par l'hetman Platow.

    Le général baron Cassagne occupait alors Epinal avec une faible colonne d'infanterie et 300 chevaux que le duc de Bellune avait pu lui confier. Afin de s'assurer de la marche de l'ennemi, il fit partir le 3 Janvier 1814 pour les montagnes des Vosges un détachement de cavalerie fort de 80 hommes et composé de gendarmes, de dragons et de chasseurs. Ce détachement remonta le cours de la Moselle, en suivant la route de Remiremont, ne s'arrêta point dans cette ville et arriva le soir du même jour au village de Rupt, après avoir fait un trajet de 40 kilomètres.

    Le lendemain il se remettait en marche, lorsqu'il fut subitement enveloppé par une nuée de cosaques, et forcé de se rendre après un échange de quelques coups de sabre et de lance ; il fut tout aussitôt et sous bonne escorte dirigé vers l'Allemagne.

    La nouvelle de cette mésaventure parvint au général Cassagne avec d'autres avis qui lui démontrèrent qu'il ne pourrait, avec si peu de monde sous ses ordres, tenir tête aux alliés et force lui fut de rétrograder sur Thaon et de replier sur Nancy.

    Dans la matinée du 7 janvier 1814, un peloton d'une douzaine de cosaques arriva sur Epinal et s'arrêta un instant devant les premières maisons du faubourg des Capucins. Ces hommes étaient de taille moyenne et montaient de petits chevaux de race tartare. Mal vêtus, mal armés, ils portaient le bonnet de peu de mouton, la capote et le pantalon de gros drap gris, le sabre, paire de pistolets, le knout et, en guise de lance, une longue perche surmontée d'un fer pointu et garnie d'une banderole brune ; le tout en fort mauvais état.

    Les cosaques à Epinal. – Après avoir exploré la ville dans tous les sens, les éclaireurs reprirent la route de Remiremont par laquelle ils étaient venus.

    Une heure plus tard, une colonne de 2.000 cosaques au moins entra à Epinal, y établit quelques postes et alla camper à l'extrémité du faubourg de Nancy sur le plateau de la Madeleine où se trouve aujourd'hui le parc d'artillerie. Le jour même, elle frappa la ville d'une réquisition de vivres, vin, eau-de-vie, vêtements et chaussures, et la ville y satisfit e son mieux. Du reste, les Cosaques se conduisirent bien ; ils ne se livrèrent point au pillage et se contentèrent de voler, pendant qu'on le portait à l'Hôtel-de-Ville, où il devait s'en revêtir, l'habit officiel du maire, M. de Launoy, les broderies en argent de cet hait avaient probablement tenté leur cupidité.

    Le 8 janvier les Cosaques vinrent camper à Thaon. Le lendemain ils poursuivirent leur route dans la direction de Châtel lorsqu'ils aperçurent venant sur eux une brigade d'infanterie sous les ordres du général Rousseau et 200 chevaux de toutes armes commandés par le général Duvigneau. Les français n'amenaient avec eux qu'une seule pièce d'artillerie.

    N'osant se mesurer avec les nôtres, les Cosaques refusèrent le combat et rebroussèrent chemin sur Thaon et Epinal. Nos troupes les poursuivirent vigoureusement et les atteignirent à l'entrée de cette dernière ville. Une engagement eut lieu dans les faubourgs. Les habitants voulant en être témoins se portèrent en foule sur les trois ponts du canal des Moulins au risque d'être atteints par les balles et les boulets. Ils purent ainsi voir défiler devant eux, avec la rapidité de l'éclair, les Cosaques qui fuyaient emportant leurs blessés sur leurs chevaux et laissant quelques morts à côté de quelques Français tués.

    C'est dans ces moments que le capitaine d'Hennezel, aide-de-camp du général Cassagne, se montrant à cheval et l'épée haute, à la tête du pont des Quatre-Nations, s'adressa à la multitude et lui cria: "Levez-vous en masse et joignez-vous à nous". Mais cet appel aux armes ne pouvait être entendu. La ville ne renfermait plus que des pères de famille, des vieillards, des infirmes, des femmes et des enfants: tous les hommes en état de servir étaient sous les drapeaux.

    Le succès du combat du 9 Janvier engagea les français à rechercher l'ennemi dans toutes les directions ; mais le 11 ils furent promptement rejetés sur Epinal par le corps d'armée wurtembergeois tout entier dont les cosaques n'avaient été que les éclaireurs. Ce corps d'armée comptait près de 20.000 hommes soutenus pat 15 bouches à feu et portant tous comme des emblèmes de leurs exploits des branches de laurier ou de buis à leurs casques, à leurs shakos et même à leurs fusils.

    Cette fois, la voix tonnante du canon n'eut pas le pouvoir de faire sortir les Spinaliens de leurs maisons. Ils eurent au contraire le bon esprit d'y rester et pas un d'eux ne se décida à devenir spectateur de la nouvelle lutte.

    Combat de Thaon. – Serrés de près par un ennemi bine supérieure en nombre, les troupes françaises , dont l'infanterie ne se compose alors que de jeunes conscrits portant la blouse sous la capote militaire, nullement exercés et épuisés par les marches forcées et la dyssenterie, battent en retraite en bon ordre et ripostent de leur mieux au feu des Wurtembergeois.

    Lorsqu'ils entrent à Thaon, des coups de feu se font entendre sur leur gauche ; c'est un corps de Cosaques qui les a tournés et qui, arrivé par le chemin de Domèvre-sur-Avière, occupe les jardins du village. Nos pauvres conscrits ont les Wurtembergeois sur les talons ; néanmoins ils continuèrent leur retraite au milieu des feux croisés de l'ennemi qui, de derrière les haies, les palissades et les murailles, tire pour ainsi dire à bout portant.

    Mais, hardis quand on ne les attaquait pas, les cosaques se sauvaient comme un troupeau de moutons dès que deux ou trois cavaliers s'élançaient sur eux. C'est ce qui eut lieu surtout sur le chemin de Domèvre, près du sentier qui gagne la Corvée. Comme ils tiraient de là sur les français qui défilaient sur la route, un cavalier les mit en fuite comme une nuée d'oiseaux en faisant mine de se précipiter sur eux.

    La retraite de nos soldats avait été considérablement ralentie au milieu de toutes ces difficultés et bientôt ils aperçurent sur les hauteurs d'Igney les premiers rangs d'une armée de Cosaques qui venait leur couper le passage.

    Combat d'Igney. – Pris entre deux feux, nos intrépides soldats ne perdent pas courage. Ils prennent leurs dispositions de combat et se préparent à vendre chèrement leur vie s'ils ne peuvent remporter la victoire.

    Un combat terrible s'engage alors dans la plaine d'Igney. pour soutenir le premier choc, le général Cassaigne ordonne de former un bataillon carré au centre duquel il se place avec la seule pièce de canon dont il dispose, puis il pousse de l'avant et continue sa marche dans la direction de Nomexy.

    L'ennemi essaye à plusieurs reprise, mais inutilement, de percer les rangs ; a-t-il la hardiesse de s'approcher de trop près? Aussitôt le bataillon s'ouvre et la vue du canon le met en fuite. On tiraille ainsi jusqu'à la Héronnière.

    Le préfet d'Epinal, M. Humbert, et le sous-préfet de Remiremont, M. de Mortemarre, sont au milieu de nos troupes. Tout-à-coup un boulet couche le sol cinq des nôtres et fracasse la voiture et le cheval de M. de Mortemarre. Celui-ci se précipite aussitôt dans la forêt voisine, puis à travers champs et jardins parvient à gagner le presbytère d'Igney. Il y est reçu à bras ouvert ; mais comment échapper aux Wurtembergeois qui arrivent au village?

    Heureusement un idée vient au curé, M. Bourgeois, qui ouvre sa garde-robe et en retire une de soutanelle.

    ? Vite, monsieur le sous-préfet, mettez-moi cela et surtout remplissez bien vos fonctions de sacristain!

    Les officiers qui envahissent presqu'aussitôt le presbytère le prennent d'autant plus volontiers pour tel, qu'ils le voient le lendemain sonner les coups de la messe, allumer les cierges de l'autel et chanter le lutrin.

    Combat de Nomexy. – Pendant ce temps, nos troupes engagées sur tous les points opèrent leur retraite au milieu des plus grandes difficultés. Une nouvelle action a lieu à l'entrée de Nomexy, aux Gravots, c'est-à-dire sur l'emplacement occupé aujourd'hui par la filature V. Peters, et une autre, d'après la tradition, au Haut-du-Camp, derrière le village.

    Beaucoup des nôtres y sont fait prisonniers et le préfet lui-même tombe aux mains des Wurtembergeois.

    La perte des français eût été infiniment plus grande si l'artillerie ennemie n'eût été arrêtée fortuitement dans sa poursuite . Sortant à bride abattue de la tranchée de Domèvre-sur-Avière, et voulant gagner du temps, elle suivit la colline de près et vint aboutir aux Paquis de l'étang où elle s'embourba.

    La nuit sépara les combattants: les Cosaques, au nombre de 1.500 cantonnèrent à Châtel et à Nomexy où ils se reposèrent jusqu'au 14 janvier, réquisitionnant toutes les denrées nécessaires à leur entretien.

    Les soldats français morts sur le territoire de Nomexy furent inhumés, les uns à la Basse-de-la-Héronnière, les autres à l'entrée du village ; seize autres tombés dans la plaine d'Igney reçurent, le lendemain, une sépulture sommaire dans le cimetière de cette localité.

    Les pertes des Alliés furent plus sérieuses. Deux fosses communes reçurent leurs cadavres: l'une au Haut-du-Bélier, où l'on voit encore la Croix des Cosaques, érigée en souvenir de leur sépulture, l'autre en aval et à peu de distance d'Igney, à gauche de la vieille route de Nancy.

    Les prisonniers français furent conduits le soir même à Epinal où le prince royal de Wurtemberg se montra plein de bonté pour eux et donna les ordres les plus formels pour que l'on leur prodiguât les soins que réclamait leur malheureux état. Dès le lendemain, ils partaient pour l'Allemagne.

    Durant le combat, un boulet ennemi vint se loger dans la façade d'une des premières maisons d'Igney. Le propriètaire l'y conserva et fit écrire autour du projectile:

    De russe que j'étais,
    Je suis devenu français
    Le 11 janvier 1814.

    Cette inscription existait encore il y a quelques années.

    La famine. – Les passages incessants des troupes françaises et l'occupation des Alliés n'ont pas été sans se faire cruellement sentir et appauvrir le pays. Thaon qui se trouve sur la grande route d'Epinal à Nancy est naturellement mis à contribution et frappé de lourdes contributions de guerre.

    Pour comble de malheur, le printemps et l'été de 1814 sont horriblement pluvieux ; les fourrages pourrissent sur pied, la récolte de blé et de céréales est nulle, les pommes de terre n'arrivent pas à maturité et le prix des denrées monte à des prix fantastiques: C'est à peine si l'on peut se procurer du pain à 2 fr. le kilogramme.

    La misère est telle à Thaon et aux environs que même les personnes de haute condition sont dans la nécessité de se nourrir d'herbes grasses qu'elles vont cueillir dans les prés.

    La seconde occupation. – L'année 1815 s'ouvrit au milieu de vagues inquiétudes ; on pressentait que l'avenir était gros de nouveaux événements. Les destins de la France allaient encore une fois changer.

    Aussi lorsque vint la nouvelle du retour de Napoléon, les manifestations revêtirent tous les caractères d'une fête nationale. Le département des Vosges qui, en 1792, avait bien mérité de la partie pour avoir organisé spontanément treize bataillon de volontaires redoubla d'élan patriotique et en mit quatorze sur pied.

    Thaon comme toutes les autres localités fournit son contingent. Hélas! La défaite de Waterloo, devait nous amener bientôt le retour des alliés et des réquisitions militaires.

    Aussitôt occupé, Thaon est frappé d'une contribution de guerre de 118 0/0 sur les impôts ordinaires payés par le village. Ces impôts s'élevant à 1626 fr., la commune doit fournir en plus 1918 fr., qui sont dépensés en achat de blé, farine, pain, avoine, paille, etc... Avec cela les habitants doivent loger pendant 14 jours 88 Bavarois et 175 chevaux et héberger à chaque instant des troupes de Cosaques et de Wurtembergeois qui sont de passage.

    M. Fiel nous a conservé un échantillon des aménités du régime de l'occupation étrangère:

    Je requiers votre commune de fournir deux voitures à colliers et deux chevaux de trait. Elles doivent être rendues à Châtel sur-le-champ sous peine d'exécution militaire.

    Signé: Leiz, Capitaine commandant la place de Châtel.

    Le chef d'escadron du 1er régiment de Uhlans requiert le maire de Thaon d'envoyer à Vaxoncourt, à heure après-midi, une voiture à deux chevaux avec ridelles, sous peine d'exécution militaire.

    Signé: Comte de Maufter.

    M. le maire de Thaon est requis sous sa responsabilité personnelle et sous peine d'exécution militaire de faire arriver sur le champ au parc d'Epinal 5 voitures à deux colliers garnies d'échelles et de cordes. Les voituriers se muniront de vivres et de fourrages pour deux jours.

    1er Novembre 1815, le sous-préfet: Illisible.

    P.-S. – La Gendarmerie fera une tournée dans les 48 heures à dater de la réception de la présente, se fera présenter le certificat constatant l'arrivée des voitures au parc et restera en garnison dans les communes qui ne justifieront pas qu'elles ont fourni leur contingent.

    Ce fut dans le courant du mois de novembre que cessa l'occupation étrangère et que la garnison badoise imposée à Epinal reprit le chemin de l'Allemagne.

    4. Période contemporaine

    4.1. Développement industriel et communal

    4.1.1. L'agriculture

    Une étude comparée.- "Etat du finage et valeur des terres en 1759 comparés à l'état et valeur actuels".

    Tel est le titre d'un chapitre particulièrement instructif que nous empruntons au manuscrit de M. Fiel.

    En réalité, nous ne pouvons mieux faire que de reproduire sans aucune modification les lignes suivantes où le bon curé compare l'état de Thaon en 1759 à l'état de la même commune en 1865.

    Terres labourables en 1759. – Il cite d'abord une pièce d'archives dont il néglige de donner la cote.

    Il y a 317 jours de terre d'alluvion loués et 37 jours de paquis aussi loués (il faut 5 jours pour 1 hectare), le reste est pour la vaine pâture. Il y a en outre dans le finage deux mille jours de terres arables, y compris 37 jours de bouvrot et 7 jours de terres pour le Chapitre de d'Epinal.

    Un tiers environ desdites terres est toujours inculte, tant à cause des versaines que parce que plusieurs sont si stériles qu'on les laisse en friches.

    Il y a dans le finage 150 jours de prés , 50 jours de chènevières, 8 jours de jardins, non compris ceux qui attiennent aux maisons.

    On ne peut, de tous ces fonds, en mettre que très peu sur la classe des bons, le sol de Thaon n'étant que graviers, sables, exposé pour la plus grande partie aux inondations de la Moselle, étant nécessaire d'y mettre des cendres, chaux, fumier, pour en tirer quelque chose.

    Qu'ainsi on ne peut compter pour bon relativement qu'un huitième des fonds ci-devant, 3 huitième médiocres, le reste mauvais, n'étant point propre pour le froment. Il faut 12 jours de terres, ou environ et environ aussi 7 hommées (le septième à peu près de l'hectare, soit 14 ares) de prés, pour faire la paire de reseaux, moitié seigle, moitié avoine, mesure d'Epinal. Un bon jour de terre pourrait être loué 2 imaux ½ de l'espèce qu'il pourrait, le jour de terre médiocre 1 imal ¾, et 1 jour mauvais 1 imal au plus.

    Le jour de pré pourrait être loué 30 sols, l'un portant l'autre. Une bonne partie enclavée dans les champs ne peut se faucher dans les années de versaines, cela étant défendu par l'usage.

    La prairie. – Te;, était, au milieu du 18e siècle, l'état du finage de Thaon, tel il était resté jusqu'au milieu du 19e, avec cette différence cependant que les terres avaient plus de valeur à cette dernière époque.

    Notre prairie, ajoute M. Fiel, n'avait pas le coup d'œil qu'elle offre aujourd'hui (1875): l'aspect en était désolant.

    Là où l'on voit des canaux planté de peupliers, des terres couvertes d'une riche végétation, on n'apercevait guère que des grèves, des cailloux dont les bâtissants se servaient pour élever leurs maisons, des bancs de sables où quelques vaches du village, qui par leur maigreur rappelaient le souvenir de celles que vit en songe le pharaon, allaient se disputer quelques brins d'herbe.

    On n'y voyait ni châlet, ni usine, ni maison de maître, ni autre habitation qu'une petite maisonnette bâtie en partie avec des débris.

    Aménagement Dutac. – Il existait sur la commune de Thaon, en rive de Moselle, une portion de territoire d'une centaine d'hectares qui, au 19e siècle, joua dans la vie de la commune le rôle extraordinaire important. Cette portion de territoire jadis constituée principalement par des grèves , des terrains incultes où poussaient au hasard des saules, des aulnes et quelques herbes sans valeur.

    Les frères Dutac , qui vivaient vers 1830 à Epinal, avaient remarqué cette immense étendue de terrain presque complètement improductible. Ils conçurent le projet gigantesque de transformer en prairies d'Epinal à Charmes et au delà, les cailloux et les sables de la Moselle.

    La société se forma sous la raison sociale de Dutac et Cº et entra en pourparlers avec la commune de Thaon.

    Elle (la société fournit, dit M. Fiel, les fonds nécessaires à MM. Dutac qui se chargeaient à leur tour de remettre entre les mains des actionnaires, à raison de 450 francs la fauchée de 20 ares, ces terrains incultes mis en nature de prés que la commune leur avait abandonnés en toute propriété, après qu'elle aurait pris, en un seul lot et à son choix, les deux cinquièmes de la totalité.

    Le conseil municipal accepta tout d'abord les conditions du traité qui revint aussitôt avec l'approbation de la préfecture.

    Cependant l'affaire faisait du bruit dans le village, des protestations s'élevèrent, on crut reconnaître que le marché était tout au désavantage de Thaon et ne servait qu'à enrichir les entrepreneurs, et bientôt le Conseil Municipal se hâtait de prendre la délibérations suivante (1839):

    Considérant que l'empressement de Dutac et Cº à être mis en possession des terrains qu'ils convoitent depuis si longtemps suffit seul pour prouver les énormes avantages qui doivent en résulter pour eux...

    Que les experts évaluent à 60 hectares, la part qui reviendra à Dutac et Cº et que les dépenses à faire pour obtenir ce résulta ne s'élèvent qu'à 6300 fr.

    Que de l'aveu de Dutac et Cº, ,l'arpent rapportera deux milliers de fourrage et qu'ainsi, en moins de 4 ans Dutac et Cº rentreront intégralement dans leurs capitaux déboursés pour leur travaux.

    Le Conseil proteste contre la prétention de Dutac ; se plaint que les actes administratifs aient été consommés contrairement aux intérêts de la commune et demande à Monsieur le préfet des Vosges de bien vouloir laisser au Conseil le temps nécessaire pour obtenir une consultation de trois jurisconsultes.

    Bien qu'engagée, la Commune voulait reculer, modifier les conditions premières de la convention pour obtenir des frères Dutac des avantages plus considérables. Il n'était plus temps et les travaux commencèrent après une nouvelle transaction signée le 7 Avril 1841.

    Ils ne sont pas achevés en 1845, car, le 25 mai de cette année, nous voyons le Conseil Municipal adresser au préfet des Vosges une requête réclamant pour la Commune la permission d'ester en justice aux fins de contraindre Dutac et Cº à terminer des travaux qui devaient prendre fin le 1er Octobre 1844.

    Le Conseil rappelle les faits suivants:

    Il a été fait cession par acte authentique du 7 Avril 1841 à Dutac et Cº de 90 hectares de terrain sous diverses conditions, notamment qu'après leur conversion en prairies arrosables, deux cinquièmes appartiendraient en propriété à la commune et lui servaient assignés dans l'endroit le plus convenable ; qu'une autre étendue en communaux appelé le Canton des Faussies serait aussi convertie en prairies arrosables, que les concessionnaires établiraient les travaux d'irrigation, ponts, chemins et passages d'exploitation nécessaires et un bassin auprès du village et que l'exécution de toutes ces conditions serait accomplie en quatre années à dater de l'ordonnance d'autorisation qui a été rendue le 1er Octobre 1840.

    Cession des prairies Dutac. – Comme on le voit, ces hectares de grève ont été, pendant près de quinze ans, l'objet des préoccupations constantes de la Commune. Lorsque les frères Dutac cédèrent leur terrains à M. Naville, il y eut bien encore quelques petites difficultés, mais ne furent que vétilles en regard des premières.

    La société Dutac vendit en effet à M. Naville, de Genève, tout ce qu'elle possédait à Thaon, à son tour celui-ci la céda, partie à M. Koechlin, de Mulhouse, partie à M. Claudel, propriétaire de papeteries à Docelles.

    Le premier, dit M. Fiel, après avoir obtenu à l'exposition de 1867 le second prix pour ses produits de fécule, vit une pluie de médailles tomber sur lui pour la bonne tenue de ses écuries, pour le beau et nombreux bétail qu'il y nourrit, pour les belles plantations qui ont fait d'un lieu mort et si dénudé, un lieu aujourd'hui plein de vie et d'agréments.

    Bienfaisants résultats de l'aménagement Dutac. – C'est encore M. Fiel qui va nous les énumérer:

    De cette métamorphose d'une prairie si pauvre en prairie si riche, est résultée une augmentation considérable de revenus pour la commune.

    De là aussi, chez beaucoup d'habitants, une aisance jusqu'alors inconnue depuis cette transformation de la prairie. Sur 144 ménages il y en est à peine 15 qui n'aient au moins une vache et sa génisse ; aussi le nombre de bêtes à cornes a-t-il plus que doublé depuis 25 ans.

    D'après la statistique de 1862, le nombre de bêtes d'an et au-dessus s'élevait au chiffre de 248.

    La même proportion se fait remarquer dans les autres races.

    A cette époque, il y avait 148 hectares de prairies arrosés, sont 40 à peu près pour la commune, les autres pour la société qui a ajouté beaucoup d'acquêts aux trois cinquièmes que nous lui avons abandonnés ; plus aussi 44 hectares de prés non arrosés par la Moselle et appartenant aux habitants.

    On n'est plus, comme autrefois, obligé d'aller au loin chercher du fourrage ; tous peuvent en louer sur les lieux et il arrive souvent qu'après avoir mis en réserve ce qui nécessaire pour la nourriture de leur bétail, plusieurs en vendent encore assez pour payer le prix de leur acquisition.

    Valeur des terres en 1865. – A cette époque il existait très peu de ménages à Thaon qui ne cultivent de 5 à 10 jours de terre, c'est-à-dire d'un à deux hectares. Aussi les champs ont doublé de valeur ; le jour ou autrement les 20 ares, qui en 1830 valait seulement 500 fr., se vend alors 1000 fr., la paire qui n'était estimée qu'à 1000 fr. en vaut 2000 fr.

    En 1759, dit M. Fiel, il fallait 2 hectares 40 ares, y compris les versaines, plus 7 omées ou 14 ares de prés pour la paires qui rapportait 25 décalitres dont la moitié en seigle et l'autre en avoine.

    Aujourd'hui les mêmes terres produiraient 3 paires, c'est-à-dire 18 décalitres de blé, 18 de seigle et 36 d'avoine.

    Contributions. – Le bon curé qui nous renseigne sur ces questions agricoles déclare ensuite qu'il ignore le chiffre des contributions en 1759, mais qu'en 1815 il était de 1624 fr. et qu'en 1825 il fut arrêté de la manière suivante:
     

    Contributions foncières, cotes personnelles, portes et fenêtres . . . . . . . . . . . . . . 

    3168.17

    Centimes généraux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    198.58

    Centimes départementaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 

    1370.79

    Centimes communaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    417.00

    Frais d'avertissements. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    17.50

    Taux de mainmorte. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 

    183.25

    Impôt de voitures. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    10.55

    La superficie totale du territoire de la commune comprenant les routes et les canaux s'élevait en 1865, à 1104 hectares, 28 ares, 51 centiares ; aujourd'hui elle est de 1137 hectares dont 339 en bois (En 1888, les revenus annuels de la commune étaient de 15.281 fr., dont 225 fr. en rentes 3 0/0 sur l'Etat. – Valeur du centime ; 191 fr. 48. – Produit des quatre contributions directes ; 37.719 fr. dont 21.195 fr. sur les patentes.

    Cause du manque d'industrie avant 1870. – En 1870, la population de Thaon était seulement de 555 habitants. Exception faite pour deux petites usines, une féculerie appartenant à MM. Claudel, frères, laquelle ne livrait que des produits supérieurs et très recherchés, et une fabrique de pâte de bois appartenant à M. Iwan Koechlin, on ne trouvait pas trace d'industrie dans cette commune. Ce fait n'a rien qui puisse surprendre, car la culture du sol et sa configuration permettaient une culture suffisamment rémunératrice.

    D'autre part les scieries si nombreuses dans les Vosges n'avaient aucun intérêt à se développer à Thaon qui se trouve dans une région beaucoup moins forestière que la partie du département située en amont.

    Les cultures les plus florissantes à cette époque était celles de la pomme de terre et des céréales, spécialement de l'avoine et du seigle, et l'on vu qu'à partir du moment où les frères Dutac parvinrent à convertir en prairies les grèves immenses qui bordaient la Moselle, on s'adonna davantage à l'élevage du bétail.

    Champ d'expériences agricoles. – Ce fut un premier pas.

    Plus tard, lorsque les nouvelles méthodes agricoles, préconisées par M. Georges Ville, trouvèrent d'ardents propagandistes dans les fondateurs de la Société des engrais chimiques de Girecourt, la culture fit peu à peu place à des cultures raisonnées.

    Des champs d'expériences furent constitués, et une longue série d'études agronomiques fut entreprise avec méthode sous la direction de M. Armand Lederlin, directeur de la Blanchisserie et Teinturerie de Thaon.

    Ces expériences se continuent tous les ans ; nous en voyons les comptes-rendus présentés avec ordre, précision et concision à séance annuelle de la Société de Girecourt.

    Cartes et brochures agronomiques. – Un véritable esprit scientifique et critique préside à toutes ces recherches qui sont, pour la culture du canton de Châtel, d'un prix inestimable. C'est pourquoi la même initiative bienfaisante a fait établir par M. Jaugeon, professeur à l'école supérieure de Thaon, une carte agronomique du canton de Châtel et une autre de la commune de Thaon, cartes grâce auxquelles il n'est plus besoin pour ainsi dire de faire l'analyse des terrains, grâce auxquelles aussi les cultivateurs sont fixés immédiatement sur ce qu'ils peuvent espérer de chaque culture en particulier.

    En 1894, et ultérieurement, M. Armand Lederlin a fait publier deux petites plaquettes très succinctes contenant le résumé des connaissances actuelles sur l'importance et l'emploi des engrais chimiques et aussi sur la science agricole appliquée spécialement au canton de Châtel.

    Monsieur L. Grandeau d'une part, M. le Ministre de l'Instruction publique d'autre part ont tenu à témoigner personnellement par lettre à l'auteur toute la reconnaissance qu'ils lui gardaient pour ses œuvres d'indispensable vulgarisation.

    4.1.2. Blanchisserie et Teinturie de Thaon

    Conséquences économiques de l'annexion. – Lorsqu'en 1871, l'annexion de l'Alsace à l'Allemagne fut consommée, une pensée surgit dans l'esprit de tous les industriels et négociants s'occupant de la production et de la vente des tissus de coton : comment donner aux tissus de coton produits en France le finissage que les ateliers de Mulhouse, de Wesserling et de Rothau offraient avant la guerre à l'industrie française?

    Les droits d'entrée qui frappaient les produits étrangers et, par conséquent, la marchandise alsacienne à son arrivée en France, en rendent l'importation très onéreuse et pour certains articles presque impossible. De plus, un grand nombre d'industriels français qui, avant la guerre envoyaient leurs tissus en Alsace pour y être blanchis, apprêtés, teints et imprimé, se voyaient dès lors privés de leurs débouchés, dans l'impossibilité où ils se trouvaient de faire donner à leurs produits une manutention indispensable à leur vente.

    Nécessité de la nouvelle industrie. – D'un autre côté, le nombreux industriels cotonniers installés en Alsace songèrent à transporter en France tout ou partie de leurs usines.

    Il ne restait alors en France d'autres blanchiments que ceux de Rouen et des environs de Paris qui ne pouvaient suffire au façonnage des tissus de coton de la France.

    C'est en réalité une grosse infériorité pour l'industrie vosgienne.

    M. Jules Favre, l'un des associés de la maison Charles Laedericch, fils et Cº, conçut à ce moment le projet de créer dans les Vosges, sous le nom de Blanchisserie et Teinturerie de Thaon, une grande usine de blanchiment, teinture et impressions sur tissus de coton qui remplacerait en France ces industries demeurées en Alsace et permettrait aux tissus vosgiens de se faire manutentionner sur notre territoire.

    Les avantages qu'on devait retirer d'une semblable création étaient si évidents, qu'en peu de temps les capitaux nécessaires furent réunis.

    Comité des fondateurs. Un comité des fondateurs fut constitué comprenant de nombreux filateurs et tisseurs des Vosges et façonniers d'Alsace.

    MM.

    Ivan Koechlin, propriétaire à Thaon,

    Edouard gros, manufacturier à Wesserling,

    Christophe Dieterlen, manufacturier à Rothau,

    Armand Lederlin, manufacturier à Rothau,

    Christian Kiener, manufacturier à Epinal,

    Lucien Lemant, manufacturier à Blamont,

    Ch. Henri Schupp, manufacturier à Epinal,

    Ch. Joseph Galtier, banquier à Epinal,

    Nicolas Claude, député, manufacturier à Saulxures,

    Jules Favre, manufacturier à Epinal,

    Nicolas Géliot, ancien député, manufacturier à Plainfaing.

    Conseil d'administration. – Voici maintenant la composition du comité d'administration:

    MM.

    Paul Bezancon, maufacturier demeurant à Breuches,

    Nicolas Claude, manufacturier à Saulxures,

    Jacques-Christophe Dieterlen, manufacturier à Thaon,

    Albert Esnault-Pelterie, négociant à Paris,

    Jean-Jules Favre, manufacturier à Epinal,

    Nicolas Géliot, manufacturier à Plainfaing.

    Christian Kiener, manufacturier à Epinal,

    Armand Lederlin, manufacturier à Thaon,

    Lucien Lemant, manufacturier à Blâmont,

    Félix-Charles Lévêque, manufacturier à Wesserling,

    Charles-Henri Schupp, manufacturier à Epinal.

    Première Organisation. – Une société par actions au capital de 3.500.000 fr. était donc fondée grâce au concours de la plus grande partie des industriels des Vosges et des principales maisons de blanc et de doublures de Paris, et, le 26 Février 1872, la société anonyme de Blanchisserie et Teinturerie de Thaon était constituée.

    L'usine fut construite en 18 mois, à 9 kilomètres d'Epinal, sur une vaste propriété rurale traversée par la Moselle dont l'abondance et la pureté chimique de l'eau étaient indispensables à la nouvelle industrie,

    La maison Gros-Roman-Marozeau et Cº, de Wesserling, consentit à fournir tous les élément du blanchiment: la maison Steinheil-Dieterlen, de Rothau, fournit les éléments nécessaires à la teinturerie.

    Mais ce n'était pas tout qu'avoir l'idée et l'argent, il fallait trouver des hommes doués d'assez de volonté, d'expérience et de savoir pour mener à bien une œuvre si importante.

    Le choix de M. Jules Favre se porta immédiatement sur MM. Christophe Dieterlen et Armand Lederlin, le premier chef, et le second imprimeur de la maison Steinheil-Dieterlen, de Rothau.

    Obstacles surmontées. – C'était la première industrie de quelque importance introduite dans un pays voué jusqu'alors presque exclusivement à l'agriculture; aussi, tout fut-il à créer : voie de raccordement de 1.500 mètres pour relier l'usine à la ligne de Nancy à Gray ; chemins d'accès du village de Thaon à l'usine ; ponts sur de nombreux canaux d'irrigation ; passerelle, puis pont de 110 mètres de long sur 6 de large sur la Moselle, afin de permettre aux populations de la rive droite de venir travailler à Thaon et d'y apporter leur denrées ; poste, bureau télégraphique, cités ouvrières, usine à gaz, atelier de construction pour les machines spéciales à la nouvelle industrie et qui ne se trouvent pas dans le commerce, etc.

    Pont sur la Moselle. – Le premier soin fit de relier par une passerelle en bois les deux rives de la Moselle et de faciliter ainsi à la main-d'œuvre et aux matériaux provenant des communes de Girmont, Dogneville, Bayecourt, Villoncourt, Pallegney et Domèvre-sur-Durbion, l'accès au territoire de Thaon.

    Jusqu'alors, il n'existait qu'un bac pour piétons entre Thaon et Girmont. Or, en 1865, les ingénieurs des Pont et Chaussées ayant proposé l'établissement d'un nouveau bac, le conseil municipal déclara remercier vivement les ingénieurs ; toutefois, ajouta-t-il, une passerelle ou un pont desservirait mieux les intérêts des communes.

    Dans une nouvelle délibération du 14 Septembre 1865, le Conseil se permet de faire remarquer aux ingénieurs que les bacs sont dangereux pour la sécurité publique et que bien des personnes hésitent à s'en servir, même par les eaux ordinaires. Aussi, afin de prouver son grand désir de voir aboutir le vœu précédant, le Conseil déclare que pour une passerelle il donnera 1.500 fr. de subvention, plus 500 fr. recueillis par voie de souscription dans la commune.

    "Mais, ajoute-t-il, s'il s'agissait d'un pont, nous offrons une subvention de 8.000 fr., et les habitants veulent bien doubler le montant de leur souscription qui atteindra 1.000 fr., soit au total 9.000 fr.

    Le projet tombe encore à l'eau et les transactions entre Girmont et Thaon continuent à se faire par le bac jusqu'au jour où l'usine reprend elle-même le projet. C'est une passerelle qu'elle se propose de construire et, pour ce, elle fait appel à une subvention communale. Le conseil vote en effet, le 4 Août 1872, une somme de 2.000 fr. payable en quatre annuités.

    Douze ans plus tard, le passerelle est devenue insuffisante ; le Conseil d'administration de l'usine décide la construction d'un pont de pierres et la commune y contribue par un emprunt de 12.000 fr. (9 Juillet 1884)

    Transformation du village. – A peine les premiers travaux de l'usine étaient-ils commencés que les diverses communes du voisinage ressentaient les premiers bienfaits de la nouvelle entreprise. De toutes parts les ouvriers des différents corps d'état se présentaient en quête de pension et de logement.

    Dès lors, les transactions commerciales devinrent de plus en plus vives dans les communes ; de petits magasins s'installèrent où fournissait à cette nuée de travailleurs tous les objets indispensables à l'existence. En même temps, les cultivateurs aménageaient leurs maisons pour louer, qui une chambre, qui deux, aux nouveaux venus. Le prix des loyers augmenta ; ce fut un premier bien-être pour la population.

    Pour la mise en marche de l'usine, la Direction fit venir d'Alsace ses chefs ouvriers. Plus de cent familles arrivant de Wesserling, Rothau, Schirmeck, Mulhouse, Pfastadt, et autres localités industrielles répondirent à l'appel de la Direction, généreusement secondée dans la circonstance par la Société de protection des Alsaciens-Lorrains. Elle furent installées dans les logements qui avaient été préparés et servirent de noyau à la population ouvrière de Thaon.

    Mais il s'en fallait de beaucoup que ce fût suffisant ; aussi les communes environnantes achevèrent-elles de fournir le contingent nécessaire.

    Les habitants s'empressèrent d'autant plus d'accepter du travail à la Blanchisserie qu'ils trouvaient là un salaire rémunérateur, surtout pour les femmes et les jeunes filles jadis condamnées à peiner de longues heures pour gagner, par des travaux de broderie ou de feston, des salaires réellement dérisoires.

    A peine l'usine en marche, ce fut entre Thaon et Epinal d'une part, entre Thaon et les communes environnantes d'autre part, un perpétuel va-et-vient. C'est ce qui explique l'extrême rapidité avec laquelle Epinal s'est étendu en longueur dans le sens de la Moselle et avec laquelle aussi la route nationale s'est garnie de maisons tout au long des communes d'Epinal, Golbey, Chavelot et Thaon.

    Développement rapide de l'usine. – Les difficultés qui durent être surmontées pour arriver à faire marcher l'Usine de Thaon sont incalculables et quand on considère les résultats obtenus dans un espace de temps relativement si court, on conçoit qu'il ait fallu au Conseil d'administration une entière confiance dans la réussite de son entreprise, à la Direction une volonté de fer et au personnel un dévouement absolu pour mener à bonne fin une œuvre pareille.

    Pour donner une idée du développement successif de la Blanchisserie et de la Teinturerie, nous dirons qu'en 1875 elles occupaient 492 ouvriers et que actuellement le nombre total est de 2000.

    Au point de vue de sa production, rappelons que l'Usine a terminé et facturé en 1875, 317.000 pièces de tissus et payé 450.000 fr. de salaires. En 1900, elle arrive à 1.474.000 pièces et 1.634.000 fr. de salaires et 1902-1903 à 1.702.792 pièces.

    Six cents chevaux de force motrice étaient suffisants à l'origine, mais il en fallu successivement 750 en 1880 ; 1300 en 1885 ; 2000 en 1890 ; 2500 en 1895 ; 3500 en 1900, dont 600 de force hydraulique, 2600 de force vapeur et 300 de force électrique.

    Thaon est arrivé à blanchir et à apprêter le calicot et tous les tissus de coton façonnés avec la même perfection que Wesserling et que Thann dans le Haut-Rhin et à teindre et imprimer les doublures pour vêtements, pour ameublements, etc., avec la supériorité universellement reconnue des teintureries de Pfastadt et de Rothau.

    Les tissus de coton des Vosges, de Normandie, d'Alsace, de Suisse et d'Angleterre y affluent pour y être transformés en toute la série des articles employés à la lingerie de blanc pour hommes et pour femmes et en toutes les doublures de vêtements et de meubles.

    Exportation. – Les articles d'exportation ont acquis à Thaon une énorme importance et les ateliers spéciaux qui ont été créés pour la seule exportation représentent près de 2.500.00 francs de capitaux.

    L'Algérie, le Sénégal, le Congo, et surtout l'Indo-Chine française de Madagascar procurent à Thaon de nouveaux éléments de prospérité et à l'industrie cotonnière de l'Est une source de travail et de gain extraordinaire.

    Etat financier. – Les chiffres suivants donneront plus qu'une longue dissertation une idée exacte de l'étonnante prospérité de l'Usine de Thaon.
     

    Capital en actions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    3.500.000,- fr.

    Coût total de l'Usine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    15.125.626,76 fr.

    Réserves . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    2.050.228,48 fr.

     

     

    Dividende d'une action en 1878-1879 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    5 0/0

    Dividende d'une action en 1901-1902 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    18 0/0

    Installation générale. – Les ateliers sont construits avec le plus grand soin, tant au point de vue de la simplification du travail qu'au point de vue hygiénique.

    Ils diffèrent en ceci de la plupart des autres blanchisseries et teintureries qui, fondées dans des proportions très restreintes, se sont agrandies peu à peu par l'adjonction de nouveaux bâtiments et dont l'ensemble se ressent plutôt de nécessités momentanées que d'une idée générale et d'un plan nettement arrêté.

    Construits en rez-de-chaussée de 5 mètres de hauteur, les ateliers sont parfaitement aérés et éclairés, chauffés à la vapeur en hiver, dallés en ciment sur toute leur étendue afin de faciliter l'écoulement des eaux et de vapeur, etc., etc.

    Voies de transport. – On a vu quelles furent, au début, les influences de cette installation sur les communes rurales du voisinage.

    Cette influence n'a fait que croître ; elle a motivé la construction du pont sur la Moselle et contribué pour une bonne part au choix du tracé adopté pour le Canal-de-l'Est. En effet, l'Usine a souscrit des parts de garantie pour la création de ce canal ; elle a alloué une forte subvention destinée à établir à 150 mètres de l'Usine un port de navigation intérieur où les bateaux, venant des divers bassins houillers, lui amènent chaque année des milliers de tonnes de charbon, sans compter les autres matériaux de grosse consommation.

    Enfin, elle a provoqué la création d'une gare à trafic important et établi un raccordement entre la voie ferrée et le canal.

    Nous rappellerons pour mémoire combien l'on fut heureux, au moment du sinistre de Bouzey, de pouvoir utiliser pour les besoins du public le raccordement particulier de la voie ferrée avec le Canal-de-l'Est.

    Mais cette influence ne devait pas s'arrêter là ; elle devait solliciter l'éclosion de toutes les usines que nous voyons massées à Thaon même, à Igney, à Nomexy, à Vincey, à Golbey, usines où l'on s'occupe exclusivement du travail du coton.

    Achat des usines normandes. – Le 31 Octobre 1903, le Conseil d'administration réunissait en Assemblée générale extraordinaire les actionnaires de la Blanchisserie et teinturerie de Thaon et proposait d'élever le capital à 4.000.000 de francs, au moyen d'une émission de 200 actions nouvelles au taux de 10.500 fr., prix auquel les actions de Thaon se négociaient couramment.

    Cet appel de fonds destiné à payer l'acquisition des Blanchisseries et Teintureries normandes, comprenant les établissements de Gisors, Notre-Dame-de-Bondeville et Darnétal, fut approuvé par l'Assemblée générale des actionnaires et c'est ainsi que la Société Thaonnaise, en devenant propriétaire de ces usines, supprima une sérieuse concurrence.

    4.1.3. Oeuvres sociales d'utilité économique

    Société coopérative de Consommation. – Lors de la fondation de la Blanchisserie. Thaon était absolument dépourvu de ressources. Il s'y trouvait un seul boulanger, deux cabarets et un débit de tabac ; les habitants étaient tributaires d'Epinal et de Châtel pour la viande, l'épicerie, la mercerie, etc.

    Cette situation motiva la création d'une Société coopérative de Consommation, qui est constituée par actions et à capital variable et se trouve administrée par les ouvriers. Le Directeur de l'Usine y remplit les fonctions de Commissaire des Comptes.

    Au début, le nombre des adhérents était de 58, bientôt ceux-ci affluèrent, la prospérité de la société s'affirma et en 1892 elle faisait pour 144.253,25 fr. d'affaires qui donnèrent un bénéfice net de 21.415,35 fr., soit 14,88 fr. p. 0/0 du chiffre des ventes et 472,50 fr. p. 0/0 du capital engagé.

    Cette première société procure à ses adhérents et au public des denrées de première qualité à des prix modérés. Elle fabrique elle-même son pain et, par des marchés avec les bouchers de la localité, elle arrive à se procurer de la viande à des conditions aussi avantageuses que si elle avait créé elle-même une boucherie.

    Au cours de l'année 1902, la Société coopérative de consommation qui comptait 262 adhérents, acheta 69.843 kg. De viande de boucherie.

    Les Sociétaires ont adopté le principe de la mutualité en créant, en 1886, un fonds de prévoyance destiné à venir en aide à ceux qui sont momentanément dans la gêne.

    Tous les six mois on met à leur disposition la part qui leur revient sur les bénéfices réalisés, part qu'ils sont libres de retirer ou de laisser en dépôt à 5 % d'intérêt annuel.

    Plus d'un ouvrier a pu de la sorte s'amasser un petit pécule qui lui a permis dans la suite d'acquérir un lopin de terre sur lequel, grâce aux prêts hypothécaires de la Société de secours mutuels dont il va être parlé, il a construit sa modeste maison.

    Société de secours mutuels. – Le 15 Décembre 1872, une Société de secours mutuels était fondée, obligatoire celle-là, pour tout le personnel de l'usine. Elle avait pour but:

    1. D'accorder aux sociétaires malades une indemnité de chômage égale à la moitié du salaire,
    2. De leur donner gratuitement les secours médicaux et pharmaceutiques,
    3. D'accorder à la famille de chaque sociétaire décédé un secours pour les frais de sépulture,
    4. D'accorder aux sociétaires mariés un secours pour chaque naissance,
    5. D'accorder un secours aux familles des réservistes et des territoriaux appelés sous les drapeaux,
    6. D'accorder une gratification d'entrée en ménage aux jeunes filles se mariant durant leur présence à l'Usine.
    La Société comprend tous les ouvriers, ouvrières et contre-maîtres, à l'exception des femmes mariées ; elle n'admet pas d'ouvriers âgés de plus de 40 ans.

    A côté de la Caisse de secours, a été créée une Caisse de famille qui, moyennant une cotisation fixe de 0 fr. 40 par quinzaine , assure, aux familles des cotisants les secours médicaux et pharmaceutiques.

    Le 21 Avril 1877, une cotisation spéciale et supplémentaire de 0 fr. 05 par quinzaine était instituée pour la création d'un fonds de retraite à servir aux vieillards faisants partie de la Caisse de secours comme membres sociétaires.

    La Société est administrée par un Comité composé comme suit:

    1. Le Chef d'Usine et 7 employés supérieurs désignés par lui (Le comité d'administration de la Société de secours mutuels est actuellement composé de MM. Armand Lederlin, président, Ed. Diehl, vice-président, Paul Lederlin, Secrétaire, Banzet, secrétaire-adjoint, Winkler, trésorier, Ch. Montavon, trésorier-adjoint, Henry Lederlin, membre, Henri Delahaye, membre.),
    2. Un certain nombre de membres délégués et élus par les ouvriers des ateliers et dont le nombre croît au fur et à mesure du développement de l'Usine.
    Les revenus de la Société se composent:
    1. Du produit des cotisations, soit 1% du salaire,
    2. Des cotisations des membres honoraires, 30 fr. par personne et par an,
    3. Des cotisations des membres de la Caisse des Familles,
    4. Des subventions accordées par la Direction,
    5. Des intérêts des capitaux placés,
    6. De la cotisation spéciale de 0.05 par quinzaine pour secours aux vieillards et aux veuves.
    Le sociétaire malade reçoit gratuitement:
    1. Les soins du médecins,
    2. Les médicaments,
    3. Un secours en argent égal à la moitié de son salaire moyen pendant les trois derniers mois de travail et dont le maximum est de 2,50 par jour.
    Grâce aux subventions patronales et aux cotisations de membres honoraires la Société fut bientôt à la tête d'excédents considérables dont une partie fut utilisée en prêts hypothécaires aux sociétaires désireux de se construire une maison sur un terrain acquis et payé préalablement.

    De 1881, date du premier prêt, au 31 Décembre 1902, le Comité avait prêté sur l'hypothèque une somme de 443.753 fr. à 122 sociétaires. Sur cette somme il a été remboursé, de 1881 au 31 Décembre 1902, 148.353 fr. Il reste donc dû au 31 Décembre 1902, 295.400 fr.

    La Caisse de secours place ainsi très avantageusement et très utilement ses fonds disponibles, et les revenus qu'elle en tire lui permettent d'allouer à ses membres devenus infirmes ou invalides, ainsi qu'à leurs veuve un secours de 10 fr. par mois (Nombre de veuves, de vieillards ou d'infirmes secourus par la caisse de Secours: 10 hommes, 37 veuves & 1 fils soit 48 au total, nombre de veuves, de vieillards ou d'infirmes secourus par la Blanchisserie: 42 hommes, 40 femmes soit au total 82)

    Caisse de Retraites. – Une clause de l'article 59 des statuts de la Blanchisserie et Teinturerie de Thaon allouait à un compte de prévoyance une part de 5% à prendre sur les bénéfices nets. Dès 1880, cette part de 5% apportait audit compte une somme de 10.637 fr. et l'accumulation des parts bénéficiaires n'a fait que s'accroître depuis cette époque.

    Ces fonds accumulés ont été réunis en un fonds de prévoyance par lequel on alimente toutes œuvres créées en faveur des ouvriers, œuvres qu'il serait trop long d'énumérer ici. Nous citerons seulement la création d'un hôpital dispensaire, d'un lavoir avec eau chaude, d'un séchoir, etc.

    De plus, une partie des revenus de ce fonds est employée à donner aux veuves et aux ouvriers devenus infirmes ou invalides un secours de 20 à 30 fr. par mois qui leur est une précieuse ressource sur les vieux jours.

    Caisse d'Epargne pour les ouvriers de l'Usine. – En 1875, M. Armand Lederlin créait une Caisse d'Epargne pour ses ouvriers auxquels il bonifiait 5% d'intérêt par an. Les dépôts étaient limités à 1000 fr. par unité.

    Dans la suite, M. Lederlin sollicitait la création d'une succursale de la Caisse d'Epargne d'Epinal qui, installée en 1879, se complétait par la création d'une Caisse d'Epargne scolaire et postale.

    Cet appel devait porter ses fruits.

    Au 1er Décembre 1892, le total des dépôts effectués tant dans les caisses de l'Usine qu'à la Caisse d'Epargne de la Commune se montait à 2.074.075 fr. 95.

    Le tableau suivant montre d'ailleurs le mouvement de cette dernière caisse de 1898 à 1902:
     

     

    Dépôts

    Remboursements

    1898

    172.943 fr.

    169.634 fr.

    1899

    196.183

    170.217

    1900

    220.043

    190.192

    1901

    194.480

    167.010

    1902

    173.295

    347.045

    Totaux . . .

    956.944

    1.044.088

    D'autre part les dépôts effectués dans les Caisses de l'Usine par son personnel, se répartisset comme suit au 31 Décembre 1902:
     
    1. Versements effectués par le personnel des Ateliers de réparations . . . . . . .

    2. Versements effectués par le personnel des Ateliers de teintures . . . . . . . . . 

    3. Versements effectués par le personnel des Ateliers de blanchiment . . . . . .

    23.513 fr. 05
    59.386 fr. 60
    51.134 fr. 20

    Secours médicaux et pharmaceutiques. – Pendant les premières années qui suivirent sa fondation, l'établissement de Thaon eut recours pour les soins médicaux et pour les fournitures pharmaceutiques aux médecins et pharmaciens des villes voisines.

    Comme médecins, nous voyons successivement MM. Les docteurs De Langenhagen, Gaulard, Lahalle, tous fixés à Epinal, venir régulièrement donner leurs soins aux ouvriers de l'usine.

    Les autres habitants de la Commune trouvaient déjà dans ces déplacements un avantage particulier, celui de pouvoir profiter des visites fréquentes des médecins sans avoir à payer des frais spéciaux.

    Le premier médecin attiré à l'Usine a été M. Fissinger, Il est entré à le 30 Juin 1880 et a quitté le 28 Février 1887.

    Le second, M. Bornèque, est entré le 1er Mars 1887 et a quitté le 1er Juin 1893.

    Le troisième, M. Galmard, est entré le 1er Juin 1893 et se trouve encore en fonction.

    A partir du 16 janvier 1903, il y a eu deux docteurs qui sont MM. Galmard et Houillon.

    Peu après l'arrivé de M. le Docteur Fissinger, la ville ayant pris un développement suffisant, un pharmacien, M. Ehrwein vint s'y installer en 1880.

    Ce n'était pas tout d'avoir doté l'Usine d'un médecin, il fallait encore gérer et organiser une Caisse de secours. Cette caisse fut fondée, comme on l'a vu, en 1872 et n'a pas cessé de fonctionner depuis. Rappelons ici que l'établissement fournit gratuitement les soins médicaux et que la caisse de Secours pourvoit à la fourniture des médicaments, non seulement aux membres participants de la Caisse, mais à toute leur famille et aux indemnités de chômage qui sont de la moitié du salaire.

    Bureau de bienfaisance. – quoique ne dépendant pas de l'Usine, il faut mentionner ici le Bureau de bienfaisance de la commune, aux libéralités duquel ont droit tous les Thaonnais nécessiteux. Nous avons vu M. Léger Jeanmaire, ancien curé de Thaon, le gratifier d'un don de 500 fr. dont les rentes doivent être affectés au soulagement des pauvres ; signalons encore le don généreux de 8.000 fr. fait en 1847 par M. Dominique Marchal.

    Le Bureau de bienfaisance possède encore quelques autres revenus et reçoit fréquemment des dons importants à l'occasion d'événements de famille.

    4.1.4. Oeuvres sociales d'utilité matérielle

    Habitations ouvrières. – La Blanchisserie a compris que le facteur le plus important dans un établissement façonnier est représenté par la main-d'œuvre, laquelle doit être obtenue dans de bonnes conditions.

    Ce but ne peut-être atteint que par la stabilité du personnel et par des institutions qui procurent à bon marché tout ce qui est nécessaire à l'existence matérielle et intellectuelle de l'ouvrier.

    Or tout ce qui peut l'attacher à une industrie a été réalisé à Thaon.

    La Blanchisserie adopte, en effet, pour ses habitations ouvrières le type de deux maisons mitoyennes à rez-de-chaussée.

    Elle a fait construire deux variantes:

    1. Maison en profondeur. Au rez-de-chaussée, une cuisine à l'entrée et deux pièces ; dans les combles, une chambre avec un grenier. Chaque logement a une cave et un grenier ; les waters-closets sont dans le jardin.

    2.  
      Le prix de revient de la maison est de 6.400 fr. pour deux logements. Le loyer mensuel est de 20 fr. par maison, soit 10 fr. par logement, c'est-à-dire 2 fr. 50 par chambre.
       
    3. Un autre modèle ayant deux pièces de profondeur. Chaque logement comprend au rez-de-chaussée une cuisine, à l'entrée avec trois pièces ; au dessus une mansarde et des greniers, puis une cave et un jardin où sont installés des waters-closets.
    Le prix de revient de la maison est 7.600 fr. pour deux logements ; le loyer mensuel est fixé à 24 fr. par maison, soit 12 fr. par logement, c'est-à-dire 2 fr. 40 par chambre.  Chacun de ces logements a son entrée complètement indépendante et se trouve pourvu de lumière électrique et de distribution d'eau.

    Soins hygiéniques. – En même temps qu'elle tenait à fournir son personnel de logements salubres, la Direction de l'Usine mettait gratuitement à la disposition de ses ouvriers, tant à l'usine qu'à leur domicile, des bains chauds, des douches et des bains de vapeur.

    Elle organisait également un vaste réfectoire afin de permettre aux ouvriers des villages voisins de prendre leur repas de midi dans un local aéré et bien chauffé en hiver et pourvu du mobilier nécessaire.

    Lutte contre l'alcoolisme. – La Blanchisserie de Thaon n'a pour ainsi dire pas d'ivrognes parmi ses ouvriers, mais elle a des alcooliques, c'est-à-dire que beaucoup d'ouvriers boivent chaque matin une petit verre d'eau-de-vie.

    Afin de lutter contre cette habitude néfaste, M. Lederlin a installé aux deux entrées de l'usine des kiosques où il fait vendre tous les matins, de 5 à 6 heures, du café chaud sucré et du thé à raison de 0 fr. 05 le verre.

    Ceux qui veulent y ajouter du lait en trouvent à discrétion et gratuitement.

    De plus, il a installé un comptoir pour la vente du café chaud, de 11 h. ½ à 12 h. ½, dans la grande salle du réfectoire où les ouvriers des villages environnants prennent leur repas de midi.

    Il y a ajouté tout récemment une vente de vin et de bouillon chaud à 0 fr. 05 la portion, pendant l'heure du repas.

    Il a été servi ainsi pendant l'année 1902: 229.653 verres de café, 16.972 verres de thé, 106.525 verres de vin.

    Lorsque la Société que dirige M. Lederlin vend des terrains à bâtir, il est formellement stipulé dans l'acte de vente qu'il ne pourra jamais être créé de débits, cabarets, estaminets, guinguettes, etc., dans les immeubles construits sur ces terrains.

    Lutte contre l'anémie de la jeunesse. – Dans le but de procurer aux jeunes ouvriers et ouvrières, pendant la période critique de la croissance, de 13 à 16 ans révolus, l'appoint nécessaire d'alimentation, le Directeur ;leur fait distribuer à tous gratuitement, chaque jour à midi, un sandwich composé de 40 grammes de viande cuite et de 140 grammes de pain.

    Il a été ainsi distribué en 1902: 37.500 sandwichs.

    Société de distribution d'eau et de lumière électrique. – Cette Société a été constituée par actions en 1901, sur les bases suivantes:

    L'intérêt garanti des capitaux y engagés ne pourra être supérieure à 3%.

    S'il y échet, le surplus des bénéfices sera partagé en deux parts égales entre les actionnaires et la Commune.

    L'intérêt de 3% précité est garanti par la commune qui peut à tout instant user du droit de rachat.

    Postes et télégraphes. – Jadis, en 1872, Thaon n'avait ni bureau de poste ni bureau de télégraphe. L'Usine de Blanchiment demanda d'abord la création d'un bureau de poste en 1872. Elle sollicita ensuite l'établissement d'un bureau télégraphique pour son compte et à ses frais personnels, bureau dont elle avait toute la charge, mais dont pouvaient néanmoins profiter les habitants de la commune.

    En 1874, le bureau fut converti en bureau de plein exercice.

    Enfin, en 1899, l'Usine demanda la création d'un fil et d'une cabine téléphoniques à ses frais et à son usage personnel.

    En même temps, une cabine téléphonique publique était installé à Thaon. Une Caisse d'épargne postale fonctionne également.

    4.1.5. Oeuvres sociales d'utilité morale

    Nécessité de ces œuvres. – Maintenant que nous avons examiné quelle fut l'importance de la création de la Blanchisserie pour le bien-être matériel et économique de Thaon et des communes voisines, il nous reste à examiner son influence dans ses œuvres d'utilité morale.

    En effet, la vie des agglomérations humaines, tout comme celle des individus, comporte le développement du bien-être économique et moral qui joue pour elles le même rôle que le développement physique chez les êtres organisés et le développement intellectuel chez l'individu.

    Ce n'est pas un maigre éloge à faire que de reconnaître ici la constante sollicitude, l'incessant souci qu'apportèrent au développement social de la commune ceux qui en avaient la direction. Un de leurs premiers soins fut de tenir la main à ce que l'instruction obligatoire devint une réalité et prit des proportions en rapport avec l'accroissement de la population.

    Cette question primordiale devrait donc avant tout autre prendre place ici ; mais vu son importance et son caractère d'intérêt plutôt communal, nous avons jugé bon de lui donner plus loin un chapitre spécial, consacrant celui-ci à l'historique des sociétés patriotiques ou d'agrément patronnées par l'Usine.

    La Concordia. – La plus ancienne et la plus importante de ces sociétés est la Concordia.

    Jadis, en 1863, M. Edouard Diehl avait créé à Rothau une société chorale qui avait donné d'excellents résultats. Lorsqu'après la guerre M. Diehl quitta Rothau pour venir à Thaon, quelques membres de l'ancienne société qui avaient émigré avec lui, le prièrent de reprendre cette œuvre. Il s'y prêta de grand cœur et voulut bien accepter la présidence. La Concordia était fondée.

    Actuellement, cette société offre deux concerts annuels aux familles des membres actifs et honoraires des différentes sociétés Thaonnaises ; elle prête aussi son concours gracieux à toutes les cérémonies.

    La Concordia prend part aux concours organisés en France, et les années où les concours font défaut, elle fait généralement une excursion dans la montagne. C'est ainsi qu'elle a successivement visité le Ballon de Giromagny, la Schlucht, le Honeck, Gérardmer, Bussang, le Drumont, le Lac Blanc, Le Valtin, Le Rudlin, etc.

    Voici la liste des prix obtenus par la chorale la Concordia aux différents concours depuis 1881, année de sa fondation:
     

    1881

    St-Dié

    Sous la direction de M. Diehl, 3º Division, 3º Section

    2º prix d'exécution.

    1885

    Nancy

    Même direction, même classement,

    1º prix de lecture à vue, 2º d'exécution.

    1885

    Chavelot

    1º prix d'exécution.

    1888

    Epinal

    2º prix de lecture à vue, 1º prix ascendant d'exécution.

    1888

    Plombières

    Sous la direction de M. Launay, en 3º division, 2º section,

    2º prix de lecture à vue, 1º prix d'exécution.

    1890

    Nancy

    Sous la direction de M. Kensier, en 3º division, 1º section,

    2º prix de lecture à vue, 1º prix d'exécution.

    1892

    Reims

    Même direction en 2º division, 2º section,

    2º prix de lecture à vue.

    1893

    Besançon

    Sous la direction de M. Ch. Taurey, même classement,

    1º prix de lecture à vue, 1º prix d'exécution, 2º de quatuor.

    1896

    Epinal

    Même direction et même classement,

    1º prix ascendant de lecture à vue, 1º de quatuor, 1º ascendant d'exécution avec félicitations du jury, 2º d'honneur.

    1897

    Vesoul

    Même direction en 2º division, 1º section,

    1º prix de lecture à vue avec félicitations du jury, 1º prix ascendant d'exécution, 1º de quatuor, 1º d'honneur.

    1899

    Gray

    Même direction en 1º division, 2º section,

    2º prix de lecture à vue, 1º de quatuor, 1º d'exécution, 1º d'honneur.

    1903

    Neufchâteau

    Sous la direction de M. Emile Talaupe, 1º division, 2º section,

    1º prix de lecture à vue, 2º de quatuor ex-aequo, 2º d'exécution, 2º d'honneur, ex-aequo.

    L'Harmonie. – Cette société qui comptait en 1900, 59 musiciens, 12 tambours et 24 clairons, a été fondée en 1880. M. Armand Lederlin en est le Président.

    Les nombreux prix qu'elle n'a cessé de remporter dans les concours auxquels elle a pris part la font apprécier aujourd'hui comme la meilleur société de musique de la région.
     

    1881

    Epinal (fanfare)

    2º prix d'exécution

    Médaille de vermeil.

    1883

    Saint-Dié . . . . .

    1º prix de lecture à vue

    3º d'exécution

    Id,

    Id.

    1883

    Chavelot . . . . .

    2º prix d'exécution

    Id.

    1885

    Nancy . . . . . . . 

    1º prix de lecture à vue

    2º prix d'exécution

    Médaille d'argent,

    Id.

    1888

    Epinal . . . . . . .

    1º prix de lecture à vue

    2º prix d'exécution

    2º prix de soli

    Médaille de vermeil,

    Id.

    Id.

    1888

    Plombières. . . .

    1º prix de lecture à vue

    2º prix d'exécution

    Médaille de vermeil.

    Id.

    1889

    St-Nicolas . . . . 

    1º prix de lecture à vue

    2º prix d'exécution

    Médaille de vermeil.

    Id.

    1890

    Nancy . . . . . . .

    2º prix de lecture à vue

    2º prix d'exécution

    Médaille de vermeil.

    Id.

    Id.

    1893

    Besancon . . . .

    1º prix de lecture à vue

    2º prix d'exécution

    Médaille de vermeil.

    Id.

    1895

    Nancy . . . . . . .

    1º prix de lecture à vue

    1º prix d'exécution

    Médaille de vermeil,

    Palme de vermeil.

    1896

    Epinal . . . . . . .

    1º prix de lecture à vue

    1º de soli

    1º prix d'exécution

    2º d'honneur

    Couronne d'argent,

    Médaille de vermeil,

    Palme de vermeil,

    Id.

    1897

    Vesoul (Harmonie) . . .

    1º prix de lecture à vue

    1º de soli

    1º prix d'exécution

    Médaille de vermeil,

    Id.

    Palme de vermeil.

    1899

    Gray . . . . . . . . .

    1º prix de lecture à vue

    1º de soli

    2º prix d'exécution

    Médaille de vermeil,

    Id.

    Id.

    1903

    Neufchâteau . .

    1º prix de lecture à vue avec félicitations du jury,

    2º de soli

    1º prix d'exécution

    3º d'honneur*

    Diplôme de direction.

    * Créé par le jury (Quoique placée en 2º division, 1º section, l'Harmonie avait concouru pour ce prix avec deux autres sociétés de 1º division.)

    Société de Gymnastique. – Fondée en 1874, cette société se trouve aujourd'hui sous la présidence de MM. Paul Lederlin et Ch. Montavon.
     

    1881. – Vesoul

    1er prix de section (2e division)

    188X. – Paris

    1er prix de section,

    Id. de barres,

    Id. en individuel,

    5 autres prix en individuel.

    1891. - Remiremont

    1er prix de section,

    Id. de bâton,

    Id. de course,

    Id. en individuel,

    2e de boxe,

    1er d'honneur.

    1892. – Nancy

    2e prix de section,

    1er d'escrime,

    2e de boxe,

    41 prix individuels.

    1893. – Epinal

    1er prix d'escrime

    Id. de course.

    1894. - Rambervillers

    1er prix d'escrime,

    10 prix individuels.

    1895. – Remiremont

    1er prix de section, (1ère division)

    Id. de boxe,

    Id. de bâton,

    Id. d'escrime,

    Id. d'honneur,

    8 prix individuels.

    189X. – Pont-à-Mousson

    1er prix de section, (1ère division)

    Id. de boxe,

    Id. d'escrime,

    Id. de pupilles.

    Concours d'honneur: les 3 premiers prix.

    1896. – Epinal

    3 premiers prix d'honneur,

    7 prix individuels.

    1897. – Mirecourt

    3 premiers prix individuels (1ère division)

    X prix individuelles

    1897. – Vesoul

    1er prix de section, (1ère division)

    Id. de bâton,

    Id. de barres de fer,

    Id. individuel,

    2e de boxe,

    4 prix de course,

    8 prix individuels,

    2e prix d'honneur.

    1898. – Luxeuil

    1er prix de section, (1ère division)

    2e de boxe,

    8 prix individuels.

    189X. – Dijon

    1er Premier prix,

    3e d'escrime,

    4e de bâton.

    1899. – La Neuville

    1er prix d'escrime,

    Id. Individuel (4e division)

    2e et 3e prix individuels (1ère division)

    2e de bâton en section,

    16 autres prix individuels.

    Grâce à de généreux souscripteurs, la Société de gymnastique a été dotée d'un local couvert et fermé.

    Société de trompettes. – En n1895, une section de trompettes fut adjointe à la Société de gymnastique. Elle fut réorganisée en 1900 par M. M. P. Lederlin et, depuis sa fondation, elle a pris part à des concours où elle a remporté plusieurs prix.
     

    1896. - Epinal

    2e prix d'exécution.

    1897. - Mirecourt

    1er prix d'exécution,

    1er prix d'honneur.

    1900. - Bar-le-Duc

    1er prix d'exécution.

    1900. – Nancy

    Id.

    1902. – Genève

    1er prix de soli.

    2e de lecture à vue,

    2e d'exécution

    Section de cycles. – D'accord avec la Société des trompettes, une Société de cycles dont l'origine remonte à 1899 et qui est présidée par M. P. Cuny, fait chaque année plusieurs promenades, excursions, etc. Elle compte 140 membres actifs et a déjà pris part avec succès à divers concours.
     

    1899. – Remiremont

    Une médaille de bronze grand module,

    1900. – Vittel

    Une médaille de vermeil,

    Une médaille d'argent,

    Quatre objets d'art.

    1901. – St-Dié

    Une médaille de vermeil.

    1903. – Mirecourt

    Une médaille d'argent.

    1904. - Thaon

    Une palme d'argent (2e prix).

    Section de Vétérans. – La 1502e Section des Vétérans des armées de terre et de mer, créée par M. le Commandant Hoffmann le 15 Juin 1902, compte aujourd'hui 142 adhérents dont 38 vétérans et 104 sociétaires.

    Ce jour-là, l'église de Thaon, pavoisée et décorée avec un goût parfait, recevait pour la première fois la Section Thaonnaise qui venait incliner son drapeau devant la croix du Christ et recevoir les bénédictions de l'église. Une cérémonie analogue eut lieu le 8 Novembre 1903 ; après une superbe messe en musique donnée par l'Harmonie et un sermon patriotique donné par M. le chanoine Barotte, curé de Thaon, le cortège se forma et se rendit au cimetière au pied du monument érigé à la mémoire des enfants de Thaon mort pour la patrie.

    Société de Tir. – Cette société, fondée en 1879 par M. J. Dieterlen, capitaine de réserve, fut d'abord exclusivement militaire ; elle devint mixte le 20 Avril 1886.

    Chaque année, en Juillet, un concours clôture les exercices de tir.

    La société mixte ne pouvant utiliser le stand construit en 1886, pour les exercices de tir au fusil modèle 1886, avec cartouches de guerre, il fallait, ou modifier complètement les dispositions de ce stand et engager une dépense très forte, ou trouver un nouveau terrain pour l'aménagement d'un autre champ de tir. Après bien des démarches, la société d'accord avec l'administration militaire (service du génie) fut autorisée à installer son champ de tir sur la rive droite de la Moselle, au lieu dit Eau-Blanche, en face de Chavelot. On y a élevé six cibles à 250 mètres et les tirs se font au fusil modèle 1886, avec cartouches de guerre, dans les trois positions réglementaires.

    Les désirs des sociétaires ont été ainsi réalisés. Ils ont l'avantage de s'exercer à l'arme de guerre, en sorte que réservistes et territoriaux peuvent s'entretenir la main et l'exercer en dehors des périodes d'appel ; d'autre part les jeunes gens peuvent s'initier à la théorie et à la pratique du tir avant leur convocation sous les drapeaux.

    L'aménagement du champ de tir donne satisfaction sous tous les rapports aux exigences des tireurs. Le concours fédéral de Septembre a eu un plein succès.

    En 1903, la société a été désignée pour offrir le concours fédéral entre les vingt sociétés de tir qui dépendent du 43e régiment d'infanterie territoriale, et ce concours a eu lieu le 13 Septembre 1903.

    Société de pêcheurs à la ligne. – Cette société a été fondée le 30 Juin 1902. Son président est M. le docteur Galmard de Thaon.

    Le but de la société est de concourir comme auxiliaire de l'état au repeuplement des différents cantonnements de pêche du rayon de Thaon. D'aider à la répression du braconnage ; d'empêcher par tous les moyens à sa disposition la destruction du poisson et de protéger le libre exercice de la pêche à la ligne.

    Résultats obtenus: Diminution du braconnage et suppression presque complète de la pêche au filet dans le rayon.

    Nombre d'adhérents: 185 actifs et 13 honoraires.

    4.1.6. Industries diverses

    Filature Cuny et Cº. Cette filature a été fondée par M. Paul Cuny, en 1898, sous la raison sociale Cuny et Cº, mais les premières broches ne commencèrent qu'en 1899.

    A la suite d'agrandissements successifs, l'établissement atteignait, en 1902, le chiffre de 43.000 broches, comportant 200 ouvriers et livrant des produits fabriqués d'une valeur annuelle d'environ 2.500.000 fr.

    C'est une filature de coton d'Egypte, dit Jumel, destinée à fabriquer des filés pour tissus fins en coton, tels que la lingerie fine, les gazes, les mousselines, les tarlatanes et tissus d'ameublement et des filés pour fil à coudre.

    Une caisse de secours pour les ouvriers a été fondée en même temps que l'établissement et assure les soins médicaux et pharmaceutiques et les demi-journées en cas de maladie.

    Filature Germain-Willig. – Elle fut construite et mise en marche en 1884 avec un total de 6.000 broches. Aujourd'hui, par suite des agrandissements successifs de 1886, 1889 et 1892, elle en compte 35.000.

    Il existe une caisse entretenue par les cotisations des ouvriers et des patrons qui assure aux familles intéressées et dans les cas de maladie, les soins médicaux et pharmaceutiques et leur accorde parfois une allocation. Cette caisse est administrée directement et uniquement par un Conseil ouvrier.

    Ferronnerie et ferblanterie. – M. Haller a créé, dès 1873, une usine où l'on fabrique mécaniquement à l'aide de machines-outils la ferronnerie et la ferblanterie industrielles, particulièrement les pots pour la filature, les pots en tôle, les pots en fibres vulcanisés, les noues de shedds pour filature et tous les objets spéciaux de cette industrie, tels que cors pendants, accessoires en tôle, plomb, zinc, etc.

    Le fondateur de cet établissement a fait preuve d'un esprit ingénieux, inventif, et l'on peut dire qu'il a rendu de véritables services à l'industrie Vosgienne. Son successeur, depuis 1902, est M. Jomé.

    4.1.7. Instruction publique

    Ecolage. – la première mention de l'instruction primaire à Thaon, se trouve dans une délibération du Conseil municipal du 10 Février 1851. On y propose de fixer le traitement de l'instituteur à la modique somme de 318 fr., et la rétribution scolaire mensuelle "à 0 fr. 60 pour les écrivains et 0 fr. 50 pour les non écrivains".

    En 1862, cette rétribution est ramenée au taux unique de 0 fr. 50 (Une rente de 36 fr. avait été donnée en 1811 par Marie-Rose Royon pour l'école de garçons)

    Premières constructions scolaires. – Quelques années plus tard (21 Mars 1866), la commune achète à titre d'échange de M. Edouard-François-Xavier Chavanne, demeurant à La Gosse, une parcelle sur laquelle on venait de construire une école, à charge d'une soulte de 2.600 fr., avec intérêts du jour de la jouissance.

    La commune s'était arrangé pour se libérer au plus tôt. Dès que les fonds nécessaires avaient été réalisés, elle les avait mis à la disposition de M. Chavanne. Ce dernier cependant n'avait pas accepté le remboursement et l'avait même refusé à divers reprises.

    Devant ces étranges procédés, le Conseil municipal demande au préfet des Vosges l'autorisation de faire à M. Chavanne des offres réelles suivies de consignation et assignation en validité devant le tribunal d'Epinal. Il est probable que le créancier consentit enfin à rentrer dans ses fonds, car il n'est plus question de l'affaire.

    Le 27 Mai 1869, la commune vote 100 fr. comme premier fonds d'établissement d'un gymnase scolaire qui se composera "d'un portique et de divers agrès".

    Agrandissements scolaires. – Les écoles de Thaon qui, en 1886, n'étaient fréquentées que par 43 garçons et 49 filles étaient devenues trop étroites, et durant la période comprise entre 1872 et 1880, une somme de plus de 60.000 fr. fut dépensée pour agrandir les salles de l'école de garçons, construire une école des filles et une salle d'asile. Les deux salles dont on disposait en 1872 furent remplacées par six autres plus spacieuses, mieux éclairées et le mobilier scolaire renouvelé et décuplé (1877).

    Le budget de l'Instruction primaire qui, en 1872, était de 1400 fr. avait monté successivement jusqu'à 7.000 fr. en 1880. L'accroissement du nombre des élèves justifiait ces dépenses, car en 1879 on comptait 473 et à la rentrée d'octobre 1880, il s'en trouvait 522 d'inscrits sur les registres.

    Projet d'école supérieure de garçons. – C'est en 1880 que l'Administration municipale examina la possibilité de donner à la jeunesse Thaonnaise un complément d'instruction que celle-ci ne pouvait trouver à l'école primaire élémentaire et qu'il eut été trop coûteux d'aller demander à des établissements d'enseignement secondaire.

    D'accord avec la maire de l'époque, M. Christophe, M. Lederlin directeur de la Blanchisserie mettait à l'étude la création d'une école supérieure mixte communale sous la direction de l'instituteur chargé de l'enseignement primaire élémentaire des garçons.

    Dès le 8 Novembre 1880 l'école était ouverte et la rétribution scolaire fixée à 2 fr. 50 par mois pour les élèves de Thaon et à 4 fr. pour les élèves étrangers à la Commune.

    Cet état des choses ne dura pas longtemps ; le 12 Février 1881, le Conseil municipal décida que la fréquentation de l'Ecole primaire supérieure serait gratuite à partir du 1er Mars suivant.

    Construction de l'Ecole supérieure. – A son ouverture, l'école ne comprenait que deux années d'études ; elle fut installé dans une salle de la mairie. Mais bientôt la même situation se manifesta pour l'école supérieure qui s'était déjà produite pour l'école élémentaire, et, en Février 1881, on dut envisager l'éventualité de la création d'un groupe scolaire.

    La Commune projeta d'affecter à la construction des écoles de garçons un terrain d'un hectare qu'elle possédait au Paquis, près de la halle de gymnastique. Une demande subvention de 80.000 fr., était en même temps présentée à M. Jules Ferry, Ministre de l'Instruction publique.

    L'administration préfectorale estima que l'abandon fait par la commune du terrain sur lequel devait s'édifier l'école, ne constituait pas un sacrifice suffisant: c'est pourquoi la commune s'empressa d'inscrire à son budget, pour une période de 30 ans, un crédit annuel de 800 fr., pour obtenir de l'Etat une avance de 20.000 fr. sur la caisse des lycées et écoles (3 Juillet 1881).

    Un mois s'était à peine écoulé (8 Août 1881) que le Ministre de l'Instruction publique accordait une subvention de 60.000 fr. et autorisait l'emprunt de 20.000 fr. pour la construction du groupe scolaire. Enfin, le 25 Novembre 1882, en réponse à une nouvelle demande de subvention de 12.000 fr., le Ministre en accordait 11.000.

    En résumé, la construction du groupe a coûté 98.000 fr., dont 27.000 à la charge de la Commune et 71.000 à la charge du Ministère.

    Aménagements successifs. – Le 19 Mars 1884, l'école fut déclarée de plein exercice avec trois années d'études.

    Au début, on n'avait pas prévu qu'elle pourrait recevoir des pensionnaires, et l'on avait rien fait pour le service d'internat. quand elle reçut des internes on dut alors transformer la salle de classe en dortoir et loger le reste des pensionnaires au premier étage du pavillon central primitivement destiné au Directeur.

    Comme ce dernier n'avait pas d'enfant, il s'offrit spontanément de se contenter d'un logement réduit. Lorsqu'il mourut, en 1895, il fut remplacé par un autre directeur qui ne put loger toute sa famille dans la partie du pavillon jadis suffisante pour son prédécesseur.

    On rendit alors le pavillon central à sa destination première et l'on transforma une étude, qui servait en même temps de salle de dessin, en un grand dortoir pouvant contenir 27 élèves et un surveillant.

    Programme. – L'école supérieure n'a jamais eu de sections spéciales ; l'enseignement qui y est donné correspond au programme de la section générale des programmes de 1893.

    Voici la liste des différentes matières qui y sont enseignées:

     Une subvention annuelle au personnel enseignant des écoles primaires, élémentaires et supérieures, permet à l'administration de les doter de maîtres d'élite et d'en assurer la stabilité et le choix.

    Agriculture et travail manuel. – L'enseignement de l'agriculture est donné avec beaucoup de soins ; les développements théoriques sont très étendus, et les élèves s'exercent à la pratique de l'agriculture et de l'arboriculture dans un vaste jardin potager et fruitier. Ils s'occupent en outre de champs d'expériences.

    Enfin, tous les ans, les élèves des trois classes prennent part à un concours agricole organisé par le Comice d'Epinal ; la plupart y obtiennent des récompenses.

    Jusqu'à la rentrée d'Octobre 1899, l'école ne possédait pas d'atelier de travail manuel ; cet enseignement était donné par un professeur de l'école dans les ateliers de réparations de la Blanchisserie, mis par M. Lederlin à la disposition des élèves qui y trouvaient gracieusement outillage et matières premières. En 1899, la commune fit aménager dans une partie du préau un atelier spécial. Comme les ressources municipales ne permettaient pas de faire l'acquisition de l'outillage, M. Lederlin paya la somme nécessaire à cette acquisition.

    Bien que ne comprenant pas de sections industrielles, l'école supérieure a cependant fait recevoir dix élèves à l'Ecole des Arts et Métiers de Châlons ; c'est dire assez qu'elle a toujours donné d'excellants résultats.

    Elle reçoit en moyenne 62 élèves par an, dont 23 internes, chiffre qui prouvent suffisamment quel prix les familles attachent à l'enseignement supérieur.

    Ecole supérieure de filles. – Enfin, une école supérieure de filles fut établie à Thaon en 1889, et l'ancienne école, mixte jusque là, fut alors spécialement affectée aux garçons.

    Cours de dessin. – Dès l'année 1872, on institua à la Blanchisserie un cours de dessin ouvert chaque Dimanche dans la matinée, à la jeunesse laborieuse de Thaon et professé d'abord par le directeur de l'Usine et par ses ingénieurs. On y traitait à la fois le dessin dit d'imitation et le dessin graphique.

    Un peu plus tard, on choisit un professeur spécial, M. Valantin, professeur à l'Ecole industrielle d'Epinal, qui chaque Dimanche vient à Thaon faire un cours que suivent environ 120 élèves.

    Bibliothèque. – Une bibliothèque gratuite met à la disposition, non seulement des ouvriers de l'Usine, mais de toute la population des lectures utiles, attrayantes, instructives (n'ayant pu contrôler par nous-mêmes la valeur scientifique et historique des ouvrages contenus dans cette bibliothèque, nous nous en rapportons ici à l'appréciation qui nous est communiquée ; tout ce que nous pouvons dire c'est qu'elle fut fondée sous le patronage de la Ligue de l'Enseignement), soit à domicile, soit dans une salle de lecture confortablement installée.

    Elle est ouverte tous les jours jusqu'à 10 heures du soir et largement pourvue de livres (2.000 volumes), de journaux, de revues.

    Le nombre des lecteurs est environ de 900 et celui des ouvrages lus annuellement pour la période 1883-1902 est donné par le tableau que nous mettons en note:
     

    1883

    2.860 Volumes lus

    1893

    17.368 Volumes lus

    1884

    3.690

    1894

    21.661

    1885

    5.092

    1895

    22.003

    1886

    5.082

    1896

    22.973

    1887

    10.043

    1897

    24.667

    1888

    12.435

    1898

    24.286

    1889

    15.350

    1899

    24.801

    1890

    15.492

    1900

    23.276

    1891

    16.649

    1901

    26.343

    1892

    17.034

    1902

    27.205

    L'origine de la Bibliothèque remonte au 11 Novembre 1865. Cette une somme de 100 fr. est votée par le Conseil municipal pour la création d'une bibliothèque publique ; 60 fr. seront affectés à l'achat du meuble, le reste à celui des volumes.

    Ces débuts étaient bien modestes, mais chaque année une petite somme devait être consacrée au budget à l'achat de nouveaux livres.

    M. Charles Henry.- Le 9 Janvier, la population de Thaon avait la douleur de voir disparaître un homme auquel elle avait donné toutes ses affections, M. Charles Henry, directeur de L'Ecole supérieure.

    Il avait été le fondateur de L'Ecole.

    C'était un caractère droit, un esprit éclairé, un pédagogue remarquable auquel d'ailleurs ses chefs d'une part, ses élèves et leurs parents d'autre part, n'avaient ménagé aucune marque d'estime et d'affection.

    La municipalité décida de faire une véritable manifestation à l'occasion du décès de celui qui, pendant de longues années, avec un dévouement sans bornes, une inlassable patience avait défriché tant de jeunes intelligences et formé tant de bons citoyens (Le 9 Février 1866, l'instituteur M. Dupoirieux commence les Cours d'adultes. Il les fait gratuitement, avance même les fonds nécessaires à l'achat de lampes et diverses fournitures et nous voyons le Conseil faire l'éloge de son instituteur, le remercier de ses avances qu'il s'empresse d'ailleurs de lui rembourser.).

    De son côté, M. le curé de Thaon, avait tenu, en invitant ses confrères des environs, à compléter cette manifestation pour ce vieux maître qui avait collaboré à biens des œuvres paroissiales.

    4.1.8. Administration communale

    Maires et adjoints. – On a vu que les deux seigneuries qui existaient avant la révolution avaient chacune leur maire, véritables gérants des propriétés du chapitre d'Epinal et des terrains domaniaux.

    Ces seigneuries ayant été abolies par la révolution, il n'y eut plus qu'un seul maire chargé de l'administration des revenus communaux et e la police rurale.

    En feuilletant les registres des délibérations des différents conseils municipaux qui se sont succédé, on pourrait s'attendre à trouver les procès-verbaux de chaque élection. Il n'en est rien et pour dresser la liste des maires et des adjoints que nous donnons, il a fallu glaner leur signatures à la suite de chacune de ces délibérations.
     

    Années

    Maires

    Adjoints

    1815

    Joseph Perrrin

     

    1821

    Laurent Lacroix

    Joseph André

    1824

    Dominique Marchal

    Id.

    1830

    François Davillers

    Id.

    1837

    Joseph Christophe

    Id.

    1841

    Jean-Joseph Delait

    François Davillers

    1844

    François-Etienne Lacroix

    Id.

    1848

    François Delait

    Jean-Baptiste Perrin

    1856

    Id.

    Albert Christophe

    1860

    Ivan-Adolphe Kœchlin

    Id.

    1865

    Albert Christophe

    Philippe Counot

    1870

    Id.

    Joseph-Antoine André

    1874

    Id.

    François Delait

    1878

    Id.

    Eugène Bernard

    1881

    Id.

    Edouard Diehl

    1884

    Armand Lederlin

    Edouard Diehl

    Félicien Poirot

    1900

    Id.

    Edouard Diehl

    Paul Cuny

    Passage du duc d'Orléans. – c'est au maire, M. Jean-Joseph Delait qu'échut l'insigne honneur de recevoir et de complimenter le duc d'Orléans, fils-aîné de Louis-Philippe, qui, dans le courant du mois de Juin 1842, fît halte à Thaon, se rendant avec sa jeune épouse aux eaux de Plombières. La garde nationale fut mise sous les armes et renforça l'escorte de l'auguste voyageur.

    Guerre de 1870. – Durant le cours de cette malheureuse campagne, les délibérations sont rares au Conseil municipal de Thaon, et il n'y en a guère que deux pour offrir quelque intérêt.

    Le 10 Septembre 1870, 600 fr. sont votés pour l'habillement des pompiers et de la garde nationale.

    Un mois plus tard (9 Octobre), le maire rend compte au préfet des Vosges, dans les termes suivants:

    J'ai reçu du Gouvernement pour les pompiers et les gardes nationaux, 48 fusils dont 14 ont été donnés à des hommes de 21 à 40 ans qui ont été dirigés sur Langres. Là, ces hommes ont été désarmés et renvoyés dans leurs foyers.

    Il me reste 34 fusils que je vous renvoie à Epinal et la Commune n'aura plus aucune espèce d'armes.

    Mais les événements s'étaient précipité et les fusils au lieu d'être dirigés sur le chef-lieu du département, furent hâtivement cachés au clocher.

    Nous ne saurions mieux faire que de reproduire ici la narration navrante que fait M. Fiel des événements qui précédèrent et suivirent l'entrée des Prussiens à Thaon:

    Par suite de reddition de Strasbourg, on vit pénétrer l'ennemi chez nous par les défilés de nos montagnes. Depuis la bataille de Rambervillers, on l'attendait tous les jours à Epinal, lorsque le 11 Octobre 1870, nous arrivèrent deux compagnies de francs-tireurs, l'une du Doubs, l'autre des Pyrénées-Orientales.

    Le lendemain, je dînais avec le commandant de la 1re compagnie et avec son sous-lieutenant qui n'était autre que sa femme, à la tournure guerrière et portant parfaitement l'habit militaire, lorsqu'un officier entre précipitamment et annonce l'apparition de l'ennemi à Châtel et à Nomexy.

    A cette nouvelle, je m'attendais à voir quelque altération dans les traits du sous-lieutenant qui n'avait pas encore reçu son baptême de feu. Je n'en vis aucune.

    Armé de sa carabine, notre jeune amazone part avec les deux compagnies qui s'élancent au pas de gymnastique au-devant de l'ennemi arrivant de Rambervillers.

    Sur l'ordre du préfet, nos francs-tireurs quittent le village et se rendent à Darnieulles. Leur retraite fut le salut de notre paroisses car deux heures après leur départ, à la nuit tombante, les prussiens venus de Rambervillers remplissent le village d'Igney. ayant appris leur retraite par leurs éclaireurs, ils se retirèrent à Nomexy.

    Si les Français s'étaient encore trouvés chez nous, que serait-il arrivé? Grand-Dieu! Ce que déjà l'on avait vu et ce que l'on vit encore depuis dans les villages dans les maisons et villages où l'on en découvrit. Un combat pendant la nuit, le village en feu, mes pauvres paroissiens affolés de terreur, fuyant de tous côtés. Il y a de quoi frémir quand on pense aux horreurs dont on aurait été les témoins et de quoi remercier Dieu de nous avoir préservé d'un tel malheur.

    Le lendemain 13 d ce mois d'Octobre, d'assez bon matin, un officier prussien se présente à la cure et m'invite à le suivre. Quelle ne fut pas ma surprise à la vue d'un groupe de soldats occupant le passage de la cure à la route, au milieu duquel il me fallut passer à la suite de l'officier qui me précédait, accompagné de M. Christophe, maire de la Commune.

    Comprenant très bien que ce n'était pas pour me faire honneur que ces hommes armés ouvraient leurs rangs pour me faire passage, je m'avançais au milieu d'eux, je ne dis pas hardiment, ce serait un mensonge, mais avec une certaine inquiétude qui augmenta beaucoup quand nous primes le chemin de l'église sur la voûte de laquelle je savais qu'on avait à mon insu caché les fusils de la garde nationale. Si on l'avait visitée, que serait-il arrivé au curé? On l'aurait sûrement traité comme on traita le curé de Remiremont qui, pour une cause absolument semblable, fut envoyé aux extrémités de la Prusse où les outrages ne manquèrent pas.

    Je commençai à respirer plus librement quand je me vis au-delà de l'église. Nous allâmes ainsi jusqu'à l'extrémité du village pour revenir toujours bien escortés jusqu'à l'autre extrémité. Que voulait-on faire de nous? Des otages, pour le cas où quelques coups de fusil auraient tirés contre les Prussiens qui cherchaient dans toutes les maisons des armes qu'ils ne trouvèrent pas.

    Je ne sais si depuis cette première visite de l'ennemi jusque vers la fin de Janvier de l'année suivante il s'est passé six jours sans que nous soyons occupés par les prussiens. D'abord des convois à perte de vue, et puis des soldats de toutes armes avec l'attirail d'usage en temps de guerre, et puis des gendarmes apportant force réquisitions dont voici la première:

     

     Il paraît que les Prussiens savaient déjà de ce temps là apprécier la supériorité du tabac français.

    Monument patriotique. – On comprend que le sentiment patriotique se soit développé extraordinairement à Thaon, la population non autochtone étant en majeure partie composée d'Alsaciens-Lorrains forcés d'abandonner leur chère province.

    Le projet d'érection d'un monument élevé à la mémoire des enfants de Thaon tombés pour la patrie ne pouvait que rallier toutes les sympathies et rencontrer une extraordinaire faveur.

    Saisi du projet, le Conseil municipal lui fait l'accueil le plus empressé et à la suite de sa délibération du 16 Février 1887, le monument est érigé dans le cimetière de Thaon dont on venait justement de voter l'agrandissement.

    Transport de territoire. – une grosse question se présentait lors de la construction de la Blanchisserie, et nous devons reconnaître que l'administration communale fut, dans la circonstance, d'une prudence et d'une habileté au-dessus de out éloge. La voici exposée d'après les délibérations du Conseil municipal.

    Celui-ci fait remarquer que l'Usine amènera à Thaon beaucoup d'ouvriers ; de là de lourdes charges pour la commune. On a déjà dû construire de nouvelles écoles, agrandir la mairie et l'église, faire un nouveau cimetière, établir des fontaines, des trottoirs, une police, un marché ; l'instruction gratuite est donnée à de nombreux enfants ; l'entretien des rues et des chemins se monte à une somme respectable.

    Or il se trouve que la Blanchisserie est construite sur une portion de terrain dépendant du territoire de Girmont. Dans ces conditions , que va-t-il arriver pour la commune de Thaon? Elle subira les charges inhérentes à la population, tandis que Girmont qui n'a sur son territoire que l'Usine proprement dite, c'est-à-dire qui n'a aucun ouvrier dont les enfants fréquenteront ses écoles et qui est complètement séparé de l'Usine par la Moselle, ne supportera aucune charge.

    C'est pourquoi le Conseil demande à l'administration supérieure de décider que la portion du terrain de Girmont, située sur la rive gauche de la Moselle, portion où se trouvent édifiées la Blanchisserie et Teinturerie de Thaon, soit distraite de son ancienne commune et rattachée à Thaon. Il conclut comme il suit:

    Les établissements industriels de Thaon seraient donc dans une situation très fausse parce qu'une partie de leurs bâtiments se trouverait sur Thaon, l'autre sur Girmont, et révélerait avec la population, deux administrations.

    Une semblable situation peut amener des difficultés très sérieuses qu'il importe d'éviter en rectifiant, suivant le cours de la Moselle, la limite des deux communes et en incorporant à Thaon quelques parcelles du territoire de Girmont.

    D'ailleurs ce dernier village profitera, grâce au pont, de débouchés nouveaux.

    La requête de Thaon fut écoutée en haut lieu et la rectification et distraction demandées furent écoutée approuvées: c'était une véritable victoire pour le Conseil municipal de Thaon.

    Voies de transport. – Voie ferrée. – Ce fut en 1857 qu'eut lieu à Thaon l'inauguration de la voie ferré de Nancy à Epinal ; elle ne comportait alors qu'une seule voie, et le village n'était pas même desservi par une halte. Nous ne pouvons résister au plaisir de transcrire ici les émotions ressenties par le bon curé à la vue de la première locomotive:

    L'avant-dernier dimanche du mois de Juin fut un jour de fête pour la Commune. Ce jour-là eut lieu l'inauguration de notre chemin-de-fer. Presque toute la paroisse se porta sur la voie ferré et la première locomotive se rendant à Epinal et remorquant un wagon où se trouvaient les chefs de la ligne, fut saluée par des cris joyeux à son passage à la barrière du chemin de Domèvre.

    Aujourd'hui (1868), un train allant à toute vitesse est à peine regardé. Viendra un jour où il n'excitera plus l'admiration du monde que ne l'excite la vue du soleil. Mais il n'en fut pas ainsi à l'origine des choses. Je n'ai point oublié l'impression que fit sur moi, encore séminariste, la nouvelle de voitures qui allaient marcher avec la rapidité de l'oiseau au moyen de la seule vapeur. Croyant qu'on se moquait de mon jeune âge et de mon inexpérience des choses, je me tenais en garde contre les discours qu'échangeaient entre eux deux voyageurs à côté desquels je me trouvais. Aussi quel fut mon étonnement, quand, devenu prêtre, je vis de mes yeux sur la ligne de Thann à Mulhouse qui venait d'être livrée à la circulation, ce qui m'avait d'abord paru fabuleux.

    D'après cela on ne sera pas surpris de l'empressement des habitants de Thaon et des villages voisins à vouloir être témoins du passage de la première locomotive.

     Dépourvu de toute station desservant Thaon, la nouvelle ligne ne pouvait être de grande utilité et le Conseil municipal ne pouvait manquer de s'émouvoir d'une semblable situation.

    En 1864, il adresse effet une longue requête à la compagnie de l'Est aux fins d'obtenir entre Epinal et Châtel et à mi-chemin si possible, une halte pour les voyageurs. Il expose que, dès 1855, une première demande a été formulée en ce sens par la Commune de Thaon ; qu'en 1857, Thaon et treize localités voisines intéressées ont émis à nouveau le même vœu, que les quatorze communes signataires représentent une population de plus de 6.000 habitants, laquelle est privée des bienfaits de la voie ferrée, Châtel et Epinal étant distants de 17 kilomètres sans aucune station intermédiaire.

    Nouvelles instances des susdites communes en 1863 (?) qui n'aboutissent pas plus que les précédentes. On obtient seulement un semblant de satisfaction l'année suivante, et il est concédé que la minuscule maisonnette du passage à niveau qui précède la gare actuelle constituera la halte tant réclamée. Elle porte encore aujourd'hui le nom de Petite-Gare.

    L'occupation Allemande avait bouleversé l'horaire des trains ; aussi voyons-nous la municipalité de Thaon, commencer des démarches pour obtenir le rétablissement du train qui avant la guerre partait à dix heures du matin d'Epinal à Nancy et rendait les plus grands services aux populations rurales des environs.

    Lors de la construction de la Blanchisserie (1872), nouvelles démarches de la municipalité dans le but d'obtenir une gare de marchandises ; elle a soin de faire remarquer, pour arriver à ses fins, que les forêts de l'Etat qui se trouvent à proximité acquerront, en cas de création de cette gare, une très sensible plus-value.

    Quelques années plus tard, alors que Thaon a déjà pris un développement industriel considérable, la Compagnie de l'Est, non seulement accède à la requête de la municipalité, mais décide en même temps la construction d'une nouvelle gare plus spacieuse et plus rapprochée de la localité.

    L'endroit choisi présentant certaines difficultés d'accès, la Commune de Thaon s'empresse d'y pourvoir et vote un emprunt de 5.000 fr., pour la rectification et l'aménagement du chemin qui y conduisait (1878).

    Canal de l'Est.- Lors du premier projet de construction du canal destiné à relier la Moselle à la Saône, la municipalité qui est appelée à donner sa avis, reconnaît que ce canal apportera une vie nouvelle à la commune et émet un vœu très favorable (18 Juin 1872).

    Lors des premiers travaux elle se préoccupe, dans les séances du 14 Février et 7 Mai 1879, des démarches à faire pour obtenir la création d'un port. C'est que la population comprend les énormes avantages qu'elle pourra retirer directement et indirectement d'une voie de transport aussi importante, et c'est pourquoi le maire, qui reflète en la circonstance le sentiment de ses administrés, ne cesse d'agir en haut lieu, jusqu'à ce qu'il ait obtenu satisfaction.

    Améliorations urbaines. – Cimetière. – Le cimetière q1ui entourait l'ancienne église est devenu en 1864 tout-à-fait insuffisant ; on décide d'en aménager un nouveau sur un terrain communal situé au Nord de Thaon et au-delà de la dernière maison.

    Abattoir municipal. – Un petit abattoir municipal, en suite de la délibération prise le 16 Août 1880, a été bâti en 1881, mais aujourd'hui il est bien insuffisant, et les revenus très faibles de la commune n'ont pas encore permis la création d'un service d'inspection des viandes par un vétérinaire.

    Le moment semble proche où l'ancien abattoir pourra être remplacé par de nouvelles constructions munies de tous les services nécessaires.

    Eclairage des rues. – Une amélioration qui montre bien que la Commune de Thaon n'est plus une simple bourgade mais devient une ville, c'est a création d'un service d'éclairage public.

    Le 3 Juin 1880, nous voyons en effet le Conseil décider que désormais la Commune sera dotée de 21 réverbères à pétrole.

    Marchés. – Dès le 22 Septembre 1872, le Conseil vote la création d'un marché, Il expose que depuis le commencement des travaux de la Blanchisserie une foule considérable d'ouvriers prend pension à Thaon. Or ceux-ci n'ont pas de terrains à cultiver et trouvent difficilement à se fournir en aliments ; c'est pourquoi la création d'un marché est e toute nécessité.

    Greffe de Mairie. – La Commune est devenue tellement importante qu'il est impossible à l'instituteur de cumuler à la fois les fonctions de maître d'école et de greffier de mairie. Aussi le Conseil décrète-t-il (28 Juillet 1883) que désormais la Commune aura un greffier appointé et il fait choix de M. Dillet pour remplir ces fonctions.

    Prestations. – Vers la même époque (18 Juillet), 12 centimes sont votés pour le rachat des prestations en nature, et c'est ainsi que disparaît une des dernières caractéristiques de l'ancienne ruralité communale.

    Egouts. – Le 15 Décembre 1896, nous voyons le Conseil décider la construction d'un réseau d'égouts et de donner suite à des délibérations antérieures de 1892 et 1893, grâce auxquelles la ville avait été déjà dotée de deux égouts, dont l'un Rue du Cimetière et l'autre Rue de la Gare.

    Gendarmerie. – Lors de la construction de l'Usine (1879), les importants travaux exécutés amenèrent à Thaon un grand nombre d'ouvriers de tous les corps de métiers.

    Bientôt, la police locale uniquement composée d'un garde champêtre, fut débordée, les gendarmeries d'Epinal et de Châtel étaient trop éloignées pour qu'on puisse les appeler efficacement lorsqu'il s'agissait de réprimer les désordres et les malfaiteurs avaient tout-le-temps de prendre la fuite.

    Des pourparlers furent engager, à la suite desquels la Blanchisserie offrit le logement nécessaire à la brigade. Devant ce sacrifice, l'administration supérieure n'hésita plus à concéder le service d'ordre réclamé et la Commune construisit plus tard une caserne pour y loger la brigade de 5 hommes définitivement installée à Thaon.

    Contributions indirectes. – le 1er Octobre 1901, la création d'une recette des contributions indirectes fut décidée, mais en raison de la difficulté de se procurer des logements, les employés ne vinrent à Thaon que le 1er Janvier suivant.

    Sapeurs-Pompiers. – Une compagnie de Sapeurs-Pompiers existe dès avant 1846. En cette année, le Conseil municipal décide qu'un bassin, servant de réservoir en cas d'incendie sera creusé au lieu-dit "Patis Nord-Est". Dans cette délibération on fait remarquer que jadis, avant les travaux Dutac et Cº, la Moselle était divisé en deux bras, que l'un d'eux passait tout près du village et qu'il était bien commode en cas d'incendie. Depuis la société Dutac et Cº a resserré la rivière dans un seul et unique lit ; aussi l'incendie du 7 Juillet 1846 a-t-il démontré le danger du nouvel état des choses.

    Durant l'occupation Allemande (1870) la Compagnie est dissoute, mais elle se reconstitue bientôt (1873) et reçoit une subvention annuelle de 400 fr. sur les fonds du budget communal.

    Bientôt elle disparaît de nouveau, pour être réorganisée définitivement en 1879 au moyen d'un crédit de 2,350 fr. fourni par la Commune. Elle comprend actuellement 30 pompiers et a été commandée successivement par MM. Tschaenn et Winkler, puis par MM. Grunnenwald et Tornes.

    Le 8 juillet 1902, le Conseil municipal décide la création de bouches d'incendie et de siphons pour chasse d'eau.

    4.2. Développement paroissial

    4.2.1. Eglise et clergé paroissial

    Nous tenons à rappeler ici ce que nous avons déjà annoncé dans notre avant-propos, c'est que, sauf l'arrangement et la disposition des matières, cette seconde partie de l'histoire contemporaine de Thaon a été, avec l'autorisation de l'auteur tirée en grande partie, presque textuellement de la brochure intitulée: Le curé de Thaon, par l'abbé H. Bareth.

    Construction de l'Eglise actuelle. – L'accroissement subit de la population eut immédiatement son contre-coup dans la vie paroissiale. Il fallut pourvoir aux besoins religieux des émigrés ; de là, nécessité pour la Commune de reprendre, sur des proportions plus vastes, la reconstruction de l'église élevée en 1733, reconstruction commencée en 1860, par le portail et la tour.

    La municipalité d'alors ayant à sa tête l'honorable M. Christophe, ne recula devant aucun sacrifice pour parer aux besoins créés par la récente évolution industrielle.

    En 1873, la Commune de Thaon était riche, dit la proclamation d'une liste de candidats aux élections municipales du 4 Mai 1884 ; elle a sans hésitation, affecté plus que ses revenus, une partie de son capital, à des œuvres d'intérêt public, dès l'arrivée d'une nouvelle population.

    L'une de ces œuvres, l'église, était bénie et ouverte au culte en 1874. Elle n'avait coûté que 60.000 fr. Remarquable par la pureté presque sévère de son style, l'harmonie de ses lignes et la valeur artistique de son mobilier en bois, l'église de Thaon , qui est un des monuments de l'art gothique dans notre diocèse, comprend sept travées, et mesure sans la tour 33 mètres de long sur 15 de large, 11.30 sous clé de voûte et 6, 75 sous clé de petite voûte. Elle a aujourd'hui le très grave défaut d'être notablement insuffisante. Mais qui donc, en 1873, se doutait que l'industrie bénéficierait d'une pareille extension et que la population Thaonnaise dût jamais dépasser le chiffre de 3.000 auquel s'étaient arrêtées toutes les prévisions voire les plus hardies.

    Ameublement de l'église. – Dans les quatre dernières années de son administration M. Fiel n'avait eu que le temps de pourvoir sa belle église neuve de boiseries au chœur, d'une chaire, d'une tribune et d'un buffet d'orgues.

    Il restait beaucoup à faire et par conséquent beaucoup à dépenser. En moins de vingt ans le Conseil de fabrique, secondant les vues de son curé avec une intelligence et un dévouement qu'il lui a aucunement marchandés, a consacré 30.000 r. à l'ameublement liturgique. La paroisse n'a pas à regretter les sacrifices qu'elle a consentis si généreusement ; elle a le droit d'être fière de son église et de son mobilier.

    L'abbé Durain qui ne manquait ni de goût, ni de notions d'archéologie, qui de plus avait beaucoup vu et beaucoup comparé, voulut faire bien. Il eut le bonheur de mettre la main sur un artiste de première valeur, mais alors assez ignoré parce que modeste, à la réputation duquel il n'a pas peu contribué. En 1883, le ciseau de M. Husson, de Blevaincourt, terminait le maître-autel de l'église Thaon, une pièce quia réuni les suffrages de tous les connaisseurs sans exception et devant laquelle, en 1891, Mgr Sonnois, bon juge, n'a pu retenir une exclamation des plus laudatives.

    Successivement sortirent de l'atelier Husson les trois confessionnaux, la table de communion, les fonts de baptême, les deux crédences, les deux fauteuils du chœur et leur prie-Dieu, les douze sièges des enfants de chœur, le grand crucifix, souvenir de la mission de1880, les encadrements du Chemin de croix qui fut béni le 27 Septembre 1891 et dont les quatorze toiles sont l'œuvre du pinceau de Franz Krombach de München, lequel a reproduit les cartons de Klein, professeur à l'Université de peinture de Wien. Les autels latéraux, fournis par la maison Pierson de Vaucouleurs, avaient été posés dès 1881.

    Dès l'année 1900 le pavé de l'église nécessitait une réparation urgente l'abbé Durain prépara ce travail ; l'avant vieille de sa mort il recevait de M. le Maire l'heureuse nouvelle que sa demande de subvention avait été bien accueillie par le Conseil Municipal et que la Commune mettait à la disposition de la fabrique une somme de onze cents francs.

    Ce concours précieux permettait à la fabrique d'affronter la dépense ; mais la mort inopinée de l'abbé Durain vint arrêter les pourparlers et ce ne fut qu'en Octobre 1902 que l'on commença à poser le carrelage. On profita des ouvriers que l'on avait sous la main pour changer l'escalier du portail et le remplacer par du granit.

    Cloches. – Voici le compte-rendu dressé par M. Fiel sur la cérémonie de la bénédiction des cloches:

    Cette année (1857), eut lieu la bénédiction de trois nouvelles cloches en présence d'un clergé nombreux, de toute la paroisse et d'un grand nombre d'étrangers.

    La grosse cloche, du poids de 969 kg., eut pour parrain le curé de la paroisse et pour marraine Mme Kœchlin. Leurs cadeaux ont consisté en un calice d'argent, style Pompadour, du poids y compris la patène, de 802 grammes et du prix de 318 fr., plus une garniture de vases d'autel et des fleurs, 80 francs.

    La moyenne, du poids e 710 kg., a eu pour parrain M. François Lacroix et pour marraine Mme Christophe. Le parrain a donné un bel ornement blanc relevé en bosse avec filets d'or, du prix de 450 fr. La marraine a fait don à la congrégation des femmes d'une bannière violette, brodée en argent, du prix de 190 fr.

    La petite, du poids de 510 kg., a eu pour parrain M. Constant Perrin et pour marraine demoiselle Léonide Counot. Ensemble ils donné un fauteuil avec deux tabourets, velours cramoisi, ainsi que le tapis qui recouvre l'estrade sur laquelle sont placés ces objets.

    Clergé paroissial. – Deux curés seulement se sont succédé à Thaon durant le long intervalle de 1828 à 1902 ; MM. Les abbés Joseph Fiel et Victor Durain.

    Thaon catholique a publié, dans ses numéros du 10 Février 1902 et du 10 Mars, une rapide biographie due en partie à la plume même du bon curé ; nous nous bornerons donc à la transcrire ici.

    Quant à l'abbé Durain, l'importance de son apostolat qui s'est identifié avec le développement de la paroisse de Thaon, réclamait plus qu'un simple mention, voilà pourquoi nous avons réservé à l'exposé de sa vie si édifiante et si sacerdotale le Chapitre 2 tout entier.

    Son successeur et zélé continuateur de toutes les œuvres paroissiales est M. l'abbé Marie-Henri Barotte ; né à Epinal le 29 Août 1864 ; ordonné prêtre le 26 Mai 1888 ; vicaire à Vittel de 1888 à 1892, vicaire et aumônier du Cercle catholique d'Epinal en 1892 ; constructeur de l'église Saint-Anthoine de Padoue à Epinal, en 1897 et 1898 ; curé de Thaon le 15 Juillet 1902, après avoir été vainement présenté à l'agrément du Ministre des Cultes pour la cure de la cathédrale de Saint-Dié ; enfin chanoine honoraire de Saint-Dié le 2 Août 1902.

    Le vicariat de Thaon, érigé en 1880, fut d'abord occupé par un seul titulaire. Plus tard (1897), la paroisse ne cessant de prendre une extension de plus en plus considérable, l'abbé Durain prit ses mesures pour assurer le traitement d'un second collaborateur dans son lourd ministère paroissial.

    Voici la liste des différents titulaires (Aussitôt après l'érection du vicariat, un jeune vicaire, m. l'abbé Auguste Renaud de Trémonzey, aujourd'hui curé de Bouxières-aux-Bois, avait été envoyé à Thaon. Il n'y resta que huit jours, le besoins de prêtres ayant obligé l'autorité diocésaine à le déplacer pour l'envoyer à Dompaire.

    MM.

    Depuis quelques années, Thaon est devenu une véritable pépinière sacerdotale: grâce aux œuvres de préservation instituées pour la jeunesse masculine, les vocations germent naturellement sur un sol si bien préparé et déjà trois jeunes prêtres sortis du patronage Saint-Joseph, exercent le saint ministère dans le diocèse.

    MM.

    Charles-Antoine-Lucien Winterer. – Né en 1872, ordonné et nommé vicaire à la Cathédrale de Saint-Dié en 1896, puis curé d'Estrennes en 1902.

    Alfred-Joseph Christen. – Né en 1876 ; ordonné et envoyé comme vicaire à Châtenois en 1900 ; vicaire à Pouxeux en 1902, et enfin chapelain de a basilique de Domremy en 1903.

    Marie-Emile-Nicolas Thro. – Né en 1878, ordonné et envoyé comme vicaire à Senones en 1901.

    La moisson s'annonce brillante pour l'avenir: à l'heure actuelle la paroisse de Thaon compte 9 élèves ecclésiastiques dont 1 au grand séminaire, 5 au petit, et 3 autres qui, sous la direction de M. l'abbé Bogard, se préparent à y entrer.

    L'abbé Joseph Fiel. – Après avoir parlé de ses prédécesseurs à la cure de Thaon, voici comment M. Fiel parle de lui-même:

    Je suis né à Rambervillers le 4 Novembre 1801. Mon aïeul paternel était du Tyrol et mon trisaïeul maternel de Picardie, venu dans les Vosges à la suite de Turenne. J'ai fait deux ans de séminaire à Pont-à-Mousson, deux ans à Nancy, deux ans à Saint-Dié. Ordonné prêtre en 1826, j'ai fait deux ans de vicariat à Corcieux, après quoi j'ai été nommé à la cure de Thaon, en 1828. Je ne connaissais de Thaon que ce qu'en dit le dicton rimé suivant: Ey Golbey, point de Dey ; - Ey Chevolot in po ; - Ey Tavon, tot rond, (Ce qui veut dire: à Golbey, pas de Dieu ; - à Chavelot, un peu ; - à Thaon, tout rond, tout entier). Cela pouvait être autrefois, mais à mon arrivée, je n'ai pas vu que Dieu fût plus rond, c'est-à-dire plus entier à Thaon qu'à Chavelot qui était une excellente annexe dans ce temps.

    J'ai trouvé deux usages qui existent de temps immémorial ; le premier est d'annoncer vers les trois heures du matin, le jour de Pâques, par une volé de cloches, la résurrection de N.-S.-Jésus-Christ. L'empressement que l'on met à entrer le premier à l'église rappelle ce que l'Ecriture nous dit de Saint-Jean: "Cucurrit Petro citius, il courut plus vite que Pierre". L'autre usage est de réciter la Passion de Notre-Seigneur tous les Dimanches avant la messe, depuis l'Invention, jusqu'à l'Exaltation de la Sainte-Croix et quand il y a des orages menaçants, mais dans ce dernier cas il faut en être prié, et encore à l'occasion de certaines difficultés que j'ai eues relativement à la récitation de la Passion, j'ai réservé que cette récitation serait facultative dans les cas d'orage.

    Thaon Catholique, du 10 Mars 1903, complète en ces termes cette autobiographie:

    M. l'abbé Fiel, en arrivant à Thaon, se consacra tout entier à sa paroisse. Il employa tous les moyens en son pouvoir et son influence pour maintenir, pour développer encore davantage l'esprit religieux de ses paroissiens.

    En 1838, il bénit un Chemin de Croix donné par M. Marchal.

    En 1855, il fit précher par deux pères Rédemptoristes de Saint-Nicolas-de-Port, une mission qui dura quinze jours, et durant laquelle tout-le-monde, moins trois hommes s'est approché des sacrements.

    Pendant la guerre de 1870, M. Fiel eut beaucoup à souffrir dans son cœur de patriote ; aussi, après la guerre, accueillit-il à bras ouverts les Alsaciens qui, pour rester français, quittèrent leur pays et vinrent s'établir à Thaon.

    En 1872, la population de Thaon n'était encore de 555 habitants ; mais à partir de ce moment arrivèrent un grand nombre d'ouvriers, surtout d'Alsace, pour l'usine qui s'élevait. L'abbé Fiel songea donc à pourvoir aux nouvelles exigences du ministère paroissial.

    Muni, dit le biographe de l'abbé Durain, de l'autorisation épiscopale, et appuyé par la Fabrique de l'église qui avait accepté de prendre à sa charge les frais du service auxiliaire, il alla frapper à la porte du couvent de Houdemont. Il obtint qu'un Père Rédemptoriste de langue Allemande serait mis à sa disposition, le Samedi et le Dimanche de chaque semaine, son séjour devant se prolonger selon les besoins du ministère. Curé et paroisse n'eurent qu'à s'applaudir du zèle déployé par les Pères Eyschen et Klassen, dont les noms ne sont pas encore entièrement tombés dans l'oubli.

    C'est à eux, à l'apostolat spécial dont ils firent profiter le groupe Alsacien, que celui-ci dut de rester généralement fidèle aux habitudes religieuses apportées de sa belle province, fidélité d'autant plus louable qu'elle faisait contraste avec la volte-face qu'on eut à déplorer ailleurs chez un trop grand nombre de leurs compatriotes.

    Cependant la population ne cessait de s'accroître et la paroisse de Thaon devenait un fardeau trop lourd pour le grand âge de M. Fiel. A 77 ans, et après 50 années d'un ministère bien rempli, il avait droit à un peu de repos. Il fut donc autorisé à prendre sa retraite et fut remplacé par M. l'abbé Durain qui eut pour son prédécesseur, durant les douze mois qu'il vécut encore, les plus grands égards.

    La municipalité de Thaon, avec une délicate attention dont elle ne peut-être trop louée, dit la Semaine religieuse de St-Dié, mit à la disposition de M. Fiel un beau logement à proximité de l'église. Il a donc pu finir ses jours dans un lieu témoin de ses vertus, au milieu des paroissiens auxquels il a donné la bonne direction dès leur enfance.

    C'est dans la nuit du 17 au 18 Avril 1879 que le vénérable vieillard rendit son âme à Dieu.

    Thaon en 1878

    Thaon en 1878

    4.2.2. Abbé Victor Durain

    L'enfant. – C'est à Frapelle, paroisse de Bertrimoutier, au sein d'une famille assise sur des traditions de simplicité, de travail, d'économie et de fidélité aux pratiques religieuses, que naquit, le 31 Octobre 1847, septième et dernier enfant, celui qui devait être le Curé de Thaon.

    Il fut baptisé le lendemain à l'église de Bertrimoutier, par M. l'abbé Durupt, curé de la paroisse, et reçut l'unique prénom de Victor qui devait présager ses victoires futures . Son aîné, qui venait d'entrer dans sa vingtième année, commençait en ce moment sa rhétorique au petit séminaire de Châtel-sur-Moselle.

    Le jeune Victor eut dans le cœur de ses parents la part et la place d'un benjamin, un bénéfice qu'il devait à son âge, mais plus encore à l'affabilité de son caractère et à la timidité de sa nature.

    La paroisse de Bertrimoutier était alors administrée par un homme d'une grande valeur, M. l'abbé Sublon, le futur vicaire général de Saint-Dié. Il honorait la famille Durain d'une estime spéciale et la voyait volontiers. Les leçons de ce pasteur qui a laissé dans le diocèse le souvenir de la foi la plus éclairée et la plus vive, comme aussi la saine atmosphère d'une famille religieuse et laborieuse, firent au jeune Victor un tempérament moral fortement trempé et disposèrent toutes les ouvertures de son âme vers les influences franchement surnaturelles.

    Ces ressources lui furent nécessaires de bonne heure ; à huit ans il perdait son père et, en 1850 sa première communion faite, il prenait le chemin de Natzvillers, dans le canton de Schirmeck, où son frère était curé depuis deux ans et où, sous la direction de ce ferme Mentor, il allait commencer ses classe de latinité.

    L'étudiant. – Les trois dernières années qu'il passa sous le toit du presbytère fraternel furent trois année de sérieuse discipline et de labour intensif qui contribuèrent, pour leur bonne part, à développer son énergie de volonté et sa ténacité au travail.

    Au mois d'Octobre 1862, Victor Durain entrait en troisième au séminaire d'Autrey. Il y aurait pu venir un an plus tôt, car dès 1861, il avait satisfait à l'examen préparatoire ; mais eu égard à son jeune âge et à l'exiguïté de sa taille, on avait jugé bon de lui accorder un délai d'un an. Le jeune séminariste fut bien accepté de sa classe et vite aimé de ses professeurs pour son esprit et sa diligence. Dès le premier jour, il se révéla comme un élève très discipliné: son travail, sa régularité, son maintient, tout prouvait l'excellante formation qu'il avait reçue au presbytère de Natzvillers.

    En ce temps-là déjà, il s'oubliait volontiers pour se faire tout à tous, s'empressant à la prière d'un condisciple, d'abandonner une occupation ou d'interrompre une récréation pour rendre un service ou simplement pour ne pas formuler un refus. Un ancien séminariste rentré dans le monde s'en est exprimé ainsi:

    C'est par sa bonne simplicité et sa grande amabilité que l'abbé Durain avait conquis notre estime et notre sympathie. Je le savais bucheur, aimant à consacrer ses récréations à quelque étude ou à quelque lecture. Que de fois, malgré cela, je suis allé l'interrompre, lui demandant de se joindre à moi pour faire un petit tout de promenade dans le jardin ou dans le bosquet. – "Bien volontiers", me répondait-il invariablement, et immédiatement il fermait livres et cahiers.

    C'était déjà l'homme que l'on pourra, jusqu'à la fin, déranger impunément sans surprendre sur sa figure autre chose qu'un bon sourire et sans se douter qu'on lui était peut-être importun.

    Arrivé au grand séminaire, il donne peu à peu à sa vie intérieure cette organisation sérieuse, pratique et en même temps très personnelle dont il ne se départira plus et qui sera la plus grande ressource et le secret de sa vitalité spirituelle et de sa fécondité apostolique. A mesure que les ordinations successives lui font gravir les pentes de la montagne sacerdotale, il embrasse d'un regard plus net et plus étendu les obligations de l'état ecclésiastique. Ame loyale et généreuse, il n'en veut ignorer aucune et c'est afin de les mieux connaître pour s'en mieux acquitter que, prenant la plume, il va commencer ces travaux d'ordre intime qu'il ne discontinuera plus, qu'il relira souvent, qu'il complétera et annotera une impulsion si constamment surnaturelle.

    Le 22 Mai 1869, l'abbé Durain s'était définitivement engagé au service des autels en recevant l'ordre du sous-diaconat. Bientôt les événement se précipitèrent. La guerre franco-allemande, qui venait d'être déclarée, avait rompu le Concile du Vatican et les Pères avaient repris le chemin de leurs diocèses respectifs. Rentré à St-Dié, Monseigneur Caverot fit, le 31 Juillet, l'ordination remise de la trinité. L'abbé Durain y prit part pour recevoir l'Esprit de force et se relever diacre.

    Quelques jours après, à l'occasion de la Fête de l'invention du corps de St-Etienne, il donnait son premier sermon dans la petite chapelle de Raves et il aimait à répéter que, de la chaire où il prêchait, il voyait passer sur la route voisine le lamentable défilé des émigrants alsaciens suivis de leurs mobiliers entassés à la hâte, un exode et une panique qui apprenaient à la France sa première défaite et le début de ses humiliations.

    Le vicaire. – A la date du 5 Décembre 1870, M. Micard, supérieur du grand séminaire de St-Dié, écrivait à l'abbé Durain, alors en vacances à Natzvillers, pour lui annoncer que Monseigneur Caverot était disposé à l'élever au sacerdoce le 17, Samedi des quatre-temps de Noël. Il l'invitait en conséquence à se rendre au séminaire dès le 12, pour y entrer immédiatement en retraite. L'ordination eut lieu dans la chapelle de l'évêché.

    Ceux qui profitèrent de ses toutes premières bénédictions furent les blessés français et allemands qui, au lendemain de la bataille de Nompatelize, avaient été transportés dans les salles du grand séminaire, converties en ambulance.

    Du lit des blessés, le nouveau prêtre devait passer au chevet d'un convalescent. Dès le même jour, en effet, l'abbé Durain était envoyé à Uzemain dont le curé, M. Parmentier, avait, quelques semaines auparavant, contracté la petite vérole, ce qui l'avait contraint à faire à l'Evêché la demande d'un prêtre auxiliaire.

    Le nouveau vicaire passa le reste de l'hiver à Uzemain où il séjourna jusqu'après les pâques. Durant ces quelques mois, il trouva le temps, sans rien atténuer de son dévouement pour la personne de son curé, ni de son zèle pour le ministre des catéchismes et pour celui des malades, particulièrement pénible cette année-là, de se constituer le professeur de jeunes séminaristes de Châtel auxquels la guerre faisait des loisirs trop prolongés.

    Le dernier jour d'Avril 1871, l'abbé Durain recevait au presbytère de Natzvillers, où il prenait un peu de repos, une lettre de M. Marchal, vicaire général. Elle lui apprenait que son vicariat était terminé à Uzemain et qu'il allait le continuer à Cornimont.

    Cette paroisse, était, depuis quarante-trois ans, administrée par un vénérable septuagénaire, M. martin, "qui est resté dans la mémoire des paroissiens qui l'ont connu le type d'homme de Dieu" et qui au bout de six mois fut emporté par une mort très rapide. Le successeur, M. l'abbé marc, arriva quelques semaines plus tard et l'abbé Durain, tout en restant fidèle à l'abbé Martin et en conservant l'impulsion par lui donnée, sut savoir et garder avec le nouveau curé des rapports empreints d'une respectueuse affection, parce qu'au dévouement qu'il dépensa sans compter, il ajouta la constante préoccupation de l'effacement.

    C'est dans une vie minutieusement réglée et franchement studieuse que, durant son vicariat, il trouva l'incomparable garantie de sa vertu sacerdotale. Il a laissé un monument de son travail intellectuel à Cornimont dans une petite Vie manuscrite de Sainte-Claire (36 pages), dans une Histoire de N.-S.-J.-C. d'après les quatre Evangiles, une Etude des Actes des Apôtres et un Commentaire des Epîtres de St-Paul, formant ensemble une brochure de 146 pages, et enfin dans deux travaux de spiritualité, intitulés, l'un : Monumenta charitatis D. N. J.-C. ; l'autre : Le Bois, le Feu, le Sacrifice.

    Le curé. – Le 8 Juin 1877, l'abbé Durain nommé curé de Frenelle, dans le doyenné de Mirecourt, prenait possession de sa paroisse. Il ne devait y rester que dix mois, un passage trop court pour qu'il ait pu y laisser des traces marquantes.

    Monsieur Fiel ayant pris sa retraite, l'administration diocésaine jeta les yeux sur le jeune curé à peine installé et le 7 Avril il recevait sa commission pour Thaon. Le surlendemain, il entrait dans sa nouvelle paroisse, précédé de sa réputation de prêtre affable et zélé, suivi de son pauvre mobilier et accueilli par la population "comme un ange de Dieu, comme le Christ-Jésus", selon qu'il le déclare lui-même dans son discours d'installation.

    L'activité et l'initiative furent constamment, chez le curé de Thaon, à la hauteur des circonstances ; elles atteignirent un tel degré que plusieurs, pour traduire leur étonnement, allèrent jusqu'à prononcer le mot énigme.

    L'énigme n'est pas indéchiffrable.

    Si l'abbé Durain fut un prêtre actif et initiateur, il le dut peut-être à l'heureuse disposition de son tempérament et aux conséquences ataviques, mais sûrement et surtout à son esprit profondément sacerdotal, et d'ailleurs son activité et son initiative s'exercent toujours sur le terrain franchement surnaturel. Il n'est aucune des industries auxquelles il eut recours, aucun des moyens d'action qu'il employa qui ne fût marqué au coin du plus pur zèle.

    Il ne se reconnut la mission de condamner ni école, ni méthode, ni personne ; loin de là, il crut meilleur d'encourager toutes les bonnes volontés et les tentatives ; mais pour lui il ne voulut jamais ni être d'une autre école que celle qui travaille à la sainteté du peuple du prêtre, ni essayer une autre méthode que celle qui s'inspire du mot du divin Maître: "Sans moi votre action est condamné à l'impuissance".

    Il fut tout aussi éloigné de l'Eglise modernisante que de l'Eglise Dormante: il appartient à l'Eglise sans épithète. Il alla au peuple par des voies qui toutes partent du sanctuaire et y ramènent. Toujours à la recherche des meilleures industries d'apostolat, il ne tardait guère, après les avoir reconnues, à la lumière de l'oraison, en les ramenant toutefois à des proportions que souvent ses ressources faisaient plus modestes. Ces industries, il demandait à ses lectures et à ses voyages de les lui faire connaître.

    Son action pastorale s'exerça le plus ordinairement et le plus constamment par la prière, prière personnelle et prière paroissiale, et c'est à elle qu'à toute autre cause qu'il faut attribuer ses succès, parce que c'est d'elle surtout qu'il les attendait. Il n'est pas une seule de ses entreprises et de ses œuvres qu'il n'ait recommandée instamment aux prières de sa paroisse et qu'il n'ait même mûrie et enfantée dans l'oraison : Premières communions, œuvres, pèlerinages, missions, tout cela fut, plusieurs semaines et quelquefois plusieurs mois à l'avance, préparé, fécondé par la prière publique et commune du pasteur et des fidèles.

    L'abbé Durain fut de ceux qui, de bonne heure, comprirent la nécessité "d'aller au peuple", pour me servir d'une formule consacrée par Léon 13, et de prendre avec ce peuple un étroit et perpétuel contact. Dans ce but, il fit deux fois la visite officielle et régulière de toute sa paroisse ; mais voyant qu'il avait affaire à une population en partie flottante à laquelle venaient sans cesse s'adjoindre d'autres éléments, il finit par ne plus la discontinuer, profitant, pour pénétrer au foyer de ses paroissiens de toutes les occasions qui lui pouvaient donner entrée. En se retirant d'auprès de lui, on ne lui délivraient pas un brevet de causeur brillant, mais ce qui est mieux, les chrétiens, les chrétiens le proclamaient prêtre aimable et surnaturel ; les autres disaient: " C'est un brave homme et pas fier".

    Le chanoine honoraire. – Sans qu'il ait besoin de faire du bruit, le bien ne peut longtemps rester inaperçu ; de quelque modestie qu'il s'entoure, il a toujours un moment où il force l'admiration du public et où il attire l'attention de ceux qui ont reçu mission de l'apprécier. Depuis quelques années, les confrères de l'abbé Durain désiraient pour lui une distinction et il était réservé à Monseigneur Foucault de satisfaire les vœux du clergé et d'user, en faveur du curé de Thaon qu'il avait vite et bien jugé, d'une des meilleures prérogatives du pouvoir, celle d'honorer le mérite. Dans son courrier du 23 Décembre 1899, l'abbé Durain trouvait la lettre suivante:

    Evêché de Saint-Dié, le 21 Décembre 1899,
    Cher Monsieur le Curé, Au moment où le Saint-Père va ouvrir la porte du Jubilé, un évêque est heureux de pouvoir ouvrir aussi le modeste trésor des faveurs dont il dispose. J'ai donc la joie de vous annoncer que je présenterai et que je signerai, au Conseil de samedi matin, votre nomination de chanoine honoraire. Vous en recevrez le brevet par un des courriers de Dimanche. Ayez l'obligeance d'en garder le secret jusque-là.

    En vous honorant de cette distinction, je veux, cher Monsieur le curé, récompenser le dévouement si actif, si sage et si modeste avec lequel vous vous dépensez pour nos grandes œuvres chrétiennes, surtout l'évangélisation de la classe ouvrière et de développement de nos écoles.

    Je ne serai pas moins heureux de vous donner ainsi une preuve de ma particulière estime et de mes affectueux sentiments.

    U Alphonse-Gabriel, Evêque de Saint-Dié.
    Cette nomination fut saluée des applaudissements unanimes du diocèse. Etant donné les termes extrêmement flatteurs et délicats dans lesquels elle lui parvint, les félicitations et témoignages de sympathie qu'elle lui apporta par centaines, le curé de Thaon ne pouvait qu'être sensible à cette distinction et il le fut, à la façon des gens modestes, c'est-à-dire simplement et sans l'ombre de fausse humilité.

    La Mort. – Le chanoine Durain auquel le trépas ne pouvait réserver de surprise devait, comme le soldat qui tombe face à l'ennemi, au fort de la bataille, avoir l'honneur de mourir en pleine activité et de son activité elle-même.

    Depuis quelques années, mais surtout depuis 1899, la physionomie de l'abbé Durain avait sensiblement vieilli, à ce point qu'on a peine à reconnaître, dans sa photographie de 1901, le personnage du cliché de 1890. Il avait suffi de onze ans pour opérer cette transformation. Mais dans ces onze ans, que de travaux, de préoccupations et mêmes de secrètes souffrances.

    Le 20 Juillet 1900, il ressentit la première atteinte du mal qui devait si rapidement l'emporter, avertissement trop discret et trop passager pour qu'il pût lui porter beaucoup d'attention. Une autre fois, le Dimanche 2 Février 1902, il fut pris, avant la grand'messe d'une violente crise de foie provoquant d'abondants vomissements de bile qui le reprirent encore quelques semaines plus tard au confessionnal et pendant qu'il distribuait la Sainte-Communion.

    Le 16 Juin de la même année, le curé de Thaon revenait d'Igney vers 6 heures du soir, accompagné d'un de ses vicaires et, comme il en avait l'habitude, disant ses vêpres et ses complies. A mi-chemin, chose singulière pour un homme qui allait toujours bonne allure, il dit à son vicaire: 2Monsieur l'abbé, vous avez de bonnes jambes, précédez-moi".

    Mais laissons ici la parole à Sœur Adelphe, supérieure de la Communauté et Directrice de l'école libre de Thaon:

    A six heures vingt, comme nous commencions notre chapelet, j'entends ouvrir brusquement la porte de la rue et j'aperçois notre bon curé la figure toute décomposée, qui vint s'asseoir sur un banc de la cour, en face de la fenêtre du réfectoire. A ce moment, ma sœur Théophane, qui était à la cuisine ce jour-là, descendait dans la cour. Elle s'approche de lui et l'engage à entrer ; mais, le voyant si malade, elle le prend par le bras pour l'aider à monter chez nous.

    J'arrive au moment où il franchissait le seuil de la porte d'entrée et lui dis: "Mais, vous êtes malade, monsieur le Curé, montez au parloir, et je vous donnerai ce qu'il vous faut. – je ne puis plus monter, me dit-il d'une voix toute sépulcrale", et au même instant, il ouvre, au rez-de-chaussée, la porte de la sixième classe et s'assied sur le banc le plus rapproché ; puis commencent les vomissements de glaires.

    "Envoyez chercher le médecin, me dit-il, j'ai vu sa voiture dans la Rue d'Igney... Qu'il se hâte, j'ai une congestion pulmonaire". Déjà la sueur de la mort ruisselait sur son pauvre front. Je lui fis descendre un matelas. – Ouvrez la fenêtre... j'ai une congestion, je le sens, je n'irai pas mieux... Faites appeler un sœur des malades pour qu'elle vienne me vantouser". Il essaye de se coucher, puis il se relève brusquement disant: "J'ai froid!..." Je ferme la fenêtre. Il se recouche et ferme les yeux.

    Pendant ce temps, dix ou quinze minutes environ, nos sœurs couraient dans toutes les directions. Enfin, arrivent le Docteur Galmard et ma sœur Sébastienne, supérieure des religieuses gardes-malades. Monsieur le Curé articule encore quelques mots inintelligibles, puis M. l'abbé Bogard lui donne la Sainte Absolution et lui administre l'Extrême-Onction".

    M. le docteur Galmard et sœur Sébastienne essayent avec beaucoup de dévouement, par l'application de révulsifs, de conjurer ou tout au moins d'enrayer le mal. Sa rapidité rend leurs soins inutiles: des poumons, la congestion atteignait le cerveau. C'est alors que sœur Sébastienne demande au mourant de faire le sacrifice de sa vie et d'offrir ce sacrifice pour sa paroisse. A ces mots, ouvrant les yeux, fixe sur tous les témoins ce cette scène douloureuse, des regards si pleins d'angoisse, qu'ils les traduisent comme une supplication et un suprême appel à leurs prières. Il s'efforce encore de répéter, sans pouvoir y parvenir, l'invocation qu'on lui suggère: "Mon Jésus, miséricorde!"

    Il expérimentait, en ce moment redoutable, ce qu'il avait dit du haut de la chaire de Corcieux, le 18 Mai 1900, aux obsèques de son ami l'abbé Brabis: "En face de la mort et au moment de remplir la dernière fonction de son sacerdoce, le Prêtre, aussi bien et plus que le simple fidèle, est saisi d'angoisse et il redit comme au pied de l'autel: Quare tristis es anima mea? Pourquoi, ô mon âme es-tu triste et si troublée?"

    Quelques instants après la dernière onction, l'abbé Durain rendit sa belle âme à Dieu. Il était environ sept heures.
     
     

    Les funérailles. – Elles furent ce qu'elles devaient être, le triomphe, le triomphe qui couronne, dès ici bas, ceux qui se sont prodigués dans la mesure où ils se sont méconnus, car Dieu veut que la gloire humaine soit la première à prendre la garde auprès de la couche funèbre des humbles.

    Dès le Mardi matin, on ne voyait plus que des vêtements de deuil dans les rues, le défilé devant le corps fut ininterrompu.

    Quelle manifestation imposante que celle qui se déroula dans une recueillement et un ordre parfaits, le Jeudi 19 Juin, dans les principales rues de Thaon et dont la dépouille mortelle du chanoine Durain était le centre! Devant lui, les enfants des écoles communales et de l'école chrétienne, dont pas un ne pourra entrer à l'église, les Congréganistes en blanc, les Dames du Rosaire, les jeunes gens du patronage Saint-Joseph, puis cent vingt-huit prêtres dont une quinzaine en surplis ; les dignitaires: MM. les archiprêtres d'Epinal et de Neufchâteau, M. le supérieure du grand Séminaire qui fera l'offrande, M. le Supérieur du Petit Séminaire de Châtel qui chantera la messe et présidera la conduite au cimetière, assisté de MM. les Curés du Ménil et de Grignoncourt, anciens vicaires de Thaon, M. le Curé-Doyen de Châtel qui a fait la levée du corps et qui sonnera l'oraison funèbre.

    Les coins du poële étaient tenus par MM. Lederlin, maire, et Cuny, adjoint, M. le commandant Hoffmann et M. Willig, industriel, MM. Constant Perrin et Félicien Poirot. Derrière le deuil, conduit par M. le curé de Chavelot, son frère, M. le curé de Celles, son parent, M. l'abbé Winterer, son élève et son légataire universelle, MM. les vicaires actuels et anciens de la paroisse et par les ecclésiastiques de Thaon, venaient le Conseil de fabrique et le Conseil municipal au grand complet, puis une foule compacte d'un millier d'hommes. Ceux qui n'avaient pu prendre place dans le cortège faisaient la haie sur le parcours. Ce fut ce jour-là encore qu'on regretta l'exiguïté de l'église où un tiers à peine de l'assistance put entrer.

    Du portail au chœur, elle était tendue de noir. Le catafalque était recouvert des tentures blanches qui avaient servi aux obsèques de M. l'abbé Brenier, archiprêtre d'Epinal et que son successeur avait mises à la disposition de la Fabrique de Thaon.

    Vingt-sept fois, la Saint-Sacrifice de la Messe fut offerte, soit avant, soit pendant la cérémonie, pour ce prêtre qui marchandait si peu son temps et ses peines, quand il s'agissait de porter sa messe aux funérailles d'un confrère même éloigné, un devoir de charité qu'il a si souvent et si pieusement accompli.

    Avant l'absoute, M. le chanoine Grandvallet monta en chaire pour prononcer l'éloge funèbre. Son langage ému et élevé n'eut pas de peine à mettre en lumière la bonté, l'affabilité, le zèle et l'ardente charité du défunt, et il sut, évitant l'écueil, ici dangereux, de la prolixité, faire valoir, en termes dont la concision accentuait la vigueur, les œuvres magnifiques et prospères de l'actif curé.

    Lorsqu'au cimetière la fonction liturgique est accomplie, deux discours d'un souffle chrétien et d'une rédaction fort délicate sont prononcés par M. Lederlin, Maire de Thaon et par M. Cuny, adjoint catholique. Lisant avec émotion celui qu'il a entre les mains, le premier proclame qu'avec l'abbé Durain "s'évanouit la plus haute physionomie de la cité Thaonnaise et qu'il a pour tombeau le cœur de tous ceux qui ont eu le bonheur de l'approcher." Le second, donnant le sien avec feu, relève, en fort bons termes, l'activité et l'énergie du zèle pasteur. L'un et l'autre enfin souhaitent à son âme "repos dans le Seigneur... paix et joie dans l'éternité.

    Un monument a été érigé au cimetière, par souscription publique, et inauguré le jour anniversaire de sa mort: Un tombeau en granit des Vosges, avec piédestal supportant une statue de la Ste-Vierge, selon le désir expresse du défaut.

    Les chapitres qui suivent contiennent l'énumération des œuvres pastorales, dues pour un certain nombre au zèle et à l'initiative du chanoine Durain ; elles parleront suffisamment d'elles-mêmes et achèveront de dépeindre au lecteur cette belle figure sacerdotale.

    4.2.3. Confréries

    Confrérie du Saint-Sacrement. – Apôtre de l'Eucharistie, l'abbé Durain jouissait visiblement de tout ce qui en accentuait le culte et la dévotion. Dès 1890, il se préoccupe de relever l'ancienne Confrérie du Saint-Sacrement érigée, comme nous l'avons déjà vu, en 1732, et depuis longtemps tombée dans l'oubli. Avant d'en demander à l'autorité épiscopale une nouvelle érection canonique, il en veut mettre les statuts à l'épreuve.

    Ayant recruté des adhérentes, il les organise en six sections d'adoratrices, répondant aux six jours ouvriers de la semaine. L'adoration se fait de 8 heures du matin à 6 heures du soir et chaque associé doit passer une demi-heure devant le Saint-Sacrement.

    La confrérie fut agrégée en 1892 à l'Archiconfrérie de Sainte-Marie-la-Mineure à Rome.

    Congrégation de la Sainte-Vierge. Cette association de jeunes filles existait déjà sous l'administration de M. Fiel, mais le règlement jusqu'alors en vigueur ayant paru trop large à l'abbé Durain, celui-ci en composa un autre "plus approprié au but" de l'institution (1876). L'interdiction absolue du bal au congréganistes. La fréquentation des sacrements, l'assistance régulière aux offices et en particulier à celui de la Sainte-Vierge, chaque Dimanche à 1 heure du soir, telles furent les prescriptions des principaux articles du nouveau règlement.

    Les congréganistes font leur fête patronale le Dimanche de l'Immaculée-Conception ; après les vêpres solennelles de ce jour, la statue de la Vierge est portée processionnellement chez l'une des associées dont le nombre varie de 120 à 125.

    Confrérie de Saint-Joseph. – Erigée, comme nous l'avons déjà vu, le 11 Février 1668, cette confrérie n'a pas de règlement spécial et son but est d'exciter les vertus de leur patron. Le nombre des sociétaires se monte à 80, et le jour de la fête de la confrérie la statue du saint est encore conduite en procession chez l'un d'eux.

    Confrérie de Saint-Nicolas. – elle est pour les 50 jeunes gens qui en font partie ce qu'est la Confrérie de St-Joseph pour les hommes mariés. Même cérémonie et même usage pour la statut du saint. A diverses reprises, mais sans grand succès, l'abbé Durain, essaya d'imprimer un élan à ces deux anciennes Confréries ; son intervention eut du moins le résultat de les empêcher de disparaître.

    Confrérie du Rosaire et des mères chrétiennes. – La Confrérie du Rosaire fut organisée par l'abbé Durain, le 1er juin 1879, et compte aujourd'hui 650 membres. Son successeur décida qu'à partir du 11 Mars 1903 les femmes mariées de Thaon, inscrites sur les registres de l'association, seraient agrégées à l'Archiconfrérie des Mères chrétiennes fondée à Paris, le 1er Mai 1850 par M. Ratisbonne, dans la chapelle des religieuses de N.-D.-de-Sion.

    La fête annuelle se célèbre le jour du Rosaire et de plus il y a une réunion mensuelle pour les Mères chrétiennes.

    Confrérie des Morts. – L'une des dernières pensées de l'abbé Durain fut pour les morts : le 20 Février 1899, il établissait une confrérie destinée à leur procurer des prières et des messes, Confrérie à laquelle ses paroissiens firent le meilleur accueil.

    Les revenus se composent: 1º des cotisations annuelles de 0.50 fr. ; 2º de l'offrande des défauts recommandés à perpétuité (10 fr.) ; 3º du produit des quêtes qui ont lieu pendant l'Octave des Morts ; 4º de l'offrande de 2 fr. faite par des non-associés pour qui on demande la bannière des Morts afin de rehausser leurs funérailles.

    Chaque confrérie a droit, en dehors des prières des associés, à un service simple l'un des jours de la semaine qui suit immédiatement son décès.

    4.2.4. Oeuvres de Piété

    Association des Familles chrétiennes. – Un certain nombre de familles Thaonnaises, sous le patronage de la Sainte-Famille de Nazareth, s'engagent à vivre chrétiennement et spécialement à dire la prière du soir en famille.

    Ce fut l'abbé Durain qui, 1892, clôtura les exercices du mois de marie par l'établissement de cette pieuse Association.

    Tiers-Ordre. – C'est encore l'abbé Durain qui, en 1882, fait imposer l'habit du Tiers-Ordre par un des disciples de St-François à cinq frères et à dix-sept sœurs qui dans ses prévisions seront le noyau d'une fraternité dont il disposera pour les œuvres à venir. L'œuvre n'eut pas le développement que le bon curé espérait : elle ne compte aujourd'hui que 15 associés.

    Archiconfrérie du Saint-Coeur de Marie. – Nous avons déjà eu l'occasion d'en parler ; ajoutons seulement que chaque Dimanche, aux vêpres, on récite les prières prescrites et que la fête se célèbre le quatrième Dimanche après l'Epiphanie.

    Apostolat de la prière. – Etabli avec ses trois degrés, en 1876.

    Adoration nocturne. – Ce fut au mois d'Octobre 1890, pour la fête du Saint-Rosaire, que l'abbé Durain inaugura l'adoration nocturne à laquelle d'abord furent seuls invités les hommes et les jeunes gens. Cette adoration qui commence à huit heures du soir par l'Exposition du Saint-Sacrement, est présidée par les prêtres de la paroisse qui se relaient à tour de rôle et qui tiennent en éveil l'attention et la piété des adorateurs par des chants et des prières à haute voix.

    Encouragé par l'empressement des fidèles, l'abbé Durain demanda à Mgr Sonnois, l'autorisation de la répéter trois fois encore dans l'année. Par lettre du 13 Janvier 1891, Sa grandeur après avoir décerné force éloges et encouragements au pieux et zélé curé de Thaon qu'il avait en particulière estime, lui fit répondre qu'il y aurait des inconvénients à multiplier ces adorations nocturnes, mais qu'elle lui accordait la nuit du Jeudi-Saint au Vendredi-Saint et celle du Samedi au Dimanche du Rosaire.

    Ces faveurs furent renouvelées et officiellement approuvées par Bref épiscopal en date du 19 Août 1892.

    Messe du Départ des conscrits. – L'initiative et le zèle pieux de l'abbé Durain toujours en quête pour ses ouailles de moyens de sanctification, lui font inaugurer le 11 Novembre 1888, la Messe du Départ des jeunes gens appelés sous les drapeaux, cérémonie qui les ramène tous chaque année au tribunal de la pénitence et à la Sainte-Table.

    La dernière eut lieu le 9 Novembre 1903. Dans l'église, décorée de faisceaux tricolores, parmi lesquels on remarquait plusieurs drapeaux des classes précédentes, les conscrits étaient entourés de leurs familles, des vétérans et d'une foule très serrée.

    Monsieur le curé les a exhortés, pour être sûrs de la fidélité à leur rôle de sacrifice et de dévouement à la France et au drapeau, à rester fidèles au Dieu de leur enfance, et après la cérémonie il s'est rendu avec eux au cimetière où il a récité un De Profundis sur le monument des soldats Thaonnais. Deux discours, prononcés par un conscrit, M. Frayard, et par M. Perney, vétéran et conseiller municipal, ont été écoutés respectivement et silencieusement malgré une pluie battante.

    Le jeudi suivant, veille du départ, les conscrits se retrouvaient encore une fois groupé au pied de l'autel afin d'assister au service solennel qu'ils avaient eu la pieuse et délicate pensée de faire célébrer pour le prêtre regretté qui les avait préparés à la première communion et qui, pour la première fois, manquait à la messe de départ (Thaon Catholique, No. Du 10 Décembre 1900, f. 9)

    Pèlerinages de Einsiedeln. – L'abbé Durain a été, dans le diocèse, nous pourrions dire dans la province, le restaurateur ou plutôt l'initiateur des pèlerinages régionaux à Einsiedeln.

    Homme de foi, persuadé qu'un bon et pieux pèlerinage spirituel aide encore à faire le grand pèlerinage spirituel, celui qui consiste à sortir de soi-même pour aller à Jésus-Christ, il voulut, en les amenant aux pieds de Marie, que ses paroissiens s'apprissent à vaincre les honteux sentiments qui immobilise et enchaîne tant d'âmes, le respect humain. Le pèlerinage Thaonnais à Einsiedeln est donc né du désir très circonscrit qu'a eu l'abbé Durain de fournir à ses paroissiens, et à ses paroissiens d'abord et seulement, le moyen de satisfaire leur dévotion envers Notre-Dame-des-ermites, et l'occasion de professer publiquement leur foi ; il savait qu'ils en reviendraient plus attentifs à leur salut, plus attachés à leur pasteur, plus disposés à seconder son apostolat.

    C'est le 7 Septembre 1835 que partit le premier pèlerinage comptant quatre-vingts participants, presque tous Thaonnais, pour arriver à Einsiedeln le lendemain dans la matinée. Deux ans plus tard, le public ayant eu connaissance qu'un second pèlerinage se préparait, les demandes affluèrent des paroisses voisines. Autant pour leur donner satisfaction que pour, à la faveur du nombre, obtenir des compagnies les plus grandes réductions possibles, le nouveau directeur consentit à élargir les rangs de son pacifique bataillon, et c'est ainsi que de paroissial, son pèlerinage devint régional et franchit même bientôt les frontière de notre diocèse.

    A partir de 1891, pour satisfaire la dévotion populaire grandissante et peut-être aussi, quoique très secondaire, l'expansion du tourisme, le pèlerinage dut partir tous les ans ; c'était le 18e qui avait lieu, le 24 Août 1903, sous la direction du nouveau curé de Thaon, M. le Chanoine Barotte.

    Retraites sacerdotales. – En 1889, l'abbé Durain prête son concours efficace et précieux à une œuvre dont un grand nombre de prêtres de notre diocèse devaient être les bénéficiaires. Le R. P. Baudot venait d'inaugurer son ministère des "Retraites sacerdotales trimestrielles". Plusieurs centre de réunion avaient été créés avec le concours de prêtres dévoués à la nouvelle œuvre.

    Après le séminaire de Châtel qui, deux fois, le 17 Novembre 1888 et le 22 Janvier 1889, avait ouvert ses portes aux retraitants, Thaon devint l'un de ces centres, dès le 6 Mai 1889 et il ne cessa plus de l'être jusqu'à la fin, c'est-à-dire jusqu'au 13 Février 1901.

    Pour être complet , ajoutons que le successeur de M. Durain vient de réorganiser ces pieuses récollections, fixant à ses confrères du voisinage le Lundi 23 Novembre 1903, comme jour arrêté avec le prédicateur.

    4.2.5. Oeuvres de charité

    Ouvroir-des-Dames-de-Charité. – Profitant du concours d'excellentes paroissiennes, de conditions très modestes pour la plupart, l'abbé Durain dondait, le 25 Décembre 1885, l' Ouvroir-des-Dames-de-Charité, mettant cette oeuvre sous le patronage de Sainte-Elisabeth, demandant aux personnes associées de visiter les indigents et les malades et de leur porter à domicile des secours pour leurs besoins spirituels et temporels.

    Dans ce but, vingt dames et jeunes filles se réunissent le Mercredi de une heure à quatre heures et travaillent pour les pauvres.

    Les ressources pour l'année 1903 se sont élevées à 583 fr., dont 185 fr. provenant des cotisations annuelles et 398 fr. des quêtes mensuelles faites à l'église. Le tout a été dépensé en achat d'étoffes, de linge et de chaussures.

    Le tronc de St-Antoine est aussi une source des revenus charitables. Trois parts en sont faites ; l'une est gardée par les religieuses pour les besoins urgents des malades pauvres ; la seconde entre dans la caisse de la Conférence de St-Vincent de Paul, la troisième reste à la disposition de M. le Curé pour ses œuvres paroissiales.

    Conférence de St-Vincent de Paul. – Jusqu'en 1885, l'abbé Durain eut une place à la Commission du Bureau de Bienfaisance, alimenté en partie par les libéralités d'un de ses prédécesseurs. A cette date, cette place ne lui fut point renouvelée.

    Ecarté de l'administration de la charité municipale, le dévoué curé se promit alors d'avoir son Bureau de Bienfaisance. Telle fut l'occasion originelle de la Conférence de St-Vincent de Paul.

    Il a lui même résumé l'histoire peu compliquée de cette œuvre dans un de ces comptes-rendus si intéressants qu'il faisait chaque année au salut solennel du 19 Juillet, celui de 1891:

    Le 15 novembre 1885, donc à l'entrée de l'hiver, avait lieu la première réunion dans une des salles du presbytère. Elle comptait six membres, fable semence qui allait croître et fructifier sous l'action de la grâce. (Il faut rendre justice aux catholiques de Thaon, je n'ai jamais proposé en vain une bonne œuvre de générosité.)

    Jusqu'aujourd'hui de nouveaux membres sont venus s'adjoindre aux anciens, et déjà, depuis plusieurs années, les chambres du presbytère seraient trop petites pour les contenir. Il a fallu la salle de l'ouvroir pour recevoir les vingt-cinq membres actifs, Nous comptons de plus huit membres honoraires qui, moyennant un franc par an, sont devenus les coopérateurs de cette œuvre excellente.

    Les membres aspirants sont au nombre de douze, jeunes gens de douze à seize ans, appartenant tous au patronage St-Joseph, qui forment notre pépinière pour l'avenir et qui, trop jeunes pour se livrer seuls à la visite des famille indigentes, ne le sont point pour s'habituer à l'exercice de la charité.

    Le total des recettes depuis le 15 Novembre 1885 jusqu'aujourd'hui, en cinq ans et demi, s'élève déjà à 1.821 fr. Je ne dirai pas toutes les familles pauvres que la conférence a secourues ; leur nombre s'élève de vingt-cinq à trente. Il y aurait bien des détails touchants que nous lirons mieux écrits dans le livre du Ciel, d'autant plus touchants que la position des bienfaiteurs est moins élevée et se rapproche davantage de ceux qu'on secourt.

    Le dernier compte-rendu qu'ait rédigé la plume de l'abbé Durain (1901), résume ainsi les travaux de la Conférence pendant l'année:

    Elle a eu cinquante-deux séances, à chacune desquelles assistaient quinze membres de ces familles les secours étaient pour des vieillards si nécessiteux qu'à trois d'entre eux il a fallu payer le lavage et le raccommodage de leur linge, et à un, le logement. La seconde moitié des dépenses est consacrée à soulager les familles ayant pour la plupart au moins une demi-douzaine d'enfants. Il a été distribué 3.930 livres de pain, 720 bons de bouillon, 11 paniers de pommes de terre et 415 fagots.

    Cette Œuvre si charitable est toujours des plus prospères: On peut en juger par son budget de 1902-03 dont le compte-rendu est publié par Thaon catholique, no. Du 10 Août 1903.
     
     

    Recettes

    Tronc de St-Antoine .........................................................................................

    Fr. 350,30

    Quêtes aux réunions hebdomadaires.................................................................

    230,45

    Quete aux prières du soir..................................................................................

    73,95

    Cotisations des membres honoraires................................................................

    18,00

    Dons divers......................................................................................................

    3,75

    Reliquat de 1901..............................................................................................

    34,05

    Total ..............................................................................................................

    710,50

    144 livres de pain données à la Conférence par les boulangers, ne sont pas comprises dans le total des recettes.
     

    Dépenses

    Pains, 1866 livres .............................................................................................

    243,40

    Bouillon, 200 litres ...........................................................................................

    35,20

    Viande et saindoux ............................................................................................

    28,00

    Fagots distribués, 420 .......................................................................................

    180,00

    Fagots achetés, 800 ...........................................................................................

    156,60

    Pommes de terre ...............................................................................................

    5,30

    Lavage du linge de deux vieillards ...................................................................

    67,90

    Achat d'un lit en fer et divers ...........................................................................

    23,20

    250 litres de lait ...............................................................................................

    52,60

    Logement d'un vieillard ....................................................................................

    72,00

    Total ..............................................................................................................

    864,20

    Les membre de la Conférence sont aujourd'hui au nombre de 31, dont 21 membres actifs et 10 honoraires.

    Maison du Saint-Saveur ou sœurs Gardes-malades. – Le 20 Juillet 1892 est , lui aussi, une date mémorable dans l'histoire des œuvres paroissiales de Thaon. Ce jour-là, devant de récentes fondations à peine sorties de terre, se répétait une cérémonie qui prenait une place dan le coutumier Thaonnais, la bénédiction d'une première pierre. Dans la cavité ménagée par le ciseau de l'ouvrier, on déposa un parchemin dont voici quelques lignes:

    Au nom de la Très Sainte Trinité, pour glorifier Jésus notre divin Rédempteur, pour loger des Religieuses qui, sous le vocable du Très-Saint-Sauveur, répondant aux appels de secours des malades de Thaon, comme Lui-même répondit aux supplications su Centurion en faveur de son serviteur paralytique : J'irai et je guérirai ; - Pour toucher les âmes par les soins donnés au corps avec la foi et le dévouement qu'inspire la religion ;... Cette maison a été construite aux frais de M. Marie-Constant Perrin, aussi excellent ami des ouvriers que précieux appui des œuvres paroissiales, de Madame Maria Lesnes, sa pieuse épouse, inséparable de ses deux sœurs Félicie, présidente des dames de la Charité, et Virginie, ange tutélaire des jeunes Congréganistes et des premiers communiants...

    Au printemps de l'année suivante, cette maison de soulagement et de salut passait des mains de la Providence au dévouement de laquelle elle avait été provisoirement confiée, aux mains de deux religieuses du T.-S.-Sauveur.

    Depuis 1902, elles sont cinq, une preuve des sympathies que l'Œuvre a conquises et de la confiance que leur accorde la population. Leur subsistance est assurée par la Caisse des Œuvres paroissiales et par des subventions des trois usines.

    4.2.6. Oeuvres d'éducation populaire

    Bibliothèques paroissiales. – L'abbé Durain, qui souffrait dans son cœur de prêtre de voir ses paroissiens occuper leurs loisirs à la lecture d'ouvrages qui échappaient à sa surveillance et dont il ne pouvait contrôler la valeur morale et religieuse, se résolut dès le commencement de son ministère pastoral à créer, pour le plus grand bien spirituel de ses ouailles, une bibliothèque paroissiale qui, sous une forme récréative et attrayante, leur insinuerait les vrais principes de la moralité chrétienne et de l'apologétique catholique.

    Ce fut dans une allocution du 4e Dimanche de carême de l'année 1879 qu'il s'en ouvrit à ses paroissiens et leur apprit la création de la bibliothèque mise à leur disposition et qui compte aujourd'hui près de 600 volumes.

    Une autre plus adaptée au caractère et à l'état d'âme des jeunes gens a été aussi organisée au patronage St-Joseph et renferme environ 200 volumes.

    Journal paroissial. – Le but de ce journal est indiqué dans l'article programme de son premier numéro, sous la signature du curé actuel M. le chanoine H. Barotte:

    La paroisse est une grande famille dont le curé est le père: le père écrit à ses enfants quand il ne peut les voir facilement.

    Cette petite Revue sera donc ma lettre à vous tous, mes chers paroissiens.

    Tous les mois elle pénétra dans vos maisons, elle vous portera l'expression de mes vœux et de mes désirs, elle vous parlera de nos œuvres nombreuses, qui sont les vôtres plus encore que les miennes ; elle dira à ceux que nous ne voyons pas assez souvent à l'église que leurs prêtres s'occupent d'eux, que leur Dieu les aime et les attend.

    J'espère que vous ferez bon accueil à Thaon catholique comme les spinaliens ont bien accueilli Epinal catholique dont j'ai été l'un des initiateurs et qui vient de commencer sa sixième année avec 1.500 abonnés.

    D'ailleurs sa fondation ne fait que réaliser un des projets de mon vénéré prédécesseur dont je veux suivre les traditions, et dont vos cœurs gardent la mémoire bénie.

    Le premier numéro de Thaon catholique parut le 10 Décembre 1902 en fascicule in-8º de 12 pages qui furent portées à 16 dès le numéro suivant. A partir du second mois le journal était distribué à 520 abonnés, et depuis, ce nombre n'a fait que croître, et à la fin de 1903, il dépasse 700.

    Une Causerie Pastorale rédigée par le curé fondateur en occupe les premières pages ; vient ensuite le Calendrier paroissial qui annonce les fêtes religieuses et les saints de chacun des jours du mois et qui se trouve quelquefois complété par quelques explications édifiantes et historiques classées sous la rubrique de Année liturgique. De temps à autre apparaissent quelques articles d'histoire locale extraits du manuscrit de M. Fiel ; enfin à côté des Actes religieux (baptêmes, mariages et enterrements) plusieurs pages se trouvent consacrées à la chronique paroissiale qui rend compte, ainsi que son nom l'indique, des principaux événements religieux survenus le mois précédent, des réunions des confréries et des associations pieuses, de leur vitalité et de leurs succès. Quelques gravures viennent aussi ça-et-là agrémenter la lecture de certains articles historiques ou humoristiques.

    Voici la liste des autres journaux qui ont des porteurs attitrés et sont distribués à Thaon: Le Petit Journal. – Le Petit Parisien. – La Patrie. – Le Libéral de l'Est. – Le Mémorial des Vosges. – L'Impartial de l'Est. – Le Nouvelliste des Vosges. – La Croix de Paris. – Le Pèlerin. – Les Contemporains. – Les Causeries du Dimanche. – La Croix Illustrée. – La Croix de Lorraine. – Le Réveil Catholique. – L'Ouvrier. – Les Veillées des Chaumières.

    Conférences aux hommes. – L'abbé Durain étant de ceux qui ne consentent pas à se laisser enfermer dans leur sacristie, comprit de bonne heure qu'à côté de la prédiction officielle, il y avait place pour un enseignement moins doctrinal, de forme plus moderne et plus populaire.

    Aidé de ses vicaires, il organisa pour l'hiver, dans la grande salle du patronage Saint-Joseph, des conférences ouvertes au seul public masculin, conférences où les projections jouèrent leur rôle et dont il fut, à son tour, l'orateur. C'est ainsi que le 21 Octobre 1900, il transporta ses auditeurs du pays d'Alsace dont il fit, sous leur yeux, revivre en un tableau plein d'intérêt, l'histoire et les mœurs.

    L'idée première de ces conférences lui était venue en 1890. A cette date, il avait procuré à une belle réunion d'hommes le plaisir, vrai régal d'entendre, à trois reprises différentes, deux orateurs de marque, deux prêtres du diocèse et de la ville de Nancy, M. le chanoine Vanson, ancien supérieur de la Malgrange et M. l'abbé Collot, alors curé de la paroisse de Saint-Mansuy.

    Son successeur qui, les années précédentes avait à deux reprises (1895 & 1898) invité l'abbé Durain à prendre la parole devant les jeunes du Cercle Catholique d'Epinal dont il était alors l'aumônier, pour leur narrer tout particulièrement son Pèlerinage en Terre-Sainte, ne pouvant manquer de suivre la tradition. Les conférences furent reprises en Novembre 1902 et réunirent chaque fois plusieurs centaines d'hommes.

    L'arrivée de Marc Sangnier, président du Sillon, dans la région de l'Est, offrait une trop belle occasion pour la manquer, aussi M. le chanoine Barotte s'empressa-t-il d'inviter le grand conférencier populaire à faire entendre aux ouvriers de Thaon sa parole si chaude et si vibrante de patriotisme et de foi.

    Le Mardi soir, 2 Juin 1903, la salle habituelle des conférences est brillamment illuminée. Pour la circonstance on a enlevé les tables, chaises et bancs : on s'entasse partout. C'est un coup d'œil magnifique que cette forêt de têtes d'hommes qui émergent. Il y a là 7 à 800 Thaonnais accourus avec empressement au rendez-vous.

    Marc Sangnier, dit Thaon catholique (nº 7), prend la parole. Son sujet est: Catholicisme et Démocratie.

    L'abordant de front, il nous définit la Démocratie, ses aspirations et ses désirs, et il nous la montre réalisable et déjà réalisée par les principes vécus du catholicisme.

    Les doctrines du socialisme, du positivisme, de la libre pensée, résumées en bloc dans l'effroyable doctrine de la lutte pour la vie et de la sélection naturelle, ne sont en définitive que contre le peuple. Elle aboutisse en fait à la consécration violente de l'omnipotence des puissants sur les faibles ; à l'absorption des initiatives, des énergies individuelles dans l'activité, l'initiative d'un seul qui peut être bon, mais qui peut-être tyran.

    Ceci est la contre-partie de la véritable démocratie qui est d'autant plus réelle que, plus efficace, elle fait la souveraineté positive du peuple. Des salves d'applaudissements saluent les nobles paroles du conférencier. Elle lui montrent qu'il bien compris et que son âme résume bien les aspirations populaires Thaonnaises.

    Ouvroir des jeunes filles. – le 13 Mars 1889, l'abbé Durain adressait au couvent de Portieux

    Sa demande définitive de deux religieuses.

    L'une, disait-il, sera le guide dans la prière et le travail des jeunes filles sorties de l'école ; l'autre, l'ange consolateur des pauvres malades. La maison est bâtie et le logement meublé ; le traitement de 500 fr. par religieuse est assuré pour le présent et j'ai confiance que, dans l'avenir, la protection des gens de bien ne fera pas plus défaut à cette Œuvre que la bénédiction de Dieu.

    Le bâtiment, construit sur un terrain acheté à François Lacroix, avait été commencé au printemps de 1888. Sa première pierre en avait été solennellement bénite et posée, le 2 Mai, par M. l'abbé J.-N. Durain, curé de Chavelot, en l'absence de son frère parti pour son pèlerinage de Terre-Sainte.

    Lorsque plus tard, la maison fut agrandie et transformée en école libre, l'ouvroir ne cessa de fonctionner et aujourd'hui encore de 20 à 25 jeunes filles se réunissent tous les jours, le Dimanche et le Jeudi exceptés, dans la salle qui leur réservé, et apprennent sous la direction d'une maîtresse, la couture du linge et des vêtements usuels, le raccommodage et le repassage. Pour cela elles fréquentent l'ouvroir pendant 6 mois, un an et même deux ans.

    C'est encore Thaon catholique (nº11) qui va, mieux que nous, résumer le but de cette œuvre essentiellement pratique et populaire:

    L'ouvroir paroissial est ouvert aux jeunes filles dès qu'elles ont le certificats d'études primaires ou quand elles ont 13 ans.

    Les cours ont lieu tous les jours (excepté le Jeudi et le dimanche) de 8 heures à 11 heures, et de 1 h. ½ à 4 h. ½.

    Ils se composent de l'enseignement suivant: coupe et assemblage, couture du linge et des vêtements usuels à la main et à la machine, reprise des bas et des vêtements usés ou déchirés, quelques ouvrages de fantaisie. Les jeunes filles apportent leur ouvrage de la maison.

    Prochainement il y sera ajouté l'enseignement du repassage et de la cuisine hygiénique et économique.

    Il est à désirer que tous les jeunes filles, avant d'entrer à l'usine, passent quelque temps à l'ouvroir, pour achever leur éducation et leur instruction pratique. Ce qu'il nous faut, aux temps actuels, ce sont des femmes et des mères de famille qui rendent leur maison agréable, en la tenant avec ordre, propreté, économie, habileté. Comment le sauront-elles faire si elle ne l'apprennent jamais.

    La rétribution mensuelle est fixée à la modique somme de 2 fr.

    4.2.7. Oeuvres d'intruction primaire libre

    Premières préoccupations. – Aucune des œuvres de l'abbé Durain ne fut plus méditée, plus préparée de longue main que l'établissement de son école chrétienne. Sa constance à en nourrir le projet n'eut d'égal que sa prudence et sa patience à attendre l'heure de la réaliser. Ouvrons le Résumé chronologique de son ministère à l'année 1881.

    Les dispositions manifestés par le gouvernement me font craindre de voir tôt ou tard les Sœurs renvoyées, et je commence à me préoccuper de fonder une école libre.

    D'où l'on voit l'abbé Durain, rien moins que rassuré, savait prévoir.

    L'éventualité qu'il redoutait fut précipitée par la maladie de l'une des religieuses, maîtresse d'une des classes de l'école communale. La nomination d'une institutrice laïque pour la remplacer allait être le signal de retrait des autres Sœurs et de la laïcisation de toute l'école.

    Construction de l'école libre. – l'emplacement était tout désigné ; la maison de l'ouvroir et ses dépendances se présentaient avec toutes les conditions favorables à la construction de l'école projetée. On se mit donc à l'œuvre et, au commencement de Septembre 1897, le groupe scolaire existait, offrant sur une façade de trente mètres, deux corps de bâtiments séparés par un pavillon central et flanqués à leurs extrémités de deux autres pavillons au pignon élancé et architectural. Au fond de la cour et formant un angle droit avec le bâtiment principal, s'élève le préau vitré de l'asile.

    La maison qui a grand air a valu à son fondateur les éloges de tous ceux qui l'ont visitée. C'est qu'à la différence des goût très simples qu'il affichait pour son logement et son mobilier personnel ceux qu'il manifesta pour son école ne manquèrent pas d'une certaine prétention, mais d'une prétention raisonnée. A ceux qui lui témoignaient quelque surprise ou quelque admiration il répondait:

    Il faut montrer les sacrifices dont nous sommes capables pour maintenir, même par le côté matériel, le renom de l'enseignement chrétien, et de plus nous devons faire œuvre qui soit de tous points digne de la confiance des familles.

    C'est dire qu'il n'a rien ménagé. Toutefois, et malgré ses dimensions, on ne tarda guère à s'apercevoir que l'école avait un défaut, l'exiguïté.

    Inauguration. – La cérémonie d'inauguration et de bénédiction avait été fixée au 12 Septembre ; ce fut un grand jour pour la paroisse de Thaon. Nous en trouvons la relation dans la Semaine Religieuse du 17 Septembre 1897:

    Monseigneur Foucault, assisté de M. le chanoine Gand, supérieur du Grand séminaire et entouré d'une vingtaine de prêtres du voisinage. Avait tenu à présider lui-même cette cérémonie, pour donner, comme Sa Grandeur l'affirma du haut de la chaire, un gage tout particulier de sa sollicitude paternelle à "cette population si chrétienne de Thaon" et à son digne curé un témoignage de son admiration pour le zèle toujours si ardent et toujours si prudent" qui le distingue.

    Monseigneur, avec cet à-propos, cette clarté d'exposition, ce bonheur d'expression, ce charme de paroles qui suspend les foules à vos lèvres, dégagea la question de doctrine de tous les nuages dont on cherche à envelopper l'enseignement libre, et montra avec autorité que l'Eglise, en favorisant les écoles catholiques, n'a aucune arrière-pensée politique, qu'elle n'en fait ni une question personnelle, ni une question confessionnelle, qu'elle ne veut même pas faire échec à la loi, encore moins concurrence à l'enseignement officiel. Elle remplit sa mission, voilà tout, sans autre but que de faire son devoir, sans hostilité pour personne. Elle ne prétend point faire la leçon à qui que ce soit, mais espère bien n'en pas recevoir, car elle peut se soutenir toute comparaison.

    La première année. – Le 1er Octobre suivant, la nouvelle école ouvrait cinq classes fréquentées par 250 élèves et une école maternelle avec 206 enfants. A la fin du premier semestre, 12 élèves sont présentées à l'examen du certificat d'études; toutes sont reçues avec les premiers numéros; cinq d'entre elles obtiennent le prix de M. Boucher, ministre du Commerce, et trois autres des livrets de Caisse d'épargne de M. Lederlin, maire de la Commune.

    Le nombre des maîtresses enseignantes étant de huit, dont six à l'école primaire et deux à l'asile. Leur traitement de 400 francs était fourni par la rétribution scolaire, tandis que les frais d'entretien de la maison, le chauffage et les contributions restaient à la charge du fondateur.

    Succès de l'école libre. – un an après, force était d'ouvrir une sixième classe spécialement destinée à la préparation du certificat d'études. Un peu plus tard, il fallait y adjoindre un cours supérieur pour la préparation au brevet.

    C'est ainsi que, au moment de l'expulsion, la maison habitait onze religieuses dont sept pour les classes, deux pour l'asile, une pour l'ouvroir et la supérieure. La confiance dont l'école chrétienne était l'objet, les succès qu'elle remportait chaque année près des différents jurys, lui promettaient les plus belles espérances. Elle a inscrit aux pages de son livre d'or : 1892, 12 certificats d'études; 1899, 17; 1900, 14 certificats et un brevet; 1901, 16 certificats et un brevet; 1902, 15 certificats et 3 brevets.

    La présence de Sœur Ursule si justement estimée de la population Thaonnaise pour son dévouement et son tact, sa direction intelligente et tout à la fois ferme et douce, furent pour beaucoup dans la pleine réussite de cette fondation dont elle fut la cheville ouvrière.

    Sœur Ursule. - Sœur Ursule Hilaire arriva à Thaon en 1885, avec le titre de directrice de l'école communal de filles.

    Quatorze années durant elle se prodigua à sa tâche avec un dévouement que, ni la progression sans cesse croissante du nombre des élèves, ni les continuelles névralgies dont elle souffrait ne parvinrent à entamer ou à ralentir.

    Dieu l'avait bien douée: elle réunissait à un degré peu commun les dons naturels qui marquent un caractère, les vertus religieuses qui font les âmes hautes et les aptitudes pédagogiques qui mènent au succès. Sans avoir rien de dominateur, elle était faite pour diriger.

    Intelligente, active, pleine de tact, toujours maîtresse d'elle-même, elle fut, tant dans la direction de son école que dans le gouvernement de sa communauté, une habile manœuvrière, une femme supérieure.

    Aussi avait-elle l'estime des autorités académiques et municipales, l'estime d'ailleurs de toute la population Thaonnaise, comme elle avait la confiance de ses supérieures religieuses.

    Invariablement jusqu'à sa mort, ses élèves enlevaient chaque année les premiers numéros et les récompenses du jury et aux divers examens pour le certificat d'études. Leur piété, leur extérieur simple et digne ont prouvé que leur maîtresse, vraie fille du vénérable Moÿe excellait au moins dans la mission éducatrice.

    L'abbé Durain trouva en elle une auxiliaire intelligente et zélée. Dieu les avait amenés à propos sur le même terrain, et il y avait trop de qualités réunies chez celle-ci et chez celui-là pour les œuvres entreprise d'un commun accord ne réussissent pas. Elle réussirent. Ni l'un ni l'autre n'en devait voir la ruine.

    Sœur Ursule qui, en 1897, avait consacré le reste de ses forces à l'ouverture et à la direction de la nouvelle école libre, mourait le 28 Octobre 1899, après quelques jours de maladie, à l'âge de cinquante-cinq ans.

    Sa dépouille repose dans le cimetière de Thaon sous un modeste monument que surmonte une statue de la Sainte-Vierge et que lui a élevé la reconnaissance de ses élève (Article biographique dû à la plume obligeante de M. l'abbé H. Bareth.)

    4.2.8. Oeuvre de préservation et de zèle

    Offices paroissiaux d'enfants. – Dès le 3 Octobre 1886, c'est-à-dire dès que la chose fut rendue possible par l'arrivée du premier titulaire du vicariat, l'abbé Durain organisa pour ses petits paroissiens des offices spéciaux, messes et vêpres. Cette mesure était rendue nécessaire par les proportions trop exiguës de l'église qui ne permettaient déjà plus de donner une place aux enfants. Mais cette nécessité ne fût-elle pas imposée que l'abbé Durain n'eût pas agi autrement.

    Le Dimanche, la messe des enfants est chantée et ceux-ci font leur partie dans les Kyrie, le Credo, le Sanctus et l'Agnus, avec un entrain, on le devine aisément, qui doit être plutôt retenu que stimulé. Aux jours de fête, l'office est relevé par un cantiques ou motels de circonstance. Même organisation pour les vêpres, celles de la Sainte-Vierge, que les enfants chantent de mémoire. Ils sont préparés à fournir convenablement cette participation par une leçon de chant qui leur est donnée, tous les Dimanches au local des catéchismes, pendant la durée des vêpres paroissiales.

    Enfants de chœur. – Autant pour satisfaire sa foi attentive à toutes les règles liturgiques que pour intéresser et attirer ses paroissiens, l'abbé Durain déploya, dans la mesure de ses moyens, toutes les ressources du culte divin, toute la majesté de nos cérémonies ; de là l'établissement d'une chorale paroissiale, dont nous allons parler, de là aussi les prescriptions données à ses vicaires sur la formation des Enfants-de-Cœur et de l'importance qu'il attachait à la classe de liturgie qui leur est faite tous les Jeudis ; de là enfin son désir très formel qu'il fut rédigé un coutumier à leur usage; petites industries, si l'on veut, mais petites industries qui entrent dans les préoccupations d'un organisateur et qui ont contribué, chacune pour leur part, à cet incomparable et si consolant résultat: Une grande population ouvrière fidèle dans sa majorité à l'accomplissement des devoirs religieux, une église toujours remplie.

    Chorale Ste-Cécile. – La première œuvre en date de l'abbé Durain fut la Chorale Sainte-Cécile.

    Sachant l'Alsacien amateur de mélodie, naturellement doué du sens musical, et connaissant ses aptitudes pour le chant, il voit là une "ouverture": C'est par cette ouverture qu'il commencera à atteindre ses chers ouvriers.

    Dès l'automne de 1879, il en réunit une douzaine, après les heures de travail, dans une salle du presbytère et se constitue leur professeur. A la fête de Noël de la même année, la jeune Chorale faisait entendre a première messe en musique. Désormais elle sera de toutes les solennités à l'éclat desquelles elle ajoutera sa note harmonieuse.

    Un peu plus tard, un paroissien aussi dévoué que généreux ayant mis une salle plus spacieuses à la disposition de la Chorale celle-ci quittait le presbytère pour le local plusieurs fois remanié qu'elle occupe aujourd'hui. C'est-là que l'abbé Durain, facilement gagné à la belle cause dont M. de Mun venait de se faire le chevalier et l'apôtre, celle des Cercles catholiques d'ouvriers, c'est-là que, tout en lui conservant son nom, il donnera à ce premier groupe son règlement définitif et sa forme de société de préservation religieuse.

    Catéchismes. – Ce fut à l'apostolat de l'enfance que le bon curé de Thaon consacra la meilleure part de son affection, de son temps et de ses fatigues.

    Il commença par multiplier les catéchismes en proportion de l'accroissement de la population enfantine particulièrement dense à Thaon. En 1889, il établit deux catéchismes de persévérance, l'un pour les jeunes gens, celui dont il s'était réservé la direction, l'autre pour les jeunes filles ; ces catéchismes étaient alimentés surtout par les Patronages.

    Voyant qu'il se trouvait à la tête d'une paroisse entièrement agglomérée, qu'il avait affaire à une population que les nécessités du travail mettent sur pied de bonne heure, population d'ailleurs docile auprès de laquelle il avait son autorité incontestée, l'abbé Durain, le Mardi et le Jeudi, hiver comme été, faisait son catéchisme de première communion à 6 heures du matin, dans le local mis par la municipalité à sa disposition. Il y trouvait peut-être des avantages personnels, mais il y voyait surtout, il s'en est expliqué bien des fois, l'avantage signalé par Monseigneur de Briey, celui de "faire réciter la prière aux enfants" et de les trouver à cette heure matinale "beaucoup plus aptes à comprendre et à retenir les vérités religieuses qu'après un séjour de plusieurs heures à l'école.

    Vers 1889, il établit l'examen public de première et de seconde communion sous la forme identique, si l'on en excepte la distribution des récompenses, à celle de l'examen qui se pratique à Plombières, où probablement d'ailleurs il en avait pris l'inspiration.

    A Thaon comme à Plombières, les examinateurs et les membres du jury sont fournis par les prêtres du voisinage qui interrogent chaque enfant sur un chapitre de catéchisme et sur une leçon d'histoire sainte dont le numéro lui est échu par le sort. Au dessous d'un minimum de cinq points, le candidat malheureux doit subir un examen ultérieur. Stimulés par la perspective de l'examen, parents, maîtres et enfants rivalisent de zèle pour l'étude des matières religieuses et c'est ainsi que, au dernier moment, plus d'une lacune se trouve comblée.

    Pour venir en aide aux enfants négligés par leur parents ou intellectuellement peu doués, l'abbé Durain, dont le zèle était facilement communicatif, s'était ménagé le concours de plusieurs catéchistes volontaires qui, toutes déployèrent et déploient encore aujourd'hui dans cette tâche ingrate, une persévérance et un dévoûement au-dessus de tout éloge.

    Ceux qui ont eut des prédilections et même ses gâteries, ce furent les petits enfants de l'asile et du premier catéchisme. Ce catéchisme qu'il faisait le Jeudi, après en avoir déjà fait deux autres, il se le réserva et ne voulut pendant longtemps s'en décharger sur personne. Toutefois la population enfantine allant sans cesse grandissant, il dut se résoudre, faute de place suffisante, à diviser le petit catéchisme en deux sections, celle des petits garçons qu'il conserva et celle des petites filles qu'il confia à l'un de ses vicaires.

    Inutile d'ajouter que la même organisation et la même impulsion données à l'œuvre des catéchismes ont été maintenues intégralement par son successeur.

    Patronage Saint-Joseph. – On sait ce qu'est un patronage.

    C'est une œuvre d'éducation démocratique qui se propose de donner à la jeunesse des idées justes et chrétiennes, qui puissent petit à petit déteindre sur la masse.

    C'est un milieu qui est favorable aux "jeunes" pour renforcer leurs convictions qui se font plus larges. C'est un milieu propice pour se mettre plus facilement en garde contre les séductions qui, particulièrement dans les années qui précèdent le service militaire, assaillent la jeunesse inexpérimentée et lui font commettre des erreurs et des fautes parfois irréparables.

     Le patronage St-Joseph de Thaon a ses réunions dans ce grand édifice qui fait face à la ligne de chemin de fer. Il fut modeste dans ses origines, mais comme le grain de sénevé, il s'est fait vaste et aujourd'hui, à la grande joie des parents, il reçoit chaque Dimanche une centaine de jeunes gens.

    Il prit sa véritable naissance dans la salle à manger et la buanderie du presbytère en 1887. Tout alla bien tant que le nombre fut petit; mais on comprend qu'au bout de quelque temps, on dut transporter ailleurs ces braves jeunes gens qui, par leurs jeux et par leurs courses, n'étaient pas précisément une bénédiction pour la charmille et les plates-bandes. En 1888, le Patronage fut donc une étape dans la Maison Sainte-Elisabeth (Rue-de-Lorraine), qui fut convertie bientôt en ouvroir et plus tard en école avec de considérables agrandissements. Le patronage dut donc encore émigrer et chercher un nouveau gîte. Le champ où se trouve la Croix-de-Mission, environ 150 mètres avant d'arriver en gare, fut acheté à M. Blot, et un humble local en bois et briques fut construit en 1889.

    Les dimensions adoptées devinrent trop petites avec les années, et en 1899 on posa la première pierre du grand édifice actuel. M. Saussure en fut l'architecte et M. Jouannet l'entrepreneur. Il fut achevé et inauguré en Juillet 1900.

    L'ancien local a disparu au Printemps 1903.

    Le patronage de Thaon est une œuvre de jeunesse très vivante. Il suffit de passer sur la route, pour constater combien les ébats sont joyeux et la gaîté bien franche: le mouvement c'est la vie.

    Plusieurs fois dans l'année, les jeunes gens du patronage donnent des séances récréatives, afin de se former eux-mêmes à une certaine facilité de parole et d'allure honnête, afin de remercier et de récréer tous ceux qui veulent bien s'intéresser à la marche de l'œuvre.

    Depuis plusieurs années, ces jeunes gens ne se contentent plus d'exciter au "bon rire", mais ils donnent aussi à leurs bienveillants spectateurs de fortes et chrétiennes émotions. Ils ont un répertoire religieux spécialement composé pour eux ; ils ont dû jusqu'à treize fois donner le Fils d'Hérode, drame évangélique pour le temps de Noël, et il entre dans leur tradition de servir au carême la Passion avec les tableaux vivants.

    Plusieurs petits cercles d'études initient ceux, qui éprouvent quelque goût à ce travail, aux premiers éléments des questions économiques, des problèmes moraux et religieux.

    La saison d'hiver est particulièrement favorable aux projections lumineuses; ce mode d'éducation populaire est lion d'être négligé au patronage. En cet hiver 1903-1904, environ mille vues ont été projetées sur l'écran et accompagnées de commentaires ou de conférences sur les sujets les plus variés.

    En un mot, il y dans cette œuvre tout ce qu'il faut pour faire "des hommes et des chrétiens".

    Patronage Ste-Elisabeth. – Le 13 mars 1889, l'abbé Durain adressait au couvent de Portieux sa demande définitive de deux religieuses pour être, "l'une le guide dans la prière et le travail des jeunes filles sorties de l'école, l'autre l'ange consolateur des pauvres malades". Le patronage Ste-Elisabeth destiné à la préservation des jeunes filles de Thaon était créé.

    En semaine, les bonnes religieuses apprenaient la science du ménage (couture, repassage, jardinage) et le Dimanche elles réunissaient autour d'elles un grand nombre d'ouvrières qui venaient puiser à leurs leçons et dans des jeux aussi récréatifs qu'innocents les vertus morales qui préparent à la paroisse des jeunes filles modestes et pieuses et des mères de famille véritablement chrétiennes.

    En 1897, les deux religieuses furent renforcées par les sœurs de l'école libre, pour le plus grand développement de l'œuvre.

    Au moment de leur expulsion (Juillet 1902), la direction fut confiée, provisoirement du moins, au dévouement des sœurs garde-malades qui ne craignirent pas d'ajouter cette charge à toutes celles qui pesaient déjà sur leurs épaules. Elles en furent déchargées au mois d'Octobre 1903 et l'œuvre fut confiée aux bons soins des nouvelles directrices laïques de l'Ouvroir paroissial.

    La Sainte-Enfance. – Monseigneur Ch. De Forbin Janson, évêque de Nancy, réalisa à Paris, en 1843, l'idée ingénieuse de cette œuvre. Dès leur âge le plus tendre, les enfants sont unis à l'Enfant-Jésus par l'accomplissement, dans la mesure de leurs forces, d'un acte d'amour du prochain. Cet acte consiste à coopérer au salut de milliers d'enfants qui, en Chine, et ailleurs sont jetés à l'eau, aux égoûts, parmi les immondices, en pâture aux chiens. On a compté 9.702 victimes en 3 ans, pour Pékin.

    La loi souvent protège ces infanticides que, pour le prix de 3 ou 6 francs par tête, nos missionnaires font éviter.

    Dès le baptême on peut en faire partie. Après la première communion on reste agrégé et on participe aux faveurs, à condition qu'à partir de 21 ans, l'on soit de la Propagation de la Foi. Les associés sont partagés en séries: 12 séries forment une sous-division; 12 sous-divisions une division.

    Thaon-catholique (10 Septembre 1903) parlant de la fête de l'Association célébrée cette année le 2 Août, ajoute que les mères de Thaon tiennent toujours à l'honneur de consacrer leurs petits enfants au Bon-Dieu, et que l'œuvre, qui avait jusqu'alors été dirigée par les sœurs de la providence, n'a pas dépéri depuis leur départ entre les mains de Mademoiselle Maria Beau, puisque son registre accuse pour l'année un joli chiffe de 367 petits associés.

    Œuvres de la Propagation de la Foi et de St-François-de-Sales. – Chaque associé de la Propagation de la Foi verse une cotisation hebdomadaire de 0 fr. 05; la cotisation est la même pour l'œuvre de St-François-de-Sales, mais elle n'est que mensuelle.

    Actuellement la première comprend 20 dizaines d'associés et donne un revenu annuel de 600 fr.; la seconde comprend 38 dizaines et produit près de 200 fr.

    4.2.9. Oeuvre de mutualité

    Pourquoi la Familiale Thaonnaise. – Le 10 Mai, M. le Chanoine Barotte proposait ses paroissiens, par la voix de Thaon Catholique, l'organisation d'une société populaire de mutualité, expliquant son innovation par les considérations suivantes:

    Les usines de Thaon possèdent des Caisses de secours mutuels entretenues par les cotisations régulières des patrons et des ouvriers.

     Ces caisses, dans les trois usines, assurent aux membres malades des familles ouvrières les soins du médecin et les médicaments. Celles de la Blanchisserie assurent de plus, dans divers cas, des allocations journalières ou mensuelles.

    Mais à côté des familles de notre paroisse qui trouvent ainsi dans leurs nécessités une ressource assurée et précieuse, combien en est-il qui restent à la merci des hazards de la maladie?

    Familles de manœuvres, de cultivateurs, d'artisans, de petits commerçants, sans compter les membres des familles ouvrières qui ne travaillant pas eux-mêmes à l'usine, ne jouissent que partiellement des bénéfices des sociétés établies, il y a plus de 1..200 grandes personnes dans ce cas.

     Et cependant pour elles comme pour les autres, la maladie coûte cher: c'est le salaire du travail supprimé, c'est le médecin à payer, ce sont les remèdes à solder, c'est une nourriture plus délicate qui est nécessaire pendant la convalescence.

    Sans doute nous avons, heureusement établies par mon prédécesseur deux œuvres de charité qui portent secours aux malades: Nos Religieuses si dévouées par les Dames de l'Ouvroir, puis les hommes de la Conférence de St-Vincent-de-Paul.

    Mais outre que leur bonne volonté est souvent plus grande que leurs ressources et que les vieillards et les infirmes fourniront toujours à leur zèle charitable une large aliment, le vrai chrétien ne doit pas être satisfait parce qu'il peut appliquer un emplâtre aux plaies déjà faites, il doit avoir à cœur d'empêcher les plaies de s'ouvrir.

    Conseil d'administration et sociétaires. – La Familiale Thaonnaise est pourvue d'un Conseil d'Administration qui comprend: Un président, deux vice-président, un secrétaire-trésorier, une vice-secrétaire et 8 administrateurs. Ce conseil d'administration, pour pouvoir librement imposer à tous sa direction, est nommé à l'élection en assemblée générale. Ses pouvoirs durent un an et les statuts précisent et délimitent nettement le mode d'élection et de fonction de chaque membre du Conseil. Toutes les fonctions sont gratuites ; seul le secrétaire-trésorier, responsable, peut-être rétribué.

    Les membres de la Familiale (homme, femmes ou jeunes gens) sont de deux sortes: les membres honoraires et les membres participants.

    Les membres honoraires sont ceux qui donnent à la Société au moins 5 fr. par an pour n'en recevoir que l'honneur. – Les membres participants sont ceux qui, en échange d'un cotisation de 0 fr. 50 par mois, ou 6 fr. par an, ont droit, sous les conditions des statuts à tous les avantages de la Familiale.

    4.2.10. Une fête paroissiale à Thaon

    Visite épiscopale. - La fête du 21 Juin 1903 qui excita dans la population catholique de Thaon un enthousiasme indescriptible et qui fut provoquée par l'arrivée du premier pasteur du diocèse, Mgr Faucoult, mérite ici plus qu'une vulgaire mention et ne doit pas être traitée par l'historien en simple fait divers.

    Elle se présente, en effet, comme la preuve éclatante des brillantes et consolants résultats dus à ces multiples oeuvres d'édification et de zèle qui viennent de passer rapidement sous nos yeux ; elle fait surtout saisir sur le vif la générosité entraînante de l'ouvrier Thaonnais ; elle résume enfin l'état d'âme foncièrement chrétien de cette importante paroisse qui doit sa religion, la vitalité de sa foi et son respect profond pour tout ce qui touche au culte de Dieu, moins encore à ses qualités naturelles qu'au dévouement sans bornes de ses pasteurs.

    Le programme comprenait le Samedi soir 20 Juin, une conférence aux hommes ; le lendemain matin la cérémonie de la première communion et de la confirmation, et le soir la procession de la Fête-Dieu.

    Qu'il nous suffise de transcrire ici la relation qui a déjà été faite dans le no. 8 d'Epinal catholique.

    Arrivée de Monseigneur Foucault. - Dès deux heures, les abords de la Rue-du-Presbytère commencent à se couvrir de monde et les yeux se portent du côté de la Rue-de-la-Gare (Aujourd'hui: Rue-des-Fusillés).

    Le train est bien lent à venir...

    Cependant une éclaircie se fait dans le ciel, le tonnerre cesse de gronder: ce serait le moment d'arriver. Or voilà précisément le train qui siffle! Les cloches se mettent en branle, sonne en volée, faisant accourir sur le passage de la voiture les derniers retardataires.

    Monseigneur est arrivé. Mais c'est seulement ce soir, à huit heures, que sa Grandeur doit vraiment prendre contact avec les Thaonnais.

    La réunion des hommes. - A 7 h. 1/2, Messieurs les membres du Conseil de la fabrique, de la Conférence de Saint-Vincent de Paul et du Cercle d'études se rendent à la maison de cure pour faire cortège à sa Grandeur.

    Quelques instants, Monseigneur s'entretient avec ces Messieurs, ayant un mot pour chacun ; tel un père au milieu de ses enfants qu'il n'a pas vus depuis longtemps!

    En bonne compagnie le temps passe vite et M. le Curé fait remarquer qu'il est l'heure de se rendre à l'église, Monseigneur prend congé de ses visiteurs, puis le cortège se forme.

    C'est à travers une haie compacte de gens impatients de voir sa Grandeur, qu'on arrive au portail. Encore que la place et les rues soient noires de monde, l'église n'en est pas moins trop étroite pour contenir les hommes qui s'y pressent, j'allais dire qui s'y écrasent.

    Et comme il est beau spectacle d'une grande assemblée d'hommes, venus bien avant l'heure fixée, pour écouter leur évêque redire les grands devoirs d'aujourd'hui! et comme il est bien pour jeter un rayon d'espoir au milieu de nos tristesses!

    C'est au chant d'un enthousiaste Magnificat que Monseigneur, entouré de son clergé, fait son entrée imposante à l'église, sur le seuil de laquelle M. le curé lui rend les honneurs dus à son rang et à sa qualité.

    Allocution de M. le Curé. - Sa grandeur prend place sur le trône qui lui a été préparé, puis M. le Curé lui adresse les paroles suivantes:

    Monseigneur,

    Le 12 Septembre 1897, votre Grandeur était ici. C'était un bien beau jour pour les Thaonnais et pour leur curé. L'union de leur zèle venait de construire l'école chrétienne, abri désiré pour leurs enfants ; et votre coeur de Père consacrait leurs travaux par sa bénédiction d'évêque.

    Deux ans après, vous reveniez à Thaon ; et vous vous réjouissiez de constater que l'oeuvre des écoles, la préférée du pasteur, était en pleine prospérité.

    Mais depuis ce temps, hélas! La tempête a passé, la dévastation s'est faite: Le pasteur est tombé le premier, frappé subitement par son dernier champ de bataille ; et il s'est trouvé qu'en même temps le deuil de son école.

    Et j'ai fait, Monseigneur, mon entrée à Thaon au milieu d'un peuple en larmes.

    Grâce à Dieu, nous n'avons pas perdu courage, et je puis rendre à mes chers paroissiens le témoignage que la foi n'a pas été dévastée dans leurs coeurs.

    Elle est, au contraire, bien vivace, plus vivace que jamais, car le souffle de servitude qui essaie de courber les âmes, loin de les abaisser, les fait se redresser fièrement dans l'amour de Dieu et de leurs libertés.

    Le vieux sang chrétien qui a rempli les veines de soixante génération de nos ancêtres coule et bouillonne encore dans les nôtres ; et si ce sang généreux était engourdi chez quelques-uns, le voici qui se réveille!

    Pendant le carême, j'ai eu la joie, Monseigneur de voir chaque soir pendant une semaine, cinq à six hommes venir dans cette église, malgré le fatigues du labeur de la journée, pour prier leur Dieu, pour chanter leur foi, pour écouter la parole de leurs prêtres.

    Puis, au temps pascal, au moins mille sont venus remplir le double devoir de la confession et de la communion.

    C'est pour ces motifs, Monseigneur, que je vous ai prié de donner à mes hommes bien-aimés la faveur d'une réunion spéciale, de leur dire que vous êtes fier d'eux, de leur adresser la parole du Père qui félicite, qui bénit, qui affermit.

    Vous avez accueilli ma requête avec un affectueux empressement, j'ai exprimé à Votre Grandeur ma vive et respectueuse reconnaissance.

    Allocation de M. J. Perney. - A peine M. le curé s'est-il retiré que M. Joseph Perney, conseiller municipal de Thaon vient prendre sa place au milieu du choeur et, en un langage vibrant et plein d'émotion, adresse à Monseigneur l'allocution suivante:

    Monseigneur,

    C'est avec un sentiment d'immense gratitude, que nous remercions Votre Grandeur, de l'honneur insigne et tout particulier qu'elle fait à notre laborieuse cité Thaonnaise, en venant ce soir nous visiter ; en venant nous adresser quelques-unes de ses paroles d'évêque qui soulèvent les âmes, et les maintiennent intrépides et courageuses sur les hauteurs du devoir intégral du chrétien, commandé à tous par les circonstances actuelles.

    Nous sommes heureux, Monseigneur, d'accueillir Votre Grandeur, dans ce temple magnifique élevé par la piété de nos pères, pour être, à Thaon, le splendide lieu de rendez-vous de Dieu et du peuple.

    Vous êtes le pontifie de Dieu, Monseigneur ; vous êtes le successeur autorisé des apôtres, et vous venez ce soir, dans la plénitude de votre charité apostolique, porter la bonne nouvelles aux petits de ce monde, aux ouvriers de la Terre et de l'Usine, aux humbles travailleurs thaonnais: merci, Monseigneur. Béni soit à jamais celui qui vient au peuple au nom de notre Christ bien aimé!

    Tout ici, Monseigneur, est à la joie de votre visite: et ce temple somptueux orné avec autant de délicatesse que d'amour, et ces bannières, et ces banderolles, et ces joyeux drapeaux, tout ici frissonne notre allégresse. Mais ce qu'il y a de plus beau, de plus émotionnant encore que toutes ces belles choses mortes, c'est le spectacle vivant, ici, ce soir, de cette imposante masse d'hommes. Ce spectacle grandiose, même pour ceux qui en ont l'habitude, parle plus haut à l'esprit et au coeur que toute parole.

    Votre Grandeur le sait déjà: elle peut le constater de nouveau ce soir: Sous l'impulsion invisible mais puissante de ces ferments divins que sont nos saints prêtres, les saints prêtres qui ont dirigé et qui dirigent cette paroisse, sur le terrain de la religion, sur le terrain de la pratique religieuse, comme d'ailleurs sur les terrain où peuvent se déployer à l'aise et à l'activité et l'industrie, et l'habilité humaine, notre Cité thaonnaise a su conquérir de haute lutte, par son travail, une place à part, une place de choix, une place à l'avant-garde de tout progrès. Cette place, Monseigneur, Dieu aidant, nous la tiendrons jusqu'à la mort.

    En ces jours malheureux ou de pauvres frères égarés osent élever une voix sacrilège jusque dans le temple de Dieu, pour troubler nos cérémonies saintes, pour insulter nos prêtres, pour imposer silence à nos évêques, notre devoir à nous, travailleurs catholiques et français, c'est d'affirmer bien haut et publiquement notre foi, notre attachement, notre dévouement absolu à ceux qui ont reçu de Dieu, et de dieu seul, l'ordre, la mission et le pouvoir de nous enseigner la Vérité qui suave, de nous montrer la Voie qui aboutit, de nous donner la vie qui ne meurt pas.

    Et c'est pourquoi, Monseigneur, au nom de tout ce temple d'ouvriers chrétiens, accourus de l'atelier et des champs à la maison de Dieu pour acclamer votre Grandeur, je suis heureux de vous offrir l'hommage respectueux de notre vénération profonde, de notre infinie reconnaissance, de notre absolu dévouement.

    Nous le savons, Monseigneur, nous vivons des jours mauvais. L'iniquité règne et gouverne ; la sainte Eglise de Dieu est persécutée à mort ; les bons sont bannis, la vertu s'exile, l'impiété triomphe ; toutes nos grandes libertés gisent à terre.

    Une seule chose reste debout, ferme. immobile, immuable, c'est notre invincible espérance au milieu de l'écroulement général.

    Nos saints prêtres nous ont appris à chanter et à comprendre notre vieux Credo catholique, le credo de nos prêtres, le credo de nos martyrs. Ils nous ont enseigné que la vie du christ se recommençait perpétuellement dans la vie de l'Eglise. Et de ce fait, hier, nous assistions au triomphe insolant de Ponce-Pilate, aujourd'hui, nous assistons à la douloureuse passion de l'épouse du Christ ; demain peut-être, nous contemplerons indignés, l'ensevelissement sacrilège de l'Eglise immortelle sous la lourde pierre du tombeau légal... mais après-demain, mais dans trois jours, mais bientôt, (nous en sommes sûr par notre vieux Credo qui ne ment pas) bientôt nous saluerons de nos joyeux alléluia, la glorieuse résurrection, la triomphante ascension de Celle qui pas plus que Dieu ne meurt pas, de notre sainte Eglise catholique, apostolique et romaine.

    Voilà les certitudes que nos prêtres nous annoncent pour nous maintenir fermes dans la foi.

    Ils nous disent aussi, Monseigneur, que nous sommes le froment de dieu ; que le froment doit être broyé, pétri, cuit au feu pour pouvoir devenir la blanche et vivante hostie agréable à Dieu.

    Ils nous disent aussi que la lutte, c'est pour le chrétien la vie ; et que la mort pour le Christ, c'est la possession à jamais du dieu vivant, seul véritable ami des pauvres ouvriers.

    Et pendant que nos prêtres nous encouragent par leur paroles et leur vie, nous admirons nos vaillants évêques ; nous vous admirons, Monseigneur, descendant noblement dans l'arène, et vous jetant comme un rempart vivant entre le pouvoir et nos saintes libertés menacées.

    Hier encore, Monseigneur, vous sonniez le ralliement entre toutes les âmes honnêtes et loyales, autour de cette nécessaire liberté que l'on nomme l'indépendance des parents dans la question fondamentale de l'éducation des enfants.

    Soutenus par nos prêtres, entraînés par nos vaillants évêques, malgré les désastres, malgré les ruines, malgré tout et tous, nous restons, Monseigneur, et nous resterons des éternels entêtés d'espérance quand même.

    Nous vous avons ouvert nos âmes, Monseigneur. Daigne votre Grandeur y faire descendre quelques-unes de ces fortes vérité d'en haut qui rendent les coeurs vaillants et les énergies indomptables.

    Dites-nous, Monseigneur, comment à des époques plus sombres que la nôtre, alors que tout était à terre, tout fût merveilleusement relevé dans notre France par le faible bras d'une jeune fille, venue des marches de Lorraine, mais animée de la Toute-Puissance du Grand Dieu qui toujours aime ses Francs.

    Qu;il serait donc beau le jour, où une autre française, sortie des entrailles même du peuple, ramènerait le Christ dans nos lois, dans nos institutions, dans notre vie nationale ; ramènerait avec le Christ toute la gloire, toute la prospérité, toute la vaillance des anciens jours.

    Ceci, Monseigneur, n'est aujourd'hui qu'un beau rêve:demain, demain peut-être, ce sera une puissante réalité, car déjà à l'horizon blanchit l'aurore du jour tant désiré des travailleurs, où doit apparaître sur la scène du monde, vaillante et victorieuse au cri de: Vive Labeur! la Libératrice du 20e siècle: la Triomphante Démocratie chrétienne.

    A ses humbles soldats, donnez ce soir, Monseigneur, avec la consigne autorisée du chef, la réconfortante bénédiction du Pontifie, du Pontifie aimé de Dieu et des hommes.

    Conférence de Monseigneur. - Sa grandeur monte en chaire et, une heure durant, tient son auditoire suspendu à ses lèvres. Bien imparfaitement, je reproduis ici, de mémoire, les principales idées de son magistral discours...

    Monseigneur déclare en commençant qu'en arrivant à Thaon il a éprouvé une double émotion ; d'abord en pensant à M. le curé défunt, prêtre si plein de foi et de coeur, qui a joint aux leçons de l'Evangile, les exemples d'une foi sacerdotale, donnant avec la doctrine du Christ, sa vie tout entière ; prêtre enlevé si subitement et dont la mort a été si douloureusement ressentie par le coeur de son évêque.

    Et puis, la pensée de cette école chrétienne pour laquelle tant de générosités ont été dépensées et tant de sacrifices accomplis et maintenant vide de ses maîtresses et de ses élèves par la malice et la haine de nos ennemis triomphants! Mais après ces émotions pénibles, il en éprouve une autre de joie bien vive, en voyant ici un aussi grand nombre d'hommes, et il peut dire avec vérité que s'il a vu quelquefois des auditoires aussi considérables, jamais il n'en a rencontré de plus sympathique.

    Il témoigne ensuite à notre camarade ses sincères remerciements pour les bonnes paroles qu;il vient de lui adresser et qui ont si bien traduit leurs pensées, se faisant l'écho de leurs sentiments de foi à la Patrie et à la Religion,

    Il remercie aussi M. le Curé si dévoué à sa nouvelle paroisse. "Vous savez, dit Sa Grandeur, que je ne l'avais pas désigné tout d'abord pour Thaon, et mes premiers desseins sur lui n'ont pas été exécutés. Mais, Dieu en soit béni! puisque cela m'a permis de vous donner un prêtre ami des ouvriers!

    Et vous, Messieurs, continuez à lui rendre la tâche facile "soyez des catholiques de plus en plus fervents".

    La religion a toujours été attaquée, les prêtres et leurs oeuvres calomniés: les persécutions ne doivent ni nous surprendre ni nous décourager. Des le début de l'église la calomnie s'exerce et Saint-Paul avait déjà à défendre ses premiers fidèles contre le découragement en relevant à leur yeux la grandeur de la foi. "Tout est à vous, leur disait-il, et ce qui peut rendre la vie meilleure,et ce qui peut  écarter la mort ; mais vous, vous au Christ, et le Christ est à Dieu."

    Voilà, Messieurs, toute la religion.

    Le catholicisme, disent ses adversaires, rétrécit les âmes et étouffe les intelligences. Est-ce vrai? - Non. La Religion fait des hommes parfaits, et dans tous les ordres d'idées, le chrétien doit viser partout l'idéal sous peine de n'être pas chrétien complet. Il n'est aucun domaine où la religion ne puisse nous conduire ; aucun domaine ne nous est fermé. Dans les arts, dans les sciences, dans l'Industrie, dans le Commerce, dans la Politique, partout nous trouvons de grands hommes inspirés par l'évangile, et pour ne parler que de la France, combien ne comptons-nous pas d'hommes de génie qui étaient de grands chrétiens...

    En quoi donc, dans le Commerce et l'Industrie, la Religion est-elle un obstacle?

    Le catholicisme nous élève et développe notre activité et notre intelligence. La Religion nous fait un devoir du travail. A ce sujet, nos ennemis nous accusent d'enseigner que le travail est le fruit et la punition du pêché. C'est faux: au Paradis terrestre le travail existait, mais il était sans fatigues ; il est devenu difficile et pénible à la suite du pêché. Le travail, au commencement, n'était que l'épanouissement des facultés humaines. C'est encore vrai: le travail doit concourir à notre développement physique et intellectuel.

    "A vous la vie et la mort" dit Saint-Paul ; à vous tout ce qui peut rendre la vie heureuse, tout ce qui peut écarter la mort et les maladies ; à vous le présent, à vous l'avenir!

    C'est ici qu'apparaît l'infériorité su socialisme sur le catholicisme. Les socialistes, en effet, ne veulent voir que le présent ; pour eux, à la mort tout est mort et si l'homme ici-bas n'est pas fait une destinée heureuse, c'est en pure perte qu'il a travaillé.

    Pour nous, chrétiens, il ne nous est pas défendu, au contraire, de chercher par le travail et les moyens licites, à accroître nos biens matériels ou intellectuels, mais nous devons toujours avoir la pensée de la vie future et tout y rapporter. Nous trouverons dans cette pensée la raison d'être de notre vie terrestre qui ne trouvera son plein épanouissement et son couronnement que dans la vie future.

    N'est-ce pas une perspective grandiose? une telle religion abaisse-t-elle les hommes? N'est-elle pas un ensemble de dogmes qui dilatent au plus haut point la personnalité humaine?

    Saint-Paul ajoute: "Vous appartenez au Christ et le Christ à Dieu". Autre point de dissemblance entre notre doctrine et celle de nos adversaires. On prêche, de nos jours, la liberté à outrance, le bien-être excessif ; mais cette activité doit en être la source, doit être subordonnée à la loi du Christ.

    Toute richesse, légitime doit être le fruit du travail personnel, donc fruit de l'effort et du labeur soit manuel soit intellectuel. Car l'artisan, l'ouvrier, le laboureur ne doivent pas se considérer comme les seuls travailleurs: l'homme de sciences, travaille lui aussi. "Ne vous y trompez pas, disait Victor Hugo, il y a un travail visible et un travail invisible: penser, c'est labourer, labeur qui n'est pas moins pénible que l'autre". Honneur donc à ces deux classes de travailleurs: ils se doivent mutuellement le respect.

    ...La fortune acquise, on doit en user, en jouir avec tempérance, c'est-à-dire dans les limites établies par la nature: il faut savoir faire la distribution entre le nécessaire, l'utile et le superflu. Nous trouvons dans l'Evangile la règle de conduite vis-à-vis de l'un et de l'autre. Donc, si nous sommes fidèles à L'Evangile nous saurons acquérir légitimement et jouir chrétiennement.

    ..."mais le Christ est à Dieu" ajoute Saint-Paul. Nous sommes frères de Jésus-Christ, fils de Dieu, cohéritiers du ciel...

    Pour arriver à notre fin sublime, nous n'avons qu'à suivre le programme de l'Evangile avec ce qu'il renferme, ce qu'il permet et ce qu'il défend...

    Donc la religion ne nous abaisse jamais, même au point de vue humain ; elle est le facteur le plus puissant du bonheur temporel, car tout en ayant surtout et avant tout en vue la vie future, elles n'est pas opposé aux affaires et aux préoccupations de ce monde.

    ...Promettons de lui être fidèles. Aujourd'hui elle n'est pas en honneur ; et sur notre terre de France en particulier, que de défections! que de persécutions" On calomnie les prêtres, on attaque la morale, on proscrit les religieux, on ferme les écoles chrétiennes, on défend de parler de Dieu aux enfants ; et malgré cela partant la France reste chrétienne! Bien mieux, à cause de cela la Religion reviendra dans notre beau pays. Aidons à ce retour en ne supportant pas plus longtemps les persécutions qu'une poignée de sectaires nous font subir.

    L'Eglise se meurt, l'Eglise est morte, disent nos adversaires ; ils oublient qu'elle n'a jamais été plus florissante au lendemain des plus terribles persécutions.

    Restons donc fidèles à notre foi et ayons confiance.

    Après le salut solennel du Très-Saint-Sacrement, le retour s'effectue au milieu d'une affluence encore plus considérable que tout-à-l'heure: des mamans présentent leurs enfants à la bénédiction de Monseigneur. avec une bonne grâce extrême, Monseigneur bénit et bénit encore. Cependant, dit-il, prenez patience, Mesdames, demain je serai complètement à vos enfants.

    Mais qu'est ceci? Sur tous les points à la fois s'allument des feux de Bengale aux couleurs les plus variées, à toutes les fenêtres flottent les drapeaux tricolores éclairés par les lumières d'une multitude de verres qu'ils couvrent de leurs plis: c'est l'illumination des grands jours de fête, avec en plus, une forêt de verdure, des trophées d'oriflammes, une profusion de guirlandes et de banderolles, une série d'écusson aux armes de l'hôte insigne qui nous est arrivé.

    Longtemps encore après la rentré de Monseigneur à la cure, la foule devise dans les rues et sur les places avoisinantes et prend rendez-vous pour le lendemain.

    Dimanche matin. - De fait, jamais notre église n'a vu pareille affluence à chacune des messes qui se sont succédées: c'est une marque faite par beaucoup de personnes.

    A 7 h. 3/4, les enfants qui doivent être confirmés, au nombre de 360, partent de la cour de Sainte-Elisabeth pour se rendre en procession, croix en tête, chercher sa Grandeur à la cure et l'accompagner à l'église.

    Monseigneur dit une messe basse pendant laquelle un choeur de jeunes filles, en des cantiques de circonstance, alterne avec des mélodies de l'orgue, et au cours de laquelle le Credo est chanté par toute l'assistance. Les confirmands, après les "Actes avant la communion" dits à haute voix, s'approchent de la sainte table.

    Puis après la messe, suivie des "Actes" d'actions de grâces, M. l'abbé Bareth, notre ancien vicaire, dans un sermon auquel Monseigneur dans une allocution, tout-à-l'heure rendra un hommage bien mérité, nous redit les bienfaits et les effets du sacrement en même temps que les droits et les devoirs qu'il impose.

    Et maintenant que les confirmands viennent, dans cette instruction, de recevoir leur dernière leçon, ils n'ont plus qu'à s'approcher et à recevoir le sacrement de confirmation. Monseigneur le leur confère, pendant que tour à tour les enfants, les congréganistes, la chorale, un groupe harmonieux d'instruments choisis, implorent en chantant les dons de l'Esprit-Saint.

    Puis immédiatement après, au moment où il se lève pour adresser la parole de l'assistance, surtout composée de femmes, un des aînés des confirmés, se dirige vers le choeur de l'église, s'arrête devant Sa Grandeur et lui dit:

    Monseigneur,

    Déjà plusieurs voix se sent élevées pour remercier votre Grandeur qui a bien daigné nous faire la faveur d'une si solennelle visite.

    A la jeunesse et à l'enfance, il ne resterait plus qu'à se taire.

    Mais, Monseigneur, vous venez de nous distribuer les Dons du Divin-Esprit.

    Nous sommes donc ceux qui ont le plus reçu, c'est à nous de montrer le plus de reconnaissance.

    Nous vous disons donc, Monseigneur, notre plus grand merci, et notre plus grand désir de réaliser en notre vie de beau programme chrétien que Votre Grandeur nous a tracé hier soir.

    Nous désirons que tout soit à nous, que nous ne perdions rien du Divin-Don.

    Nous désirons tous être au Christ, et que votre présence ici, Monseigneur, ait été celle du Grand Chef d'armée, qui vient de faire une immense levée d'âmes pour le service du Seigneur-Jésus.

    Pour que nous ne trahissons jamais nos solennels engagements, et que toujours nous ayons en la mémoire et le jour et le Pontifie qui les ont reçus, nous prions Votre Grandeur de nous accorder encore sa bénédiction.

    Monseigneur en des paroles toutes paternelles, remercie le jeune orateur et se dit bien touché de tout ce qu'il a entendu jusqu'à présent, de tout ce qu'il a vu et tout ce qui se fait à Thaon en son honneur et pour la gloire de la religion. Puis s'adressant spécialement aux dames il leur tient un langage tout d'actualité dont je vais essayer de reproduire l'idée dominante.

    Je m'adresse surtout à vous, Mesdames, hier, en effet, vos maris et vos fils ont eu leur part, et le spectacle vraiment imposant qu'ils m'ont donné m'a fait éprouver une grande joie. Mais si j'ai été bien touché hier, je le suis plus encore aujourd'hui, car dans vos enfants je vois l'homme et la mère de famille de demain...

    Le rôle de la femme consiste dans les soins à donner à la famille et à l'éducation des enfants... la femme, c'est le dévouement... une femme chrétienne est une grâce au foyer...

    Ici, votre école chrétienne fondée par votre regretté curé, est fermée ; c'est aux mères de famille à suppléer aux soins que vos enfants ne reçoivent plus des religieuses.

    ... Mais cette école, nous en avons la conviction, rouvrira un jour ses portes, ...les ruines accumulées par nos ennemis, nous les réparerons, si vous le voulez, car le France ne saurait se laisser déposséder de sa religion... L'énergie se réveillera et Dieu reviendra dans nos écoles... L'esprit chrétien doit se développer par la femme, elle doit le transmettre à ses enfants...

    L'orgue et les musiques jouent une marche triomphale et Monseigneur essaie de d'en retourner à la cure. C'est le moment attendu avec impatience par les mamans pour présenter leurs enfants (et Dieu sait s'ils sont nombreux à Thaon) à la bénédiction de Monseigneur qui, de ce fait, met bien une 1/2 heure à parcourir les 50 mètres qui séparent l'église de la maison de cure. Mais il ne s'en plaint pas: c'est au contraire là une des plus douces charges de son ministère et il est tout heureux de l'accomplir. Au milieu de ce peuple fidèle qui l'aime et qui l'acclame, il est bien à sa place et la joie rayonne sur son visage, et les bonnes paroles qu'il adresse à chacun sortent du plus profond de son coeur!

    Cependant une surprise l'attend au détour de la Rue du Presbytère: un photographe amateur, d'une fenêtre d'en face, braque son appareil et saisit Monseigneur et sa suite sur son cliché ; chacun, du reste y met autant de bonne grâce que d'empressement.

    Et maintenant que chacun rentre vite chez soi, car un orage se prépare, et gare les belles toilettes des dames! A partir de ce moment, la pluie jette sur notre fête un voile de tristesse, rendant difficile la préparation et surtout l'ornementation des reposoirs.

    La procession de l'après-midi. - Mais Dieu a pitié de nos efforts et de notre volonté! Pour les vêpres qu'on ne fait que commencer à l'église, le ciel nous sourit un peu. La trêve se continue et l'air de vouloir durer: c'est le moment d'en profiter.

    Vite en route pour les reposoirs! le Saint-Sacrement est porté par M. le Chanoine Chichy, secrétaire particulier de Monseigneur, en avant duquel se déroule le long cortège des enfants, des congréganistes et des dames du Rosaire: puis, précédant immédiatement le dais, viennent les jeunes gens du patronage Saint-Joseph avec leur bannière et leurs insignes: enfin, marchant en rangs serrés et recueillis, une masse compacte d'hommes qu'on peut bien évaluer ; sans crainte d'exagérer, à 500 ou 600, couronne cette imposante manifestation religieuse.

    Monseigneur marche derrière le dais, accompagné de M. le Chanoine Laxenaire, professeur au Grand Séminaire de Saint-Dié, et de M. le Curé de Thaon ; les autres prêtres s'occupent de l'organisation de la procession.

    Si j'avais autorité de le faire, j'adresserais les plus chaudes félicitations aux soixante-quinze hommes et jeunes gens, chanteurs et exécutants qui, au cours des différents offices de ces jours de fête, et principalement dans cette procession, nous ont fait entendre de si beaux accords et des chants si bien enlevés ; j'ajouterai les plus sincères remerciements pour M. l'abbé Olivier, professeur au Séminaire de Châtel, leur distingué chef d'orchestre et de chorale, lequel avait eu l'amabilité et le dévouement, après ses heures de classe, de venir, les semaines précédentes, faire les exercices de répétitions jusqu'à 10 heures du soir.

    Parlerai-je maintenant des reposoirs? En quels termes pourrais-je le faire pour être à la hauteur de cette mission et ne pas rester au-dessous de la réalité? Ils rivalisent tous de beauté, de grâce et de bon goût, et si un jury avait été chargé de distribuer des prix à leurs auteurs, il aurait été obligé de n'en donné qu'un seul ex-aequo aux trois concurrents lauréats.

    Mais ce n'est pas seulement aux reposoirs que s'est appliqué le zèle des quartiers où devait passer la procession, le rues elles-mêmes dans toute leur longueur et les maisons en bordure étaient ornées et décorées à profusion ; et je crois pouvoir dire, en toute vérité, que si Thaon a toujours fait de grands préparatifs pour la venue de Monseigneur et pour les processions, jamais les décorations n'ont atteint un pareil développement.

    4.2.11. La religion réformée

    Immigration protestante.- Avant la guerre de 1870, il n'existait à Thaon qu'une seul famille protestante, celle de M. Yvan Köchlin, qui était un grand propriétaire possédant environ 50 hectares de terrains composés surtout de prés irrigués par la Moselle, grâce au barrage de Chavelot.

    Cette propriété, fut achetée, en 1872, pour la création de l'industrie de blanchiment, teinture et impression.

    C'est l'immigration de la population industrielle qui amena à Thaon un certain nombre de familles protestantes originaires d'Alsace (Haute et Basse) surtout du Ban-de-la-Roche qui était situé dans la partie des Vosges annexée à l'Allemagne après la guerre.

    Le culte protestant à Thaon. - Le service religieux fut assuré à cette petite colonie par le pasteur s'Epinal qui venait tous les Dimanches officier à Thaon.

    Actuellement le groupe protestant comprend 76 familles représentant une population d'environ 350 âmes et formant une annexe de la paroisse reformée d'Epinal. La charge devenant trop lourde pour un seul administrateur, un jeune pasteur fut installé, en 1903, par les soins de la Société d'Evangélisation à l'intérieur. Néanmoins le groupe de Thaon, reste, comme auparavant, une des annexes de la paroisse protestante d'Epinal.

     

    Liste des Pasteurs.-

     

    M. Berthe, 1846
    M. Bader, 1847
    M. Lobstein, 1849
    M. Wuillamier, 1850
    M. J. Hömmerlin, 1851
    M. A. Romane, 1868
    M. A. Goguel, 1878.

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